Paul Verlaine, « Telle autre gloire est, j’ose dire... » dans Le Monument de Marceline Desbordes-Valmore

1896


Telle autre gloire est, j’ose dire, plus fameuse,
Dont l’éclat éblouit mieux, certes, qu’il ne luit ;
La sienne fait plus de musique que de bruit,
Bien que de pleurs brûlants écumeuse et fumeuse ;

Mais la bonté du cœur, mais l’âme haute et pure,
Tempèrent ce torrent de douleur et d’amour,
Et, se mêlant à la douceur de la nature,
À sa souffrance aussi, de nuit comme de jour,

Promènent sous le ciel tout pluie et tout soleil,
À chaque instant, avec à peine des nuances,
Un large fleuve harmonieux de confiances
Vives et de désespoirs lents, — et non pareil,

Il chante, l’ample fleuve au capricieux cours,
L’hymne infini de toute la tendresse humaine
Où la fille, et l’amante, et la mère ont leurs tours,
Où le poète aussi, dans l’horreur qui nous mène,

Vient mêler son sanglot qui finit en prière
Universelle, et la beauté même d’un art
Issu du sang lui-même et de la vie entière,
Rires, larmes, désirs, et tout ! comme au hasard !

Car elle fut artiste et sous la fougue ardente
Dont bat et bat son vers vibrant comme son cœur
On perçoit que l’on doit admirer l’imprudente
Main au prudent doigté tout vigueur et langueur.