Voyages historiques et littéraires en Italie, par M. Valery

Voyages historiques et littéraires en Italie, par M. Valery[1]. — Après les moustiques, le sirocco, l’air des Marais-Pontins, les douanes autrichiennes et les brigands des Abruzzes, si beaux sous le pinceau de notre Schnetz, ce qu’il y a de plus fâcheux, de plus importun, de plus insupportable pour qui voyage en Italie, c’est le bavardage descriptif des faiseurs de livrets et cette nuée de bourdonnantes sauterelles que l’on appelle cicerone. Si l’un de mes amis se disposait à partir pour Milan, Florence ou Naples, je ne lui adresserais que ce conseil : Si vous voulez bien voir l’Italie et rapporter de cette belle contrée, de ses mœurs, de ses ruines, de ses chefs-d’œuvre, une impression vraie, naïve, qui vous appartienne, gardez-vous, autant que possible, de tous les indicateurs à titre d’office. Laissez chez les libraires de chaque ville ces livrets insipides dont on voit les étrangers déchiffrer studieusement la triste prose dans les musées de Rome et de Florence, en tournant le plus souvent le dos au marbre ou à la toile. Regardez vous-même ; cherchez, choisissez ; restez où le beau vous frappe. Ne dressez pas, non plus, je vous prie, avant de partir, un itinéraire rigoureux et immuable. Allez à la découverte, en zig-zag, suivant le caprice et l’attrait du moment. Sans doute, il vous échappera, en voyageant de la sorte, quelques sites classiques, quelques ruines célèbres ; vous regretterez la vue de quelques palais dont la gloire est consacrée : mais combien vous connaîtrez mieux ce que vous aurez ainsi découvert. Les itinéraires sont des lisières ; voyagez en homme. Les seuls bons indicateurs sont, dans chaque ville, les hommes de mérite instruits, et pas trop antiquaires, pour lesquels vous aurez des lettres de recommandation.

On me répondra que n’a pas qui veut en Italie des hôtes distingués, sans infatuation ni pédantisme ; que, d’une autre part, les voyageurs ayant le goût et le sentiment du beau, le coup-d’œil artiste et quelque temps à perdre pour s’orienter eux-mêmes, ne sont pas, non plus, en fort grand nombre ; que si les riches désœuvrés, les dandys de Paris et de Londres, n’emportaient pas dans leur valise un itinéraire tout tracé, la plupart risqueraient de rester en route, faute de motifs déterminans pour aller ici plutôt que là. À cette tourbe moutonnière il faut bien des livrets, des itinéraires, des cicerone.

Très peu prévenu, comme on voit, en faveur de cette sorte de livres, je dois me hâter de dire qu’il serait fort injuste de ranger les Voyages historiques et littéraires de M. Valery dans cette classe. On ne trouve dans cet ouvrage ni l’enthousiasme à froid, ni la monotone et prolixe admiration des curiosités locales, ni surtout le mauvais style des indicateurs vulgaires. M. Valery ne note que les choses vraiment notables ; pas d’emphase, pas de puérilités, pas de pathos sentimental ; c’est la conversation d’un homme éclairé qui connaît bien l’Italie, et qui en cause avec finesse. On peut, en sautant par-dessus quelques nomenclatures de manuscrits et de tableaux, lire cet ouvrage avec intérêt et profit, même sans avoir intention de passer les Alpes. Les deux premiers volumes, qui ont paru en 1831, contiennent la description de l’Italie du nord, Turin, Milan, Venise, Padoue, Bologne, Modène. Le troisième volume est consacré à une partie de l’Italie centrale et méridionale. L’auteur entre en Toscane et visite avec soin Florence, cette Athènes chrétienne du moyen-âge. Il nous fait connaître non-seulement les palais, les musées, les églises, les bibliothèques de cette ville ; mais ses grands poètes, ses grands artistes, ses grands publicistes, Dante, Michel-Ange, Machiavel. De Florence, il nous conduit à Pise, sa rivale ; traverse Imola, Faenza, Forli, Césène, Rimini, toutes ces villes de la Romagne, sur lesquelles est aujourd’hui fixée l’attention de la France et de l’Europe ; puis, il descend par Pesaro et Fano jusqu’à Ancône, et, s’éloignant de l’Adriatique, se rend par Popoli, l’ancienne Sulmone et Isernia à Naples. Il donne également la route de Livourne à Naples par le bateau à vapeur, d’où l’on jouit délicieusement de l’aspect merveilleux de la baie napolitaine. Enfin, après avoir admiré Naples, son ciel, sa mer, son musée, avoir visité les catacombes d’Herculanum et les boutiques de Pompeï que l’on continue d’exhumer, M. Valery descend à Sorrente et à Amalfi et remonte par Capone, Gaëte, Terracine et Velletri jusqu’aux portes de Rome, terme de son voyage, et qui sera l’objet de son dernier volume.

Ce qui me plaît dans ce livre, écrit avec élégance et précision, c’est qu’il peut tenir lieu de tous les autres guides. M. Valery est un compagnon de route instruit, causeur, peut-être un peu trop épigrammatique ; mais un compagnon qui a sur vous le grand avantage d’avoir visité trois fois l’Italie. Lisez-le donc avant de partir ; repassez-le encore, si vous voulez, le soir, à l’auberge ; mais, pour Dieu, ne l’emportez ni dans les galeries de Venise et de Florence, ni dans les églises de Milan, ni dans vos courses au Vésuve ; là, vos yeux et votre âme auront assez d’autres occupations ; cela soit dit pour ceux qui ont des yeux et une âme.

ch. m.

  1. Chez Le Normant.