Voyage et recherches dans la Grèce

VOYAGE
ET
RECHERCHES DANS LA GRÈCE,
PAR M. LE CHEVALIER BRONSTED[1].

Des Grecs modernes et du gouvernement qui convient à ce pays.

Au moment où tous les regards sont tournés vers la Grèce, et lorsque l’on émet les opinions les plus contradictoires sur la convenance du gouvernement que lui impose l’Europe, nos lecteurs nous sauront gré de mettre sous leurs yeux les documens qui peuvent éclairer cette question. À ce titre, les extraits du voyage de M. le chevalier Brondsted que nous publions aujourd’hui nous semblent d’une haute importance.

M. Brondsted a visité la Grèce dans le cours des années 1810 à 1813 ; il passa encore l’année 1820 dans les îles Ioniennes et en Albanie, et n’a cessé depuis d’entretenir des relations avec ce pays. Un si long séjour, une connaissance parfaite de la langue, des excursions dans les îles et dans les cantons les moins explorés, l’ont mis à même de recueillir une foule de renseignemens précieux, tant sur les monumens antiques de toute espèce, objet particulier de ses études, que sur le caractère des habitans actuels. M. Brondsted a vu les Grecs avant l’insurrection, alors que les secousses de la guerre civile ne leur avaient point communiqué des vices, des vertus, des passions éphémères, et dont l’action ne survivra pas aux circonstances qui les ont fait naître. On peut facilement se convaincre, par la lecture de son ouvrage, que le caractère et la situation morale de cette nation ont spécialement attiré ses regards, et que ses recherches ont été dirigées par une tendre sollicitude pour le beau nom de la Grèce et son ancienne gloire. Il résulte donc de ses observations un tableau complet des mœurs et de l’état social qu’ont donnés à ce peuple tant de siècles d’esclavage.

Nous empruntons les détails suivans à l’ouvrage de M. Brondsted sur la Grèce : cet ouvrage, sans contredit le plus neuf et le plus original qui ait paru sur cette matière, est encore peu connu en France ; mais l’Allemagne l’a déjà placé au nombre de ceux qui font faire un pas rapide à la science et qui honorent l’esprit humain.

« Je ne connais point, dit M. Brondsted, de pays en Europe dont les grands aspects se marient si merveilleusement avec la mer, et il n’en est certainement aucun qui réunisse à un si haut degré les beautés les plus diverses. J’en citerai un exemple, non pour parler ici d’une contrée particulièrement célèbre chez les anciens et tant vantée par leurs poètes, mais parce qu’elle se présente ici plus vivement à mon imagination. Dans l’automne de 1811, M. le baron de Stackelberg et moi, nous étions partis des vastes et fertiles plaines de la Thessalie, de Volo et Larisse, pour suivre le cours du Pénée jusqu’à son embouchure. Quand nous arrivâmes à l’entrée de la vallée de Tempé, près de Baba et d’Ampelakia, il nous sembla que nous étions transportés subitement des fertiles plaines du Danemarck, couvertes de moissons ondoyantes, au milieu de tout le luxe d’une nature italienne. Nous n’avions pas avancé un mille plus loin dans le vallon, que déjà cet aspect s’était changé dans le plus sublime paysage de montagnes d’un canton suisse. Presque partout dans la Grèce d’Europe, cette richesse de formes, cette parure diversifiée de la nature saisissent et charment le voyageur. Au contraire, il m’a paru que la Grèce d’Asie, en partant de Lampsaque, et passant par Troie, la Mysie, l’Éolie, etc., jusqu’à Éphèse, offre un caractère plus constant, plus semblable à lui-même et moins hardi. »

Aussi un sentiment profond d’amour pour leur beau sol et leur riche nature n’a jamais cessé d’être le caractère du peuple grec. « L’enthousiasme des insulaires pour leur pays est surtout remarquable. Il faut en chercher la cause, non-seulement dans l’attachement ordinaire au sol natal, mais encore dans des circonstances locales, surtout dans l’influence qu’exerce depuis l’enfance sur le physique et le moral d’un peuple doué d’un naturel heureux, sensible et mobile, une mer superbe, remarquable par sa variété infinie, par la richesse des teintes, et par un horizon immense. L’exclamation de Callirhoé (Chariton, liv. v) est donc aussi vraie que pathétique, lorsque, sur le point d’être conduite dans l’intérieur de l’Asie et à Babylone, elle s’écrie : « On m’entraîne sur les bords de l’Euphrate, et, pauvre insulaire, on m’enferme au milieu de terres barbares, là où il n’y a pas de mer. »

« Certes, cette prédilection pour les rochers de la mer qui leur appartiennent, cet amour d’hommes spirituels robustes et vifs pour leurs foyers est un sentiment estimable, digne d’intérêt, satisfaisant à observer, parce qu’il limite leurs désirs, exclut l’envie de posséder le bien d’autrui, et ajoute au plaisir de la jouissance celui de la modération même qui y préside. Aussi les insulaires ont-ils bien raison de dire souvent que leur mer si belle leur tient lieu de beaucoup de choses. Un jour, pendant que j’admirais, sur les hauteurs d’Ampelakia, auprès de la vallée de Tempé, la beauté du paysage qui se présentait devant moi, les masses imposantes de l’Olympe et le fleuve qui en baignait le pied, un Grec de l’île de Tino qui était présent, me dit :

« Certes, c’est beau ; mais où est la mer ? Elle est loin d’ici ! »

Le patriotisme des Grecs modernes ne s’est malheureusement pas étendu jusque sur leurs monumens, dont la conservation leur est médiocrement à cœur. « L’homme abruti a toujours du plaisir quand il peut faire rouler dans l’abyme quelque grosse pierre antique, et je crois que ce phénomène peut s’expliquer par une observation psychologique. L’homme aime à se croire quelque chose et à se voir libre, à se sentir indépendant et surtout à agir par lui-même ; mais l’homme encore brut, qui manque à la fois de force morale pour se soumettre et de moyens pour agir, et qui, ne portant qu’à regret le joug de la civilisation, se trouve réduit à n’être que l’agent des volontés d’un autre, ce qui, au reste, est parfaitement en règle ; cet homme, dis-je, révolté de l’abaissement de sa destinée, cherche tous les moyens de s’y soustraire. Il porte tout naturellement en lui un désir de destruction, parce qu’enfin détruire, c’est agir, c’est faire un acte de volonté. Cet ignorant, ce barbare recouvre, à ce qu’il lui semble, un sentiment d’indépendance en faisant disparaître ces mêmes objets que révèrent des hommes placés plus haut que lui dans l’échelle de la civilisation, objets qu’il ne peut comprendre et encore moins créer ou façonner Voilà pourquoi les gouvernemens des peuples civilisés doivent veiller à la conservation des monumens de tout genre qui marquent les pas de l’esprit humain, et ceux surtout qui sont le plus exposés aux attaques de la barbarie ont le plus de droits à leur constante sollicitude. C’est l’absence totale de ces mesures dans la Grèce qui peut excuser en quelque sorte certaines entreprises révoltantes sans doute, quand on les considère en elles-mêmes, par exemple, celle de lord Elgin à Athènes, dont on a tant parlé. »

On voit que M. Brondsted ne se dissimule pas la décadence et la dégradation dans laquelle est tombée la Grèce. « Je demanderai seulement, ajoute-t-il, si un peuple européen, quel qu’il soit, après quatre siècles d’un honteux esclavage, ne serait pas encore plus dégénéré ? Telle est, à moi, ma conviction intime et profonde. J’ai éprouvé si souvent et si vivement l’influence désorganisatrice du système des Turcs sur tout ce qui s’appelle raya, qu’après un séjour de trois ans dans la plupart des provinces grecques, j’ai dû m’étonner de ce que les Grecs ne sont pas dégénérés tout-à-fait, bien plus que de ce qu’ils paraissent dégénérés. Mais laissant de côté pour le moment cette question grave et sérieuse, je me bornerai à rappeler ici une comparaison bien simple d’un écrivain ancien : c’est que, si un généreux coursier prend de mauvaises habitudes, on le conduit au manége pour le confier au maître ; ce n’est donc pas aux ignobles valets du maître, encore moins aux loups dévorans qu’on l’envoie. Si un peuple issu de la plus noble race humaine, un peuple ancien, chrétien et doué de grandes facultés, a subi un long esclavage et des malheurs de toute espèce ; si ce peuple affaibli, par ses revers, est déchu de son antique civilisation et de son ancienne prospérité, qu’on l’aide par des moyens humains et sages, tels qu’ils conviennent aux nations chrétiennes, à se rétablir dans sa condition primitive, à se donner un état et une loi ; car la loi et l’état sont en effet le remède et l’école des peuples : or ni l’un ni l’autre ne se trouvent dans le chaos qu’on appelle l’empire turc. Est-ce que l’édifice délabré qu’on nomme la Sublime-Porte se soutient autrement depuis un siècle, qu’au moyen de deux cariatides étrangères, l’intrigue et la jalousie réciproque des chrétiens ? Il est vrai que ces cariatides sont robustes et vigoureuses, et qu’elles ont de larges épaules. »

Les vœux de M. Brondsted pour le rétablissement de la Grèce ont en partie été exaucés, mais les maux causés à ce pays par la domination ottomane sont vivans, et la plaie saigne encore. « En effet, le despotisme des Osmanlis, forme de gouvernement innée pour ainsi dire, et organique chez cette race d’hommes, n’étant par sa nature même convenable qu’à un petit peuple nomade, avec des mœurs patriarcales et très-simples, se trouve nécessairement forcé, dès qu’on l’applique à un grand empire composé de mille élémens hétérogènes, de soumettre la plupart des choses à l’arbitraire de quelques individus. Or les individus passent, et le bien produit par leur bonne volonté périt tôt ou tard avec eux. » Les mesures malfaisantes au contraire laissent une trace profonde ; elles durent, et leur effet se continue. Ainsi les Grecs, soumis à des barbares, ont désappris graduellement leur belle civilisation ; l’inappréciable avantage qu’ils ont conservé sur leurs oppresseurs, ce n’est pas d’être civilisés, c’est d’être susceptibles de civilisation ; c’est, en un mot, d’avoir l’aptitude à redevenir ce qu’ils ont été.

Mais tout est à faire en Grèce. « Il faut que tout, dans ce malheureux pays, sorte d’abord du néant, le génie comme le pouvoir, et la liberté comme l’ordre. Quiconque a vu la Grèce avec des yeux non prévenus ne s’abandonnera pas à une illusion agréable, mais dangereuse ; il ne croira point que ce pays désorganisé soit en état d’effectuer et de fonder d’une manière durable, par ses propres moyens, une véritable régénération, c’est-à-dire une organisation sage et heureuse, et j’avoue que je n’ai jamais pu concevoir un espoir semblable. Ce n’est pas que le peuple manque de capacité et de bravoure, il possède sûrement ces qualités à un haut degré ; mais c’est, il faut bien le dire, que deux péchés originels sont inhérens aux Grecs, la vanité et la versatilité. Voilà des matières combustibles, fécondes en malheurs, et auxquelles l’excessif égoïsme de quelques chefs ne travaille incessamment qu’à mettre le feu.

« Des hommes sages et généreux à qui la Providence a confié la direction des peuples, ne se laisseront détourner ni par le verbiage de prétendus amis, ni par des rapports contradictoires, qui ne peuvent que tromper les esprits sur la véritable situation des choses, et que refroidir le zèle des vrais amis de la cause des Grecs. En Allemagne et ailleurs, il a paru dans les dernières années plusieurs petits écrits pour la plupart rédigés par des jeunes gens qui, s’étant rendus en Morée avec de la bonne volonté, mais sans aucune véritable vocation, et s’y étant vus trompés dans leur attente, ont, à leur retour, qui a suivi de près leur départ, condamné les Grecs sans avoir, à proprement parler, entrevu seulement la nation grecque. En effet, dans toute révolution populaire, c’est d’abord la populace, la lie du peuple qui entre en mouvement ; et comment pouvait-il en être autrement dans un pays entièrement désorganisé par un esclavage et par une misère de tant de siècles ? Mais c’est une grande erreur, malheureusement aussi une méprise trop commune, que de s’imaginer qu’on a vu le peuple là où s’agite la populace. Lorsque le torrent se précipite du haut de la montagne, il détache d’abord les végétaux légers et la poussière du sol ; mais cette masse confuse et superficielle, entraînée par le torrent, ne fournira point au naturaliste des lumières suffisantes sur la véritable nature de la montagne, sur les rapports minéralogiques et sur les parties intégrantes du sol ; il attendra prudemment que la tempête ait cessé et que les eaux soient écoulées, pour faire ses recherches avec tout le soin et toute la maturité qu’elles comportent. »

Un des vices inhérens aux Grecs modernes, c’est un amour effréné de la piraterie. M. Brondsted raconte quelques faits de cette nature dont il fut témoin en 1811. « Après un séjour de sept à huit semaines dans l’île de Zéa, voulant retourner à Athènes, nous hâtâmes les préparatifs de notre départ. Mais il était décidé que nous ne quitterions pas Zéa, sans y voir de près un exemple des tristes effets de la désorganisation civile et morale, que le voyageur observe dans ces contrées avec un sentiment bien douloureux.

» Les tempêtes avaient à peine cessé vers la fin de février, et les vents du nord-ouest commençaient à ramener le beau temps, que déjà plusieurs bâtimens de pirates apparurent au cap Colonne et sous Macronisi. Les forbans firent une descente dans cette île déserte, qui n’est plus qu’un pâturage appartenant aux Zéotes ; ils abattirent une quantité de brebis et de chèvres, et maltraitèrent les bergers. Une capture plus riche suivit de près. Un bateau zéote, chargé d’huile, venant d’Égine et se rendant à Andros, fut pris par un de ces forbans qui le conduisit à Zéa même, où il s’arrêta à la petite baie du nord (auprès de Spanopoulo) ; de là il entama des négociations pour la rançon, et demanda mille piastres pour rendre la prise. Comme la cargaison en valait le triple, le pauvre batelier se donna toutes les peines imaginables pour recueillir à Zéa le montant de la rançon, ne demandant l’argent que pour quelques jours, jusqu’à ce qu’il eût conduit la cargaison à Andros. L’essai fait par un bâtiment de commerce anglais (capitaine Lothrington) qui se trouvait dans le port de Zéa, de surprendre le pirate à l’aide d’une chaloupe bien armée, essai que nous secondâmes de notre mieux, n’eut pas de succès. Le brigand, ayant toujours quelques vedettes placées sur le rocher voisin, voyait à peine un grand bateau s’avancer hors du port à coups de rames, qu’il se doutait de suite que c’était à lui qu’on en voulait, et il prenait rapidement avec sa proie la fuite vers Thermia. Tandis que Lothrington était obligé de ramer contre le vent et le courant, jusqu’à la pointe la plus septentrionale de l’île, le pirate gagnait tant d’avance à l’aide du plus beau vent du nord, qu’il n’était plus possible de le rejoindre. Le lendemain, il reparaissait dans une autre baie à la côte orientale de l’île et au nord des ruines de Carthua, et il renouait les négociations. Un généreux Zéote avança enfin à son compatriote, le pauvre batelier, les mille piastres, montant de la rançon (j’ignore sur quelle hypothèque), et moyennant l’honnête intérêt de deux cents piastres pour huit jours. Le bateau fut relâché alors, et le pirate disparut. L’affaire de la rançon ne parvint à notre connaissance que plus tard, et nous eûmes lieu de soupçonner qu’on nous en fit mystère, de peur que nous ne prêtassions l’argent à l’homme embarrassé, et que nous ne fissions tort à l’usurier zéote, allié de certaines gens qui nous entouraient. Deux jours après, un autre pirate passa en plein jour tout près du port, et le lendemain, étant à Carthua, où j’avais encore quelques affaires, je fus témoin de la prise d’un bateau venant, à ce qu’il paraît, de Syros, et qu’un troisième brigand conduisit à Thermia.

Il ne faut pas s’imaginer que les kaïki des pirates, qui dans ces parages causent tant de mal, gênent les relations, bloquent, jusqu’à un certain point, pendant des mois, des îles entières, maltraitent quelquefois de la manière la plus affreuse leurs prisonniers, les mutilent et même les tuent ; il ne faut pas s’imaginer, dis-je, que ces forbans, soient tous Maniotes bien armés et bien équipés ; point du tout : c’est ordinairement un ramas de misérables, aussi lâches que mal armés, qui, accourus de tous les coins, se dispersent de nouveau au moindre danger, ou après quelque bonne prise. »

Ils étaient cependant redoutables sous le gouvernement turc. Aujourd’hui que l’Europe est intervenue dans les affaires de la Grèce et l’a prise sous sa protection, le premier soin du nouveau maître qu’elle lui a donné sera sans doute d’appliquer à ce mal les remèdes les plus prompts et les plus actifs, et de rendre au commerce de l’Archipel la sécurité dont il a besoin. Sous ce rapport, comme sous beaucoup d’autres, l’assistance des puissances européennes est nécessaire à la Grèce, et l’on peut dire, en général, qu’il n’y avait pour ce pays aucune chance de salut, si les rois chrétiens ne lui avaient tendu une main secourable. Maintenant, en lui imposant pour monarque un prince de leur sang, ont-ils consulté ses vrais intérêts ? Sur cette question, qu’on n’agitait pas encore diplomatiquement, M. Brondsted se prononçait, il y a cinq ans, de la manière suivante :

« La forme monarchique, quelque bonne et heureuse qu’elle puisse être pour beaucoup de pays et de peuples, ne convient pas du tout à la Grèce ; elle ne s’adaptait pas à son état ancien, elle ne convient sûrement pas davantage à la Grèce actuelle, parce qu’elle est directement contraire au caractère de ce peuple, et ne ferait que nuire à ses bonnes qualités, tout en favorisant les mauvaises. En effet, le peuple grec, vif, remuant, actif et vain, a besoin, pour développer et mettre à profit ses plus heureuses facultés, d’un grand nombre de points centraux d’où les honneurs et les hommages, les encouragemens et les récompenses dues au mérite et au talent, partent facilement et souvent, comme la lumière et la chaleur partent d’un foyer peu éloigné ; il faut surtout dans la Grèce, pour entretenir l’activité publique des individus, et pour lui donner une direction patriotique et morale, que l’état puisse offrir aux citoyens un grand nombre de sphères peu étendues, que le succès du bien soit fréquent, l’effet prompt, et le contrôle toujours présent et facile ; en un mot, il faut à ce peuple beaucoup de petites administrations communales et libres. Mais par quel lien toutes ces petites républiques pourraient-elles être réunies en un tout, de telle sorte qu’il y ait une garantie suffisante pour la concorde du dedans et la sûreté du dehors ? Voilà assurément une question difficile, à laquelle les anciens eux-mêmes et leur histoire n’ont peut-être pas répondu d’une manière tout-à-fait satisfaisante ; mais voici des données que ne contestent pas les personnes qui connaissent l’esprit et l’histoire de ce peuple. Dans une grande cour qui régirait toute la Grèce, la finesse des Grecs dégénérera toujours en ruse et en fourberie ; et sans la publicité de l’administration, sans la liberté de la discussion, enfin sans l’influence des paroles et des actions des individus sur les affaires nationales, le talent se perdra infailliblement dans ce pays. Voilà pourquoi le peuple hellénique, malgré toute la richesse de la nature et l’énergie individuelle, n’a rien produit d’important ni sous les Romains, ni sous les Turcs. Exoriare aliquis…! »

Tel est le résultat auquel un long séjour parmi les Grecs, et une étude sérieuse de leur caractère national, conduisaient un homme d’un esprit juste et droit, sans préjugés, ni préoccupation aucune d’intérêt ou de parti. M. Brondsted a-t-il mieux jugé la Grèce que ceux qui se sont avisés d’y improviser une monarchie taillée sur le patron de celles de la vieille Europe ? L’avenir nous l’apprendra. Faisons des vœux toutefois pour que notre savant auteur se trompe dans ses conjectures, pour que la Grèce n’ait pas sa guerre civile après sa guerre d’indépendance, et qu’elle ne retombe pas, par une funeste imprudence, dans un abîme plus profond que celui dont la charité européenne l’a fait sortir.


d’Her…
  1. Paris, Jules Renouard, rue de Tournon, no 6.