Jerome K. Jerome, Fanny et ses gens

1909

Traduction Andrée MÉRY et Pierre SCIZE. 1927

FANNY ET SES GENS

Pièce en trois actes.


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Fanny et ses gens a été représenté, pour la première fois, le 27 avril 1927,
au théâtre Daunou.
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PERSONNAGES


Martin Bennett MM. Constant Rémy.
George P. Newte Paul Amiot.
Vernon Wethrell Fernand Gravey.
Docteur Freemantle Lucien Dayle.
Thomas Jean Hubert.
Fanny Mmes  Jane Renouardt.
Miss Wethrell, cadette Jeanne Fusier-Gir.
Miss Wethrell, aînée Berthe Fusier.
Madame Bennett Meg Degaral.
Honoria Geneviève Valois.


Les cinq dancing girls du numéro « Notre Empire » :
Angleterre, Mlle Tamary. — Irlande, Mlle Lucie Joussy.
Australie, Mlle Christiane Deyrlord. — Archipel malais, Mlle Suzanne Blanchet.
Canada, Mlle Mado Marsan.



La scène est à Bantock Hall, Rutlandshire.


ACTE PREMIER


Le boudoir de Fanny, belle pièce fort claire, meublée et décorée d’un assez pur Louis XIV. Une large baie à droite. Portes à droite conduisant aux appartements de lady Bantock. Somptueuse cheminée. Feu de bois. En bonne place, on a suspendu le portrait de Constance, première lady Bantock, par Hopner. Meubles cossus, mais simples, français, sauf le piano. Un grand bureau, une table ronde, quantité de sièges confortables. Un canapé, un paravent, au coin de la cheminée. Beaucoup de fleurs. Atmosphère puritaine, mais aimable.

Le crépuscule, au dehors, d’un beau jour de printemps.


En scène, LES MISSES WETHRELL aînée et cadette.
Ce sont de douces vieilles filles malaisément distinguées l’une de l’autre, qui seraient un peu ridicules si elles n’étaient charmantes. La pendule sonne six coups.


L’Aînée. — Quel joli coucher de soleil ! chérie.

La Cadette, arrangeant des fleurs, après un regard à la fenêtre. — Splendide. (Un silence.) Chérie ? (Un temps.) Vous ne craignez pas… je veux dire… il ne vous semble pas que cette pièce soit trop claire pour son goût ?

L’Aînée. — Trop claire ? Comment cela ?

La Cadette. — Pour… pour son teint, n’est-ce pas ? Certaines jeunes dames, parfois…

L’Aînée. — Mais, chère… (Comprenant) Oh ! vous voulez dire, vous pensez que, peut-être, elle…

Geste vers son visage.

La Cadette. — Je crains… En général, vous savez, les femmes dans sa profession…

L’Aînée. — Cela me paraît si coupable… Peindre l’œuvre du Créateur !

La Cadette. — Nous ne devons pas juger sévèrement, chérie. D’ailleurs, ce sont des suppositions…

L’Aînée, un petit cri de joie. — Mais oui, peut-être qu’elle est jeune, très jeune ! Et dans ce cas elle… n’a peut-être pas encore commencé à…

Geste comme plus haut.

La Cadette. — Il n’a jamais fait la moindre allusion à son âge.

L’Aînée. — C’est vrai… Mais je sens qu’elle est jeune.

La Cadette. — Il serait tellement plus facile de la former !

L’Aînée. — Il faudra être très bonnes.

La Cadette. — Tâcher de la comprendre, surtout. (Sur le ton dont on fait une découverte soudaine.) Qui sait ? Nous arriverons peut-être à l’aimer…

L’Aînée, dubitative. — Nous pourrons tout au moins essayer, chérie.

La Cadette. — Pour le cher Vernon. Pauvre petit, il semble tellement épris…

Entre Martin Bennett : c’est le maître d’hôtel idéal.

Bennett. — Le docteur Freemantle. Je l’ai fait entrer dans la bibliothèque.

Bennett va vers le feu et l’arrange.

La Cadette. — Bennett, voulez-vous lui dire de monter jusqu’ici ? Nous le consulterons au sujet de cette pièce. Il a tant de connaissances sur toutes choses !

Bennett va pour sortir.

La Cadette. — Ah ! Bennett, vous voudrez bien rappeler à Charles qu’il faut une chaufferette dans la voiture qui ira à la gare.

Bennett. — J’y veillerai moi-même.

La Cadette. — Merci, Bennett. (Bennett sort.) On a fréquemment les pieds froids après un long voyage. C’est une chose si désagréable…

L’Aînée, avec conviction. — Oui…

La Cadette. — Chérie, je voudrais connaître ses fleurs préférées. Être accueillie par les fleurs qu’on aime, c’est si doux !

L’Aînée. — Je pense que les lis…

La Cadette. — N’est-ce pas ? C’est tellement indiqué pour une jeune mariée.

Le Docteur, un petit homme rond, jovial, souriant et alerte, entre, introduit par Bennett. Il serre la main aux Misses.

Le Docteur. — Alors ? Comment allons-nous cet après-midi, chères demoiselles ?

Il tâte le pouls de la Cadette.

La Cadette désigne sa sœur. — Elle a mieux dormi cette nuit.

Le Docteur tapote les mains de l’Aînée.

L’Aînée, désignant sa sœur. — Elle a mangé de très bon appétit ce matin.

Le Docteur, souriant, aux deux ensemble. — Parfait ! Parfait ! Tout cela : de l’agitation nerveuse causée par cette appréhension du mariage de Vernon… Oh ! légitime, du reste…

Les Misses. — N’est-ce pas, docteur ?