Adèle Bourgeois, Bois-Sinistre 1929



(Mémoires)
Bois-Sinistre, Février, 18…

I

MON COUSIN ARTHUR

Quelques amis m’ont demandé d’écrire mes « mémoires ».

La première fois que pareille chose me fut suggérée, je ris jusqu’aux larmes. Moi, écrire quelque chose qui serait digne d’être publié !… Cela me paraissait ridicule, pour deux raisons : la première étant qu’il n’y a jamais en rien de bien remarquable dans ma vie : la seconde, je suis loin me semble-t-il, de posséder les talents et aptitudes requises pour écrire.

Mais j’ai toujours ambitionné le titre d’auteur ; c’est le plus beau, le plus enviable qui soit au monde, selon moi et comme c’est entendu que « qui ne risque rien n’a rien », je me mets au travail.

D’ailleurs, parler de ma vie si ordinaire, raconter mes expériences non moins banales, parmi lesquelles un drame se détache si étrangement, intéressera probablement les lecteurs de romans à sensation…

Dans ce court récit, je me propose de me servir du « moi » le moins possible. Cependant, ami lecteur, puisqu’il s’agit de mes mémoires, je vais être obligée de vous entretenir de faits me concernant… Je commence donc :

Étant devenue orpheline dès l’âge de douze ans, je fus adoptée par tante Marguerite (Madame Tudor) l’unique sœur de ma mère.

Tante Marguerite n’avait qu’un enfant, un fils, nommé Arthur. Mon cousin était âgé de dix-neuf ans, lorsque je devins l’un des membres de la famille.

Arthur était encadreur d’images et de portraits. Son atelier s’étendait en aile, du côté est de la maison, C’était une grande pièce, contenant des moulures de toutes couleurs et de toutes descriptions, ainsi que des vitres taillées de différentes grandeurs et formes. Au centre, était une longue table, à laquelle Arthur travaillait. Combien d’heures heureuses je passais dans l’atelier de mon cousin et quel intérêt je prenais à son ouvrage, quoique je fusse encore si jeune ! Et quelle joie j’éprouvais quand Arthur me donnait des restes de moulures en me disant :

— Tiens, petite cousine, tu peux te fabriquer un cadre avec ces restes, et voici une jolie image que tu aimeras peut-être à mettre dans le cadre ensuite.

— Oh ! Merci, cousin Arthur ! répondais-je. Que j’aime à encadrer des images, et que je voudrais pouvoir travailler avec autant de perfection que vous !

— Cela viendra, enfant ! me répondait-il, avec ce sourire si doux, qui avait le don de me charmer.

(Pour moi, le sourire d’Arthur, c’était un poème) !

Je me mettais à l’œuvre, essayant d’encadrer l’image que mon cousin m’avait donnée. Souvent, Arthur m’appelait à ses côtés et il me montrait comment surmonter telle ou telle difficulté.

— Tu deviendras certainement très-capable bientôt dans l’art d’encadrer, petite fille, me dit-il un jour.