Imprimerie de Léger Brousseau (p. 99-114).

IV


L’Institut et les sociétés savantes de Paris — Bibliothèques — M. Paulin Guérin — La Magdeleine : le Jardin des Plantes


L’Institut occupe l’ancien collège Mazarin élevé sur l’emplacement de cette fameuse tour de Nesle que les romanciers ont popularisée de nos jours. Le centre de la façade qui donne sur la Seine, est en forme de demi-cercle rentrant. L’église est ornée d’un beau portail d’architecture corinthienne, sur lequel s’élève un fronton couronné d’un dôme qui ne manque pas de hardiesse.

L’Institut peut être mis à la tête des sociétés littéraires et scientifiques de l’Europe. Il se compose de cinq académies : l’Académie des sciences, l’Académie Française, l’Académie des Sciences morales et politiques, l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres et l’Académie des Beaux-Arts. On fait remonter son origine à Charlemagne et aux leçons de Pierre de Pise et de l’Alcuin, deux savants qui engagèrent l’illustre monarque à établir une académie dans son palais ; mais cette plante s’éteignit bientôt au milieu de la barbarie générale.

Elle renaquit à Oxford en Angleterre, à Grenade et à Cordoue en Espagne, et plus tard en Italie où elle prit vigueur et prospéra. Mais l’Institut actuel de France ne fut fondé qu’au commencement du dix-septième siècle, sous le nom d’Académie Française, par de mauvais poètes, tels que Grodeau, évêque de Grosse, Gombeau, Chapelain, etc. Ils avaient coutume de s’assembler à des jours fixes pour se communiquer leurs travaux et les discuter. Richelieu informé de ce qui se passait, se déclara le protecteur de ces littérateurs, et les organisa en société sous le nom d’Académie Française en 1635.

Colbert fonda en 1663, l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, et trois ans après celle des Sciences.

Ces académies disparurent dans les orages de la révolution. Le règne de la Terreur envoya Chénier et Lavoisier, deux de leurs membres les plus illustres, à l’échafaud.

La tempête passée, ces académies furent rétablies sous le nom d’Institut de France et divisées en trois classes ; la seconde ou l’Académie des Sciences morales et politiques fut supprimée cependant en 1803 par Napoléon, dont le pouvoir absolu redoutait les discussions qui touchaient à l’organisation des sociétés et des gouvernements. Il fit diviser ensuite les deux autres en quatre ; mais après la révolution de juillet, la classe supprimée fut rétablie sur le rapport au roi de M. Guizot, ministre de l’instruction publique.

Ce n’est qu’à mon second voyage à Paris, que je pus assister à une séance de l’une des académies, celle des Sciences. Le Dr McLaughlin voulut bien nous y conduire M. Viger et moi. Il y avait peu de membres présents. M. Lacroix mathématicien, présidait. J’y vis M. Broussais, ce célèbre médecin, dont le système faisait encore tant de bruit ; nous lui fûmes présentés. Plusieurs académiciens me parurent des vieillards plongés dans leurs pensées et dans leur science. J’aurais voulu avoir quelques uns que je connaissais près de moi, pour leur montrer, par ces illustrations, que le vrai génie et la vraie science ne consistent pas toujours dans l’audace et dans un fracas de paroles stériles.

Paris est la ville qui contient le plus grand nombre de sociétés savantes dont la réputation est faite depuis longtemps dans les deux mondes. Outre l’Institut, l’on compte la Société Royale des Antiquaires, la Société de Géographie, l’Athénée des Arts, la Société Philo-technique, l’Athénée Royal, la Société Géologique, la Société de Statistique Universelle, la Société de Statistique de France, la Société de l’Histoire de France, la Société Asiatique, la Société de l’Histoire Naturelle, la Société Linnéenne, etc, etc. Il y a encore une foule d’autres associations qui s’occupent d’éducation, de religion, de médecine, de chirurgie, d’agriculture, d’industrie, etc.

Les établissements d’éducation sont très nombreux à Paris. L’Académie Universelle où l’on trouve des écoles de droit et de médecine, et le Collège de France où les plus habiles professeurs font des cours sur les sciences exactes et naturelles, la médecine, le droit public, la philosophie, la littérature, l’histoire, les langues ; l’École polytechnique, l’École normale, le Conservatoire royal des arts et métiers, l’École d’astronomie, etc, occupent le haut de l’échelle. Sept collèges et près de 900 écoles, salles d’asile, pensionnats et maisons d’instructions fréquentés par plus de 75,000 étudiants, dont près de 2,000 adultes, viennent après.

Paris possède trente et quelques bibliothèques publiques, à la tête desquelles on peut mettre celles de l’Institut, Sainte-Geneviève, des Députés, du Louvre, la bibliothèque Mazarine et enfin la bibliothèque Nationale qui est la plus considérable et la plus riche de toutes. Elle est placée dans la rue Richelieu, où elle occupe un vaste édifice borné par les rues Vivienne, Colbert et des Petits Champs. Elle contient 1,400,000 volumes imprimés, dont 700,000 à peu près à la disposition du public, 100,000 manuscrits, 800,000 plans et cartes, 1,000,000 d’estampes et gravures et 400,000 médailles. La fondation en remonte très-haut. Charlemagne que l’on trouve sans cesse à la tête de tout ce qui est utile et grand, voulant former une bibliothèque, ramassa quelques manuscrits, sans que son dessein eût beaucoup de succès. Saint Louis ne réussit guère mieux, et fut obligé de donner ses livres à divers couvents. Le roi Jean possédait dix volumes dont six sur l’histoire et les sciences, et quatre sur la religion. Charles V, plus heureux, porta à 900 volumes environ la collection, qui fut dispersée cependant dans les désastres du règne de Charles VI. Petit à petit, une nouvelle collection put se former sous les règnes suivants. Elle atteignait 7,000 volumes sous Louis XIII, et 70,000 sous son successeur. Jacques Amiot, les deux de Thou et Casaubon ont travaillé avec succès, dans leur temps, à l’augmenter. C’est en 1721 qu’elle fut placée où elle est aujourd’hui.

On me montra le fauteuil de Dagobert, ce bon roi qui assassina son oncle, fit massacrer dans une nuit dix mille familles et couper la tête à tous les Saxons plus haut que son épée. Il faut avouer pourtant qu’il se traita lui-même assez rudement si l’on en juge par ce fauteuil d’airain, dont la possession lui est attribuée par une tradition du reste assez contestable. Napoléon voulut s’en servir en 1804, pour distribuer des croix d’honneur à ses soldats. Le fauteuil qui est fort petit, fut transporté à Boulogne, et le nouveau conquérant, assis dessus, distribua ses récompenses à ceux qui allaient vaincre une seconde fois les Saxons et les Slaves.

Après avoir parcouru la bibliothèque dans tous les sens, j’allai faire visite à l’un des fidèles partisans de Charles x et de la restauration, M. Paulin Guérin, peintre éminent de France, à qui nous devons notre excellent artiste M. Plamondon. Il me reçut très-bien, me montra son atelier dans lequel se trouvaient des toiles d’un très-grand mérite sorties de son pinceau. Il me parla avec intérêt de son élève ; mais il en avait fait un peintre trop parfait pour le Canada, car M. Plamondon a été depuis obligé d’abandonner ses chevalets pour l’Agriculture. Trop ami de la perfection, il donnait à ses œuvres un fini qui n’était pas apprécié et qui demandait trop de temps pour le prix qu’on lui en offrait. L’esprit commercial va trop loin en Amérique pour favoriser les beaux arts. De simples ébauches ont aux yeux de la multitude la valeur de morceaux achevés ; il faut seulement savoir les faire valoir. Le Canada n’avait pas encore reçu de peintres formés sous des maîtres de l’école française. Nous ignorons si M. Hamel, qui a remplacé M. Plamondon à Québec, et qui sort des écoles de Rome, sera plus heureux.

En sortant de chez M. Paulin Guérin, je gagnai la rue Vivienne, au bout de laquelle se trouve la Bourse, un des beaux monuments de Paris. C’est un édifice à colonnes dans le style de la Magdeleine, et qui a plus de 400 pieds de longueur. Soixante-six colonnes corinthiennes en font le tour, appuyées sur un soubassement de neuf pieds de hauteur, et supportant un entablement et un attique ; un perron règne à chaque bout. L’intérieur se compose d’une grande salle qui peut contenir 2,000 personnes, d’une galerie décorée de colonnes, et d’un grand nombre de bureaux. Il y avait peu de monde lorsque j’y passai.

Un autre édifice occupé par le commerce et qui mérite d’être vu, c’est la Halle aux grains, située près de la rue de Grenelle, et bâtie sur l’emplacement de l’ancien hôtel de Soissons, dont il ne reste plus qu’une tour qui ressemble à une colonne. La Halle est une vaste rotonde dont une coupole en fer forme le toit, et qui, à part cette coupole, me rappelait ces tours militaires élevées à l’entrée de la campagne pour protéger l’approche de Québec.

Le Jardin des Plantes où je me rendis ensuite, et qui couvre un espace considérable, est situé à une des extrémités de la ville, sur le bord de la Seine. C’est un des plus beaux monuments scientifiques de la France. Guy de la Brosse, médecin de Louis XIII, engagea ce prince à le fonder en 1625. Une foule de savants ont travaillé à en faire ce qu’il est aujourd’hui, entre autres Tournefort, Jussieu, Buffon, Daubenton, Fourcroy, Cuvier, Geoffroy-Saint-Hilaire, etc. Buffon, ce grand peintre de la nature, fit plus peut-être qu’aucun autre pour l’enrichissement du musée. Je parcourus les vastes galeries de botanique, de minéralogie, de géologie, de zoologie et d’anatomie ; je visitai la bibliothèque, l’amphithéâtre destiné aux cours publics, le jardin, les serres et la ménagerie, et jamais je ne compris mieux l’infinie variété dans l’unité de la nature.

Le cabinet d’anatomie comparée, créé pour ainsi dire par Cuvier, renferme des squelettes de toutes les espèces d’animaux, et embrasse les reptiles, les oiseaux et les poissons. Ce cabinet qui occupe une douzaine de salles, contient je ne sais plus combien de milliers de préparations anatomiques. Le corps de l’homme y est analysé dans toutes ses parties. Ses muscles, ses organes des sensations, de la circulation et de la sécrétion, ses viscères sont là développés sous vos yeux. Le cabinet de zoologie, qui est presque aussi spacieux, contient plus de 140,000 spécimens classés avec tant de clarté que l’on peut suivre toutes les gradations de la nature animale, depuis l’éponge jusqu’à l’homme. Plus de 50,000 échantillons forment la collection minéralogique et géologique. En parcourant les cabinets, les serres, la ménagerie et le jardin, on voit tous les genres et tous les grades depuis l’insecte microscopique jusqu’à l’animal le plus colossal vivant ou empaillé, depuis la plante la plus exiguë jusqu’à l’arbre le plus élevé. Les végétaux sont classés d’après leur nature et leur famille, de même que les animaux et les oiseaux empaillés. Les oiseaux et les animaux vivants occupent un coin du jardin.

Les cabinets d’histoire naturelle et de minéralogie sont, comme on voit, extrêmement riches et dignes en tout de la haute réputation scientifique de la France. La bibliothèque qui y est attachée embrasse toutes les parties du vaste royaume de la nature. Si l’homme peut prétendre à une étincelle du feu divin, c’est bien dans ce lieu qu’il doit aller en chercher les titres.

Après avoir visité le jardin, la bibliothèque, les cabinets remplis d’échantillons de tous les règnes de la nature, je me dirigeai vers le Labyrinthe, sentier qui conduit en serpentant au sommet d’un monticule ombragé par des sapins et un cèdre du Liban planté là en 1735, par Bernard de Jussieu. Du haut de ce monticule, couronné d’un kiosque, la vue découvre tout Paris. Tout près est le tombeau de Daubenton indiqué par quelques pierres brutes et une petite colonne tronquée. Ce qui me touche toujours en Europe, ce sont les monuments des grands hommes, ces tombeaux élevés par la reconnaissance et l’admiration et qui manquent presque totalement dans les pays nouveaux.

Le reste de ce chapitre que nous regrettons de ne pouvoir reproduire en entier est consacré à la description des monuments et des principales places de Paris, à une visite au cimetière du père Lachaise, et à des observations sur les salons de Paris, les théâtres, et sur l’agriculture et le commerce de la France.