Voyages dans l’intérieur du Brésil


VOYAGES
DANS
L’INTÉRIEUR DU BRÉSIL.

La France Antarctique. — Coup-d’œil rapide sur les divers voyages au Brésil. — Utilité dont peuvent être les anciennes relations françaises pour écrire l’histoire du Brésil. — Intérieur du Brésil long-temps inconnu. — Durée et but des voyages de M. Auguste de Saint-Hilaire[1]. — Regrets pour la nature d’Europe au milieu de la nature des Tropiques. — Lampyres, leurs variétés. — Politesse des muletiers brésiliens. — Découverte de la province de Minas, sa faible population. — Villa-Rica. — Clergé des Mines. — Agriculture imparfaite des Brésiliens. — Abondance du fer. — Indiens Malalis. — Tombent en extase en mangeant une chenille. — Rapports des colons de l’intérieur avec les Indiens. — Minas Novas. — Richesse future de cette province. — Nécessité de diriger les Indiens. — Anthropophagie. — Sertào ou désert. — Sertanejos vêtus de cuir. — Rio de San Francisco. — Retour vers le district Diamantin.


Peu de personnes savent maintenant que la baie de Rio de Janeiro, avec ses fertiles campagnes, ses rochers à pic, ses collines verdoyantes, a porté le nom de France Antarctique ; on sait encore moins peut-être que c’est à deux Français ennemis par religion et rivaux comme historiens qu’on doit les premières notions un peu complètes que l’on ait eues sur le Brésil et sur les nations guerrières qui le parcouraient. Le premier est Jean de Lery, natif du duché de Bourgogne, comme il le dit lui-même, et protestant, fuyant les persécutions de l’Europe, et cherchant une patrie nouvelle aux doux climats de Guenabara[2]. Le second, André Thevet, est un moine, grand explorateur de contrées nouvelles, voyant rapidement, mais avec sagacité, et revêtu du titre pompeux de cosmographe du roi. Si l’on en excepte les récits curieux, mais un peu romanesques, d’Hans Staden[3], quelques documens raisonables publiés par Hackluit[4], et quelques roteiros (routiers) fournis par les navigateurs et par les colons qui envoyaient à Lisbonne les divers matériaux dont se servit Jean de Barros pour écrire sur le Brésil cette histoire qui n’a point paru, les renseignemens qui parvenaient sur ce beau pays étaient dus, pour la plupart, aux récits mensongers des navigateurs normands, employés au xvie siècle comme interprètes dans les relations commerciales qu’on avait avec les nations indiennes. Quelques-uns de ces hommes, tirés d’une classe corrompue, apportaient trop souvent aux sauvages l’exemple des vices de l’Europe, et puisaient dans la barbarie de ces nations une férocité nouvelle. On cite d’eux des traits qui ne laissent rien à envier aux conquérans du Mexique et du Pérou ; mais, doués d’un courage à toute épreuve, d’une activité incroyable, et d’une merveilleuse facilité à se ployer aux coutumes des peuples parmi lesquels ils allaient vivre, ils jouissaient au milieu d’eux d’une telle estime, que le titre de Mair ou de Français était la sauvegarde la plus assurée parmi les Tupinambas. On sent toutefois que les récits de ces hommes grossiers ne pouvaient être ni bien exacts, ni bien exempts de préjugés : aussi, vers le milieu du xvie siècle, des idées fort étranges s’étaient-elles répandues en France sur ce pays. Les cosmographies du temps (et je ne sais trop si celle de Munster n’en offre pas un exemple), nous représentent les indigènes du Brésil débitant la chair humaine sur un étal, comme nos bouchers débitent la chair des bestiaux. Enfin Lery parut, et ces contes absurdes trouvèrent moins de crédit : doué de l’esprit le plus observateur et d’une âme pleine de poésie, ce voyageur comprit admirablement les nations parmi lesquelles il vivait et la nature sublime dont il était environné ; il fait presque pleurer d’attendrissement quand on le voit chantant des psaumes au milieu des belles forêts du Brésil, et quand, dans son effusion pleine d’enthousiasme, il fait partager le sentiment dont il est animé à deux Indiens qui l’admirent sans le comprendre. C’est chez lui que sont décrites pour la première fois, avec quelque soin, les productions naturelles du pays ; c’est chez lui qu’on apprend à juger ces nations méconnues jusqu’alors, qui joignaient au plus ardent courage les plus nobles et les plus touchantes qualités, et chez lesquelles on est effrayé de rencontrer l’horrible coutume de l’anthropophagie comme un fait moral devant lequel l’esprit épouvanté recule, surtout quand il faut le concilier avec des vertus pleines de douceur et des preuves de la plus touchante hospitalité. Le récit naïf de Lery eut un tel succès en France, qu’il obtint successivement cinq éditions. Quelque temps auparavant, Thevet avait donné ses Singularités de la France Antarctique, et ce livre, en excitant les esprits, avait éveillé la curiosité ; mais il était si loin d’offrir le charme de style qu’on rencontre chez Lery, qu’il ne put obtenir qu’une vogue éphémère. Observateur moins exact que le voyageur dont nous venons de parler, mais s’enquérant plus minutieusement que lui des croyances religieuses, Thevet est devenu précieux pour ceux qui cherchent des notions sur la mythologie des peuplades du Brésil ; et le temps a donné aux récits du cosmographe un degré d’intérêt qui ira toujours en croissant, puisque ces nations sont éteintes. Plusieurs années après (1614), Claude d’Abbeville ne se contenta pas d’écrire sa relation du Maranham, il emmena avec lui plusieurs guerriers de la nation déchue des Tupinambas, pour les faire baptiser à Paris, et offrir à une cour pompeuse l’étrange spectacle de ces sauvages, qui, après avoir amusé un moment les oisifs, moururent de douleur loin de leurs belles forêts. Nous ne craignons pas de le dire, quand, malgré l’estimable travail de Southey, on écrira un jour dans tous ses détails l’histoire primitive du Brésil, ce sera à ces trois voyageurs qu’il faudra puiser, ainsi qu’à la relation un peu romanesque du bon Hans Staden. Les ouvrages portugais seront d’un faible secours, si l’on en excepte, avec Vasconcellos, un routier du Brésil que l’on conserve à la Bibliothèque royale de Paris, et qui, ayant été écrit vers la fin du xvie siècle, contient les renseignemens les plus précieux sur les indigènes et sur les divisions politiques du territoire qu’ils occupaient.

Mais ces diverses relations ne décrivaient que le littoral ; les magnificences de l’intérieur restaient complètement inconnues, et cependant des hommes hardis commençaient à remonter les fleuves, à visiter les solitudes imposantes du désert. Vers la fin du xvie siècle, les Paulistes (on désignait ainsi les habitans de la capitainerie de Saint-Paul) formaient ce qu’on appelait alors des bandeiras, et renouvelaient, dans ces aventureuses expéditions, tout ce que l’esprit chevaleresque de l’époque pouvait imaginer de plus audacieux. Malheureusement ces hommes entreprenans, gens d’action, et non de savoir, ne confiaient guère au papier la relation de leurs merveilleuses expéditions ; ils ne leur attribuaient pas tant d’importance, et se contentaient, à leur retour sur le bord de la mer, d’en faire quelques-uns de ces récits que la mémoire du peuple a conservés en leur imprimant ce caractère de merveilleux que les traditions prennent toujours avec le temps.

Tantôt le voyageur était arrivé dans d’imposantes solitudes, nouvel Eldorado, où l’or et les pierres précieuses étincelaient de toutes parts ; mais la fatigue l’avait empêché de s’arrêter au milieu de ces trésors, et depuis il n’avait pu trouver ce lieu mystérieux, à la recherche duquel s’élançaient une foule d’aventuriers. Tantôt, sur le bord d’un ruisseau, la mère des eaux (mai das aguas) avait arrêté le voyageur épouvanté, et celui qui ne craignait point de combattre le jaguar entourait d’une crainte superstitieuse le lac qui renfermait le paisible manati, ce pexe boy des Espagnols, qui, dans toute autre contrée, eût pu donner naissance à la fable des Syrènes ; puis venait encore le récit des ruses employées pour vaincre les sauvages, ou pour s’en faire redouter en leur imprimant une sainte terreur. C’est ainsi qu’on vous raconte comment le hardi Bartholomeu Buenno, pour découvrir de nouveaux trésors, menaçait les simples habitans de Goyaz d’incendier les lacs et les rivières de cette immense contrée, en brûlant un peu d’eau-de-vie dans un vase d’étain. On vous dit encore la terreur avec laquelle ces pauvres sauvages voyaient déjà la flamme bleuâtre s’élançant, par un pouvoir mystérieux, au-dessus des vagues, et voltigeant sur elles, jusqu’à ce qu’une vallée de sable remplaçât un lac aux bords enchantés.

On comprend que tous ces contes, qui pouvaient bien entraîner des imaginations enthousiastes, et faire faire des découvertes, n’avançaient guère les Européens dans la connaissance topographique du pays[5]. On était obligé de s’en tenir aux anciennes relations ; elles contenaient, il faut en convenir, bien peu de notions positives sur l’état physique de la contrée.

Enfin arrivèrent les guerres de la Hollande, et l’on vit paraître deux grands ouvrages qui, pendant bien long-temps, servirent de guide à ceux qui eurent à parler du Brésil. Leur influence devint d’autant plus universelle, qu’ils furent composés en latin. Je veux parler de l’Histoire naturelle de Pison et Margraff (1648), et de l’Histoire contemporaine de Barlœus (1647). Ces deux ouvrages, écrits avec conscience, mais se bornant, l’un à la botanique et à la zoologie du Brésil, l’autre au récit d’une conquête, ne purent répandre des connaissances bien générales ; néanmoins ils occuperont long-temps un des premiers rangs dans la bibliographie des ouvrages relatifs au Brésil.

Mais Pison et Barlœus, ainsi que Roulox Baro, J. Moreau (1651), Brito-Freyre (1657), leurs contemporains, et plus tard Rocha Pitta (1730), connaissaient encore bien peu de l’intérieur, et les notions qu’ils en donnaient étaient bien vagues ; aussi tout le xviiie siècle resta-t-il dans une ignorance profonde à ce sujet, car pendant plus de cent ans, aucun ouvrage remarquable ne fut publié sur le Brésil. Parlerons-nous en effet du livre de Duguay-Trouin, qui n’est que le récit d’une expédition militaire, audacieuse comme son chef ? Dirons-nous un mot de ces lettres où Parny décrit Rio de Janeiro en style de boudoir. Enfin, le grave Staunton arriva au Brésil à la suite de l’expédition de lord Macartney, et il donna du moins à l’Europe quelques notions raisonables sur ce beau pays (1797). Barrow, plus tard, l’imita, et son habile traducteur, Malte-Brun, ajouta son immense érudition aux notions imparfaites que le voyageur avait recueillies (1807). Cependant l’intérieur du Brésil avait vu se développer une laborieuse population, des cités florissantes s’y étaient élevées, et, chose incroyable ! l’intérieur était moins connu à l’Europe que les villes de l’Inde ou de la Chine, sur lesquelles les missionnaires donnaient du moins, de temps à autre, quelques renseignemens. L’ignorance était si complète dans tout ce qui avait rapport à cette immense partie du Nouveau-Monde, que les géographes oubliaient quelquefois de parler de la province du Mato-Grosso, et le Mato-Grosso est plus vaste que la Germanie tout entière[6] !

Un grand changement politique amena de grands changemens dans l’état des connaissances sur le Brésil. Sans parler de Lindley, qui ne vit que les côtes (1804); Mawe décrivit enfin une partie de ces mines célèbres dont on ne connaissait guère que le nom, et sa relation, bien qu’imparfaite, jeta quelque jour sur l’intérieur (1812). M. Langsdorff peignit avec charme les délicieuses solitudes de Sainte-Catherine, et révéla aux naturalistes les immenses moissons qu’ils pouvaient y faire. Koster parcourut un pays dont il avait à peine été fait mention depuis les conquêtes de la Hollande. Pernambuco et le Maranhan furent enfin décrits (1816); puis parut cette Corographie Brésilienne, de Cazal, qui, malgré ses nombreuses imperfections, rendit un service immense à la statistique du Brésil, et apprit à l’Europe l’existence de vastes provinces dont on ignorait jusqu’au nom ; mais, pendant que le P. Manoel Ayres de Cazal (1817) enregistrait sèchement tant de noms de villes, de villages, de nations à demi éteintes, ou qu’on devait subjuguer, des savans européens, dont on ne peut assez admirer le courage, s’élançaient dans l’intérieur, et allaient étudier des milliers de productions inconnues, ou bien observer en philosophes des nations qu’on verra bientôt disparaître des belles forêts qui leur servent d’asile, et qui elles-mêmes tomberont sous la hache du cultivateur. C’est ainsi qu’on vit paraître tour à tour ce prince de Neuwied, plein de sagacité, qui contempla la nature en observateur, et qui la peignit quelquefois en poète (1819) ; Spix et Martius, dont les voyages sont à peine connus en France, et qui sont cependant pour le Brésil ce qu’ont été pour le Mexique et pour le Pérou les immenses travaux de Humboldt et de Bonpland. Malgré ces grands et utiles ouvrages, auxquels il faut joindre ceux du baron d’Eschwege, qui, vivant depuis plusieurs années au milieu de Minas, a fait connaître mieux que tout autre aux Brésiliens les richesses métalliques de cette belle province, l’état de l’intérieur était presque ignoré en France.

Tandis que Henderson (1817), Walsh, Luccok se disposaient à visiter soigneusement certaines localités, que Pizarro préparait les matériaux immenses de sa grande statistique, que Rugendas rêvait à ces belles solitudes, retracées d’une manière si poétique par son pinceau ; tandis que des savans et des artistes parcouraient le Brésil en sens divers et dans des buts différens, doué d’un esprit observateur, plein de conscience scientifique, un Français, riche de connaissances acquises dans le silence du cabinet, visitait les provinces les plus reculées du Brésil, non-seulement avec l’intention de les faire connaître à la France, mais dans le but plus noble encore de révéler aux Brésiliens les richesses végétales cachées au sein des forêts vierges, ou croissant au milieu de ces campagnes que nul voyageur n’avait visitées avant lui. Si le prince de Neuwied cherchait surtout à éclaircir la zoologie du Brésil, si les Camara, les Andrada, les d’Eschwege faisaient connaître ses richesses métalliques, M. Auguste de Saint-Hilaire, comprenant la botanique dans son but le plus élevé d’utilité, décrivait les plantes les plus remarquables, et surtout les plus utiles : s’attachant de préférence à celles auxquelles le vulgaire attribuait des qualités précieuses ou énergiques, il combattait les erreurs de la botanique populaire, ou profitait de ses expériences[7] ; il faisait, en un mot, ce que n’auraient de long-temps fait peut-être les Brésiliens, et ce qui mérite de la part d’une nation la plus haute reconnaissance[8].

Mais ne nous le dissimulons pas, le but qui entraînait M. Auguste de Saint-Hilaire dans ses courses à la fois si pénibles et si utiles, ce désir ardent du bien des hommes qui le guidait sans cesse, se montre avant tout dans son voyage. Pour peu que l’on connaisse le Brésil et l’imperfection des relations précédentes, on est surpris de la multitude de documens importans qu’il renferme, qui étaient inconnus avant lui, et auxquels les Brésiliens eux-mêmes seront contraints d’avoir plus d’une fois recours. Non-seulement M. Auguste de Saint-Hilaire entre dans de nombreux détails sur l’exploitation des mines et sur les produits métalliques, mais il donne des renseignemens statistiques de la plus haute importance pour les voyageurs qui lui succéderont ; il est le premier qui ait désigné aussi clairement les distances, qui ait établi le mouvement de la population dans certains districts à peu près inconnus. L’état administratif, le produit de l’impôt, la manière dont cet impôt se perçoit, la situation politique et religieuse des habitans de l’intérieur, leur mode d’existence, les améliorations qu’on peut leur faire subir ont été dans ce voyage l’objet de l’examen le plus mûr et le plus consciencieux.

Dans une courte préface, qu’il est important de lire, puisqu’elle dit en peu de mots le but et les opinions du voyageur, M. Auguste Saint-Hilaire rappelle qu’il a consacré six années entières à parcourir une vaste portion de l’empire du Brésil ; qu’il y a fait environ deux mille cinq cents lieues ; qu’il a visité les provinces de Rio de Janeiro, d’Espirito-Santo, de Minas-Geraes, Goyaz, Saint-Paul, Sainte-Catherine, et qu’il a même passé plusieurs mois dans la république Cisplatine, où il a été à même d’examiner les restes des missions jésuitiques, de la rive gauche de l’Uruguay. Pour peu que l’on soit familier avec les livres qui parlent du Brésil, on voit promptement tout ce que promet de neuf cette nouvelle relation. Un sommaire rapide du voyage, qui précède l’un des grands ouvrages de l’auteur[9], a pu déjà faire soupçonner cet intérêt géographique. Toutefois, M. de Saint-Hilaire, suivant l’ordre chronologique dans ses relations, les deux volumes que nous annonçons ne contiennent que le voyage à Minas-Geraes, à Minas-Novas, à Espirito-Santo et aux Campos-Geraes, pays bien différents d’aspect et de productions, mais que leurs richesses agricoles ou métalliques placent à l’un des premiers rangs dans la géographie du Brésil.

Parti de France en 1816 avec l’ambassade de M. le duc de Luxembourg, et dans le seul but de se livrer à une branche de l’histoire naturelle pour laquelle il s’était senti, dès sa plus tendre enfance, une sorte de passion, ce n’était point dans les villes, c’était dans les campagnes solitaires de l’intérieur que le voyageur pouvait la satisfaire. Aussi ne fit-il qu’un bien court séjour à Rio de Janeiro, et s’enfonça-t-il presque aussitôt après son arrivée au sein de ces bois vierges qui existent encore dans la province, et dont il fait connaître le caractère varié. À l’aspect de ces forêts imposantes qu’il décrit en habile naturaliste, il arriva à M. de Saint-Hilaire ce qui arrive à presque tous ceux qui les parcourent pour la première fois, sous ce beau ciel des tropiques, au milieu de cette magnificence de la végétation qui n’a point d’égale en Europe, et que l’enthousiasme du poète ne saura jamais peindre, le voyageur qui venait de quitter le bord de la mer, cherchait déjà quelques fleurs qui lui rappelassent celles de la France ; il venait d’en trouver une, c’était un erinus, semblable à la primevère à grande corolle, et son aspect lui fit éprouver une vive émotion :

« Des plantes que l’on puisse rapporter aux genres de la Flore française sont fort rares sous les tropiques, et je n’en recueillis jamais dans le cours de mes voyages sans éprouver quelque attendrissement. Cet erinus me rappela, avec celui des Alpes, les riantes campagnes où j’avais vu ce dernier pour la première fois, et les doux souvenirs de la patrie vinrent se mêler au recueillement dans lequel m’avaient plongé les forêts sombres et majestueuses que je traversais alors. »

Après avoir parcouru les environs si pittoresques de Rio de Janeiro, Aguassù, Bemfica, la vallée Das Pedras, la montagne de la Veuve (Serra da Viuva) et Pao Grande, une des sucreries les plus considérables du Brésil, qu’il décrit avec exactitude, M. Auguste de Saint-Hilaire arriva à l’habitation d’Uba, fondée par M. Jozé Rodriguez, un ardent ami des Indiens, et il avoue que durant tout son séjour au Brésil, il ne passa nulle part des instans plus heureux que dans cette solitude, où ses nombreuses collections d’objets d’histoire naturelle commencèrent à s’accroître.

« Ce n’est pas seulement pendant le jour, dit-il, que l’entomologiste augmente ses collections ; il peut encore, lorsque la nuit arrive, se livrer à la chasse des insectes phosphoriques. Tandis qu’en France la propriété d’être lumineux ne s’observe que dans trois ou quatre lampyres, et que dépourvus d’ailes, ils restent à peu près à la même place, cachés parmi les herbes, ici diverses espèces, appartenant à plus d’un genre, parcourent les airs et les sillonnent de leur brillante lumière. Quelques-uns ont les derniers anneaux du ventre remplis de matières phosphoriques ; d’autres, au contraire, portent à la partie supérieure de leur corselet deux proéminences lumineuses, arrondies et assez écartées, qui semblent se confondre lorsque l’insecte vole, mais qui pendant le jour brillent comme autant d’émeraudes enchâssées dans un fond brun un peu cuivré. Les coléoptères phosphoriques répandent ordinairement une lumière éclatante et d’un vert jaune ; cependant quelques-uns ne laissent échapper qu’une lueur rouge et obscure, et il en est qui ont tout à la fois quelques anneaux de l’abdomen remplis d’une lumière verte, et d’autres anneaux pleins d’une matière lumineuse et jaunâtre. Rien n’est plus amusant que de voir ces divers insectes voler par une nuit sombre. Dans les endroits où ils sont un peu nombreux, les airs sont traversés par des points lumineux plus ou moins larges, plus ou moins éclatans, qui se croisent en tout sens, brillent un moment, disparaissent et se montrent plus loin. Le vol des coléoptères phosphoriques n’est pas le même pour toutes les espèces : quelques-uns s’élèvent à dix ou douze pieds et même davantage, d’autres, au contraire, restent toujours à quelques pieds de la terre ; la plupart volent horizontalement, mais dans les endroits marécageux on trouve une petite espèce, qui, comme un jet lumineux, s’élance dans une direction oblique ou verticale, sautille un instant et disparaît. « 

Ce fut à Ubà que M. Auguste de Saint-Hilaire vit des Indiens pour la première fois : c’étaient des Coroados ; mais, comme il l’avoue lui-même, ils appartenaient à une des peuplades les plus disgraciées de la nature. Cette physionomie ignoble qu’on n’observe point chez les autres Indiens, cet embarras stupide, trahissant le sentiment qu’ils ont de leur infériorité, et qui firent naître dans l’esprit du voyageur un sentiment si vif de pitié et d’humiliation, montrent comment notre civilisation les a faits. Quel douloureux contraste en effet avec ces Tououpinambaoults[10], si fiers, si courageux, que vit autrefois Lery, dans ces campagnes, et dont Montaigne comparait les réponses avec ce que l’antiquité offre de plus éloquent ! Toutefois, l’empreinte de l’asservissement n’a pas été partout aussi hideuse, et il y a, comme nous avons été à même de le voir, et comme l’ouvrage de M. de Saint-Hilaire en offre la preuve, des sauvages qui ont encore un sentiment de dignité primitive.

Après avoir visité dans leur aldée ces misérables Indiens, dont il peint le caractère physique et moral avec beaucoup d’intérêt, M. Auguste de Saint-Hilaire revint à Rio de Janeiro ; mais ce fut pour entreprendre immédiatement son grand voyage à Minas. Se joignant donc à un savant naturaliste déjà bien connu, M. Langsdorff, et à un jeune habitant de l’intérieur, il partit de la capitale du Brésil, le 7 décembre 1816, pour ce long voyage dans l’intérieur qui allait révéler enfin tant de choses complètement ignorées, ou du moins connues imparfaitement.

Nos voyageurs suivent d’abord la route si fréquentée qui conduit de Rio de Janeiro à Villa-Rica. Arrive-t-on dans un de ces rancho, espèces de caravansérails où s’arrêtent les caravanes qui vont de l’intérieur vers le bord de la mer, là, tout est mouvement, tout est activité, mais tout se passe aussi en général avec un ordre remarquable. « Les muletiers des différentes caravanes se rapprochent, se racontent leurs voyages, leurs aventures amoureuses, et quelquefois l’un d’entre eux charme le travail de ses voisins en jouant de la guitare, et en chantant quelques-uns de ces airs brésiliens qui ont tant de grâce et de douceur. On se dispute rarement, et l’on se parle avec une politesse inconnue chez nous parmi les classes inférieures. »

La manière lente dont on voyage au Brésil, où l’on ne peut guère faire plus de trois, quatre ou tout au plus cinq lieues par jour, favorise les observations du voyageur, et en général ses remarques, pleines d’exactitudes et d’intérêt, suppléent au manque d’incidens qui se fait un peu sentir dans cette première partie du voyage. Enfin, il arrive sur les bords du Rio-Parahybuna, qui divise la province de Rio de Janeiro de celle de Minas-Geraes. Il trace un rapide exposé de l’histoire de la découverte, qu’il ne fait remonter qu’au milieu du xviie siècle, et qu’il attribue, avec Pizzaro et Southey, à un aventurier nommé Marcos de Azevedo, tandis que Cazal l’a fait remonter à l’année 1573, et en accorde l’honneur à Sebastiào Tourinho, colon de Porto-Seguro, qui aurait longé le Rio-Doce, et serait revenu sur la côte par le Jiquitinhonha, Quoi qu’il en soit, ce fut Rodriguez Arzào, natif de Thaubaté, qui le premier découvrit de l’or dans la province de Minas-Geraes : il avait pénétré dans les déserts de Cuyaté, et à son retour, en l’année 1695, il présenta trois oitavas d’or à la municipalité (camara) de la ville capitale de la province du Saint-Esprit.

On sait combien de bandeiras de Paulistes suivirent ses traces, et combien de villes florissantes furent fondées. M. de Saint-Hilaire se plaît à énumérer les avantages dont peut jouir cette magnifique province, qui, située entre les 13° et 23° 27" latitude S., et entre les 328° et 336° de longitude, jouit du plus doux climat, et peut produire, suivant les lieux et les hauteurs, la vigne, le sucre et le café, le chanvre et le coton, le manhiot, le froment et le seigle, la mangue, la pêche, la figue et la banane. Nous ne parlons point de ses immenses richesses métalliques. Aussi le voyageur, plein d’enthousiasme pour cette merveilleuse fertilité, ne peut-il s’empêcher de s’écrier : « S’il existe un pays qui jamais puisse se passer du reste du monde ce sera certainement la province des Mines ! » Et cependant ce beau pays ne comptait, lors de son voyage, que cinq cent mille âmes ; ce qui ferait dix individus par lieue carrée, et par conséquent une population cent dix fois moindre que celle de la France ! D’après les mêmes calculs, dans un espace de quarante-quatre ans, la population de la province des Mines aurait presque doublé.

Notre voyageur, arrivé au Registro, où se pèsent toutes les marchandises sèches qui entrent aux Mines, fait sentir toute l’absurdité du système qui faisait payer sur le fer et sur le sel des droits infiniment plus élevés que sur la bijouterie, les rubans et la dentelle ; système dû au régime colonial, et qui se maintint encore après l’émancipation. Après qu’il a dépassé le Registro, on aime à le voir décrire, tantôt ces graminées gigantesques, le taboca ou tabioca, qui s’élèvent jusqu’à soixante pieds ; tantôt un solanum, qui, loin d’être un simple arbrisseau, acquiert jusqu’à quarante pieds. Toutefois cette partie du livre n’est pas la plus neuve quant aux détails de mœurs. Enfin l’auteur arrive à ces délicieux campos, où change tout à coup la végétation. Là, d’immenses pâturages remplacent les forêts qu’on vient de traverser : le campo, néanmoins, n’est point une vaste plaine, et M. de Saint-Hilaire le compare à ces pacages que l’on rencontre dans plusieurs de nos hautes montagnes d’Europe : celui, par exemple, du Mont-d’Or en Auvergne, lorsque, après avoir passé le pic de Sancy, on arrive à Vassivière. Jusque-là les campagnes ont été riantes ; mais après avoir passé Capào, le paysage prend un air de tristesse qu’il conserve jusqu’à Villa-Rica : la verdure est remplacée par des monceaux de cailloux ; on est dans le voisinage de la capitale des Mines. Pour donner une idée de la décadence de cette ville, dont le nom atteste l’ancienne opulence, nous dirons que sa population, qui s’est élevée autrefois jusqu’à vingt mille âmes, est réduite aujourd’hui à environ huit mille.

Villa-Rica, construite sans aucune espèce de régularité, sur une longue suite de mornes qui bordent le Rio-d’Ouro-Preto, offre l’aspect le plus étrange et le plus pittoresque. Bâties par groupes inégaux, sur un plan différent, les maisons s’élèvent tantôt sur le bord d’excavations profondes ; tantôt dominées par des pics arides, elles semblent menacées d’effroyables éboulemens. Elles ont, pour la plupart, un petit jardin long et étroit ; « ces jardins sont soutenus par une muraille peu élevée, presque toujours couverte d’une immense quantité de fougère, de graminées et de mousses, et le plus souvent ils forment, les uns au-dessus des autres, une suite de terrasses, dont l’ensemble présente quelquefois une masse de verdure telle qu’on n’en vit jamais dans nos climats tempérés. De ces maisons ainsi entremêlées de sommets arides et de touffes serrées de végétaux, il résulte des points de vue aussi variés que pittoresques. Mais la couleur noirâtre du sol, celle des toits, qui n’est guère moins obscure, le vert foncé des orangers et des cafiers très-multipliés dans les jardins, un ciel presque toujours nuageux, la stérilité des mornes où l’on n’a point bâti, communiquent au paysage un aspect sombre et mélancolique. » À Villa-Rica, M. de Saint-Hilaire fut reçu par un célèbre minéralogiste, M. le baron d’Eschwege, avec lequel il fit de nombreuses excursions dans la ville et dans ses environs, où il eut occasion de voir combien sont riches ces mines de fer qu’on a dédaignées pendant si long-temps, et qui, se montrant où l’on ne cherchait autrefois que de l’or, ranimeront peut-être un jour l’industrie de la ville délaissée. Villa-Rica est dépourvue de la plupart des établissemens utiles ou agréables qu’on trouve dans nos villes d’Europe. Cependant M. de Saint-Hilaire admira la propreté de son hôpital militaire. Son théâtre est le premier qu’on ait songé à établir au Brésil ; mais malheureusement la troupe y est d’une déplorable médiocrité, et la couche de rouge ou de blanc dont les acteurs (hommes de couleur) sont obligés de se couvrir le visage ajoute encore à ce qu’il y a de grotesque et de bizarre dans leur jeu.

À Marianna, siége d’un évêché, M. Auguste de Saint-Hilaire porte ses observations sur le clergé des Mines ; après avoir remarqué que le gouvernement avait interdit l’entrée de cette province aux corporations religieuses, il ne peut s’empêcher de signaler une foule d’abus qu’on remarque dans le clergé séculier. Là, comme dans toute l’étendue du Brésil, les prêtres ne perçoivent plus la dîme qu’ils ont cédée autrefois au gouvernement, moyennant un revenu annuel d’environ 1250 francs, payable à chaque curé. Par l’accroissement de la population et de l’industrie, le gouvernement, au bout d’un certain nombre d’années, obtint d’énormes bénéfices ; mais le traitement des curés ne suffisait plus, parce qu’ils étaient contraints de faire desservir certaines succursales. Bientôt un arrangement, connu sous le nom de constitution de Bahia, accorda aux pasteurs 40 reis (25 cent.) pour chaque propriétaire et pour sa femme, et 20 reis (12 cent. 1/2) pour chaque enfant et pour chaque tête d’esclave. Cet impôt avait été volontaire ; le clergé néanmoins ne tarda pas à élever d’autres prétentions : « sous prétexte, dit l’auteur, d’être indemnisé de la confession pascale, prétexte que les catholiques européens auront heureusement quelque peine à concevoir, les curés parvinrent à introduire l’usage de se faire payer 300 reis (1 franc 95 cent.) par chaque communiant. Un ecclésiastique charitable n’exigera rien des indigens ; mais on a vu des curés, on ose à peine le dire, qui, au moment de donner la communion dans le temps de Pâques, suspendaient cet acte solennel pour demander à des hommes pauvres la rétribution accoutumée. C’est sans doute de cette manière que certaines cures rapportent jusqu’à 9,000 cruzades. » Félicitons l’auteur de ce qu’en ne s’éloignant pas un seul instant d’un ton de modération qui donne une nouvelle autorité à ses paroles, il a signalé de monstrueux abus qui s’opposent, comme il le prouve lui-même, à la prospérité du pays.

« La confession, dit-il, est celle de toutes les fonctions sacerdotales qui prend aux prêtres le plus de temps, et j’ai vu cinq nègres expédiés en un quart d’heure. Si les ecclésiastiques disent leur bréviaire, il faut que ce soit bien secrètement, car il ne m’est arrivé qu’une seule fois d’en surprendre un remplissant ce devoir. Être prêtre, c’est une sorte de métier, et les ecclésiastiques eux-mêmes trouvent tout naturel de considérer ainsi le sacerdoce. » M. de Saint-Hilaire, dans lequel cependant l’esprit religieux semble dominer, ajoute les derniers traits à ce tableau de l’état moral du clergé des Mines, en disant qu’il n’est pas sans exemple de voir des ecclésiastiques s’adonner (à la lettre) au commerce, et même vendre en boutique.

« Au reste, continue-t-il, si les prêtres sont loin d’être exempts de torts, on doit se plaire à reconnaître qu’ils n’y ajoutent point l’hypocrisie, ils se montrent tels qu’ils sont, et ne cherchent nullement à en imposer par de graves discours ou par un extérieur austère. Hors des villes, leur costume ne diffère nullement de celui des laïques, et personne n’est étonné de voir un curé avec des bottes, une culotte de nankin et une veste d’indienne verte ou rose. »

Nous ajouterons à ce tableau, que nous avons vu nous-même aux environs de San-Salvador, un curé faisant danser ses paroissiens au son de la guitare, sans que personne en fût scandalisé. M. de Saint-Hilaire, en provoquant des réformes importantes, veut qu’elles soient faites avec une extrême prudence : « aucun peuple, selon lui, n’a plus de penchant que les Mineiros à devenir religieux, et même à l’être sans fanatisme. Tout à la fois spirituels et réfléchis, ils sont naturellement portés aux pensées graves ; leur vie peu occupée favorise encore cette propension, et leur caractère aimant les dispose à une piété douce. En général, les Mineiros ont été doués heureusement par la Providence : qu’on leur donne de bonnes institutions, et l’on pourra tout attendre d’eux. »

Continuant sa route, qui devient de plus en plus intéressante, l’auteur traverse une foule de contrées où l’extraction de l’or fait négliger encore l’agriculture. Il signale les causes principales de son faible accroissement, et quelques mots suffiront pour faire comprendre les déplorables résultats que doivent forcément amener les procédés agricoles suivis jusqu’à présent. « Si j’en excepte la province de Rio-Grande-do-Sul, celle des Missions, et la province Cisplatine, on ne fait usage, dans le Brésil méridional, ni de la charrue, ni des engrais. Tout le système de l’agriculture brésilienne est fondé sur la destruction des forêts ; où il n’y a point de bois, il n’y a point de culture… » Combien de fois n’avons-nous pas entendu dire nous-même, comme l’auteur, Hè huma terra acabada, c’est une terre épuisée ; et le champ dont parlait ainsi l’agriculteur n’avait donné que huit à dix récoltes. M. de Saint-Hilaire est, je crois, le premier qui ait signalé un des fléaux les plus actifs de l’agriculture brésilienne, et qui ne s’est cependant développé que depuis quelques années ; nous voulons parler du capim gordura (tristegis glutinosa) ; graminée visqueuse, grisâtre et fétide, qui envahit les champs avec une incroyable rapidité, qui en fait disparaître toutes les autres plantes, et qu’on voit croître où s’élevèrent les plus riches moissons. Notre voyageur, qui ne manque jamais de signaler aux habitans des contrées qu’il a parcourues les moyens d’améliorer leur sort, indique un procédé à employer pour récolter encore du maïs au milieu de ces champs désolés.

À Itajuru, et après avoir considérablement augmenté ses collections, M. de Saint-Hilaire se sépare de ses compagnons de voyage ; là, il prend de nombreux renseignemens sur le mouvement de la population et sur les procédés agricoles du pays. Il les donne dans toute leur étendue, et ils peuvent devenir d’une haute utilité pour les Brésiliens eux-mêmes ou pour les émigrans. Non-seulement il entre dans les détails les plus complets sur la cession des terrains (sesmarias), mais il fait connaître la législation qui leur est relative. À ces documens si précieux pour ceux qui voudront s’établir au Brésil, il joint des renseignemens sur le travail des mines, qui laissent bien loin d’eux ce que Mawe a dit sur ce sujet : nous regrettons de ne pouvoir les citer, mais ils servent à prouver que là, comme dans tout le reste du Brésil, la fortune des chercheurs d’or est aussi précaire que celle des agriculteurs laborieux est assurée[11]. Après avoir visité les mines encore opulentes de la Conception et d’Itabira, dont les produits vont néanmoins en s’affaiblissant, le voyageur se dirigea vers ces forges de Girao qui sans doute ont reçu depuis un immense accroissement. L’auteur dit avec raison que le fer des montagnes de Minas-Geraes peut être considéré comme inépuisable, on le trouve à la surface de la terre, et le minerai a donné jusqu’à 85 pour 100, et davantage. Que dire de ce régime colonial où il était défendu aux Brésiliens de fondre la moindre parcelle de fer ? L’établissement du Morro de Gaspar-Soares a fourni depuis long-temps le fer nécessaire à l’exploitation des diamans, mais il a coûté des sommes énormes au gouvernement par le manque absolu de constructeurs habiles.

Ce sont, comme nous l’avons déjà dit, des choses essentiellement utiles qu’on doit s’attendre à trouver dans cette relation : aussi ce que dit l’auteur sur la juridiction des mines, sur les titres divers de l’or, sur la manière de le fondre et de l’essayer, pourrait bien paraître aride à quelques lecteurs ; cependant il jette un tel jour sur l’administration et sur les ressources intérieures du Brésil, que nul ne saurait s’en plaindre, et d’ailleurs, hâtons-nous de le dire, ces faits sont mêlés à des détails de la vie intérieure, qui pourront plaire aux lecteurs les moins sérieux.

Mais bientôt la relation prend un autre caractère. Quittant Villa-do-Principe où il séjournait depuis quelque temps, et s’avançant vers Minas-Novas, l’auteur se trouve de nouveau en rapport avec quelques tribus sauvages ; ce sont les Malalis qu’il visite, et il cite à leur sujet un des faits les plus curieux dont il soit fait mention dans aucun voyage. Semblables à ces Guaraons des bords de l’Orénoque, qui mangent avec délices une larve du palmier murichi, les Malalis tirent une graisse très-fine et très-délicate d’un gros ver blanc (bicho de Taquara), et ils en accommodent leurs alimens. « Ce n’est pas tout, les Indiens emploient encore le bicho de Taquara à un usage fort différent. Lorsque l’amour leur cause des insomnies, ils avalent un de ces vers que l’on a fait sécher sans en ôter le tube intestinal, et alors ils tombent dans une espèce de sommeil extatique qui dure plusieurs jours. Celui qui a mangé un ver desséché du bambou raconte en se réveillant des contes merveilleux ; il a vu des forêts brillantes, il a goûté des fruits exquis ; mais avant de manger le bicho de Taquara, on a grand soin d’en ôter la tête, que l’on regarde comme un poison dangereux. » Nous pourrions ajouter, peut-être parce qu’elle produit à un degré plus énergique les effets qui résultent du reste du ver. M. Aug. de Saint-Hilaire attribue uniquement la propriété narcotique du bicho de Taquara au tube intestinal. M. Latreille, auquel il a soumis la description de cet animal merveilleux, l’a reconnu pour une chenille, qui probablement appartient au genre cossus ou au genre hépiale.

À Passanha, au milieu d’un pays à peine cultivé, M. de Saint-Hilaire fait sur les Indiens des observations qui attachent vivement. Il y rencontra un Copoxo et un Panhame, auxquels il ne trouva aucun des traits de la race indienne. Malheureusement, comme il le dit lui-même, ce dernier individu, qui ressemblait à un paysan français, était isolé, et ne pouvait servir à constituer une exception extrêmement remarquable.

Nous avons des raisons pour croire que, trompés par quelques traits généraux souvent dus au climat, les premiers voyageurs se sont trop hâtés de trouver une ressemblance absolue entre tous les indigènes de l’Amérique. Cette assertion a été émise bien légèrement, entre autres par Ulloa. Nous pensons avec M. de Saint-Hilaire que la teinte cuivrée qu’on leur a attribuée n’est point naturelle à toutes les tribus. Nous avons vu comme lui des Botocudos presque blancs, et on nous a même parlé de quelques-uns de ces Indiens, dont la teinte était d’un blanc de lait, ce qui serait probablement dû à un état analogue à celui des Albinos, ou à une circonstance accidentelle qu’on ne sait trop comment expliquer.

Après avoir peint l’état social de ces tribus encore jalouses de leur indépendance, qui semblent appartenir à une race plus sauvage que celle des dominateurs de la côte, l’auteur s’élève avec véhémence contre l’usage épouvantable de la part des nations civilisées de faire la guerre à ces misérables indigènes, qui se laissent souvent tuer sur la place où ils combattent, et qu’on pourrait à coup sûr faire passer graduellement dans la population utile.

Lorsqu’on consulte deux autres voyageurs qui ont été à même, comme M. de Saint-Hilaire, de bien connaître la position sociale des Indiens, on est effrayé des moyens qui ont été employés jusqu’à présent pour s’opposer à leurs déprédations ou pour les soumettre. MM. Spix et Martius disent que des vêtemens imprégnés du virus de la petite vérole leur ont été offerts, et que par ce moyen des tribus entières ont été décimées ; le prince de Neuwied cite un trait qui peut figurer à côté de celui-là, quand il rapporte qu’un vieux canon chargé à mitraille ayant été placé sur le chemin d’une habitation, et disposé de manière à ce qu’on ne pût s’avancer sans le faire partir, les Indiens qui allaient la nuit enlever quelques cannes à sucre ou quelques épis de maïs, furent impitoyablement massacrés. L’empereur, à qui le Brésil doit déjà plus d’une amélioration dans son administration intérieure, s’occupe de réprimer de si sanglans abus. Le sort de ses sujets indiens l’a touché, et dans une partie du Brésil où ils sont encore assez nombreux, un Français revêtu d’un caractère honorable, M. Marlière, est chargé de leur direction.

Le second volume de M. de Saint-Hilaire commence par la description pleine d’intérêt d’une contrée bien peu connue, de cette province de Minas-Novas, qui ne fut découverte qu’en 1726 ou 1727, et qui diffère par son aspect et par sa végétation des districts environnans. Une des choses les plus surprenantes sans doute, c’est que ce beau pays, auquel on donne cent cinquante lieues de longueur sur quatre-vingt-six de large, ne comprenne qu’une population de 60,000 âmes, répartie sur sept paroisses !… L’or de Minas-Novas, qui, jusqu’à présent, a occupé bien plus l’attention que ses produits agricoles, est d’une belle couleur, et généralement au titre de vingt-quatre karats : on a tiré pour le compte du roi beaucoup de diamans de la serra de Santo-Antonio-de-Itacambiruçu, appelée vulgairement serra Diamantina, et l’on pense qu’elle n’est point encore épuisée. La même contrée fournit une foule de pierres précieuses. C’est avec grande raison que l’auteur s’exprime ainsi sur cette contrée, destinée à occuper un rang si remarquable dans l’empire. « Le Termo de Minas-Novas a l’extrême inconvénient d’être situé à une très-grande distance de la capitale du Brésil ; mais depuis la découverte récente du cours du Jiquitinhonha, on ne trouverait peut-être pas dans toute la province des Mines un pays mieux situé pour le commerce. »

Nous ajouterons que ce beau fleuve, qui se jette dans la mer entre les provinces de Rio et de Bahia, doit devenir avant tout l’objet de travaux actifs, et que tant qu’on les négligera dans ce qui a rapport à l’amélioration de la navigation, on retardera le développement agricole d’un des plus beaux pays de la terre.

On sent qu’au milieu de cette contrée encore presque déserte, les observations botaniques de M. de Saint-Hilaire doivent se multiplier et offrir un nouvel intérêt. Il ne se contente pas de décrire des individus épars, il fait connaître les diverses dénominations appliquées aux divers genres de forêts.

À l’Aldea d’Alto dos Bois, il visite les Macunis, et ces sauvages lui fournissent des détails de mœurs fort curieux ; les guerriers de la tribu ont un tel respect pour leurs ancêtres que, guidés par ce sentiment, ils refusèrent de faire à leurs armes certaines améliorations indiquées par un Européen. On ne retrouve plus chez les Macunis l’usage bizarre, commun autrefois à la plupart des nations brésiliennes, de se percer la lèvre inférieure, et d’y introduire un corps étranger[12] ; mais leur contact avec les peuples policés n’a pas pu améliorer encore complètement le sort du sexe le plus faible, et M. de Saint-Hilaire vit dans une des maisons où il entra, la férule de bois destinée à corriger les femmes, suspendue au plafond.

Quand ils sont malades, les Macunis prennent pour tout remède de l’ipécacuanha ; les parens de celui qui souffre pleurent autour de lui, mais ne lui donnent aucun soin.

L’ignorance de ces pauvres Indiens inspire à M. de Saint-Hilaire des réflexions pleines de justesse et de véritable philanthropie. « Il nous paraît incontestable, dit-il, que l’imprévoyance est attachée aux différences de forme que présente leur race, comme le même défaut a été attaché à l’organisation imparfaite de l’enfance… Ainsi qu’aux enfans, il faudrait aux Macunis des tuteurs intègres et vigilans. » Il veut, et sa réflexion est de la plus haute importance, qu’on encourage les alliances légitimes des Indiennes avec des hommes de couleur ; ces alliances produiront une race mixte, que nous sommes tentés de regarder comme devant être plus parfaite qu’il ne le suppose.

Les Macunis sont ennemis des Botocudos, et M. de Saint-Hilaire pense que cette haine est en partie produite par l’opinion qu’on a généralement de leur anthropophagie ; il cite à ce sujet deux faits curieux, qu’il ne consent point à admettre néanmoins comme la preuve décisive d’une horrible coutume, à l’existence de laquelle il voudrait ne pas croire, mais que des relations trop nombreuses attestent pour qu’il soit possible désormais de la nier. D’ailleurs les aveux du jeune Botocudo appartenant à M. de Neuwied, nous paraissent assez concluans, pour ne point en aller chercher d’autres, et l’Indien Firmiano, en convenant que ses compatriotes avaient l’habitude de couper par quartiers les ennemis tués dans le combat, indique plutôt un vestige d’anthropophagie dans sa tribu, qu’il ne peut l’en disculper entièrement. Il suffit de lire Hans Staden et de se rappeler ses misères au milieu des Tupinambas, à l’époque où ces tribus avaient encore quelque importance, pour avoir la preuve de l’horrible enthousiasme avec lequel ils se livraient à d’épouvantables festins[13], et pour penser que dans les lieux où une telle coutume a pu être considérée comme une des bases de l’état social, quelques vestiges ont pu en être conservés. D’ailleurs ce qui se passait à cette époque chez les Tupinambas se renouvelle continuellement chez les Battas ou dans les îles de la Nouvelle-Zélande, et il nous paraît difficile de laver l’espèce humaine de cette terrible accusation[14].

Malgré les détails pleins d’intérêt donnés par le prince de Neuwied sur les hordes de Botocudos qui errent le long des rives du Jiquitinhonha, on lira encore avec plaisir ceux que présente la relation de M. de Saint-Hilaire, mais ils paraîtront nécessairement moins neufs ; aussi passerons-nous rapidement sur cette partie du voyage, bien qu’elle ait été pour nous une preuve de l’extrême vérité des descriptions, puisque nous avons eu occasion de visiter en partie les mêmes lieux, et nous suivrons le voyageur vers des contrées qui, avant lui, n’avaient jamais été complètement décrites.

Après avoir fait de nombreuses observations sur l’origine des tribus sauvages du Brésil, qu’il fait remonter, les unes à la race mongole, tels que les Botocudos ; les autres à un des rameaux les moins nobles de la race caucasique, faits d’une haute importance, qui paraissent acquérir ici un nouveau degré de probabilité ; après s’être procuré un jeune Indien qui devait l’accompagner jusqu’en France, M. de Saint-Hilaire revint à Villa-do-Fanado ; il visita les mines de fer de Bomfim, qui ont été fondées par le capitaine Manoel Jozé, et qu’on regarde comme le plus bel établissement de la province, puis il entra dans le Sertào, dans ce désert de Minas, où la nature prend un nouvel aspect. Néanmoins ce pays ne lui parut point mériter le nom de jardin du Brésil qu’on lui donne quelquefois, à cause sans doute de ce terrain onduleux couvert çà et là d’arbres peu élevés au milieu de nombreux pâturages, et dont mille plantes en fleurs interrompent la monotonie. À cette époque, la sécheresse avait tout dévoré, et le Sertào n’offrait qu’un aspect désolé. Les Sertanejos (on désigne ainsi les habitans du désert) forment une classe à part, qui dédaigne en général l’agriculture pour se livrer à l’éducation des bestiaux, et qui, vivant à peu près en dehors de la société, a pris des préjugés nouveaux et des habitudes inconnues dans le reste du Brésil. Accoutumé à poursuivre des bestiaux presque sauvages dans un pays entrecoupé de collines et de bois, où se sont multipliées mille plantes aux longues épines, aux dards nombreux et pénétrans, entouré d’animaux féroces, qu’attire une proie facile, le Sertanejo, qu’on peut comparer au Péon des Pampas, mais qui mène une vie bien plus laborieuse, est vêtu complétement d’une espèce d’armure de cuir, qui se fait avec la peau du cerf (veado), et qui lui donne l’aspect le plus singulier aux yeux d’un Européen. Comme dans les campagnes de Buénos-Ayres le cultivateur le plus pauvre monte à cheval pour faire la moindre course, et ne sort jamais dans le Sertào sans avoir un fusil. Là, plus d’un chasseur solitaire rappelle le bas de cuir de Cooper, et s’éloignant de la société qu’il ne peut plus comprendre, vit dans les plaines et se nourrit uniquement de gibier. Mais ces intrépides habitans du désert, s’ils n’ont point à redouter les buffles sauvages, sont exposés à la rencontre d’ennemis plus féroces et surtout plus agiles. On compte dans le Sertâo seulement quatre espèce d’onças, parmi lesquelles se trouve le jaguar ou tigre à peau mouchetée. Quatre espèces de chats sauvages (gatos do mato); et le guara que l’on compare au loup d’Europe, sont, avec les animaux dont nous venons de parler, les ennemis les plus redoutables du chasseur, et l’on raconte dans le Sertào de merveilleux récits du sang-froid avec lequel les hommes de ce pays attaquent ces hôtes terribles du désert.

Malgré le nom qu’on lui a donné, le Sertào n’est pas complètement dépourvu de bourgades ; mais souvent, dans cette réunion de pauvres habitations, le voyageur ne trouve pas même les choses les plus nécessaires à la vie, quoique partout la plus touchante hospitalité s’empresse de l’accueillir : partout aussi l’ignorance la plus complète forme un contraste douloureux avec les qualités qu’on remarque chez les Sertanejos, et qui s’éteignent souvent parce qu’elles n’ont jamais été cultivées.

En se dirigeant vers le Rio-de-San-Francisco, M. de Saint-Hilaire eut occasion de constater un fait curieux : c’est qu’aucune des abeilles de la province des Mines n’a d’aiguillon, et qu’elles se contentent de mordre quand elles se défendent. Le miel que fournissent les nombreuses espèces d’abeilles qu’on rencontre au Brésil est très-limpide et exempt de cet arrière-goût désagréable qu’a celui d’Europe ; cependant MM. Spix et Martius engagent à se défier de plusieurs espèces de miels trouvés dans les forêts : quelques-uns d’entre eux, tel que celui de l’abeille munbubinda, sont un véritable poison. La cire des abeilles du Brésil est noirâtre, et à l’exception de quelques essais heureux faits dans le Goyaz, on a essayé vainement jusqu’à présent de la blanchir.

Toujours accompagné de son domestique et de l’Indien qu’il voulait emmener en France, M. de Saint-Hilaire se dirigeait vers le San-Francisco ; mais l’uniformité de la campagne, l’absence d’eau, le manque de nourriture pour les bêtes de somme, l’ardeur du soleil qui dévore ces solitudes, tout contribuait à jeter les voyageurs dans un accablement douloureux, que venaient accroître les souvenirs d’une autre contrée, et que ne peuvent comprendre que ceux qui l’ont éprouvé. Enfin, après avoir visité les bords imposans du San-Francisco, qui offrent des paysages si variés ; après avoir contemplé un de ces lacs que le grand fleuve forme dans ses débordemens, et dont le rivage, couvert de mimosas à fleurs odorantes, sert d’asile à des milliers d’oiseaux, parmi lesquels la spatule étale ses ailes d’un beau rose, qui se marient aux fleurs azurées du Golfo, M. de Saint-Hilaire abandonna ces lieux, où la misère des habitans fait un triste contraste avec la splendeur de la nature, et il se dirigea vers le district des Diamans.

C’est là que s’arrête la première partie de sa relation, et si l’on se rappelle le peu de renseignemens qu’on a sur ce pays à la fois si riche et si curieux, on comprendra sans peine l’intérêt qui doit s’attacher à la suite de cet important ouvrage.


Ferdinand Denis.


  1. 2 vol. in-8o. Paris, 1830. Chez Grimbert et Dorez, libraires, rue de Savoie, no 14. Prix 15 fr.
  2. Les Tupinambas avaient donné ce nom à la baie de Rio de Janeiro.
  3. Hans Staden a publié sa relation dès 1556. Thevet a donné la sienne, en 1558, et le livre de Lery, composé en 1556, n’a paru qu’en 1578.
  4. On peut consulter dans cette collection Hatkins, 1530, 1532, Reniger et Forêt, 1540 ; Pudsey, 1542 ; Hare, 1580 ; Lancaster, 1594.
  5. Cela est si vrai que Buenno, dont nous venons de parler, erra pendant plusieurs années dans les forêts pour retrouver les contrées découvertes par son père.
  6. À partir de 1783, un savant qu’on peut appeler le Humboldt brésilien, Alexandre Rodrigues Ferreira, employa plusieurs années à parcourir les contrées les plus reculées de l’intérieur, et surtout le Mato-Grosso. Ses manuscrits sont restés inédits. Il est mort en 1814.
  7. Ces importantes observations ont été principalement consignées dans un ouvrage que nous avons lu avec le plus vif intérêt.

    Voyez Plantes usuelles des Brésiliens, par M. A. de Saint-Hilaire, A. de Jussieu et Cambessèdes, in-4o, 75 pl.

  8. Vers le même temps, et seulement à quelques années de distance, M. le contre-amiral Roussin, exécutait le long des côtes ses immenses travaux hydrographiques. M. Freycinet rassemblait les nombreux documens qu’il a publiés dans son Voyage autour du monde, sur la statistique de Rio de Janeiro. M. Taunay répandait le goût des arts dans cette ville, et les fils préparaient ce panorama d’une si merveilleuse exactitude que tout Paris a admiré.
  9. Histoire des plantes les plus remarquables du Brésil et du Paraguay, avec figures.
  10. Thevet, dans ses Singularités de la France antarctique, les appelle Toupinambaux, nom qui se rapproche beaucoup plus du mot Toupinambas, par lequel les Portugais désignent cette grande nation. Je pense que Lery a voulu exprimer les moindres modifications de la prononciation indienne.
  11. D’ailleurs, plusieurs ouvrages, et entre autres une notice insérée dans les Mémoires de l’Académie des sciences de Lisbonne, prouvent, avec notre voyageur, la déchéance successive des mines et la diminution de leur produit.
  12. Les anciennes relations parlent de certains chefs tupis qui avaient jusqu’à sept pierres de jade vert, enchâssées dans leurs lèvres ou dans leurs joues. Les Machacalis portaient autrefois une plume dans la lèvre. Les Cayabavas ornaient cette partie du visage au moyen d’une rouelle de résine ; les Guaycurus y plaçaient un ornement d’or, et la botoque (bondon de tonneau), qui a donné aux Botocudos le nom qu’ils portent, est trop célèbre pour que nous en parlions ici.
  13. Lery, dans son récit dont l’énergie égale la naïveté, trace un tableau qui fait frémir des cruautés commises à cette époque en France, durant les guerres de religion, et il cite des faits épouvantables qu’il compare à ce qui se passait parmi les Tououpinamboults. Du reste, en admettant que les Botocudos soient les descendans des Tapuyas, il est difficile qu’ils n’aient point conservé quelques usages de leurs ancêtres, que Pison nous peint comme étant livrés à un bien plus haut degré que les Tupis aux horreurs de l’anthropophagie.
  14. Chez les peuples de race aztèque, où, chose fort extraordinaire, l’anthropophagie ne s’était développée qu’après une certaine période de civilisation, on sacrifiait un nombre immense de victimes humaines, dont quelques portions seulement étaient dévorées solennellement. Si on s’en rapporte à un voyageur moderne, on évaluait à vingt mille le nombre de ceux qui périssaient ainsi annuellement au Mexique.