Louisa May Alcott, Les Quatre Filles du docteur Marsch 1868

Traduction P.J. Stahl 1880

CHAPITRE I

OÙ LE LECTEUR FAIT CONNAISSANCE AVEC LA FAMILLE AMÉRICAINE


« Noël ne sera pas Noël si l’on ne nous fait pas de cadeaux, grommela miss Jo en se couchant sur le tapis.

— C’est cependant terrible de n’être plus riche, soupira Meg en regardant sa vieille robe.

— Ce n’est peut-être pas juste non plus que certaines petites filles aient beaucoup de jolies choses et d’autres rien du tout, » ajouta la petite Amy en se mouchant d’un air offensé.

Alors, Beth, du coin où elle était assise, leur dit gaiement :

« Si nous ne sommes plus riches, nous avons encore un bon père et une chère maman et nous sommes quatre sœurs bien unies. »

La figure des trois sœurs s’éclaircit à ces paroles. Elle s’assombrit de nouveau quand Jo ajouta tristement :

« Mais papa n’est pas près de nous et n’y sera pas de longtemps. »

Elle n’avait pas dit : « Nous ne le reverrons peut-être jamais ; » mais toutes l’avaient pensé et s’étaient représenté leur père bien loin, au milieu des terribles combats qui mettaient alors aux prises le Nord et le Sud de l’Amérique.

Après quelques moments de silence, Meg reprit d’une voix altérée :

« Vous savez bien que maman a pensé que nous ferions mieux de donner l’argent de nos étrennes aux pauvres soldats qui vont tant souffrir du froid. Nous ne pouvons pas faire beaucoup, c’est vrai, mais nos petits sacrifices doivent être faits de bon cœur. Je crains pourtant de ne pas pouvoir m’y résigner, ajouta-t-elle en songeant avec regret à toutes les jolies choses qu’elle désirait.

— Mais nous n’avons chacune qu’un dollar, dit Jo ; quel bien cela ferait-il à l’armée d’avoir nos quatre dollars ? Je veux bien ne rien recevoir ni de maman ni de vous, mais je voudrais acheter les dernières œuvres de Jules Verne, qu’on vient de traduire ; il y a longtemps que je le désire. Le capitaine Grant est, lui aussi, séparé de ses enfants, — mais ses enfants le cherchent, — tandis que nous… nous restons là. »

Jo aimait passionnément les aventures.

« Je désirais tant de la musique nouvelle ! murmura Beth avec un soupir si discret que la pelle et les pincettes seules l’entendirent.

— Moi, j’achèterai une jolie boîte de couleurs, dit Amy d’un ton décidé.

— Maman n’a pas parlé de notre argent et elle ne peut pas vouloir que nous n’ayons rien du tout. Achetons chacune ce que nous désirons et amusons-nous un peu ; nous avons assez travaillé toute l’année pour qu’on nous le permette ! s’écria Jo en examinant les talons de ses bottines d’une manière tout à fait masculine.