François Langelier, Lettres sur les affaires municipales de la Cité de Québec 1868


LETTRES
SUR LES
AFFAIRES MUNICIPALES
DE LA
CITÉ DE QUÉBEC


I.


Il est devenu presque de mode, d’accuser la Corporation de tout ce dont nous avons à nous plaindre. À en croire certains journaux et leurs correspondants, si l’on ne voit pas s’élever de constructions nouvelles, s’il y a des maisons qui ne trouvent pas de locataires, si la valeur de la propriété foncière a diminué, si les affaires sont stagnantes, si l’industrie de la construction des navires se meurt, si le commerce s’en va, c’est à notre régime municipal qu’il faut s’en prendre. Qu’un homme se fasse éclabousser, qu’une dame déchire la traîne de sa robe, qu’un individu se donne une entorse au pied, qu’un maladroit se fasse souffler son porte-monnaie, qu’un fier-à-bras noircisse l’œil à un charretier, qu’un voyou donne à un autre un coup de pied où vous savez, je connais une feuille qui ne manque jamais de s’écrier : jusqu’à quand, citoyens de Québec, endurerez-vous cette horreur de Corporation ?

À entendre les mêmes journaux, il suffirait de remplacer notre conseil municipal par deux ou trois commissaires de leur choix et bien payés, pour voir, sans que nous soyons taxés, notre police rendre des points à celle de Paris, nos chantiers remplis de navires en construction, une activité fiévreuse régner dans les affaires, notre commerce faire pâlir celui de Londres, et nos rues, éblouissantes de propreté, se garnir de palais qu’habiteraient des nabads dix fois millionnaires.

Tant que ce langage n’a été tenu que par des gens intéressés à faire croire a la mauvaise administration de nos affaires municipales, par des hommes qui nous voudraient sauver avec un désintéressement que leur passé a déjà mis au jour, par des individus qui ont un commissaire à nous offrir, il n’y avait pas lieu de s’alarmer outre mesure. Tout le monde savait à quoi s’en tenir, et notre crédit n’en pouvait être ébranlé. Mais, à force d’entendre répéter que nous sommes volés, que nous sommes ruinés, que nous nous en allons à la banqueroute, que sans des commissaires pour administrer nos affaires municipales, c’en est fait de nous, comme on chante machinalement un refrain qu’on a entendu souvent, nous avons fini par le dire à notre tour. Et nous voilà, à force de nous dire malades, en train de prendre la maladie.

En effet, rien n’est plus propre qu’une pareille conduite, à ruiner notre crédit, à nous abaisser et à nous perdre dans l’estime des étrangers. Que penseriez-vous d’un individu qui viendrait vous dire : « je suis incapable d’administrer mes propres affaires ; si vous ne vous en chargez pas, je suis entièrement ruiné ; je suis si maladroit dans le choix de mes employés, je les surveille si mal, qu’ils me volent et me pillent impunément ?. » Je n’ai pas besoin d’attendre votre réponse. Vous ne manqueriez pas de dire : voilà un homme qui me paraît avoir un excellent cœur, mais il a la tête mal meublée.

Telle est, pourtant, la conduite que nous tenons en face de tout le pays depuis quelques années. Nous sommes continuellement à dire que notre