Vues Scripturaires sur la Question des Anciens/III

Georges Kaufmann, Libraire (p. 11-15).
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III.

Étant venu, il y a onze ans environ, à Genève, parce que l’on m’avait dit que j’y trouverais des frères qui se réunissaient à peu près comme nous, et y étant venu sans aucun dessein de travailler dans ce pays-ci, je trouvai les pasteurs du Bourg-de-Four divisés entre eux, et le troupeau tenant, de son côté, des réunions dans le but de juger de leurs attributions[1]. Après quelque hésitation, je cherchai à les rapprocher et à réparer la brèche, œuvre à laquelle, comme étranger, je pouvais me mettre sans entrer dans des détails pénibles. Par la grâce de Dieu, je réussis, et la paix fut rétablie. Ce sont les principes de la ruine de l’Église qui ont puissamment contribué à cela, en ce que je maintenais l’autorité des épîtres à Timothée et à Tite, tout en reconnaissant que l’état actuel des choses mettait obstacle à ce que nous les suivissions à la rigueur sur la question des Anciens, ce qui eut pour effet de modérer les esprits. Je n’ai qu’à rendre témoignage à la bienveillance et à l’affection que, dans ce temps-là, j’ai rencontrées, soit chez les pasteurs, soit chez les frères. J’ai joui de leur hospitalité. Dieu m’est témoin que je n’ai cherché que leur bien. Il y avait dans leur système plus de formalisme que je ne l’aurais souhaité[2]; mais je le supportai, en évitant certains détails qui gênaient ma conscience, tels que les votations, auxquelles, comme étranger, je n’étais évidemment guère appelé à prendre part, quoique bientôt lié étroitement avec le troupeau. Pendant quatre ans, je travaillai au maintien de la paix et de l’unité, engageant les frères à se souvenir que, quoiqu’il pût se trouver des choses qui les gênassent, les trois pasteurs avaient été le moyen de rassembler le troupeau, et que ce fait, ainsi que leur œuvre, était une source légitime d’influence, et leur donnait droit au respect des frères.

Plus de six mois avant la rupture qui eut lieu à la Pélisserie, à l’occasion d’une conférence entre les pasteurs et le troupeau, un des pasteurs me fit dire de n’y pas venir, vu que je n’étais pas membre du troupeau. Cette communication me fut faite dans un moment où j’étais fort incertain de savoir si je devais, ou non, assister à cette réunion. Toute incertitude cessa et je répondis : « Eh bien ! je ne savais trop que faire ; voilà mon chemin bien clairement tracé… » Je n’ai jamais pris part à la marche de la Pélisserie dès ce jour-là. J’ai quitté Genève, et me suis complètement abstenu de toute intervention.

Pendant un séjour ailleurs, et lorsque mes relations avec le troupeau étaient tout à fait interrompues, des difficultés s’élevèrent au milieu d’eux au sujet d’une réunion pour la lecture de la Parole, réunion contre laquelle les pasteurs élevaient quelques objections. L’un d’entre eux a désigné lui-même comme un coup d’état de leur part, l’acte qui a eu pour résultat la retraite des frères dont la réunion a formé le premier noyau de l’assemblée de L’Île. Je n’ai été en rien ni averti de ce qui se passait, ni consulté à ce sujet. Je n’en ai eu connaissance que plus tard. À l’ouïe de ces choses, je désespérai d’un rapprochement. Après six ans de débats, il s’agissait du principe clérical formulé d’un côté, et de la négation formelle de ce principe de l’autre. Plus tard, l’un des pasteurs s’adressa à moi pour m’engager à travailler à un rapprochement. Les difficultés tenaient à une estrade de laquelle on distribuait la Cène, et où les pasteurs seuls se tenaient. L’estrade est peu de chose, me disait-il. C’est, disait ma réponse, un drapeau qui symbolise un principe. Que les pasteurs se mettent à la table avec les frères, et ils pourront être sûrs de jouir de plus d’influence qu’en insistant sur leurs droits. Je désire cordialement, pour ma part, qu’ils aient toute l’influence que leur œuvre leur a acquise.

Bien qu’il soit vrai que la question se soit dès lors fort développée, je tiendrais encore aujourd’hui le même langage. Et, quoique le troupeau de Genève ne fût pas tout ce que j’aurais désiré, que je ne pusse approuver ni l’élection des pasteurs par le troupeau, ni le principe dissident qui prenait plus ou moins de place dans sa constitution, je puis dire que le souvenir de mes premières relations avec lui m’a toujours rendu cette brèche infiniment pénible. Un des pasteurs, dont j’ai parlé plus haut, a dit à un frère anglais que, si j’eusse été là, assurément la division n’aurait pas eu lieu. Cela est très-possible. Dieu avait d’autres pensées. Et je crois, en effet, eu égard à tout ce qui s’est passé dès lors dans le monde religieux, et au développement des principes qui étaient au fond de la question qui agitait l’assemblée, que la position n’était pas tenable. La division n’en a pas moins été pour moi une chose pénible sous tous les rapports. J’ai dû désespérer d’y porter remède. Si les pasteurs avaient consenti à se placer à la table lorsqu’on prenait la Cène, rien ne m’aurait empêché de l’essayer. La question du clergé était là.

Voilà, quant aux Anciens, jusqu’où j’ai pu aller. J’ai pu, avec joie, reconnaître leur existence pratique, lorsqu’ils s’étaient adonnés à l’œuvre, et y avaient reçu le témoignage de Dieu. Veut-on les nommer ? Je m’arrête. Sans m’être formalisé quant à la porte par laquelle ils sont entrés, je les ai reconnus d’après mes principes, lorsque je les ai trouvés à l’œuvre. Lorsqu’on affiche leur nomination comme un principe, il faut se décider[3]. Toute la question de savoir ce que c’est que l’Église, quel est son état, quelles sont les bases de ses relations avec Christ, quelle est sa responsabilité, la marche qui lui convient dans son état de chute, tout est compromis. Sinon, mon esprit se porte de préférence sur de tout autres sujets que celui de la nomination des Anciens. Christ est trop précieux, les temps trop sérieux, pour s’arrêter à de tels points.

  1. Je ne doute pas aujourd’hui que la question du clergé ne fût au fond de tout cela ; mais je n’en avais aucun soupçon alors, et je m’y suis intéressé pour gain de paix au milieu des frères.
  2. Outre d’autres choses, je ne reconnaissais pas le principe de l’élection des pasteurs par le troupeau.
  3. C’est bien évidemment le principe de notre frère, M. Foulquier ; car il se plaint de ce qu’on fait reposer l’autorité des Anciens simplement sur leur nomination par les hommes, quand on dit que, sans cela, on ne peut leur obéir. Et, sans nier qu’au commencement ils aient été officiellement établis, ce n’en est pas moins un fort mauvais principe que de nier, dans le cas où Dieu en aurait manifesté, qu’on puisse leur obéir, si l’homme n’a pas pris part à leur établissement ; car c’est substituer l’obéissance de droit humain à l’obéissance spirituelle et scripturaire d’un cœur nouveau. Je signale ici une inconséquence que l’on m’a imputée, parce que, d’un côté, je veux les reconnaître lorsqu’ils sont manifestés, et que, de l’autre, l’on n’a ni le discernement ni l’autorité nécessaires pour les nommer. Il n’y en a aucune. — Reconnaître, c’est l’acte humble, convenable ; c’est le devoir de tout croyant, lorsqu’il voit une œuvre quelconque de Dieu. Nommer, c’est un acte d’autorité. Lorsque la chose est manifestée, elle n’exige pas de discernement, et je la reconnais ; mais, pour exercer un acte d’autorité en établissant des hommes dans cette position, j’ai besoin de discernement. Si je trouve sur un mauvais terrain de magnifiques récoltes, ou la paix dans une population remuante, je reconnais, sans autre, le bon agriculteur, le chef habile. Mais, pour choisir l’intendant d’un domaine ou le président d’une république, il faut que je m’entende à l’agriculture ou à la politique ; que, de plus, je me connaisse en hommes ; et, enfin, que j’aie l’autorité nécessaire pour cela.