Robert de Montesquiou, Discours d'ouverture dans Le Monument de Marceline Desbordes-Valmore

1896




Discours de M. le comte Robert de Montesquiou
Président du Comité


Mesdames, Messieurs,


Je l’écrivais, l’autre jour, je tiens à le redire ici, je ne revendique aujourd’hui que le rôle de rapporteur d’une question, on peut le dire, conclue et close ; close par cette inauguration comme le peut être un bracelet ou un collier par un fermoir précieux ; et conclue, comme ces bâtisses où les ouvriers joyeux accrochent une gerbe de fleurs, en signe d’achèvement : conclue… par un bouquet.

Bien loin de moi, en effet, la prétention risible dont plusieurs auraient voulu m’affubler, à l’origine des événements que cet avènement couronne, d’avoir cru et voulu inventer Mme Desbordes-Valmore. — Je le répète : je n’ai voulu que rafraîchir les fleurs et les palmes d’illustres ex-voto spontanés, entrelacés autour de ce souvenir par tant de gestes augustes et de mains généreuses.

Certes, on pourrait le dire – si le cœur et le génie ne s’inventaient pas tout seuls – les plus grands l’avaient inventée avant nous, inventée malgré elle ! Et c’est une des plus saisissantes caractéristiques de la vie de notre héroïne (j’allais dire : de notre Sainte !) que cette modestie confuse, à tout jamais incertaine qu’elles aient véritablement trait à elle-même, en présence d’admirations aussi sincères que magnifiques.

Au contraire, j’ai hâte de vous les rappeler ces radieux admirateurs de Madame Valmore, de formuler l’énoncé superbe et retentissant de leurs noms glorieux, de les faire éclater au-dessus de vos têtes, de les répandre, tels qu’autant d’inestimables joyaux, d’en illustrer comme de fleurs de pierreries, les roses et les palmes que nous entrecroisons aujourd’hui autour de son lierre.

Hugo, Vigny, Dumas, Sainte-Beuve, Gautier, Banville, d’Aurevilly, Baudelaire ! Baudelaire, dont une page admirable et charmante vous sera lue tout à l’heure par un prince d’entre nos poètes : M. Catulle Mendès, le subtil Maître qui a tenu à venir tout exprès pour vous réciter l’œuvre d’un autre. Fier effacement qui nous permet de le remercier du double hommage qu’il apporte ainsi à la Grande Marceline : la page que lui a consacrée un poète mort — et immortel ; et la page — sans nul doute bien exquise ! que lui-même, heureusement bien vivant ! lui a dédiée… dans son coeur !

Quant à Michelet, vous savez ce qu’il a dit d’Elle, quand il a parlé de cette puissance d’orage qu’elle seule a jamais eue sur lui !

Cela nous permet, n’est-ce pas ? de sourire de ces gens graves, ceux-là sans doute dont le penseur a écrit : « gravité est un masque qui sert à cacher le défaut d’esprit » – qui trouveraient indigne de leur sérieux, de se sentir émus par celle qui bouleversait ce vaste génie, et qui voudraient maintenir à cette vraie muse, le caractère un peu vieillot et suranné sous lequel elle fut longtemps discréditée ; tandis qu’il ne s’agit de rien moins, lorsque l’on parle d’elle, que de l’un des plus purs, des plus hauts, des plus tendres et touchants génies dont l’humanité se soit honorée.

Et, pour Lamartine, on ne se lasse pas de ressasser l’anecdote à laquelle nous devons le sublime chant alterné qui va vous transporter dans une heure. Lisant, par hasard, dans un de ces Keepsakes si fort à la mode, en ce temps-là, une poésie dédiée à M. A. de L. par notre poète, l’auteur de Jocelyn ne douta pas que ces initiales ne fussent les siennes, et répondit, d’enthousiasme, un chant divin, à celle dont il ne connaissait que le génie et les souffrances. Elle, capable de s’élever aux plus ravissants des accents, mais non de proférer le plus ingénu des mensonges, devait bien avouer que le dédicacé était un autre, et du même rythme, mais d’un souffle, s’il se peut, plus inspiré, répondait, à son tour, une ode douloureusement enchanteresse.

Entre ces grands morts et les grands vivants qu’anime une pareille tendresse pour cette poésie, c’est encore un poète, un autre grand poète qui nous servira de lien ; un poète qui n’a pas voulu mourir sans modeler, tout au moins en de survivantes strophes que vous allez entendre, le buste de celle qu’il admirait parmi tous, et dont la réverbération en son œuvre est à la fois directe et discrète. Ce poète-là, Mesdames et Messieurs, que je le rappelle à votre respect attendri, c’est, vous le savez, Paul Verlaine !

Dans le présent, ce sont (entre autres), MM. Anatole France, Jules Lemaître, Rodenbach, Descaves, qui se sont fait une gloire et une joie d’exercer autour de celle que je nomme la modeste immortelle, des talents si brillants et si divers.

Moi-même, je possède deux curieuses lettres à moi adressées ; l’une de Dumas fils, l’autre de M. Henri Rochefort. La première au sujet de cette