Maurice Bonneff, Didier homme du Peuple 1914


PREMIÈRE PARTIE


I


À la sortie de quatre heures, M. le directeur, en pantoufles, reconduisit les élèves jusqu’à la rue Bretonneau.

En même temps qu’il frappait dans ses mains, il donnait de petits coups de sifflet qui scandaient la marche des enfants. Ils marquaient le pas, soulevant la poussière de la cour et Messieurs les instituteurs couraient de l’un à l’autre, harcelant les dissipés et les têtus.

Dans le couloir, des mères attendaient leurs petits. Quelques unités sortirent des files, ce qui occasionna un léger désarroi. Puis les rangs se reformèrent, les écoliers suivirent la rue Bretonneau, où les odeurs de phénol, venues de l’hôpital voisin, traînent sur les bâtisses, et la dislocation du groupe se fit au rond-point Gambetta.

Le soleil de mars criblait d’étincelles dorées les feuilles de platane et le ruisseau qui brillait sous le trottoir semblait une source. Il y eut un grouillement sur la place, les bérets et les casquettes se soulevèrent pour saluer les maîtres, découvrirent les tignasses en broussailles, puis cinquante gosiers comprimés par une après-midi de discipline, lancèrent un cri de liberté.

Didier, accompagné de trois amis, déposa sur le trottoir sa gibecière et traça sur le sable le dessin du colimaçon, schéma qui sert au jeu de billes. Didier perdit, trima, reprit son sac, et se dirigea vers le logis.

Il habitait avec son papa qui était livreur et ne rentrait que sur le coup de sept heures, sept heures et quart. Papa se promenait dans Paris, coiffé d’une casquette cirée, poussant un tricycle dont la caisse contenait des verres bourrés de paille.

Papa « livrait » dans les cafés. Il partait à six heures le matin, se rendait au dépôt, balayait le magasin, frottait les meubles, puis se mettait en route. C’était un cycliste incomparable ; il ne descendait jamais de machine dans les encombrements, traversait au matin les Halles, la cigarette collée à la lèvre, coupait le défilé des charrettes et interpellait rudement les voituriers qui le croisaient. Il déjeunait vers onze heures avec un fromage de tête et un sou de pain arrosé d’un litre. Il avait déjà sept ans de services chez son patron. Aussi gagnait-il ses trois francs cinquante par jour, mais au nouvel an, la « maison » lui donnait vingt francs d’étrennes, et parmi la clientèle, quinze « bistros » le gratifiaient à la même époque d’une pièce de cent sous.

Il avait eu autrefois une ménagère, une demoiselle qu’il avait épousée jeunette, à dix-sept ans, parce qu’elle avait un bon métier. Elle fabriquait à l’atelier les selles de bicyclette. C’est fa-