Voyage pittoresque dans le Brésil/Fascicule IX

VOYAGE PITTORESQUE

DANS LE BRÉSIL.

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PORTRAITS ET COSTUMES.


L’Afrique fut dès les temps les plus anciens un marché d’esclaves, mais ce commerce ne prit une importance politique que par la découverte de l’Amérique. On croit fort généralement que le père las Casas, le protecteur des Indiens, fut le premier qui imagina l’importation des Nègres en Amérique, dans la vue de soulager les Indiens, qui n’étaient point de force à supporter les travaux que leur imposaient les conquérans. Néanmoins cette opinion est inexacte ; car à une époque antérieure celle où las Casas se déclara le protecteur des Indiens, on avait importé déjà des esclaves noirs à l’île d’Hispaniola. Nicolas Ovando, lorsqu’il prit le gouvernement de l’île, reçut, entre autres instructions, celle d’y faire venir beaucoup de Nègres pour les travaux des mines et des plantations. Cet ordre fut exécuté avec tant de zèle, qu’Ovando se vit bientôt contraint de prier le gouvernement de n’en plus envoyer, par le motif qu’ils échappaient facilement à leurs maîtres, et qu’ils allaient s’établir parmi les Indiens, auxquels ils communiquaient beaucoup de mauvaises habitudes. Peu de temps après, l’introduction des Nègres en Amérique fut effectivement défendue ; mais l’expérience prouva de jour en jour davantage, qu’il fallait absolument que, d’une manière quelconque, les Indiens fussent affranchis d’une partie des travaux que leur imposaient les conquérans, à moins qu’on ne voulût s’exposer à manquer bientôt entièrement d’ouvriers. Les Dominicains, qui dans toutes les occasions ont soutenu la cause des Indiens avec le plus grand zèle, et qui voulaient que les plantations et les mines d’Amérique fussent exploitées par des Nègres, disaient que ceux-ci l’emportaient tellement sur les Indiens par les forces physiques, qu’un Nègre à lui seul travaillait autant que quatre Indiens. Le licencié las Casas avait fait diverses autres propositions pour adoucir le sort de ces derniers, sans qu’une seule de ces propositions ait été jugée d’une exécution possible ; il se rangea donc enfin à l’avis des Dominicains, dans l’ordre desquels il entra dans la suite, et il le soutint de toute la considération que lui donnaient ses vertus et sa position sociale. Depuis lors, au moyen d’une légère rétribution pour le trésor royal, l’importation d’esclaves noirs fut admise dans le système colonial espagnol. Une philanthropie mal entendue a fait un crime de cette mesure, tant au généreux las Casas qu’au gouvernement espagnol, sans réfléchir que ce que pouvait avoir de blâmable était la faute du siècle et non celle des individus. Il leur reste le mérite d’avoir profité d’usages établis long-temps avant eux ; d’usages indépendants de leur volonté, pour éviter un mal nouveau et pour atteindre un bien qui était possible. Il ne serait pas juste de juger les intentions et les vues des auteurs d’une mesure d’après les suites qu’elle a entraînées plus tard. Par elle-même cette mesure n’avait rien qui pût l’empêcher d’être un bienfait pour les Européens, pour les Indiens et pour les Nègres eux-mêmes ; et si elle n’a pas eu pour effet d’arrêter l’anéantissement successif des habitants primitifs ; si dans ce moment les Européens éprouvent plus d’inconvénients qu’ils ne recueillent d’avantages de la présence des populations noires, il est certain néanmoins, cela dût-il paraître un paradoxe, il est certain, qu’à tout bien considérer, les Nègres gagnent à leur translation en Amérique, et que, vu la situation actuelle de l’Afrique, leur position est préférable à ce qu’elle serait dans cette contrée : du moins cela est-il hors de doute, quant aux colonies espagnoles et portugaises ; enfin, l’Amérique ouvre aux noirs des voies de civilisation, que l’on ne pourrait même aujourd’hui espérer d’établir en Afrique. Notre but n’est pas de donner ici l’histoire du commerce des esclaves qu’il nous suffise de dire que peu à peu toutes les nations de l’Europe y prirent part, comme on les vit peu à peu s’établir dans le Nouveau-Monde, et surtout dans les Indes occidentales. Les Allemands eux-mêmes, quoiqu’ils n’eussent avec ce nouveau monde aucune relation immédiate, encoururent à cet égard des reproches, et sous Charles-Quint plusieurs d’entre eux ont fait le commerce d’esclaves en Amérique. Herrera en cite deux, à raison des nombreuses plaintes qui de tous côtés s’élevaient contre leur avarice et leur cruauté : ce sont Henri Lieger et Jérôme Sayler.

On peut se faire une idée approximative du nombre de Nègres arrachés à l’Afrique depuis la découverte de l’Amérique, si l’on réfléchit que, pendant les dix dernières années, le Brésil à lui seul a reçu annuellement une importation de 80 000 Nègres. Vraisemblablement ce nombre doit être considéré comme maximum, car elle n’a dû s’accroître que lentement et à proportion de l’augmentation de la population blanche et de la culture des colonies. La proportion actuellement existante entre la population noire et la population blanche, entre les hommes libres et les esclaves de l’Amérique, importe plus à connaître que le compte exact de tous les Nègres qui y ont été amenés ; car c’est sur cette proportion que se règlent tous les besoins de circonstance et de localité, et toutes les mesures à prendre pour y répondre.

AMERIQUE SEPTENTRIONALE. Année. Blancs. Hommes de couleurs. Nègres. Indiens.
États-Unis 1820 7 793 008 1 769 456 400 000
Mexique 1824 1 360 000 2 070 000 8 400 3 430 000
Guatimala 1824 190 000 320 000 10 000 965 400
Possèssions britaniques 1822 1 038 000 inconnus. 5 000 inconnus.
AMERIQUE DU SUD.
Colombie 1824 600 000 720 000 470 000 854 600
Pérou 1795 136 311 285 841 40 336 608 911
Chili 1778 80 000 inconnus. 240 000 430 000
La Plata 1824 475 000 305 000 70 000 1 150 000
avec les Créoles.
Brésil 843 000 628 000 1 987 500 300 000
Guyanne française 1 025 1 982 13 200 10 000
Guyanne anglaise 3 421 3 220 109 349 inconnus.
Guyanne hollandaise 8 525 inconnus. 72 000 6 200
dont 3000 Juifs.
Indes occidentales 450 000 1 600 000

Ainsi que le prouvent ces indications, la disproportion des forces matérielles est immense dans beaucoup de parties de l’Amérique ; ce n’est pas une chose facile que d’expliquer comment il est possible qu’un si grand nombre de noirs soit contenu par un si petit nombre de blancs dans un tel état d’obéissance et d’esclavage, et cela, lors même qu’on tiendrait compte des avantages que donnent les armes ; les places fortes, la possession réelle de la puissance légale, et la facilité d’obtenir des secours d’Europe en cas d’insurrection des Nègres : l’expérience a prouvé que, si la force devait en décider, les Noirs l’emporteraient dans la plupart des colonies ; il faut donc que la durée d’un pareil ordre de choses repose sur une prépondérance morale. Cependant elle n’exclut pas la perfectibilité des Nègres, ni la possibilité qu’un jour ils deviennent les égaux des blancs. Comme on a voulu justifier, au moyen de l’infériorité physique et morale des Nègres, l’esclavage en lui-même et tous ses abus, il n’est pas étonnant que d’autre part des philanthropes aient attaqué ce fait et que dans leur enthousiasme pour les Nègres, ils soient allés si loin qu’ils aient nui à la bonne cause qu’ils défendaient tant par leurs exagérations, que par des conclusions trop générales, tirées de faits particuliers ; car leurs adversaires sont prompts à profiter du côté faible qu’on leur présente en ce genre de raisonnement. Qu’il existe des Nègres instruits et civilisés ; que l’on cite de leur part des actions généreuses, cela ne prouve rien ; l’existence de la république d’Haïti ne suffirait pas pour justifier tout ce qui a été dit à la louange des Nègres. Quand même nous accorderions que le mécanisme des gouvernemens d’Europe est en effet le chef-d’œuvre de l’esprit humain et de la civilisation, nous ne pourrions pas pour cela reconnaître qu’il faille un mérite aussi grand, des facultés aussi étendues, pour en imiter les ressorts. Il est évident que l’administration d’Haïti n’est, en dépit des formes républicaines, qu’une pure imitation de la bureaucratie européenne, telle qu’elle est née de la révolution française et du gouvernement impérial.

Au surplus, la véritable supériorité des blancs sur les Nègres n’est pas uniquement dans les choses extérieures. Si, par exemple, il s’agit d’instruction, l’on trouve non-seulement en Amérique, mais encore en Europe, des milliers de blancs qui ne sont pas aussi bien élevés, qui le sont même plus mal que des milliers de Nègres. Il s’agit plutôt d’une supériorité intrinsèque et organique ; elle crée entre le Nègre et le blanc les mêmes rapports, en quelque sorte, que ceux qui existent de la part de la femme ou de l’enfant envers l’homme. C’est ce qui est fort remarquable surtout dans le pouvoir exercé par le blanc sur le Nègre en fait de magnétisme animal. Cette supériorité s’expliquerait peut-être par une plus grande intensité du système nerveux, par une plus grande activité de ses fonctions, par une plus grande harmonie dans toutes les circonstances de la vie, du moins nous pouvons, en partant de faits connus, en conclure l’existence de ces qualités en notre faveur : tous les jours il arrive des choses qui, abstraction faite de l’avantage de la civilisation, prouvent une supériorité réelle et physique du blanc sur le Nègre, et nul n’est plus disposé à la reconnaître que le Nègre lui-même ; de sorte que, là même où la contrainte agit, il s’établit entre le Nègre et le blanc des relations qui tiennent beaucoup de celles du fils avec le père, et rien n’est plus facile à un bon maître que de convertir l’esclavage en un bienfait pour les deux parties. Que si l’on voulait conclure de cette infériorité du Nègre à la nécessité de l’esclavage on ferait peut-être mieux d’en tirer une autre conséquence ; c’est que le fait de cette prépondérance de la part du blanc dispenserait de la sanction légale, et que les seuls abus pourraient amener du danger ; car les noirs, tout en reconnaissant notre prééminence, ont cependant à leur disposition assez de forces physiques pour repousser violemment un joug trop pesant : une fois irrités et poussés à l’excès, ils ne connaissent plus de bornes ; les forces physiques des blancs cèdent alors à leur effroyable fureur comme il faut céder aux puissances de la nature. Le blanc est à son tour saisi d’une terreur semblable à celle que le Nègre éprouve dans ses relations ordinaires avec les blancs.

Mais tous ces raisonnemens sont aussi loin de conduire à un résultat satisfaisant que ceux sur les droits innés de l’humanité. En dernière analyse, la persuasion que l’homme a le droit d’être libre, ne peut reposer que sur une croyance qui est au-dessus de toute discussion ; et le droit qu’a le plus fort de régner sur le plus faible, est au moins aussi ancien que celui du plus faible de se rendre indépendant du fort. Or, c’est sur ce droit du plus fort que sont fondées les dispositions législatives qui font de l’esclave la propriété du maître. Si la liberté est sacrée, la propriété ne l’est pas moins. De la sorte les défenseurs des droits de l’homme n’auraient plus d’autre ressource que d’arracher par la force les esclaves à leurs maîtres ; car difficilement ils parviendraient à leur persuader qu’ils n’ont pas le droit de garder les noirs qu’ils ont achetés ou hérités, parce que ces Nègres ont de leur côté le droit d’être libres. Il est à la fois plus facile et plus avantageux pour les Nègres dont on veut faire le bien, de persuader aux colons, et en général aux partisans de l’esclavage, que leur propre intérêt leur commande de renoncer à leurs prétentions, ou du moins en partie. Tant qu’on ne l’aura pas fait, nulle discussion sur la nécessité d’émanciper les esclaves, sur les moyens de l’entreprendre et de l’accomplir de la manière la plus satisfaisante pour tous ; car elle n’aura d’autre résultat que de mettre en opposition les droits naturels et les droits créés par la loi ; et ces derniers auront toujours l’avantage d’une démonstration claire et d’une possession actuelle.

Que l’émancipation des esclave noirs en Amérique soit de droit naturel ou non, qu’elle lèse ou non les avantages assurés par la loi aux propriétaires, elle est dans tous les cas la conséquence de l’action de forces une fois existantes, et les propriétaires ne peuvent conserver ces avantages qu’en renonçant volontairement à une partie de leurs droits.

Que les propriétaires rendent la position de leurs esclaves aussi supportable que possible, qu’ils aient la volonté de leur procurer le bien-être physique et moral (et c’est ce qu’ils font avec d’autant plus d’empressement que leur intérêt le commande) ; il en résultera, il est vrai, que ces esclaves sentiront moins le poids de l’oppression ; mais que l’on se garde de croire que, dès qu’ils auront acquis la propriété et l’habileté (conséquences nécessaires d’un bon traitement) ; que, dès que la supériorité du blanc aura disparu ou diminué, ces noirs puissent être maintenus plus long-temps dans l’état d’infériorité légale où les met l’esclavage ; ils sentiront le besoin de l’égalité dès qu’ils auront les moyens de l’obtenir. Maintenir les esclaves dans l’infériorité où ils sont placés, pourrait bien être une chose impossible en elle-même ; et si par des moyens violens, par des traitements sévères par tout ce qui rend l’esclavage encore plus dur, on essayait d’y parvenir, le seul résultat d’un pareil système serait que les esclaves s’affranchiraient de ces maux insupportables par la force : alors les insurrections et des violences incompatibles avec toute espèce d’ordre civil, des violences qui doivent conduire tout gouvernement à sa perte, deviendraient inévitables, et cela lors même que les esclaves ne réussiraient pas à prendre le dessus. Néanmoins cela ne manquerait pas d’arriver tôt ou tard, puisque la force brute à laquelle on s’en remettrait se trouverait de leur côté. Il n’y a donc plus de choix : ou bien il faut émanciper les Nègres qui sont préparés à la liberté civile, à l’égalité des droits, ou bien il faut se soumettre à souffrir l’explosion de toutes les passions dont la nature animale de l’homme est capable.

Mais l’on soutient que l’agriculture, dans les parties de l’Amérique où elle se fait par les mains des esclaves, ne peut subsister que par l’esclavage, et que, par suite de l’émancipation, à quelque condition que celle-ci fût faite, les colons iraient à leur perte. Lors même que cette assertion serait fondée, elle ne prouverait rien contre l’émancipation ; car, d’après ce que nous avons dit, il est des faits qui la rendent inévitable, et il ne nous reste que le choix entre deux chemins qui y conduisent également. D’un autre côté il n’est pas difficile de se convaincre combien peu cette assertion est fondée. L’émancipation ne pourrait avoir d’autre suite que de substituer les travaux de journaliers libres à ceux des esclaves, et l’expérience prouve qu’ils sont bien supérieurs. Un fait reconnu dans les pays où l’on se sert des uns et des autres, c’est que, toutes choses étant d’ailleurs égales, une pièce de terre cultivée par des hommes libres est d’une valeur bien supérieure à celle que cultivent les esclaves. Les raisons pour lesquelles un ouvrier libre accomplit le travail plus vite et mieux que l’esclave, sont trop évidentes pour qu’il soit besoin de les développer. L’augmentation du revenu du sol, l’économie du prix d’achat de l’esclave, décideraient bientôt le colon en faveur du salaire qu’il faut payer à l’ouvrier, et quand on objecte le taux élevé des journées des hommes libres, on oublie que ce prix est précisément la conséquence de l’esclavage. Celui-ci a, de plus, deux inconvéniens fort graves : d’abord il place les plus grandes valeurs dans une propriété très-peu sûre ; car la mort ou la fuite des esclaves peuvent causer des pertes fort considérables, et en même temps elles diminuent dans la même proportion la propriété la plus sûre, celle du fonds. En second lieu, l’esclavage est un obstacle à toute espèce d’amélioration, soit en agriculture soit en toute autre affaire ; car le but des améliorations est toujours d’épargner la main-d’œuvre et d’atteindre aux plus grands résultats possibles, en y employant moins de temps, de force et d’argent : l’esclave cependant, dès qu’il ne travaille pas, dès qu’une machine le remplace, n’est plus qu’un capital mort. Mais, disent quelques défenseurs de l’esclavage, quand une fois nous n’aurons plus d’esclaves, nous ne trouverons plus d’ouvriers ; car les Nègres sont tellement paresseux, qu’ils ne travaillent que quand on les y contraint. Cette assertion est si absurde qu’elle n’a pas besoin d’être réfutée. L’expérience de tous les jours ne montre-t-elle pas avec quelle infatigable activité les esclaves mettent à profit chaque instant de liberté, même ceux qui leur sont concédés pour se reposer des travaux les plus pénibles ! Ne les emploient-ils pas à gagner de quoi alléger leur situation, de quoi racheter un jour leur liberté ? Que l’on s’en rapporte avec confiance au vœu inné dans tout homme d’améliorer sa position et celle des siens ; il déterminera le Nègre comme les autres à chercher son existence dans le travail. Rien n’est plus insensé que de croire que l’émancipation progressive des esclaves puisse être dangereuse pour les blancs et pour l’État. Il faut, ou ne point connaître le véritable état des choses, ou le dénaturer à dessein, pour prétendre que les Nègres visent à la domination, et qu’ils menacent la vie et la propriété des blancs. Le Nègre affranchi prend de lui-même sa place dans les classes inférieures de la société, c’est celle que lui assigne sa capacité et sa fortune ; sa plus grande ambition est dans l’espoir que ses descendans un jour, au moyen d’unions avec des races moins noires, se confondront dans la population des hommes de couleur, et de la sorte atteindront à la possibilité d’obtenir des emplois et des dignités. C’est l’État qui gagnera le plus à l’émancipation progressive des esclaves ; car elle aura pour effet de substituer à une population dépourvue de possessions, ou du moins très-pauvre, et qui dans certaines circonstances peut devenir fort redoutable, une population aisée, prête à contribuer à tous les besoins de la société et à la défense du pays. L’accroissement de la population d’Haïti, après d’aussi horribles dévastations, prouve quels avantages aurait pour l’Europe la cessation de l’esclavage. Que l’on réfléchisse combien petite est la consommation des produits de l’industrie de la part d’un peuple pauvre, né esclave, et combien d’importance acquerrait cette consommation de la part d’un peuple de Nègres libres. À estimer les choses à leur moindre valeur, elle doublerait en peu d’années.

Nul observateur ne peut douter de la nécessité ni de l’utilité de l’émancipation progressive des esclaves noirs. Les moyens d’y parvenir sont très-simples : au Brésil, surtout on pourrait arriver aux résultats les plus heureux sans aucune mesure extraordinaire, sans blesser aucun droit, aucun intérêt et en très-peu de temps. D’une part il suffirait d’empêcher l’importation de nouveaux esclaves, en satisfaisant sur ce point à des engagemens déjà pris, en appliquant avec rigueur les lois existantes ; et d’autre part il faudrait par des lois sages, et par une stricte observation de ces lois, assurer aux esclaves tous les bienfaits intellectuels et physiques qui sont compatibles avec leur position, et auxquels ils participent déjà en grande partie par la douceur des mœurs et par l’effet de l’opinion publique. Il faudrait aussi se débarrasser de tous les obstacles qui rendent l’émancipation difficile (il n’en existe que bien peu ou point du tout au Brésil), et donner un libre cours aux influences et aux intérêts naturels, qui amènent tant d’occasions, de moyens et de formes d’émancipation, que l’esclavage disparaîtra même sans la faveur de la loi, dès qu’il ne recevra plus d’élémens nouveaux de l’extérieur.

Les races auxquelles appartiennent la plupart des Nègres importés au Brésil, sont les Angolas, les Congos, les Rebolos, les Angicos, les Minas de la côte occidentale d’Afrique, et les Mosambiques de la côte orientale. Ils se distinguent, ainsi que le font voir les têtes de Nègres que nous donnons ici, tant par des tatouages particuliers au visage, que par des différences très-marquées de la physionomie : il en est même qui ont très-peu de ce que l’on regarde ordinairement comme signes caractéristiques de la race africaine. Ces Nègres se distinguent aussi par les variétés de leurs dispositions et de leurs caractères, variétés qui dans l’opinion publique ont établi pour telle ou telle race, telle ou telle réputation plus ou moins bonne ou mauvaise. C’est ainsi, par exemple, que les Minas et les Angolas passent pour les meilleurs esclaves : ils sont doux, faciles à instruire, et il est aisé, au moyen d’un traitement modéré, de se les attacher ; ce sont eux aussi qui par leur activité, leur économie, sont le plus souvent à même de racheter leur liberté. Sous plusieurs rapports les Congos ressemblent aux Angolas : toutefois ils sont plus lourds, et on les emploie de préférence aux gros ouvrages de la campagne. Les Rebolos diffèrent peu de ces deux races, et les langues de toutes trois ont beaucoup d’analogie : cependant les Rebolos sont plus entêtés et plus disposés au désespoir et au découragement que les deux autres espèces. Les Angicos sont plus grands et mieux bâtis ; ils ont dans le visage moins de traits africains ; ils sont plus courageux, plus rusés, et ils aiment davantage la liberté. Il faut les traiter particulièrement bien, si l’on ne veut qu’ils prennent la fuite ou se révoltent. Les Minas se distinguent par trois incisions en demi-cercle, qui du coin de la bouche vont jusqu’à l’oreille. Les Gabanis sont plus sauvages et plus difficiles à instruire que les précédens ; c’est parmi eux que la mortalité est la plus forte, parce qu’ils s’accoutument plus difficilement au travail et à l’esclavage. Du reste ils sont grands, bien faits, leur peau est d’un noir luisant, et les traits de leur visage ont peu le caractère africain. Les Mongolos sont ceux qu’on estime le moins : ils sont pour la plupart petits, faibles, hideux, paresseux et découragés ; leur couleur tire sur le brun : ce sont ceux qu’on achète au plus bas prix.


CAPITAO DO MATTO.


NEGROS NOVOS.


MOZAMBIQUE.

BENGUELA. ANGOLA.
CONGO. MONJOLO.


CRÉOLES.