Vues Scripturaires sur la Question des Anciens/II

Georges Kaufmann, Libraire (p. 6-10).
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II.

À Genève, il fallait ou engager certains frères à se rallier à la nouvelle Église libre, fondée sous le nom d’Église évangélique de Genève, ou bien jeter du discrédit sur leurs principes, et ainsi, de manière ou d’autre, détruire le témoignage rendu à la vérité. Il est possible que ce témoignage ait été rendu avec beaucoup de faiblesse, et à travers des fautes et des manquements sous tous les rapports. C’est ce que les frères qui l’ont rendu ne nieraient pas. Ils confesseraient tout cela devant Dieu et devant les hommes. Mais le témoignage était là. Plus ceux qui le rendent se tiendront dans l’humilité, mieux ils s’en trouveront.

Le détail des démarches, de la correspondance et des conférences qui ont eu lieu n’apporterait pas grand profit au lecteur, Il s’agit, pour les chrétiens, de la marche qu’ils ont à suivre pour glorifier Dieu[1].

La question est très-sérieuse. On admet que, quant à son unité visible, l’Église est en ruine. On professe que le clergé, sur lequel cette unité visible a reposé depuis seize siècles, n’est pas selon Dieu. Mais on prétend que, mettant de côté ce clergé, nous pouvons rétablir ce qui existait au temps des Apôtres, tel qu’ils l’avaient eux mêmes établi.

C’est, on en conviendra, une prétention d’une haute portée, et on se compromet gravement en s’y rendant et en se soumettant à ceux qui l’affichent, si, après tout, c’est une prétention non autorisée de Dieu.

Les chrétiens de Genève sont-ils en état de rétablir l’organisation de l’Église dans l’état primitif dans lequel les Apôtres l’ont laissée, et qui, de l’aveu de tous, n’existe plus ?

Aussi, je ne le nie pas, puisqu’ils ont arboré cette prétention, c’est une chose grave que de la repousser, si vraiment la chose peut se faire. Il faut regarder plus loin qu’aux individus. Lors même que ceux qui l’ont entreprise n’en seraient pas capables, si la chose est possible, si elle est selon la volonté de Dieu, on devrait bien se garder d’y mettre obstacle, et de décourager ceux qui cherchent à la réaliser. Une pensée qui, d’ailleurs, agira avec puissance sur une âme consciencieuse, sur une âme pénétrée d’amour pour l’Église, c’est la crainte de limiter l’énergie de l’amour de Dieu envers son Église. C’est le reproche de l’Esprit de Dieu à Israël : ils ont limité le Saint d’Israël. Il est clair qu’en elle même, et abstraction faite de toute autre considération, de toute connaissance des voies et des jugements de Dieu, ce serait une chose infiniment précieuse que de voir l’Église briller dans sa beauté primitive, dans l’unité et dans l’ensemble qu’elle a eus au commencement. Pour ma part, j’ai si peu de foi que je crains toujours de mettre en question la marche de celui qui paraît en avoir davantage. Il est certain, au moins en suis-je pleinement convaincu, que nous pourrions et que nous devrions réaliser infiniment plus de cet état primitif que nous ne l’avons fait. De sorte que je suis bien loin d’être disposé à susciter des obstacles à la réalisation de bien des choses qui n’existent pas, pourvu que cette réalisation procède de la foi et de l’Esprit de Dieu.

Mais il s’agit ici d’une prétention bien positive, et c’est à cela que nous avons à répondre.

Néanmoins, je me trouve à cet égard dans une position un peu singulière. L’encre n’est guère sèche de ma réponse à une attaque venant du même côté[2], par laquelle nous étions accusés de faire un code de l’Évangile, et dans laquelle on s’opposait à nous en insistant sur la fausseté du principe qui considère, comme obligatoires maintenant, les ordonnances primitives des Apôtres. La Parole de Dieu ne fait pas loi en pareilles matières, disait-on en nous blâmant.

Ma réponse à ces reproches, tout en confessant l’incapacité humiliante où l’Église se trouve de rétablir certaines choses qu’elle a perdues, maintenait toute l’autorité de la Parole à tous égards.

N’est-ce donc pas une chose un peu surprenante, que de voir ceux qui décriaient, à qui voulait les entendre, le système d’évangile-code, nous accuser aujourd’hui de désobéissance, et même de blasphème (car ils en sont venus là), parce que l’on ne se soumet pas à eux, lorsqu’ils insistent sur ces mêmes ordonnances, y ajoutant la prétention d’être en état de les remettre en vigueur ?

S’il ne s’agissait que de la controverse, il suffirait de les inviter à se répondre à eux-mêmes. Et pourquoi, lorsque, en apparence au moins, il s’agit tout simplement pour vous de vous maintenir, au milieu du mouvement universel, dans une autorité qui vous échappe, voudriez-vous nous imposer ce chapitre de ce que vous appelez avec mépris Évangile-code, et nous imposer celui-là en biffant tout le reste comme ne faisant pas loi, et en repoussant, en principe, la perpétuité obligatoire de ce qui s’y trouve, en niant même l’existence de ce caractère obligatoire en dehors de l’occasion même qui a donné lieu à la direction apostolique ? Vous auriez dû, au moins, laisser au public chrétien le temps d’oublier ce que vous alléguiez il y a six mois, et que vous répétiez il n’y a pas six semaines.

Mais la chose est trop sérieuse pour la traiter ainsi, car il s’agit des intérêts de l’Église de Dieu. Il s’agit de s’assurer de la vérité, et d’y marcher par la puissance de la précieuse grâce de Dieu. Il ne suffit pas de démontrer les erreurs de ceux qui s’y opposent, triste emploi de son temps, infructueux pour soi-même et trop souvent aussi pour eux.

Après avoir abandonné sa position normale et ses ordonnances primitives, l’Église est-elle capable, ce péché commis, de rentrer, comme de droit, dans cette position-là, et de rétablir tout ce que les ordonnances longtemps abandonnées avaient établi, sans tenir compte ni de sa chute, ni de la ruine qui en résulte[3]?

Un autre point de vue, sous lequel on a envisagé le droit d’établir un système ecclésiastique, c’est celui que nous venons de signaler, savoir, que la Parole n’est d’aucune autorité en ce cas[4], et qu’il faut se jeter hardiment sur le terrain de l’ordre humain et de la liberté évangélique.

Ayant fortement combattu, dans le Coup-d’œil, pour la pleine et entière autorité de la Parole, je n’ajoute rien ici sur ce point.

C’est du premier point que nous avons à nous occuper.

Mais, avant d’entrer en matière, je me permettrai de mettre devant les yeux du lecteur quelques faits relatifs à Genève, parce que ces faits jettent du jour sur la question de l’établissement des Anciens, et sur la position des frères de l'Île à l’égard de ces choses.

  1. Sans cela, je n’aurais certainement jamais pris la plume. J’ai toujours trouvé qu’à l’égard des attaques, la meilleure chose c’était de laisser faire et de poursuivre mon œuvre. Ici, la question de l’Église libre et celle de l’établissement des Anciens ont été mises en avant, avec l’accusation que les frères reniaient l’autorité de la Parole. Ces questions préoccupent les esprits. En y répondant, je me bornerai à ce qui sera nécessaire pour faire voir que l’accusation n’est pas fondée. Sans la question générale, je n’y aurais jamais répondu du tout. Encore le lecteur trouvera-t-il la réponse reléguée dans une note, réponse dont le contenu n’a trait qu’au sujet en controverse.
  2. Je ne dis pas de la même personne. Voyez, dans le Coup-d’œil sur divers principes, etc., ce qui concerne les attaques du journal La Réformation. Dans le blâme qu’il a récemment distribué au Coup-d’œil, ce journal revient à la charge en ces mots : « Notre réponse est facile. Montrez-nous l’Écriture elle-même se donnant pour un code ecclésiastique, et attribuant une valeur universelle et obligatoire aux paroles qu’elle peut renfermer sur ce sujet. Montrez-nous cela, et nous nous rendons. Mais pourquoi l’affubler d’un rôle auquel elle n’a jamais prétendu ? »
  3. On verra que c’est à cette question que s’appliquent les vues générales de l’écrit de notre frère, M. Foulquier. Il soutient que Dieu ne rétablit pas l’état primitif d’un ordre de choses déchu entre les mains des hommes. Nous examinerons, plus bas, la réponse de l’auteur anonyme de la brochure : Faut-il établir des Anciens ? que, pour abréger, nous appellerons : l’auteur anonyme.
  4. Malgré les accusations de blasphème dirigées contre les frères, le rédacteur de La Réformation n’a pas craint de soutenir sa thèse dans un article que ce journal a récemment consacré au Coup-d’œil.