Théophile Marion Dumersan et Nicolas Brazier, Monsieur Cagnard, ou les Conspirateurs
1831

M. CAGNARD,
OU
LES CONSPIRATEURS,
folie du jour en un acte,
MÊLÉE DE COUPLETS,
PAR MM.  DUMERSAN ET BRAZIER


REPRÉSENTÉE, POUR LA PREMIÈRE FOIS, À PARIS,
SUR LE THÉÂTRE DES VARIÉTÉS,
LE 5 FÉVRIER 1831.


Les conspirateurs de tous les partis n’ont jamais pour but que leur intérêt personnel.


Nouvelle édition avec des changemens


PARIS.
J. N. BARBA, LIBRAIRE,
PALAIS-ROYAL, GRANDE COUR, DERRIÈRE LE THÉÂTRE FRANÇAIS.
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1831

Le théâtre représente un petit salon très simple. Une seule porte d’entrée à gauche du spectateur. Du même côté une psyché. À droite une grande armoire. Au fond, une petite porte secrète cachée dans la boiserie. Fenêtres. Deux tables. Sur celle à gauche, tout ce qu’il faut pour écrire ; sur celle à droite, une carafe et un verre sur une assiette. Quelques sièges. Un grand carton dans lequel est un bonnet de grenadier.
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Scène première.

JULIETTE, en homme, mais avec un chapeau et un manteau de femme, PROSPER, en garde national.
(Prosper entre le premier et dépose au fond du théâtre un carton et un sac de voyage, puis il va au-devant de Juliette.)
Prosper.

Te voilà donc arrivée, ma chère Juliette ?

Juliette.

Oui, mon ami ; heureusement, car je m’ennuyais bien de vivre éloignée de mon mari.

Prosper.

Nous ne serons plus séparés ! Mais si tu savais comme j’étais inquiet de te savoir seule dans une voiture publique.

Juliette.

J’avais pris mes précautions. (Elle entr’ouvre son manteau.) Tiens, je passais aux yeux de mes compagnons de voyage pour un jeune étudiant qui allait faire son droit à Paris.

Prosper.

Et ils l’ont cru ?

Juliette.

Sans doute, ils m’ont demandé si j’allais signer les protestations ; mais, mon ami, tu vas me présenter à ton oncle et à ta tante ?

Prosper.

Pas encore. Il faut prendre nos mesures… D’abord je t’ai fait entrer dans la maison sans être vue ni du portier ni de sa femme.

Juliette.

Pourquoi donc tant de mystère ?

Prosper.

Il le faut bien ; si tu connaissais le caractère de M. et de madame Delaune…

Juliette.

Je sais que leurs opinions politiques les ont brouillés avec mes parens ; mais j’apporte quelque chose… je te dirai cela.

Prosper.

Ils sont plus fous que jamais. Imagine-toi que cette maison est un foyer de conspirations.

Juliette.

Ah ! mon Dieu !

Prosper.

N’aie pas peur ! ce sont bien les conspirateurs les plus ridicules ! Mon oncle est entouré de tous ses vieux amis de la petite Provence, pour lesquels aucune nouvelle n’est assez bizarre, ni assez absurde ! Ma tante se laisse persuader par des imbéciles d’une autre espèce, parmi lesquels il y en a d’assez fins pour manger son dîner et pour lui emprunter de l’argent.

Juliette, riant.

Ils ne sont pas trop mauvais politiques.

Prosper.

N’ont-ils pas été jusqu’à persuader à l’une qu’un jeune prince autrichien était prêt à entrer dans Paris ; à l’autre, qu’une princesse, que tu devines sans doute, était cachée dans le faubourg Saint-Germain.