CHAPITRE IV.


Carlton. — Le bison dans le voisinage du fort. — Chute de neige. — Projet d’hiverner aux environs du lac au Poisson-Blanc. — Les ours gris. — Départ pour les plaines. — Le bison mort. — Le loup blanc. — Chasse aux bisons. — Rassemblement de loups. — Treemiss se perd. — Comment il a passé la nuit. — Hospitalité des Indiens. — Visite des Cries. — Discours de leur chef. — Ils admirent nos chevaux et excitent nos soupçons. — Stratagème pour dérouter les Cries. — Veillée nocturne pour garder les chevaux. — Hôtes suspects. — Les bisons femelles sont introuvables. — Nous courons encore. — Nouvelles de ceux qui nous avaient poursuivis. — Retour au fort.


Carlton-House avait alors M. Lillie pour commandant. Pareil à tous les autres qu’a construits la Compagnie de la baie de Hudson, ce fort se compose de quelques bâtiments en bois, ayant pour retranchement une haute palissade carrée, que de petites tours, carrées aussi, flanquent à chaque angle. Il s’élève sur la rive méridionale de la Saskatchaouane du nord, dans un terrain abaissé près de la rivière et au-dessous des berges élevées qui formaient jadis l’ancien lit du courant. La Saskatchaouane septentrionale ressemble beaucoup à celle du sud, mais est un peu plus large. Située entre les vastes forêts du nord et la prairie qui descend au loin vers le midi, Carlton a eu dans les premiers temps une importance considérable. Mais la diminution des animaux à fourrure, et l’éloignement ordinaire du bison, ont fait disparaître beaucoup des avantages dont a joui cet établissement. Cependant, à notre arrivée, nous fûmes salués par l’excellente nouvelle que, cette année, le bison s’était approché plus qu’il ne l’avait fait depuis longtemps. Les mâles étaient disait-on, à une journée, et les femelles, à deux journées à peine de distance.

La neige commença à tomber la nuit qui suivit notre arrivée et elle continua la plus grande partie du lendemain, jusqu’à couvrir la terre de plusieurs pouces d’épaisseur. Mais, à en croire M. Lillie, ce ne pouvait pas être encore l’ouverture de l’hiver ; la neige allait disparaître et faire place à un beau temps qui durerait quelques jours. Effectivement le dégel arriva dès le lendemain matin.

Les avis et les conseils de La Ronde nous avaient alors décidés à nous installer pour l’hiver près du lac au Poisson-Blanc parmi les paisibles Cries des Bois, à quatre-vingts milles environ au nord-nord-ouest de Carlton et à la lisière de ces forêts sans fin qui se prolongent aussi loin que possible vers le pôle arctique. Nous y trouverions, disait-il, un pays très-bon pour y tendre nos trappes dans un espace de quatre-vingt à cent milles de plaines ; il se pourrait même que le bison, qui avait déjà en grande quantité traversé la Saskatchaouane septentrionale, s’avançât jusqu’à une ou deux journées de notre résidence. Nous fîmes donc transporter nos provisions d’hiver dans le fort et nous nous préparâmes à tenter dans les plaines une expédition pour courre le bison, avant de penser définitivement à prendre nos quartiers d’hiver.

Milton se mit en route le jour suivant, avec les charrettes. Quant à Treemiss et à Cheadle, ils partirent dès l’aube à la recherche de deux ours gris qu’on avait aperçus la veille à cinq ou six milles de la place. Ils avaient l’intention de rattraper, s’ils le pouvaient, les charrettes le même jour. Après avoir parcouru plusieurs milles sous la direction de quelques métis, ils arrivèrent à la piste et la suivirent pendant une distance considérable. Mais la rapidité de la fonte de la neige et leur inexpérience ne leur permirent pas de la retrouver plus loin. Ils furent donc obligés, bien malgré eux, d’abandonner cette chasse et retournèrent au fort très-désappointés. Les empreintes des pieds d’un de ces animaux étaient d’une taille énorme et la neige les faisait voir très-distinctement. Elles avaient la longueur de l’avant-bras d’un homme et la marque des ongles égalait celle d’un de nos doigts[1].

Lorsqu’ils eurent dîné avec M. Lillie, ils coururent sur la trace des charrettes qu’ils regagnèrent à la nuit après avoir rudement fait une trentaine de milles. Le lendemain matin, nous nous levâmes tous avec un certain battement de cœur, car nous savions que le bison pouvait se montrer d’un moment à l’autre. Milton lui-même, qui n’en était pas à son début puisque, deux ans auparavant, il avait, en partant du fort Garry, suivi la grande chasse d’automne, ne pouvait qu’à grand’ peine se tenir en repos. Il ne parvenait guère à dissimuler l’impatience nerveuse qu’il avait de reprendre sa part dans cette chasse échevelée. La Ronde partit en reconnaissance. Treemiss, qui ne pouvait pas rester en place, ne tarda pas à le suivre. Quant à nous, nous demeurâmes près des charrettes, en attendant le rapport de La Ronde. Il ne revenait pas. Cependant nous rencontrâmes un bison mort et gisant tout près du sentier. Nous pensâmes qu’il avait été tué par La Ronde. Quelques loups rôdaient à l’entour et, tandis que nos hommes travaillaient à découper l’animal, nous nous mimes à poursuivre un grand et vieux loup blanc. Milton le coupa plusieurs fois ; mais il le manqua de ses deux coups. Cheadle prit alors la tête de la chasse, mais sans plus de succès. De temps en temps, nous sautions par-dessus lui ; mais nous le manquions, tandis qu’il s’esquivait sous le ventre de nos chevaux en grognant et en montrant les dents. Les chevaux ne tardèrent pas à être hors d’haleine, et comme le loup gagnait presque à chaque pas, nous l’abandonnâmes. Nous eûmes sept à huit milles à faire pour rentrer au camp et nous y revenions longtemps après le coucher du soleil, fort pris de froid et de faim et très-vexés contre La Ronde qui se réservait toute la chasse.

Treemiss avait eu plus de bonheur que nous ; car il nous apportait triomphalement les langues et les savourets[2] de deux animaux qu’il avait abattus.

Le lendemain nous étions dehors de grand matin. Cheadle nous fit bien rire, car il avait choisi pour monture une petite jument rouan, haute de quatorze mains et qui ne paraissait pas de taille à porter sa personne du poids de quatre-vingt-trois kilos. Mais Bucéphale était trop écorché pour endurer une selle, et Cheadle, déterminé à ne pas manquer l’occasion d’une chasse, se moqua de nos railleries et garda sa petite jument de trait. Quand nous eûmes fait deux ou trois milles, les charrettes qui étaient en avant, s’arrêtèrent tout à coup, et Voudrie accourut vers nous, en nous disant avec émotion mais d’une voix contenue : « Les bœufs, les bœufs, les bœufs sont proches ! » Nous courûmes en silence et nous vîmes un troupeau de neuf bisons qui paissait à un mille de nous, ainsi que d’autres bandes dans le lointain, portant leur nombre à soixante environ. Les sangles furent resserrées, les fusils mis en état, et nous nous avançâmes au pas, ayant à peu près autant d’émotion qu’en éprouve un nouveau à l’université lorsque, pour sa première course de bateau, il attend le coup de feu qui donne le signal du départ.

Nous nous avancions en ligne, ayant La Ronde pour capitaine au centre. Quand nous fûmes parvenus à un quart de mille de la plus grande bande, les bisons se mirent à s’éloigner lentement. La Ronde alors imita le beuglement de cet animal ; les autres groupes cessant de paître dressèrent la tête et se mirent à trotter pour rejoindre le corps principal, qui marchait encore sans se presser. Alors nous primes le galop de chasse tandis que le troupeau, qui venait de se réunir, commençait à s’enfuir lourdement. Nous les gagnions rapidement. Quand nous fûmes à deux cents mètres, ils partirent de toute leur vitesse. La Ronde nous donna le signal par ses vigoureux « hourra ! hourra ! allez ! allez !» Nous allâmes donc, tous pêle-mêle, brandissant nos armes, et, de nos talons, martelant les côtes de nos montures à la façon des métis. C’était une charge folle et sauvage ; Milton en tête sur son vieux cheval rouge, Cheadle en queue sur sa petite jument rouan. Quand nous eûmes rejoint le troupeau, il se rompit par bandes de trois ou quatre bêtes, chacun de nous s’élançant sur celles qui étaient le plus à sa portée. Les coups de feu, par leur succession rapide, indiquèrent que la boucherie était commencée ; mais, comme la poursuite nous eut bientôt séparés, personne ne connut les succès de ses compagnons avant qu’elle fût achevée.

La chasse au bison est certainement entraînante. Cette charge affolée, qu’on fait tous ensemble sur le gros du troupeau ; cette poursuite de l’animal, qu’on a choisi parmi les autres et qu’un cheval bien dressé finit par couper comme un lévrier attrape un lièvre ; le sentiment du danger qu’on courrait, si l’on était à son tour chargé par un animal blessé ou si l’on tombait dans un de ces trous trop nombreux dans les prairies : tout contribue à passionner cet exercice. Les bisons, avec leur galop épais et lourd, présentent une apparence assez plaisante. Leur croupe mince, à peine revêtue d’un poil court, a l’air absurdement disproportionné avec le lourd train d’avant que déforment la bosse et la crinière hérissée. Lorsqu’ils galopent, leur longue crinière et leur fanon épais volent de côté et d’autre, leurs petits yeux roulent férocement en lançant des éclairs, à travers leur forêt de poils, sur l’ennemi qui les poursuit. Ce qu’il y avait de curieux encore c’était de voir comment, au premier coup de fusil, les loups sortaient pour ainsi dire de terre. Deux ou trois d’entre eux couronnaient chaque colline, où ils restaient tranquillement à surveiller les progrès de la chasse. Quand, après avoir découpé la meilleure partie de la viande, nous avions abandonné derrière nous un cadavre, les loups se glissaient jusqu’à lui et, nous n’étions pas encore à quelques centaines de mètres, qu’une douzaine d’entre eux s’étaient jetés sur cette carcasse dont, avant la matinée suivante, ils ne laissaient plus que les os.

Tout le monde réussit cette fois-là. La Ronde tua deux bisons et chacun de nous abattit le sien, même Cheadle qui, au temps voulu, parut sur son petit palefroi, ayant une langue pendue à sa selle.

Tandis que nos hommes s’occupaient à découper les bêtes qui étaient le plus à leur portée, Treemiss, dont la passion n’était point rassasiée, repartit en quête du gibier, et Cheadle, en compagnie de Zear, alla rechercher l’animal qu’il avait tué et laissé à près d’un mille de distance. La pluie se mettait alors à tomber. Milton emmena donc le convoi et le fit camper dans un bouquet d’arbres près de la rivière. La pluie ne tarda pas à se changer en grésil et le temps devint froid et piquant.

La nuit arriva, mais Treemiss ni Cheadle ne reparaissaient. La Ronde partit à leur recherche et l’on commença à tirer de temps à autre des coups de feu pour signaler aux égarés l’emplacement du camp. Un peu après la tombée de la nuit, Cheadle et Zear rentrèrent, trempés jusqu’aux os et mourant de froid. Ils avaient, plusieurs heures auparavant, aperçu Treemiss lancé bride abattue à la poursuite d’une bande de bisons. Comme une portion du troupeau défilait alors à une centaine de mètres d’eux, Cheadle avait, à la grande admiration de Zear, tué celui qui la conduisait. Ils avaient donc dû s’arrêter à découper de la viande, jusqu’à ce que le jour eût cessé, et ce n’avait pas été sans difficulté qu’ils avaient retrouvé le camp. Jusqu’à minuit, nous continuâmes nos coups de fusil ; nous suspendîmes même en guise de fanal une botte enflammée à une des perches de la loge ; mais nous finîmes par être obligés d’aller prendre du repos sans notre compagnon.

Dès que l’aube parut, tout le monde se mit à la recherche ; mais on ne trouva rien. Enfin on signala un groupe de cavaliers qui se dirigeait vers nous ; c’était Treemiss qui arrivait avec une troupe de Cries. Il avait erré la veille jusqu’à la nuit noire ; puis, complétement égaré, il s’était réfugié dans un petit bois où il avait essayé d’allumer du feu, mais sans y réussir, car, allumettes, amadou et bois, tout était mouillé. Il était donc remonté sur son cheval fatigué et s’était efforcé pendant plusieurs heures de retrouver sa route. Enfin, trempé jusqu’aux os et presque engourdi par le froid, il avait eu la chance d’arriver à un camp d’Indiens. On l’y avait reçu avec beaucoup d’hospitalité. On l’avait conduit à la loge du chef, on avait séché ses vêtements, on lui avait servi de la viande et du thé indien, enfin, en guise de cordial, un peu d’eau chaude mêlée avec de la graisse. Cependant, malgré sa fatigue, il n’avait presque pas pu dormir de la nuit. Hommes ou femmes, les Indiens n’avaient pas décessé de faire la cuisine, de fumer ou de battre les chiens qui volaient. Ceux-ci en sortant d’une loge étaient saisis par d’autres qui les attendaient, et la mêlée entre eux était continuelle. Quand le matin fut venu, Treemiss réussit à faire comprendre à ses hôtes qu’il avait perdu son chemin. Aussitôt tous avaient sellé leurs chevaux et, comme d’instinct, l’avaient ramené droit à notre camp.

Nous donnâmes des poignées de main à nos visiteurs et, les faisant entrer dans la loge, nous passâmes à la ronde le calumet selon les règles de la politesse indienne. Pendant longtemps, ils se tinrent assis en rond, fumant sans dire un mot. Enfin, après quelque conversation préliminaire, le chef, qui était un beau garçon, portant une chemise semée de paillettes, un bonnet couvert de rubans de diverses couleurs et une trousse de médecin soigneusement travaillée, se leva et fit un discours en langue crie. Il s’exprimait avec beaucoup de dignité, ses gestes étaient aisés et gracieux, et sa parole facile. Il disait : « Moi et mes frères nous avons été très-inquiets en apprenant par les gens de la Compagnie qu’un grand nombre d’hommes blancs arriveront bientôt dans le pays et qu’il nous faudra prendre garde à eux. Dites-moi pourquoi vous êtes venus ici. Sur votre terre, vous êtes, je le sais, de grands chefs. Vous possédez en abondance des couvertures, du thé, du sel, du tabac et du rhum. Vous avez de magnifiques fusils, de la poudre et du plomb, autant que vous en pouvez désirer. Mais il y a une chose qui vous manque. Vous n’avez pas de bisons et vous venez en chercher. Moi aussi, je suis un grand chef. Mais le Grand Esprit ne nous a pas fait un partage égal. Vous, il vous a comblés de richesses variées, tandis qu’à moi il ne m’a donné que le bison. Pourquoi donc venez-vous dans ce pays détruire le seul bien que je possède, simplement pour votre plaisir ? Cependant, comme je sais que vous êtes grands, généreux et bons, je vous donne la permission d’aller où vous voudrez et de chasser autant que vous le voudrez ; et, quand vous entrerez dans mes loges, vous y serez les bienvenus. »

Après cette conclusion, il s’assit, reprit sa pipe et attendit notre réponse. Il avait exposé la situation avec tant de force et de vérité que nous nous sentions honteux de nous-mêmes et que nous aurions eu quelque difficulté à rétorquer ses arguments s’il n’avait pas terminé son discours si gracieusement[3]. Nous nous bornâmes donc à le remercier de sa courtoisie et à lui offrir, ainsi qu’à ses compagnons, ce que nous regardions comme un très-beau cadeau de couteaux, de munitions, de thé, de sel et de tabac. Pourtant ils n’avaient pas l’air satisfait et ils demandaient encore un fusil, des couvertures et principalement du rhum. Nous les leur refusâmes. Sur ce, ils s’éloignèrent paraissant de bonne humeur ; mais, en insinuant qu’ils doutaient après tout que nous fussions de si grands personnages, puisque nous n’avions pas de rhum. En partant, ils laissèrent voir l’admiration que leur inspiraient nos chevaux. La Ronde en devint fort inquiet. Il nous assura qu’ils étaient mécontents de la façon dont nous les avions reçus et que certainement ils suivraient notre piste dans l’intention de nous enlever nos chevaux. En conséquence, nous prîmes nos mesures pour détourner leur poursuite et pour conserver notre propriété. Nous fîmes en avant trois ou quatre milles pour aller camper près de la rivière, comme si nous nous proposions de la traverser. La nuit, nous nous gardâmes avec soin. Elle s’écoula sans alarme. Le lendemain matin, nous tournions à angle droit, faisant une marche forcée d’environ vingt milles, qui nous conduisit à un petit cours d’eau appelé la rivière de l’Aigle[4], où nous campâmes. Le temps favorisait notre fuite. Un épais brouillard nous dérobait à la vue de quiconque aurait surveillé nos mouvements. Dans la soirée, s’éleva un vent violent qui dispersa, il est vrai, la brume, mais releva le gazon qu’avait abaissé notre passage. Ainsi nos traces furent effacées. À la nuit, nous reprîmes notre faction vigilante, après avoir attaché à des piquets autour de la loge ceux de nos chevaux qui avaient le plus de valeur.

Le lendemain se passa en quête des femelles de bisons ; mais nous n’en vîmes aucune. Nous résolûmes donc de rester quelques jours encore à chasser les mâles avant de rentrer dans le fort Carlton. Nous continuâmes pourtant à monter la faction la nuit ; car il y avait apparence que, si l’entreprise sur nos chevaux était faite, elle aurait lieu, suivant l’habitude des Indiens, après un répit de quelques jours. Chacun faisait la garde à son tour et, il faut bien l’avouer, nous nous sentions assez mal à l’aise quand nous nous trouvions seuls, couchés sous l’ombre de quelques buissons, tandis que tout le reste de notre monde était endormi. Heureusement le clair de lune était brillant ; mais ceux de nos chevaux qui étaient libres se mettaient souvent hors de vue et quand, de temps à autre, nous faisions notre ronde pour les ramener au camp, ce n’était pas sans crainte à chaque instant de sentir, quand nous traversions quelque épais taillis, se poser sur notre épaule la main d’un Indien posté en embuscade.

Un soir, deux Indiens d’environ dix-sept ans se présentèrent à notre camp et exprimèrent leur dessein de nous honorer de leur compagnie jusqu’au lendemain. Nous les soupçonnions fort d’être des espions. Cependant nous les invitâmes à dormir dans la loge ; mais nous redoublâmes de vigilance dans nos factions. Cette nuit pourtant se passa encore sans alarme. Nous en conclûmes que nous avions réussi à cacher nos traces à ceux qui nous poursuivaient. Nous continuâmes quelques jours encore notre chasse avec des succès variés, puis nous retournâmes rapidement vers le fort, où nous rentrions le 8 octobre. En route, nous rencontrâmes le convoi des charrettes de la Compagnie, qui revenait chargé de viande. Le chef M. Sinclair nous apprit que, au début de la chasse d’automne, les chasseurs avaient trouvé les bisons en nombre extraordinaire. Ce n’étaient partout que de vastes troupeaux, si bien qu’en réalité la terre tremblait sous leur passage, et que, la nuit, leurs continuels mugissements et le tumulte de leur marche rendaient tout sommeil impossible. Lors de l’arrivée de M. Sinclair, les grands troupeaux néanmoins s’éparpillaient déjà et les feme11es, qui sont beaucoup plus farouches que les mâles, s’étaient retirées au loin vers le sud. Il nous apprit aussi qu’il avait rencontré le parti de Cries qui avait ramené Treemiss à notre camp, lorsqu’il s’était égaré. Ils lui avaient conté toute notre entrevue et ne lui avaient pas caché qu’ils en avaient été fort désappointés et qu’enfin, très-tentés par la vue de nos chevaux, ils avaient effectivement arrêté le projet de s’en emparer. En conséquence, une grosse bande d’Indiens avait soigneusement suivi notre marche le lendemain ; mais, arrivée à notre vieux camp près de la rivière, c’est-à-dire à la place où nous avions changé de route à angle droit, il lui avait été impossible de retrouver notre piste, et elle en avait tiré la conclusion que nous avions passé la rivière. Nous fûmes aises d’apprendre que nos soupçons n’avaient pas été mal fondés et surtout de voir le plein succès du stratagème que nous avions adopté.



  1. Voir, Tour du Monde, 1860, 2e semestre, p. 249, un combat contre un ours gris. (Trad.)
  2. Il y a dans le texte marrow-bones ; mais on s’étonne de ne pas voir apparaître ici la bosse du bison, à laquelle Cooper a donné tant de célébrité. (Trad.)
  3. On peut comparer avec cette entrevue, celle que M. Hind eut avec les Sauteux. (Tour du Monde, 1860, 1er semestre, p. 279) « Nous n’avons pas besoin de l’homme blanc, disaient les Peau-Rouges ; quand l’homme blanc vient, il apporte la misère et la maladie, et notre peuple périt. » (Trad.)
  4. Petit affluent de droite de la Saskatchaouane du nord. (Trad.)