Horace, Satire III 35 av. J.-C.

Traduction Louis-Vincent Raoul 1829


SATIRE III.

On sait de tout chanteur la manie ordinaire :
Souhaitez de l’entendre, il s’obstine à se taire ;
Cessez de le prier, il n’en finira point.
Tigellius portait ce vice au plus haut point.
Rien ne l’aurait contraint de chanter pour personne.
Et César, qui pouvait lui dire : je l’ordonne :
Par le nom de son père et sa propre amitié,
Lui-même vainement l’en aurait supplié.
Un caprice soudain venait-il à le prendre ?
Alors, sans s’informer si l’on voulait l’entendre,
Pendant tout le festin, en l’honneur de Bacchus,
Il faisait tour à tour la basse et le dessus.
Inégal, singulier dans toute sa conduite,
Quelquefois il courait comme un soldat en fuite ;
Quelquefois il marchait à pas si mesurés,
Qu’on eût dit qu’il portait les boucliers sacrés.
Le matin escorté par un esclave unique,
Il s’entourait le soir d’un nombreux domestique.
Tantôt du nom des rois, de la pompe des cours
Son orgueil ampoulé remplissait ses discours ;
Tantôt baissant le ton : une obscure chaumière,
Une table à trois pieds, une simple salière,
Une toge d’un drap, quelque grossier qu’il soit,
Qui puisse dans l’hiver me défendre du froid,
C’est assez, disait-il ; je dédaigne le reste.