Marc Aurèle, Pensées IIe siècle

Traduction Auguste Couat 1904


Pensées

LIVRE II


1

Se dire à soi-même, dès le matin : je vais me rencontrer avec un fâcheux, un ingrat, un insolent, un fourbe, un envieux, un égoïste. Ils ont tous ces vices par suite de leur ignorance du bien et du mal. Mais moi, qui ai examiné la nature du bien, qui est d’être beau, et celle du mal, qui est d’être laid, et celle de l’homme vicieux lui-même, considérant qu’il a la même origine que moi, qu’il est issu non du même sang ni de la même semence, mais de la même intelligence, et qu’il est comme moi en possession d’une parcelle de la divinité, je ne puis recevoir aucun tort de ces hommes parce qu’aucun d’eux ne pourra me déshonorer ; je ne puis non plus ni m’irriter contre un frère ni m’éloigner de lui. Nous sommes nés pour l’action en commun, comme les pieds, les mains, les paupières, les rangées des dents d’en haut et d’en bas. Agir les uns contre les autres est contraire à la nature, et c’est agir les uns contre les autres que de s’indigner et de se détourner.

2

Qu’est-ce donc que ceci, qui constitue mon être ? De la chair, un souffle, le principe dirigeant. Laisse là tous les livres ; cesse de te disperser. Cela ne t’appartient plus. Mais, comme si tu étais sur le point de mourir, méprise la chair ; ce n’est que du sang, des os, un tissu fragile de nerfs, de veines et d’artères. Et vois ce qu’est ce souffle: du vent, qui n’est pas toujours le même, mais qu’à tout moment tu rejettes pour l’aspirer de nouveau. Reste donc le principe dirigeant. Eh bien, réfléchis: tu es vieux; ne le laisse pas s’asservir, ne le laisse pas se mouvoir capricieusement et céder à des impulsions égoïstes, ne le laisse pas murmurer contre ton sort présent et redouter ton sort à venir.

3

Ce que font les Dieux est plein de leur providence. Ce que fait la Fortune ne se produit pas hors de la nature, hors de la trame et de l’enchaînement des choses que règle la Providence ; tout découle de là. Ajoutons-y la nécessité et l’utilité de l’ensemble de l’univers dont tu es une partie. Or, ce que comporte la nature du tout, et ce qui sert à la conserver, est bon pour chaque partie de cette nature. Les transformations des éléments aussi bien que celles des composés contribuent à conserver l’univers. Que ces dogmes te suffisent pour toujours. Repousse la soif des livres, pour mourir sans murmurer, mais avec tranquillité, en remerciant les Dieux du fond du cœur.

4

Rappelle-toi depuis combien de temps tu diffères, à combien d’échéances fixées par les Dieux tu n’as pas répondu. Il faut enfin que tu comprennes quel est cet univers dont tu fais partie ; quel est