Cécile Sauvage, Donnons, ma double flûte
1910

DONNONS, MA DOUBLE FLÛTE…

Donnons, ma double flûte, un concert inouï,
Juin tend ses bras d’ambre au soleil ébloui,
La guêpe fait vibrer ses blondes castagnettes,
Les pollens odorants parsèment leurs miettes,
Les jardins sont pétris de roses et de miel
Et l’eau dans son écharpe à la couleur du ciel.
L’étable est en rumeur, car la brebis agnelle,
La fermière a rempli la brûlante écuelle
Où palpite le lait. L’étable est en rumeur.
Le bœuf massif rumine un énorme labeur

En un coin et son œil surveille l’agnelage.
Tout un pré desséché compose le fourrage
Des chevaux hennissants aux naseaux onctueux
Qui piaffent, rêveurs des grands horizons bleus.
La lucarne arrondit l’azur de sa prunelle
Annonçant que le jour sur la terre ruisselle,
Qu’il fera bon fouler des mottes sous son pied
Et que le chat se lave assis sur l’escalier.
Au dehors, c’est le temps que le blé roux épie,
Avec un soin nouveau la faucille est fourbie,
L’abeille a deviné ce massacre des blés
Et les frôle en passant de baisers envolés.

Suspendons la rosée au fil de l’araignée,
À la branche nombreuse et de rayons baignée,
Marions l’alouette au matin et chantons
Tandis que va craquer le corset des boutons,
Tandis que sur son nid pour l’hymne qu’il déferle
Dans sa gorge un oiseau fait trépigner des perles
Et qu’un lourd papillon par l’amour affalé
Rebondit sur le sol en semant son duvet.

Qu’on surprenne le pas d’un frelon qui piétine
Sur la mamelle longue et mauve des glycines
Et le doux froissement de l’arbre qui s’endort.
La nuit somnolera dans un silence d’or ;
On entendra les chars s’engluer dans l’ornière,
Le soleil ébranler son moulin de lumière,
Bruiner les bouleaux, chuchoter les ajoncs
Et sous les marronniers tomber mat les marrons
Quand, pareille au verdier, la touffe de prairie
S’ébouriffe et s’égoutte après un temps de pluie.
La terre qui regarde aux fleurs de ses jardins
Jouer la lune blanche et le petit matin
Nous conduira dans l’air où sa valse s’élance.
Les bras arrondiront, vivants, leurs fermes anses,
Les baisers de la chair se mouilleront d’amour,
La pêche aura son eau, sa courbe, son velours
Et le frémissement qui la berce en sa feuille :
On palpera le vers comme un raisin qu’on cueille.