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Félix de France d’Hézecques, Souvenirs d’un page de la cour de Louis XVI 1873


CHAPITRE PREMIER

le roi

Beaucoup en ont parlé, mais peu l’ont bien connu
Henriade, chant II


Lorsqu’une fois la calomnie s’est attachée à poursuivre les actions d’un homme, vainement s’efforce-t-il, par une conduite sans reproche, d’en repousser les traits. Tel fut le sort de Louis XVI. La droiture de ses principes, le mobile de ses actions, ses vertus, sa bonté même, tout fut mal interprété. On fit peser sur lui la responsabilité de tous les événements ; on voulut même lui imputer les crimes et les turpitudes des méchants. Et qu’on ne croie pas que ces attaques lui vinssent seulement d’une faction régicide, ennemie de tout ordre social ; il en reçut la plus grande partie de ces hommes qui, attachés de fait à la monarchie, couverts de ses bienfaits, la déchiraient dans la personne du souverain.

Louis XVI fut un bon roi. Il vécut malheureusement dans un temps où ses vertus mêmes devaient l’entraîner à sa perte, et où les défauts reprochés à tant de souverains, défauts dont il n’était que trop exempt, eussent sauvé la monarchie et l’eussent préservé lui-même de son triste sort. D’ailleurs, en admettant qu’il eût des défauts, pourquoi méconnaître qu’ils étaient la suite de qualités précieuses ? et parce qu’elles sont sur le trône, pourquoi les vertus n’auraient-elles plus droit au respect dont on les entoure dans les simples particuliers ? Si l’on veut être juste, il faut donc convenir que Louis XVI n’a succombé que par trop de bonté et que s’il eût eu la tenace volonté et les violences d’un despote, son trône n’eût point été renversé. Au reste, il nous a montré, dans la chute la plus étonnante dont l’histoire fasse mention, l’exemple d’un courage, d’une résignation au-dessus des forces humaines.

À un caractère timide, fruit d’une éducation négligée, ce prince joignait une telle bonté de cœur que, dans ce siècle d’égoïsme, on ne le vit en aucune circonstance, pas même au moment du danger, mettre son intérêt personnel en balance avec celui de ses sujets. Mal conseillé, il ne vit pas que toute attaque faite à la majesté royale retombait sur la monarchie, et que le bonheur et la gloire du royaume tenaient à la gloire de son représentant. De là les nombreuses circonstances où un peu de sang justement répandu aurait pu nous préserver de tant de troubles, mais où Louis XVI aima mieux exposer sa tête que de compromettre la sûreté d’un seul homme : singulière conduite que la politique condamne, mais que la philanthropie devrait admirer !

Simple particulier, Louis XVI eût été le modèle des