Paul Otlet, Traité de documentation

1934


PRÉSENTATION

Ô le travail des ans. Ô le travail des heures.
Ce qui ne fut d’abord que songe et que rumeur
xxxxxDans telle âme profonde
Devint bientôt le bruit et la clameur
xxxxxxxxxxxxxDu monde.
E. VERHAEREN.

Cet ouvrage est consacré à un exposé général des notions relatives au Livre et au Document, à l’emploi raisonné des éléments qui constituent la Documentation.

Notre temps, parmi tous les autres, se caractérise par ces tendances générales : organisation et rationalisation des méthodes et procédés, machinisme, coopération, internationalisation, développement considérable des sciences et des techniques, préoccupation d’en appliquer les données au progrès des sociétés, extension de l’instruction à tous les degrés, aspiration et volonté latente de donner à toute la civilisation de plus larges assises intellectuelles, de l’orienter par des plans.

C’est dans un tel milieu qu’ont de nos jours à évoluer les Livres et les Documents. Expressions écrites des idées, instrument de leur fixation, de leur conservation, de leur circulation, ils sont les intermédiaires obligés de tous les rapports entre les Hommes. Leur masse énorme, accumulée dans le passé, s’accroît chaque jour, chaque heure, d’unités nouvelles en nombre déconcertant, parfois affolant. D’eux comme de la Langue, on peut dire qu’ils peuvent être la pire et la meilleure des choses. D’eux comme de l’eau tombée du ciel, on peut dire qu’ils peuvent provoquer l’inondation et le déluge ou s’épandre en irrigation bienfaisante.

Une rationalisation du Livre et du Document s’impose, partant d’une unité initiale, s’étendant à des groupes d’unités de plus en plus étendus, embrassant finalement toutes les unités, existantes ou à réaliser, en une organisation envisageant, à la base, l’entité documentaire individuelle que forme pour chaque personne la somme de ses livres et de ses papiers ; l’entité documentaire collective des institutions, des administrations et des firmes ; l’entité des organes spécialement consacrés au Livre et au Document, à l’ensemble ou à quelqu’une de ses fonctions : Bureau, Institut, Rédaction des Publications, Bibliothèques, Offices de Documentation.

Le présent ouvrage en donne une esquisse générale et en présente une méthode coordonnée.

Les exposés ne manquent pas qui ont dit comment faire, de simples notes, les feuilles d’un manuscrit ; d’un amas de livres, une bibliothèque bien ordonnée ; d’un amas de pièces de correspondance, de comptabilité, des archives en bon ordre ; d’un ensemble divers de textes, une codification coordonnée. Mais ces publications en grand nombre, excellentes quant à leur but, n’ont envisagé chacune qu’un aspect des choses du livre, et par suite ont donné l’impression qu’il y avait comme autant de domaines spécifiques, distincts et séparés par des cloisons étanches, qu’il y avait, en abordant chacun d’eux, à s’initier à des notions toutes nouvelles, à se familiariser avec des pratiques sans connexion avec celles déjà acquises.

Le présent Traité vise avant tout à dégager des faits, des principes, des règles générales et à montrer comment la coordination et l’unité peuvent être obtenues.

Cette coordination, cette unité, l’Institut International de Bibliographie, l’Office International joint à lui, les Instituts qui coopèrent au Palais Mondial, le Mundaneum, s’efforcent depuis leur fondation en 1893, en 1895 et en 1920, de les étudier, de les définir, d’en faire une réalité vivante et tangible. Les Congrès internationaux de ces organismes, et d’autres, ont arrêté déjà un ensemble important de données régulatrices.

C’est d’elles que, dans cet ouvrage, on s’est inspiré directement et c’est à les développer qu’il s’applique sous une forme libre et n’engageant aucune institution. L’objectif est de préparer ainsi de nouvelles ententes, de nouvelles standardisations, de nouvelles œuvres à établir et à sanctionner en commun.

Pour des buts particuliers, d’autre part, on s’est efforcé de présenter distinctement les notions générales que l’analyse et la synthèse permettent actuellement de dégager. On les a aussi montrés à l’œuvre dans des cas spéciaux, s’attachant à faire voir quels moyens la théorie et la pratique offrent maintenant aux organismes documentaires de tout ordre pour réaliser leurs opérations. Comme il ne saurait s’agir d’une standardisation et d’une mécanisation totales du travail, il est laissé à chaque organisateur de son propre travail, ou de celui d’autrui, de fixer finalement lui-même