Voyage en Orient (Nerval)/Appendice/VIII

Calmann Lévy (Œuvres complètes de Gérard de Nerval III. Voyage en Orient, IIp. 277-279).


VIII — POPULATION DE L’ÉGYPTE


À l’exception de la capitale et de quelques autres villes, l’Égypte a peu de belles maisons. La demeure du bas peuple et surtout celle du paysan est d’une structure misérable ; les maisons sont ordinairement construites en briques non cuites, cimentées avec de la boue, et ce ne sont souvent que des cabanes. La plupart sont composées de deux pièces, mais il est rare qu’elles aient deux étages. Dans la basse Égypte, on voit généralement dans l’une de ces pièces, et vis-à-vis, mais aussi loin que possible de l’entrée, un four, nommé fum, qui occupe toute la largeur de l’extrémité de la pièce. Ces fours ressemblent à un grand banc ; ils sont voûtés intérieurement, se trouvent à hauteur d’appui, et leur couverture est plate. Comme il est rare que les habitants de semblables maisons possèdent des couvertures, l’hiver, après avoir allumé leur four, ils se couchent dessus. Chez quelques-uns d’entre eux, il n’y a que le mari et la femme qui jouissent de ce privilège ; les enfants couchent alors à terre. Les chambres ont de petites ouvertures au haut du mur pour laisser entrer le jour et faire circuler l’air ; quelquefois, ces ouvertures sont garnies de grillages en bois. Les toits sont construits de branches de palmier et de feuilles de cet arbre, ou bien de tiges de millet, etc., et recouvertes d’un enduit composé de boue et de paille hachée. L’ameublement se compose d’une natte et quelquefois de deux nattes en guise de lit, de quelques vases en terre et d’un moulin à main pour le blé. L’on voit dans beaucoup de villages de grands pigeonniers carrés placés sur les toits, et dont les parois, ainsi que cela se pratiquait pour les anciens édifices égyptiens, sont légèrement inclinées vers l’intérieur ; souvent, on donne à ces pigeonniers la forme d’un pain de sucre ; ils sont construits de briques non cuites, de boue et de pots ovales ayant une large ouverture à l’extérieur et un petit trou à l’autre extrémité. Chaque couple de pigeons occupe un pot séparé. La plupart des villages égyptiens sont situés sur des éminences formées de décombres, qui les mettent à quelques pieds au-dessus de la hauteur des inondations ; ils sont quelquefois entourés de palmiers. Les décombres avec lesquels ils forment ces éminences proviennent des matériaux d’anciennes cabanes ; on remarque qu’elles semblent s’élever presque au même degré que le niveau des alluvions et le lit de la rivière.

Il est difficile de constater la population d’un pays où l’on n’inscrit ni les naissances ni les décès. Il y a quelques années qu’on a voulu établir un calcul à cet égard, en prenant pour base le nombre de maisons qui couvrent l’Égypte, et la supposition que, dans la capitale, chaque maison contient huit personnes, et qu’ailleurs, dans les provinces, elle n’en contient que six. Ce calcul peut approcher assez bien de la vérité ; cependant le résultat des observations faites ne donne pour les villes telles que Alexandrie, Boilaq et Masr-al-Kahirah qu’une moyenne d’au moins cinq personnes ; Rashyed (Rosette) est à moitié déserte.

Quant à la ville de Dimya (Damiette), elle est populeuse et peut bien contenir six personnes par maison ; si l’on n’admettait pas ces calculs, on n’atteindrait guère au chiffre supposé du nombre des habitants du pays, et l’addition d’une ou de deux personnes par maison, dans chacune de ces villes, ne peut avoir une bien grande influence sur la supputation de toute la population égyptienne, que l’on a estimée à un peu plus de 2,500,000 âmes. Dans ce nombre, on compte 1,200,000 mâles, dont un tiers ou 400,000 sont propres au service militaire. Les différentes classes dont se compose principalement cette population sont à peu près les suivantes : Égyptiens muslims (fellahs ou paysans, et habitants des villes), 1,750,000 ; Égyptiens chrétiens (Cophtes), 150,000 ; Osmanlis ou Turcs, 10,000 ; Syriens, 5,000 ; Grecs, 5,000 ; Arméniens, 2,000 ; juifs, 5,000.

La classification du reste, s’élevant à environ 70,000 âmes, et qui se compose d’Arabes occidentaux, de Nubiens, d’esclaves nègres, de mamelouks (ou esclaves mâles), de femmes blanches esclaves, de Francs, est très-difficile. Nous ne comprenons pas ici dans le nombre de la population égyptienne les Arabes des déserts voisins.

Les Égyptiens muslims, copthes, syriens et juifs d’Égypte, ne parlent, à peu d’exceptions près, que la langue arabe, qui est aussi celle que parlent ordinairement les étrangers établis dans le pays. Les Nubiens, entre eux, parlent leur propre idiome.

Le Caire contient environ 300,000 âmes. On serait bien trompé, si l’on voulait juger de la population de cette ville par la foule qui se porte dans les principales rues et les marchés ; car les autres rues et quartiers sont beaucoup moins fréquentés.