Erik Satie, Ce que je suis

in Revue musicale S.I.M., VIIIe année, n° 4, 15 avril 1912, p. 69


Mémoires d'un amnésique

CE QUE JE SUIS

(fragment)

Tout le monde vous dira que je ne suis pas un musicien. C’est juste.

Dès le début de ma carrière, je me suis, de suite, classé parmi les phonométrographes. Mes travaux sont de la pure phonométrique. Que l’on prenne le « Fils des Étoiles » ou les « Morceaux en forme de poire », « En habit de cheval » ou les « Sarabandes », on perçoit qu’aucune idée musicale n’a présidé à la création de ces œuvres. C’est la pensée scientifique qui domine.

Du reste, j’ai plus de plaisir à mesurer un son que je n’en ai à l’entendre. Le phonomètre à la main, je travaille joyeusement et sûrement.

Que n’ai-je pesé ou mesuré ? Tout de Beethoven, tout de Verdi, etc. C’est très curieux.

La première fois que je me servis d’un phonoscope, j’examinai un si bémol de moyenne grosseur. Je n’ai, je vous assure, jamais vu chose plus répugnante. J’appelai mon domestique pour le lui faire voir.

Au phono-peseur un fa dièse ordinaire, très commun, atteignit 93 kilogrammes. Il émanait d’un fort gros ténor dont je pris le poids.

Connaissez-vous le nettoyage des sons ? C’est assez sale. Le filage est plus propre ; savoir classer est très minutieux et demande une bonne vue. Ici, nous sommes dans la phonotechnique.

Quant aux explosions sonores, souvent si désagréables, le coton, fixé dans les oreilles, les atténue, pour soi, convenablement. Ici, nous sommes dans la pyrophonie.

Pour écrire mes « Pièces froides », je me suis servi d’un caléidophone-enregistreur. Cela prit sept minutes. J’appelai mon domestique pour les lui faire entendre.

Je crois pouvoir dire que