Voyage de l’Atlantique au Pacifique/Avis du traducteur

AVIS DU TRADUCTEUR.


Le livre que nous présentons au public est intéressant par les récits variés qu’il contient, et important parce qu’il expose les résultats d’une étude utile et d’une tentative généreuse que les auteurs s’étaient proposé de faire à leurs risques et périls. L’écrivain qui l’a traduit n’a pas à le recommander : il ne se trouve pas d’autre droit ici, après avoir assuré qu’il s’est efforcé d’accomplir consciencieusement sa tâche, que de donner quelques explications.

Les premières se rapportent aux noms propres. Ceux des localités que les auteurs ont visitées sont pour la plupart inconnus en Europe. Or, le changement des noms géographiques, soit qu’on les écrive différemment, soit qu’on en traduise le sens, a le grave inconvénient de rendre incompréhensibles les cartes rédigées dans une autre langue. Donc, en général, les noms de lieux doivent être reproduits dans l’idiome qu’emploient les habitants d’un pays. Cependant, si cet idiome n’a pas d’orthographe européenne, les sons, qui en ont été exprimés dans une de nos langues, doivent, pour être vrais, être rétablis suivant l’orthographe de celle de la traduction. C’est ainsi que la nôtre a écrit les noms des Chipeouays, des Chouchouaps, des Cries, de la Saskatchaouane, de Kamloups et du Caribou. Le traducteur en avait d’autant plus le droit que les auteurs anglais ont nécessairement défiguré des formes étrangères. Ainsi ils ont écrit Keenamontiayoo le nom d’un Indien qui pour nous s’appellerait Kînémontiayoul, et Shushu le nom d’un chien que leurs guides, métis français, prononçaient certainement Chouchou.

Le traducteur s’est souvent trouvé autorisé par un semblable motif à remettre en notre langue les noms géographiques qui avaient un sens ; car il n’a pas dû perdre de vue que la plupart de ceux qui sont ici rapportés en anglais, sont dits en français par la grande majorité des populations qui parlent une langue européenne, à l’E. des Montagnes Rocheuses, dans la Nouvelle-Bretagne, et que, très-ordinairement, les noms français ont précédé la traduction qu’en ont faite les Anglais. Quant à ceux dont l’origine est incontestablement anglaise, il les a respectés, à moins qu’il ne fût autorisé, par quelque exemple antérieur, à les écrire dans sa langue.

Le français est aujourd’hui si généralement parlé dans les pays arrosés par les Saskatchaouanes que, jusqu’à Kamloups, les auteurs ont eu des guides qui n’entendaient pas l’anglais. On trouvera donc un assez grand nombre de mots et de phrases que l’original a conservés en français ; pour les distinguer, ils ont été reproduits en italique dans la traduction.

Comme les lecteurs sont naturellement curieux de savoir quels sont les auteurs des livres, le traducteur va dire ici ce que cet ouvrage lui a fait connaître des deux honorables personnes qui ont rendu à leurs contemporains le service de le publier.

Le premier auteur est le vicomte Milton, jeune seigneur anglais, assis dans le frontispice entre le jeune Assiniboine et le docteur Cheadle. Avec ses traits doux et agréables, il a toute l’énergie de sa race. Deux ans avant le voyage raconté dans ce livre, lord Milton avait déjà été au Canada prendre part à la chasse du bison en automne, avec le guide La Ronde. Élève de l’Université de Cambridge, il est, comme l’indiquent les initiales qui, sur le titre, suivent son nom, membre de deux Sociétés de Géographie et notamment de la Société Royale, qui a pour président le célèbre sir Roderick Impey Murchison.

Le second est le docteur Cheadle, assis au centre du frontispice, le seul qui ait de la barbe et des moustaches. C’est un homme dans toute la force de l’âge, grand et robuste, plein de douceur et d’énergie, de science et de sang-froid, à la hauteur de toutes les circonstances et de tous les devoirs. Il est maître ès-arts ou licencié ès-lettres, docteur en médecine, de l’Université de Cambridge, et membre de la Société Royale de Géographie.

Bien que leur modestie reconnaissante leur fasse attribuer quelque part à l’Assiniboine la réussite définitive de leur entreprise, le lecteur verra que les qualités des auteurs et leur opiniâtre persévérance sont les causes réelles de leur honorable succès.

Ce voyage, au milieu d’extrêmes difficultés et de grands périls, a duré du 19 juin 1862 au 5 mars 1864. Il est une nouvelle preuve de la supériorité morale que la race blanche a sur les autres.


Bordeaux, 22 octobre 1865.