Homère, L’Odyssée, chant 1 : Conseil des Dieux. Exhortation de Minerve à Télémaque. Festin des Prétendants

VIIIe ou IXe siècle avant J.-C.

Traduction Ulysse de Séguier 1896


L’ODYSSÉE



CHANT I



CONSEIL DES DIEUX

EXHORTATION DE MINERVE À TÉLÉMAQUE

FESTIN DES PRÉTENDANTS

Muse, dis-moi ce chef aux manœuvres subtiles
Qui, vainqueur de Pergame, erra si longuement.
De maint peuple il sonda les mœurs comme les villes ;
Il souffrit mille maux sur l’humide élément
Pour conserver sa vie et ramener sa troupe.
Mais nul ne se sauva, quels que fussent ses vœux,
Car leur témérité les fit périr en groupe,
Ces fous qui du Soleil dévorèrent les bœufs ;
Et le Dieu leur ravit le jour de la rentrée.
Déesse, enfant de Zeus, redis ces faits connus.

Déjà les Grecs soustraits à la mort exécrée,
Libres des camps, des flots, étaient tous revenus.

Seul, Ulysse restait, pleurant patrie et femme,
Aux mains de Calypso qui, noble déité,
Dans son antre nymphal le pressait de sa flamme.
Quoique, au gré du Destin, le Temps précipité
Eût marqué son retour vers Ithaque, sa terre,
Il ne pouvait briser les nœuds qui l’étreignaient,
Ni revoir ses amis : tous les dieux le plaignaient,
Sauf Neptune jaloux, dans sa vieille colère,
D’accabler jusqu’au port ce prince olympien.

Or, d’agneaux, de taureaux une hécatombe grasse
Avait conduit Neptune au sol éthiopien.
(Ce sol, le plus lointain, porte une double race ;
L’une se tient à l’est, l’autre habite au ponant.)
Tandis qu’il savourait un festin bénévole,
Les autres dieux siégeaient chez Jupiter tonnant.
Le roi de l’univers prit soudain la parole ;
Il s’était rappelé qu’aux mânes paternels
Oreste dévoua le radieux Égisthe.
S’étant donc souvenu, Zeus dit aux Immortels :
« Hélas ! à nous blâmer combien l’homme persiste !
Tout le mal vient, dit-il, de la céleste cour.
Mais, en dépit du Sort, l’orgueil fait sa misère.
Ainsi, malgré le Sort, Égisthe prend naguère
Sa femme au fils d’Atrée et le tue au retour.
Son châtiment certain, il le savait d’avance
Par le bourreau d’Argus, Hermès, notre envoyé :
Épargne Agamemnon ! respecte sa moitié !
Car d’Oreste viendra l’implacable vengeance,
Quand il voudra, grandi, rentrer dans son palais…
Hermès ainsi parla : rien ne fléchit l’inique,
Et son sang d’un seul coup paya tous ses forfaits. »