Victor Devaux & Cie (p. v-xii).
PRÉFACE





Le révérend Père De Smet, ce pionnier infatigable de la vraie civilisation, évangélise depuis bientôt cinquante ans les Sauvages ou Peaux-Rouges de l’Ouest, dans l’Amérique du Nord. L’année dernière, il est venu passer quelques mois en Belgique, et nous avons profité de sa présence pour lui demander l’autorisation de publier une nouvelle édition de ses « Voyages aux Montagnes Rocheuses et Séjour parmi les tribus indiennes de l’Orégon. » — Non-seulement il nous Ta accordée avec le plus aimable empressement, mais de plus, il a mis à notre disposition des documents inédits jusqu’à ce jour. — Nous nous sommes aussitôt mis à l’œuvre : le texte de l’édition primitive a été soigneusement revu, considérablement augmenté, et nous l’avons enrichi de notes spéciales sur les États-Unis. C’est avec confiance que nous offrons ce travail au public. — L’ouvrage du révérend Père De Smet ne saurait manquer d’obtenir les suffrages de tous les hommes instruits. Outre l’intérêt qui s’attache à la substance même du livre, on éprouve la satisfaction de pouvoir se dire que ces pages si intéressantes sont sorties de la plume d’un de nos compatriotes.

Nous n’avons pas besoin de faire davantage l’éloge ni du livre ni de l’auteur. Le révérend Père De Smet est une de nos gloires nationales les plus pures : son mérite a été apprécié par le Souverain, et par l’un des hommes les plus distingués qui ont siégé dans les conseils de l’illustre Fondateur de la dynastie belge. Sur la proposition de M.  Ch. Rogier, ministre des affaires étrangères, Sa Majesté Léopold Ier a daigné conférer au valeureux missionnaire flamand la croix de chevalier de son Ordre [1]. Un recueil des premières lettres du révérend Père De Smet à ses confrères de Saint-Louis du Missouri, a été publié en anglais, à Philadelphie, capitale de la Pennsylvanie ; il contient au fond les mêmes récits que le nôtre, mais avec beaucoup moins de détails et naturellement sans aucune note. Nous tenons à donner ici la préface de cette publication ; elle nous semble bien propre à faire apprécier par nos lecteurs les travaux de ce noble enfant de la Belgique. Les sentiments que les Américains y expriment trouveront certainement de l’écho dans tous les cœurs catholiques. Voici ce qu’ils disent :

« Nous offrons cet intéressant récit aux amis de la patrie, avec l’espoir, disons mieux, la certitude, que la lecture qu’ils en feront leur fera goûter le plaisir le plus pur. Rarement avons-nous rencontré quelque chose de plus attrayant. L’éloquence simple et virile qui caractérise ces pages ravit l’attention du lecteur. Les faits que l’auteur rapporte sur les régions les plus reculées de l’Occident, les mœurs et les usages des tribus indiennes qui errent dans l’immense territoire de l’Orégon, leur état et leurs dispositions, leurs vues pour l’avenir, sont des sujets qui ne peuvent manquer conspirer de la sympathie à quiconque aime à porter ses regards au delà de l’étroit horizon des scènes de la vie commune, et d’apprendre ce que les généreux serviteurs de Dieu font pour sa gloire et son nom dans les contrées les plus lointaines.

Nous avons eu le plaisir d’avoir un entretien avec l’homme apostolique ; et en l’écoutant nous avons éprouvé tout à la fois le sentiment d’un noble orgueil et d’une joie pure, dans la pensée qu’il nous retraçait en sa personne ce remarquable esprit de dévouement, et ces scènes animées de la vie et des aventures indiennes, si admirables dans les pages des Charlevoix et des Bancroft.

Notre pays est réellement plein d’intérêt pour ceux qui suivent la marche de ses progrès, et qui les comparent avec le passé. Qui aurait jamais songé, par exemple, que l’Iroquois, le sauvage Mohawk (nom sous lequel nous connaissons mieux cette peuplade), lui, dont le hurlement terrible a tant de fois fait tressaillir d’effroi nos ancêtres, que ce même Iroquois eût été choisi pour allumer, le premier, les faibles étincelles de la civilisation et du christianisme dans une grande partie des tribus indiennes d’au delà des montagnes Rocheuses ? Plusieurs de ces peuplades ont de plus en plus soif des eaux salutaires de la vie ; elles soupirent après le jour où la véritable Robe-noire se fixera au milieu d’elles ; elles envoient même à des milliers de lieues de distance des messagers pour en hâter l’arrivée. Une telle ardeur pour la sainte vérité, tout en faisant honte à notre froide piété, devrait enflammer nos cœurs et nous porter à souhaiter du moins qu’il y ait des ouvriers suffisants pour cette vigne immense. Elle devrait nous ouvrir à tous la main pour aider ces hommes pieux, qui, après avoir abandonné famille, amis, patrie, vont s’ensevelir dans ces déserts avec leurs chers Indiens, afin de vivre pour eux et pour Dieu.

L’un de leurs plans favoris a toujours été d’introduire parmi les Indiens le goût de l’agriculture, avec les moyens de s’y livrer. Ils sont d’avis que c’est le plus prompt moyen, peut-être le seul, de les arracher à la vie errante qu’ils mènent encore généralement à présent, et aux habitudes d’oisiveté qu’elle engendre. Les aider dans ce dessein philanthropique est pour nous un devoir sacré, en notre qualité d’hommes, d’Américains, de chrétiens. C’est là au moins l’un des moyens qui sont en notre pouvoir d’expier les torts sans nombre que les Blancs ont faits à cette race infortunée. Que personne ne laisse donc échapper cette belle occasion de faire le bien, et de donner ainsi un gage de son amour pour Dieu, pour sa patrie et pour ses semblables ! »

Ce que l’écrivain américain espérait voir se réaliser dans un avenir prochain, est en ce moment un fait littéralement accompli. De nombreuses tribus sauvages, grâce au labeur énergique et persévérant de nos missionnaires catholiques, ont été ramenées des dangers et des caprices de la vie nomade aux habitudes calmes et régulières de la vie civilisée. Aussi, parmi les Peaux-Rouges, le nom du révérend Père De Smet ne saurait être oublié. Cet admirable ouvrier évangélique a tracé son sillon, et nul pouvoir humain ne pourra l’effacer.

L’année dernière encore, pour la quatorzième fois, il traversait l’Atlantique, conduisant à sa suite le complément de la centaine de missionnaires qu’il a successivement recrutés et emmenés en Amérique. Il partit de Liverpool, le 6 avril 1872, malgré les défaillances de l’âge et d’une santé profondément altérée, et arriva, quelques jours après, à New-York, n’aspirant qu’à poursuivre le cours habituel de son rude apostolat. Fasse le Ciel que le révérend Père De Smet puisse réaliser longtemps encore ses généreux desseins !

F. DEYNOODT,
S. J.
Bruxelles, Collège St-Michel, 1er Mai 1873.
  1. Ministères de la Justice et des Affaires Étrangères.

    Ordre de Léopold. — Nomination.

    LÉOPOLD, Roi des Belges,

    À tous présents et à venir, Salut.
    Voulant donner au Révérend Père De Smet (P.-J.), missionnaire dans l’Amérique du Nord, un témoignage de Notre bienveillance ;

    Sur la proposition de Nos Ministres de la Justice et des Affaires Étrangères, Nous avons arrêté et arrêtons : Art. 1er. Le Révérend Père De Smet (P.-J.) est nommé chevalier de l’Ordre de Léopold.

    Il portera la décoration civile.

    Art. 2. Il prendra rang dans l’Ordre à dater de ce jour.

    Art. 3. Notre Ministre des affaires étrangères, ayant l’administration de l’Ordre, est chargé de l’exécution du présent arrêté.

    Donné à Laeken, le 18 juin 1865.
    LÉOPOLD.


    Par le Roi :

    Le Ministre de la Justice,
    Victor Tesch.
    Le Ministre des Affaires Étrangères.
    Ch. Rogier.

    (Le Moniteur Belge, journal officiel. Samedi, 24 juin 1865.)