Félix Bogaerts, Pensées et Maximes 1837


Foi, Devoirs, Indépendance.



Trente ans ! — Pour la plupart de nous, cette époque de la vie répond à celle de l’année qui voit les chantres de nos forêts déserter la feuillée que jaunit et qu’attriste le premier souffle de l’automne.

Alors l’homme se fait homme dans toute l’acception de ce mot, — luttant avec le présent et se préparant à sa lutte avec l’avenir.

Alors une grande voix se fait entendre et nous dit : « Regarde, c’est pour jamais que disparaissent à tes yeux ces nuages fantastiques aux formes gracieuses, aux scintillantes couleurs d’azur et d’or, qui se jouaient sur l’horizon de tes jeunes années. Si quelques-uns encore s’offrent à toi, çà et là, dans le lointain, que leur apparition ne captive plus tes regards crédules ; car, comme ceux qui ne sont plus, eux aussi bientôt s’évanouiront pour ne laisser de souvenir après eux que celui d’un beau jour à l’approche de la saison des neiges. »

Cette voix attristante est celle de la réalité qui parle, lorsque la voix caressante des illusions cesse de charmer nos oreilles.

Trente ans ! — C’est alors que la réalité nous apparaît dans toute sa désolante nudité.

C’est alors que se soulève pour nous le linceul qui couvre le cadavre de la jeune fille que la veille encore nous vîmes si jolie, si fraiche, caresser de sa lèvre amoureuse les bords de la coupe enivrante de la vie ; hier elle folâtrait, la jeune fille, insouciante, heureuse ; hier on contemplait avec ivresse ces traits qu’animait une âme d’ange : — aujourd’hui nous reculons avec effroi en la voyant telle que la mort l’a faite.

La réalité ! voilà donc le mot de la grande énigme, lorsque, après avoir achevé une partie de notre course, nous cherchons à comprendre, à nous expliquer comment la route fleurie que nous avons parcourue jusqu’alors, se change tout à coup en des landes stériles, comment la source où nous nous promettions d’étancher notre soif ardente fuit et se tarit à l’approche de nos lèvres avides.

La réalité ! Et pourtant c’est à elle que, durant toute la première période de notre existence, nous demandons avec impatience l’accomplissement de tous nos vœux, de tous nos désirs.

Pleins de foi en ses promesses, nous hâtons, nous précipitons nos pas pour atteindre le