Voyage de La Pérouse autour du monde/Tome 1/Mémoire pour diriger le Jardinier

MÉMOIRE

Pour diriger le Jardinier dans les travaux de son voyage autour du monde ; par M. Thouin, premier Jardinier du Jardin des plantes.

La mission du jardinier qui accompagnera M. de la Pérouse dans son expédition, ayant pour but de porter aux habitans des lieux qu’il va parcourir, les productions végétales de l’Europe qui peuvent leur être utiles, et de rapporter de ces divers pays les végétaux propres à enrichir l’Europe, nous croyons devoir diviser ce mémoire en deux parties, qui traiteront chacune des objets qui ont rapport à ce double motif d’utilité.

PREMIÈRE PARTIE.

Choix, nature et culture des végétaux qu’on transportera de France.

De tous les présens que la munificence du roi veut faire aux habitans des pays nouvellement découverts, les végétaux utiles à la nourriture des hommes sont, sans contredit, ceux qui leur procureront les biens les plus durables, et les plus propres à augmenter leur bonheur.

Le choix de ces végétaux doit être fait parmi nos plantes légumières, et nos arbres fruitiers les plus intéressans : les légumes et les fruits qui n’ont besoin d’aucune préparation pour être propres à la nourriture des hommes, doivent tenir le premier rang ; et ceux qui n’ont besoin que d’être cuits à sec pour devenir mangeables, doivent être mis au second. C’est à quoi doivent se borner les présens qu’on peut faire à des peuples qui, n’ayant point de vaisseaux propres à la cuisson des alimens dans les fluides, ne feraient aucun usage des légumes et des fruits qui exigent cette préparation pour être mangés. C’est d’après ces considérations que nous avons formé les listes qui terminent ce mémoire.

On doit encore observer, pour diminuer les frais d’acquisition, de ne pas emporter les semences des variétés de légumes qui ne se conservent que par une culture soignée et délicate. Ces graines, livrées à elles-mêmes dans des climats si différens de ceux de leur naissance, ou tout au plus abandonnées à une culture grossière, rentreraient bientôt dans leurs espèces primitives, et ne feraient que des doubles emplois, onéreux au transport.

Le choix arrêté, il convient de déterminer en quelle nature il sera plus profitable de faire ces transports de végétaux.

Il n’est pas douteux que la voie des semences, en même temps qu’elle est la moins dispendieuse pour les acquisitions, la plus facile pour le transport, est encore la plus sûre, en général, pour multiplier les productions d’un climat dans un autre ; mais elle exige du choix dans les graines, des attentions pour leur conservation pendant le voyage, et des soins pour les semer avec fruit dans les différens lieux auxquels on les destine.

On apportera la plus scrupuleuse attention pour n’acquérir que des semences de la dernière récolte, qui auront été bien aoûtées, et qui seront parfaitement saines : celles qui se trouveraient ridées, ou piquées par des insectes, seront soigneusement exclues, non-seulement comme inutiles, mais même comme nuisibles à la conservation des autres.

Ces semences ainsi choisies seront divisées en deux parties ; la première comprendra toutes celles qui n’ont besoin que d’être abritées du contact de l’air et de l’humidité pour se conserver jusqu’à leur destination ; la deuxième sera composée de toutes les graines qu’il sera nécessaire d’ensabler ou de mettre en terre, pour conserver leur propriété germinative, telles que les noyaux de nos arbres fruitiers, les semences de plusieurs plantes de la famille des ombellifères, &c.

Les premières doivent être renfermées dans des sacs de papier gris, et ensuite mises dans des boîtes de fer-blanc, soudées le plus hermétiquement possible ; les secondes seront mises, lits par lits, avec de la terre ou du sable, dans des boîtes de fer-blanc, qu’on fermera ensuite très-exactement.

Ces différentes boîtes, ainsi scellées, doivent être renfermées dans des caisses solides, qu’on recouvrira de toile cirée ; elles doivent être placées dans l’endroit du vaisseau le moins accessible à l’humidité, et le plus abrité de l’extrême chaleur, comme du très-grand froid : on les y laissera, sans être ouvertes, jusqu’à l’époque où il sera à propos de semer les graines.

Comme il est probable que les semis n’auront pas un seul lieu pour objet, et qu’il est à présumer que la nouvelle Zélande, les îles Sandwich, celles des Amis et de la Société, auront leur part de ces présens ; pour éviter d’éventer des graines qui ne devront être semées qu’à des époques très-différentes, nous croyons qu’il serait convenable de diviser en quatre parties la totalité de cet assortiment, de manière que chacune d’elles puisse être contenue dans une caisse qu’on n’ouvrira qu’à l’instant de les semer. Cela remédiera à un inconvénient qui serait très-préjudiciable aux semences.

L’ordre étant absolument indispensable dans une collection de cette espèce, le jardinier aura l’attention d’écrire sur chaque paquet le nom de la graine qui y est renfermée, de les inscrire sur un registre, à mesure qu’il les emballera dans les boîtes de fer-blanc, de numéroter ces boîtes relativement à son registre, et ensuite de les placer par ordre de numéros dans chacune des grandes caisses qui doivent contenir cet assortiment : au moyen de cela, il sera, en tout temps, à portée de trouver promptement et sans peine les objets dont il aura besoin.

Il n’est guère possible de tracer d’une manière précise un plan pour les semis de ces graines et leur culture dans des lieux qu’on parcourra si rapidement ; tout ce que nous pouvons dire se réduira à des généralités auxquelles l’intelligence du jardinier suppléera.

En abordant dans un lieu où l’on se proposera de faire des semis, le premier soin du jardinier doit être de s’informer de la température du climat, d’examiner si les productions du sol, sur-tout dans les plantes annuelles, sont dans un état de croissance, de repos, ou de dépérissement. Ces observations doivent le diriger dans le choix des graines qui conviendront au climat, et dans les expositions les plus favorables aux semis.

Dans les pays très-froids, si l’on arrive en automne ou dans l’hiver, il faut renoncer à semer des graines de plantes annuelles, qui ne germeraient pas, ou seraient détruites par les premières gelées ; on peut tout au plus risquer quelques graines d’arbres, telles que des pépins de pomme, de raisin, des noyaux de différens fruits, &c. parce que ces semences, ne devant lever qu’au printemps, pourront se conserver malgré les froids : si l’on arrive au printemps ou dans l’été, alors rien n’empêchera de semer toutes les graines des espèces de plantes qui paraîtront devoir s’acclimater, en observant, autant qu’il sera possible, de choisir le sol et l’exposition qui conviennent à chacune d’elles.

Dans les pays très-chauds, en général, la sécheresse est un des inconvéniens qui nuisent le plus à la multiplication des végétaux ; il convient, pour en garantir les semis, de choisir des sols humides, les bords des ruisseaux, les terrains bas, dans le voisinage de la mer : les lieux ombragés seront ceux qui devront être préférés pour l’établissement des cultures.

Les lieux destinés aux semis étant désignés, il est nécessaire que le jardinier les fasse labourer, et qu’il les dispose à recevoir les semences qu’il conviendra d’y confier ; après quoi, il sèmera ses graines, et surveillera leur culture autant de temps que lui permettra le séjour des vaisseaux. S’il pouvait inspirer l’amour de ces cultures à quelques naturels du pays, et qu’il parvînt à leur faire connaître le mérite des productions qui en sont l’objet, il remplirait doublement le but de bienfaisance que l’on espère de sa mission.

Indépendamment de ces cultures soignées, le jardinier peut encore essayer un autre moyen de multiplication, qui, s’il ne lui produit pas de grands avantages, lui coûtera fort peu ; ce serait, toutes les fois qu’il se disposerait à parcourir le pays, de remplir ses poches d’un mélange de plusieurs espèces de graines, qu’il répandrait, chemin faisant, dans les lieux qui lui paraîtraient les plus propres à leur réussite : quelques coups de houlette suffiraient pour enfouir les semences, et ameublir la terre du voisinage.

Pour n’omettre aucun des moyens qui peuvent rendre son voyage utile et agréable, le jardinier doit tenir un journal exact de toutes ses opérations : l’époque de ses semis, leur réussite, les progrès de la végétation et leurs résultats, lorsqu’il pourra les observer, nous fourniront des points de comparaison qui pourront perfectionner notre culture.

Comme il existe plusieurs végétaux qui peuvent être très-utiles aux habitans des lieux qu’on va parcourir, mais dont les semences n’ont pas la propriété de perpétuer nos variétés intéressantes, fruit d’une longue culture, tels que la plus grande partie de nos arbres fruitiers, il convient d’essayer de porter en nature quelques individus de chacun de ces arbres ; ce sera l’objet du chapitre suivant. Malgré cela, on ne doit pas négliger d’emporter abondamment des graines de ces arbres ; elles fourniront des fruits sauvages, qui semblables à ceux dont se nourrissaient nos pères, pourront être employés à la nourriture de peuples encore moins civilisés qu’eux, et leur procurer un fonds de richesses dont leur industrie perfectionnée pourra tirer par la suite le plus grand avantage.

Transport des végétaux en nature.

L’époque où nous nous trouvons, ne permet pas de lever des végétaux qui sont en pleine terre et dans le moment de leur plus grande végétation ; mais à Paris, on a la ressource de trouver en pot ce qui ne se rencontre par-tout ailleurs que cultivé en pleine terre : il est donc nécessaire de s’approvisionner de ces objets chez nos marchands ; le succès presque certain dédommagera amplement de la légère dépense du transport d’ici au lieu de l’embarquement.

Le transport d’arbres ne peut se faire, avec quelque espérance de succès, que dans des caisses où ils puissent végéter pendant le voyage. Il faut pour cela se munir d’un coffre de quarante pouces de long, sur vingt de large et autant de profondeur, percé par son fond d’une douzaine de trous pour l’écoulement des eaux surabondantes. Sa partie supérieure sera composée d’un bâtis triangulaire, sur lequel s’adapteront des grillages de fil de fer, des châssis vitrés, et des contrevents, pour établir une libre circulation de l’air, augmenter la chaleur quand il en sera besoin, et abriter des froids.

Le choix des espèces étant fait conformément à l’état que nous en avons dressé, et que nous plaçons à la fin de ce mémoire, il conviendra de n’acquérir que des individus jeunes, qui seront branchus dans toute la longueur de leur tige. Il faut avoir soin qu’ils soient bien portans, vigoureux, et que leurs greffes soient le plus près de la racine qu’il sera possible. Lorsqu’on aura rassemblé tout ce qui pourra être renfermé dans une caisse, on les emballera de la manière suivante :

Au fond du coffre, et sur les trous pratiqués pour l’écoulement des eaux, on posera de menus plâtres pour empêcher la terre d’être entraînée par l’eau des arrosemens ; après cela, on établira un lit de terre forte de trois pouces d’épaisseur, qu’on appuiera légèrement. C’est sur ce lit qu’on posera le premier étage d’arbres choisis parmi les plus grands, H et sur-tout dans ceux qui, comme les figuiers, les vignes, les cerisiers, &c. ne craignent pas d’avoir leurs tiges enterrées un peu profondément ; on rapprochera le plus qu’il sera possible les mottes de ces arbres qui auront été tirés de leurs pots, et on remplira les vides qu’elles pourraient laisser entre elles, avec du terreau de bruyère, qu’on tassera le mieux qu’il sera possible, pour que ce premier rang ne forme qu’une masse solide : un lit de terreau de bruyère, de deux pouces d’épaisseur, recouvrira le premier étage. On procédera ensuite à l’arrangement du second. Il doit être disposé, comme le premier, mottes contre mottes, les tiges les plus hautes dans le milieu, et par gradation les plus basses sur les bords : on garnira ensuite tous les vides avec du sable de bruyère, sans s’embarrasser d’enterrer les tiges des arbres du lit inférieur ; pourvu qu’elles sortent de terre de trois à quatre yeux, cela suffira à leur conservation. Enfin, on tassera la masse totale, soit en battant la caisse contre terre, soit en la foulant avec le poing, pour qu’il n’y reste point de vide, et que les cahots des voitures et les roulis du vaisseau ne produisent aucun dérangement. Pour être plus sûr de se procurer cet avantage, on pourra établir sur la surface du lit supérieur une couche de mousse recouverte d’une autre couche de paille neuve de froment, le tout de l’épaisseur d’un pouce et demi ; lesquelles seront comprimées par un bâtis qui traversera le coffre entre les tiges des arbrisseaux, sans y toucher, et sera cloué sur deux tasseaux qu’on établira intérieurement le long des côtés latéraux.

La plantation faite, on taillera les arbres de manière que les branches les plus près du grillage de fil de fer, s’en trouvent éloignées d’environ un pouce ou deux ; ensuite on arrosera fortement la masse totale de cette caisse, et quelques jours après on pourra la faire partir pour Brest par les rouliers.

Pour qu’il y ait moins de déperdition d’humidité dans la caisse, pendant un voyage qui peut durer douze ou quinze jours sans qu’il soit possible de la remplacer, il conviendra de fermer les volets latéraux ; mais les deux petits des extrémités doivent rester ouverts, pour que l’air se renouvelle et que les plantes ne pourrissent pas.

À l’arrivée des caisses à Brest, le premier soin du jardinier doit être de les ouvrir, de lever les grillages de fil de fer, pour couper les pousses étiolées de ces arbres ; et ensuite il sondera la terre pour juger de l’état d’humidité ou de sécheresse dans lequel elle se trouvera, et remédier au petit désordre qu’aura pu occasionner le voyage.

Après la privation d’air libre qu’auront éprouvée ces arbres, il ne serait pas prudent de les exposer subitement au soleil ; il conviendra de les en préserver, soit en plaçant les caisses à l’ombre, ou en les couvrant de canevas pendant quelques jours.

La culture des caisses, pendant la traversée, se réduira à des arrosemens au besoin, à garantir les arbres de l’extrême chaleur comme des grands froids, soit en les couvrant de canevas pendant le jour, et leur donnant le plus d’air possible pendant les nuits, soit en les descendant sous les ponts, dans les parages froids ; ensuite, quelques coups de serpette seront utiles, pour élaguer, de temps en temps, les individus trop vigoureux, qui pourraient nuire à leurs voisins.

Ces arbres, arrivés au lieu de leur destination, seront tirés des caisses, avec leurs mottes, le plus soigneusement qu’il sera possible, et on les plantera aux expositions et dans la nature de terrain qui conviennent à chacun d’eux ; et pendant son séjour, le jardinier veillera à leur conservation. Si toute la pacotille n’est pas destinée pour le même lieu, il se contentera de tirer des caisses les individus qu’il se proposera de planter, et il remplira leurs places par des productions du pays qu’il croira devoir être utiles à l’Europe. C’est à l’intelligence du jardinier à faire comprendre aux habitans du lieu, que ces arbres sont des présens, et qu’ils doivent les soigner avec intérêt, par l’utilité qu’ils en tireront. Voilà, à peu près, tout ce qu’on peut dire sur la première partie de la mission du jardinier ; nous allons traiter de la seconde.

SECONDE PARTIE.

De la récolte des végétaux qui peuvent être utiles à l’Europe, et de leur conservation pendant le voyage.

Ces récoltes doivent comprendre, 1°. les semences, 2°. les oignons et les racines charnues des plantes vivaces, 3°. et les jeunes pieds d’arbres intéressans dont on n’aura pu se procurer des graines.

Les semences doivent être récoltées, lorsqu’on en aura le choix, dans leur plus parfaite maturité ; mais comme il arrivera très-souvent que le peu de séjour que l’on fera dans les îles où l’on abordera, ne laissera pas le temps de retarder la récolte des semences qui ne seront pas parfaitement mûres, il ne faut pas se dispenser pour cela de les ramasser : on peut en tirer toujours un parti avantageux ; mais dans ce cas, il convient d’avoir une précaution indispensable.

Les plantes herbacées, dont les semences ne se trouveraient qu’aux trois quarts et même aux deux tiers de leur maturité, doivent être arrachées avec leurs racines, ensuite liées par bottes, et transportées au navire, où on les suspendra dans un lieu à l’abri du soleil et de l’humidité : il est indubitable qu’une partie des semences de ces plantes mûrira dans l’espace de six à huit jours ; alors on les récoltera.

S’il arrivait qu’une plante intéressante dont on eût fort à cœur d’obtenir des semences, ne se trouvât qu’à l’époque où ses graines ne seraient que nouées, il ne faudrait pas désespérer de parvenir à son but. Dans ce cas, il conviendrait d’arracher ces plantes en mottes, et de les planter dans des paniers. Ces paniers seront couverts de leurs nattes pendant les premiers jours ; on arrosera matin et soir les plantes qu’ils renferment, et insensiblement on les découvrira : la maturation des graines s’effectuera pendant le voyage, et l’on n’aura pas à regretter d’avoir manqué une occasion souvent unique de procurer à l’Europe un végétal précieux.

Si l’on a le bonheur de rencontrer des semences parfaitement mûres, la manière de les récolter n’est point indifférente pour leur conservation. Non-seulement il faut bien se garder de les égrainer, mais il faut, au contraire, les cueillir avec leurs enveloppes et leurs péduncules. Celles qui viennent dans des gousses, siliques et capsules, resteront dans leurs fruits, qu’il sera même nécessaire de lier, pour qu’ils ne s’ouvrent point pendant la traversée ; il en sera de même des cônes, et en général de tous les fruits secs. Les petites semences qui croissent en épis, en panicules, en verticilles, en corymbes, seront récoltées toutes entières avec des queues de cinq à six pouces de long, qu’on tordra dans différens sens, pour intercepter toute communication intérieure de l’air avec les germes des semences.

La conservation des graines, pendant un voyage aussi long et dans des latitudes si différentes, exige des précautions indispensables : il est certain que les semences qui resteront renfermées dans leurs enveloppes, se conserveront mieux que les autres ; mais il faut qu’elles soient bien sèches, ainsi que les parties qui les accompagnent, qu’ensuite on ait l’attention de les débarrasser des insectes, et des œufs de ces insectes, qui pourraient éclore pendant la traversée et manger ces semences sans qu’on s’en aperçût. Quelques heures d’exposition à un soleil ardent, suffiront pour produire le premier effet ; et si l’on soupçonne des insectes imperceptibles, ou des œufs renfermés dans les enveloppes de ces semences, en prenant la précaution de les placer sous une cloche dans laquelle on allumera du soufre, la vapeur de cette substance les fera périr en quelques minutes. Assuré que les semences ne contiennent ni humidité surabondante, ni insectes, on les enveloppera, espèce par espèce, dans des carrés d’un papier fort qui n’aura point été collé. Sur chacun de ces paquets, on mettra un numéro qui sera relatif à un échantillon de la plante ou arbre sur lequel on aura récolté la graine ; ensuite on rangera ces différens paquets dans une boîte de fer-blanc, en les serrant le plus qu’il sera possible, autant pour économiser la place, que pour empêcher l’action du roulis sur des corps qui, n’étant pas fortement assujettis, se froisseraient et se détruiraient les uns les autres. La boîte remplie sera fermée de son couvercle, qu’on soudera le plus hermétiquement qu’il sera possible ; on écrira aussitôt sur cette boîte l’objet qu’elle renferme, comme, par exemple : Graines récoltées depuis telle époque jusqu’à telle époque, dans tel lieu.

Lorsqu’on aura rassemblé plusieurs boîtes semblables, on les emballera dans une caisse de bois fort, qu’on couvrira d’une toile cirée, sur laquelle on mettra un renseignement pareil à celui ci-dessus.

Les semences nues, du volume d’une noisette et au-dessus, exigeront une autre préparation. Il convient, immédiatement après leur récolte, de les laisser exposées à l’air libre, dans un lieu fermé, pendant le temps convenable, pour les ressuyer de l’humidité qu’elles pourraient contenir de trop, et en même temps pour perfectionner leur maturité ; après quoi on visitera ces graines, pour en rejeter toutes celles qui seront mal conformées, avortées, ou piquées par des insectes. Ensuite on disposera au fond d’une boîte de fer-blanc, d’une capacité suffisante pour contenir le double du volume des graines, un lit de terre d’un doigt d’épaisseur, sur lequel on établira un lit de semences écartées de quelques lignes les unes des autres ; on recouvrira ces graines de six lignes de terre, sur laquelle on disposera un autre lit de graines ; ainsi de suite, jusqu’à environ un doigt de la partie supérieure de la boîte, pour y mettre le dernier lit de terre qui doit être comprimé fortement par le couvercle, qu’on soudera.

La terre dont on se servira pour cette opération, ne doit être, ni trop sèche, ni trop humide, mais telle qu’on la rencontre à la surface de la terre, lorsqu’il n’a pas plu depuis huit ou dix jours. Trop sèche, elle absorberait l’humidité nécessaire à la conservation des graines ; trop humide, elle les ferait pourrir. C’est du juste milieu entre ces deux extrêmes, et proportionnément à la nature des graines, que dépend la réussite de cette espèce d’emballage.

Il n’est pas besoin d’avertir qu’il est important, après avoir soudé la boîte, de mettre dessus un titre qui annonce ce qu’elle renferme, toujours en rapport avec l’herbier et avec le journal du jardinier ; l’importance de cette précaution est trop sensible.

Les semences nues, d’un petit volume au-dessous de celui d’un pois, peuvent être mises pêle-mêle avec de la terre, sans observer de lit régulier, et du reste arrangées comme les précédentes.

Les graines renfermées dans des calices charnus, dans des baies, ou dans des fruits pulpeux, comme les figues, les groseilles, les pommes, les pêches, &c. doivent en être tirées lorsque ces fruits commencent à pourrir, signe de la parfaite maturité des semences ; on les étendra ensuite à l’air libre, après quoi on pourra les renfermer dans des caisses de fer-blanc, avec de la terre, comme il a été dit ci-dessus.

Pour varier les chances et ne rien donner au hasard, peut-être serait-il convenable d’emballer avec de la terre, et de la même manière que les semences nues, une portion de chaque espèce de celles qui viennent renfermées dans des capsules, siliques, &c. Cette précaution serait sur-tout très-utile à prendre, lors des récoltes du commencement du voyage : on ne saurait trop varier les procédés pour conserver les graines pendant un si long temps.

Jusqu’à présent toutes les boîtes dont nous avons recommandé le scellement à mesure qu’elles se trouveront remplies, ne doivent être ouvertes, en aucun cas, jusqu’à l’époque où arrivées en France, on sera disposé à semer les graines : elles n’exigeront d’autres soins pendant la traversée, que d’être placées dans l’endroit du vaisseau le moins exposé aux variations de l’atmosphère des parages qu’on rencontrera ; elles doivent être préservées aussi de trop d’humidité, et sur-tout de la grande sécheresse.

Parmi les semences, on n’est point encore sûr qu’il n’en existe pas plusieurs dont il soit impossible de retarder la germination, telles que celles des palmiers, des myrtes, des rubiacées, et en général toutes celles dont les graines sont remplies par un corps corné, et qui n’ont qu’un très-petit embryon logé dans une petite cavité ; ces familles sont nombreuses en beaux arbres, la plupart utiles. Le peu de réussite des semences de ces arbres, qui nous ont été apportées avec beaucoup de précautions, semble prouver cette impossibilité : il convient donc d’employer d’autres moyens pour se procurer ces êtres intéressans. Nous croyons qu’il conviendrait de semer les graines à mesure qu’on les récolterait. Il faudra pour cet effet avoir un coffre auquel on pourra donner les dimensions ou l’étendue qu’on jugera nécessaires à la quantité de graines qu’on aura à y mettre, mais auquel on ne pourra donner moins de vingt pouces de profondeur. Ce coffre doit être rempli d’une terre meuble substantielle, qu’on prendra à l’instant du besoin, dans un lieu fertile en plantes : on y semera les graines fort près les unes des autres, à différentes profondeurs ; les plus grosses, comme les cocos des Maldives, à huit pouces de profondeur, et les plus fines, à quatre lignes. On ménagera, entre la terre et le bord supérieur du coffre, un espace de deux pouces pour y mettre un lit de mousse, lequel sera contenu par quatre ou cinq traverses clouées sur les bords du coffre, pour assurer la masse qu’il renfermera contre les roulis du vaisseau. Les semis faits dans cette caisse, on établira à sa partie supérieure une rangée de cerceaux, sur laquelle on bâtira un grillage en fil de fer, pour préserver les semis du ravage des rats et des animaux domestiques du vaisseau, pendant la traversée. La culture de ces semis consistera à entretenir, par des arrosemens, la terre de ces caisses dans un état d’humidité favorable à la germination des graines, à les préserver des coups de soleil trop ardens, en les couvrant pendant le jour d’un canevas grossier, et sur-tout à les préserver du froid dans les parages où il y aurait à craindre des gelées, en les transportant dans le lieu le plus abrité du vaisseau, et enfin à sarcler avec ménagement les herbes trop voraces qui pourraient nuire à de plus délicates : deux petites portes pratiquées dans les deux parties du grillage des extrémités, faciliteront les moyens de faire cette opération autant de fois qu’elle sera nécessaire.

Nous avons présumé, jusqu’à présent, que le jardinier chargé des récoltes végétales, trouverait à son débarquement, dans les lieux qu’il parcourra, les graines mûres, ou presque mûres ; mais il peut arriver qu’il ne rencontre ni l’un ni l’autre, et que se trouvant dans une position à ne pouvoir enlever des individus en nature, il se voie dans la triste nécessité d’abandonner un lieu sans pouvoir montrer à l’Europe une seule de ses productions : dans un cas semblable, il lui restera une ressource dont il peut faire usage, même dans des circonstances moins défavorables.

Tout le monde sait que les graines des végétaux tombent à mesure qu’elles mûrissent, et qu’une grande partie est entraînée par les eaux dans les lieux bas, ou portée par les vents sur les lisières des bois : en ramassant avec un balai, dans ces différens lieux, une masse de quelques pieds cubes de terre prise sur une grande surface, on sera sûr d’emporter beaucoup de semences de plantes indigènes ; et ces terres, renfermées dans des boîtes, après avoir été desséchées convenablement, conserveront les semences jusqu’en Europe. Nous en avons eu la preuve par l’envoi que nous a fait de Cayenne M. Aublet. Ce voyageur avait embarqué une soixantaine de caisses remplies d’arbres et de plantes précieuses de cette colonie : les arbres moururent en chemin ; mais les terres où ils étaient plantés, ayant été étendues sur une grande surface de couches couvertes de châssis, produisirent un grand nombre de plantes, dont plusieurs se sont conservées dans nos jardins. On peut donc user de ce moyen avec certitude du succès : il est même le seul qui, dans certains cas, puisse procurer quelques espèces de plantes.

Les parties de la fructification des plantes de la famille des fougères, des champignons, &c. sont à peine connues ; à plus forte raison connaît-on moins encore les graines de ces plantes. Jusqu’à présent les pieds en racines qu’on a essayé de faire passer en Europe, n’ont eu aucun succès : il est probable qu’en ramassant les terres où croissent ces plantes, et en mêlant dans ces terres de leurs feuillages dans différens états, on obtiendra des germes qui, s’ils sont bien gouvernés dans leurs premiers développemens, nous procureront des plantes intéressantes. Pour cela, il faut que le jardinier chargé de ces envois, ait la plus grande attention de noter sur son journal la nature du sol où il aura fait sa récolte, son exposition, le degré d’humidité ou de sécheresse, enfin s’il l’a faite dans un terrain boisé ou découvert.

Pour économiser la place autant qu’il est possible, et pour tirer tout le parti dont les envois de semences qui seront faits à graines nues sont susceptibles, il faut choisir la terre dont on les accompagnera, comme il a été dit ci-dessus, plutôt que de la prendre au hasard ; ce qui demandera quelque attention de plus, mais procurera un bien plus grand avantage.

Pour terminer enfin ce qui reste à dire sur les envois de graines, nous tâcherons d’établir les proportions dans lesquelles on doit récolter chacune d’elles.

Il n’est pas douteux que les arbres et les plantes qui peuvent être utiles en Europe à la nourriture de ses habitans, doivent tenir le premier rang ; comme l’espèce de fougère dont la racine sert d’aliment aux peuples de la nouvelle Zélande. Les plantes d’usage dans les arts, occuperont le second ; celles qui peuvent servir à la décoration de nos jardins, le troisième ; enfin le quatrième comprendra les plantes qui ne sont propres qu’à tenir une place dans les jardins de botanique. On doit encore proportionner la quantité de la récolte de chaque espèce de graines, au climat dans lequel on la fera. Dans les pays dont la température est analogue à celle de l’Europe, on ne risque rien d’en ramasser en grande abondance, parce que l’emploi de ces graines sera facile à faire, devant être semées en pleine terre ; et leur quantité fournira les moyens de les multiplier en grand dans les différentes provinces de France. Celles des pays plus chauds doivent être ramassées en moindre quantité, parce que ces semences ayant besoin de couches, de châssis et de serres pour lever, on ne peut en conserver qu’un petit nombre, à moins qu’on ne veuille en faire passer dans nos colonies des Antilles et de l’Inde : alors il faut que la culture de ces objets soit susceptible de procurer des avantages.

Une autre observation non moins importante, c’est de colliger une plus grande quantité de chaque espèce de semences, dans les dernières années du voyage, que dans les premières ; parce qu’il est très-probable que, malgré tous les soins possibles, une partie des graines récoltées dans le commencement du voyage, s’appauvrira avant le retour des vaisseaux en Europe, et qu’il y en aura beaucoup de chaque espèce qui ne seront plus en état de lever ; au lieu que les récoltes des dernières années du voyage, seront infiniment meilleures.

Si l’on prévoyait devoir toucher pendant le voyage à des établissemens européens, il serait bien intéressant que le jardinier fît ses dispositions d’avance, pour y déposer une pacotille de petits paquets de toutes les espèces de semences qu’il aurait colligées précédemment, et qu’il y joignît aussi un double de son herbier, dont les numéros, seront en rapport avec ceux qu’il mettra sur les sachets des graines qu’il rapportera en Europe. Ces envois pourraient être contenus dans des boîtes de fer-blanc renfermées dans des caisses enveloppées de toile cirée, et adressées à M. le maréchal de Castries, pour les jardins du roi.

Du transport des bulbes, oignons, racines charnues de plantes vivaces, et de leur culture pendant le voyage.

Il n’y a pas de doute que si l’on rencontre ces plantes dans leur état de repos, c’est-à-dire, lorsque leur fructification est achevée et leurs fanes desséchées, ce sera la saison la plus favorable de les lever de terre ; elles n’exigeront ensuite d’autres soins que d’être épluchées pour les dégager des enveloppes qui pourraient s’imprégner de l’humidité de l’air et occasionner la pourriture des oignons : exposées pendant quelques jours aux rayons du soleil, elles se ressuieront, et l’on pourra alors les renfermer dans des boîtes, lit par lit, avec du sablon fin et sur-tout fort sec.

Si l’on ne rencontre ces plantes qu’en pleine végétation, il conviendra alors de les lever de terre en mottes, de les planter dans des paniers et de les y cultiver jusqu’au temps où leurs fanes étant amorties, on pourra les arracher sans risque. En prenant les précautions indiquées dans l’article précédent, on parviendra à les conserver.

Ces bulbes n’étant pas susceptibles d’être retardées dans leur végétation, à l’époque où elles ont coutume de croître, elles pousseront, quelque chose qu’on fasse ; il convient donc que le jardinier ait l’attention de visiter de temps en temps les boîtes où il les aura renfermées. Lorsqu’il s’apercevra qu’elles commenceront à entrer en végétation, il faut qu’il les en tire, et qu’il dispose pour leur plantation une ou plusieurs caisses de huit pouces, ou d’un pied tout au plus. Elles seront remplies d’une terre légère, sablonneuse et substantielle, que le jardinier prendra dans un sol qui lui paraîtra le plus fertile en plantes, toujours dans la vue d’acquérir des productions indigènes, ce qui multipliera les chances sans augmenter l’embarras du transport. Les oignons peuvent être plantés à un demi-pouce les uns des autres, et à la profondeur d’un à quatre pouces, suivant leur grosseur. La plantation faite, il est bon qu’il se trouve environ deux pouces de vide entre la terre et le bord du coffre, pour y mettre un lit de mousse longue, ou à son défaut, d’herbe sèche : on clouera sur ce coffre un grillage de tringles, pour assurer toute la masse contre les roulis du vaisseau ; on pratiquera ensuite le bâtis de cerceaux, et le grillage de fil de fer.

Pendant la végétation de ces plantes bulbeuses, la culture doit consister en des arrosemens légers, en des sarclages, en des soins assidus pour les garantir de l’ardeur du soleil, des pluies trop abondantes, et sur-tout du froid.

Lorsque la végétation des plantes bulbeuses sera accomplie, il conviendra alors de les priver d’eau entièrement, d’accélérer le dessèchement de leurs fanes, en les laissant exposées au plus grand soleil ; après quoi rien n’empêchera qu’on ne relève ces oignons de terre, et qu’on ne les renferme dans leurs boîtes, après avoir pris les précautions indiquées pour leur conservation. Ces soins se répéteront autant de fois qu’il s’écoulera d’années pendant le voyage.

Pour ne pas perdre l’historique de la végétation de ces espèces de bulbes dans des déplacemens si multipliés, il conviendrait qu’on assujettît, avec un fil de fer, un numéro en plomb à chacune d’elles, lequel fût relatif au journal du jardinier.

Du choix des arbres vivans qu’on voudra rapporter en Europe, et de leur culture pendant le voyage.

On ne doit user que fort modérément de ce moyen d’acquérir des productions des pays qu’on parcourra, et sur-tout dans le commencement du voyage. Il est peu de végétaux qui, cultivés pendant trois à quatre ans dans des caisses, et éprouvant des changemens presque subits d’une température à une autre, puissent résister à tant de contrariétés, malgré les soins assidus dont nous allons ébaucher le détail : il faut donc absolument se restreindre à ne colliger de cette manière que les objets essentiels qu’il sera impossible de se procurer de semence.

Il faut choisir des individus jeunes ; ceux venus de semence sont préférables à ceux qui croissent sur souche : il est bon qu’ils soient bien sains et vigoureux, que leurs tiges ayent à peu près la grosseur du pouce par le bas, et qu’ils soient branchus dès leurs racines, s’il est possible ; il faut les déplanter avec soin, sans casser ni froisser les racines.

On les plantera dans des caisses le plus près possible les uns des autres.

Pour faire cette opération avec succès, voici les moyens qu’on doit employer. La caisse établie d’un bois solide, sera placée de niveau sur des tasseaux qui élèveront le fond de la caisse de quelques pouces au-dessus du sol, dans un lieu abrité du soleil. Dans le fond de la caisse, et sur les trous qui y auront été pratiqués, on placera quelques coquilles ou menues pierrailles, pour empêcher la sortie de la terre et faciliter l’écoulement des eaux. Après cela, on fera un lit de terre meuble et substantielle, de deux à trois pouces de haut, dans toute l’étendue de la caisse : ensuite, si les arbres et arbustes qu’on se proposera d’apporter, sont à racines nues, on les disposera les uns contre les autres, en plaçant ceux qui ont les racines les plus volumineuses les premiers, et ceux qui en sont le moins pourvus, entre les autres, et le plus près qu’il sera possible, pour économiser la place ; enfin avec de la terre fine et bien sèche, pour qu’elle s’insinue dans tous les vides des racines, on enterrera les arbres jusqu’au collet, ayant soin, à fur et mesure qu’on la répandra sur les racines, de la tasser, soit en battant la caisse contre terre, soit en se servant d’un plantoir pour la fouler entre les racines, et faire en sorte qu’elle remplisse tous les vides. Cette opération faite, on arrosera cette caisse à plusieurs reprises, jusqu’à ce que l’eau perce par les trous d’en bas, et on rabattra les jeunes arbres à sept ou huit pouces au-dessus de la terre : il sera bon de couvrir la surface de la terre d’un lit de mousse de quelques pouces d’épaisseur, tant pour conserver l’humidité, que pour affermir la masse totale, au moyen d’un grillage en bois.

Si les arbustes, au lieu d’être à racines nues, sont en mottes, c’est-à-dire, garnis de terre autour des racines, leur réussite en sera plus sûre ; alors on rapprochera ces mottes les unes des autres dans la caisse, et, pour regagner la perte de place qu’elles occasionneront par leur volume, on pourra planter entre chacune d’elles des boutures d’arbres qui se propagent de cette manière, tels que les palétuviers, les figuiers, et autres arbres spongieux ; d’ailleurs on pourra y semer des graines, comme dans les autres, et les arranger, pour le reste, de la même manière.

Ces caisses ainsi garnies d’arbrisseaux, pourront être embarquées sur les vaisseaux. Leur culture doit être la même que celle qui se pratique dans nos serres chaudes : elle consistera, d’abord en des arrosemens journaliers, proportionnés au besoin des individus et au degré de chaleur des parages où l’on se rencontrera ; il vaut mieux pécher par défaut que par excès ; les suites en sont moins à craindre pour la conservation des arbres. Ces arrosemens seront faits avec de l’eau douce, l’eau de mer étant nuisible à presque tous les végétaux : on les administrera le matin et le soir dans les latitudes chaudes, et avec l’arrosoir à pomme, en manière de petite pluie, qui lave les feuilles et les tiges avant que d’imbiber la terre. Dans les pays froids, au contraire, il faut n’arroser que dans un besoin pressant, choisir l’heure du jour la plus chaude, et verser l’eau avec l’arrosoir à goulot, seulement au pied des plantes qui en auront besoin.

Indépendamment de ces soins, il est important que le jardinier surveille chaque jour ses arbrisseaux, qu’il les nettoie des feuilles mortes et des insectes qui pourraient leur nuire, qu’il rogne les pousses trop vigoureuses, qu’il les abrite du froid, de l’extrême chaleur, de la sécheresse, de la trop grande humidité ; et sur-tout, dans les parages où il ne sera pas possible de les laisser à l’air libre, qu’il renouvelle de temps en temps l’air des caisses, en ouvrant pendant quelques heures les deux petites croisées de l’extrémité ; sans cela les plantes s’étioleraient, elles moisiraient, et finiraient par périr.

Les plantes succulentes, de la nature des plantes grasses, telles que les raquettes, les cierges, les aloës, les euphorbes, les pourpiers ligneux, les ficoïdes, &c. pourront s’apporter en nature de la même manière que les arbrisseaux ; mais il ne faut pas les mêler ensemble, parce qu’elles exigent une autre culture. On en fera des caisses séparées ; la terre où elles seront plantées très-près les unes des autres, doit être d’une nature compacte ; six à huit pouces d’épaisseur au fond d’une caisse suffiront pour les recevoir : au lieu de mousse, on mettra sur cette terre une couche de paille longue ou de foin bien sec, fortement assujettie par un grillage de bois ; et lorsque ces plantes auront été plantées dans les caisses, on les arrosera assez abondamment pour consolider la terre autour des racines pendant le voyage. Ces plantes ne devront être arrosées que lorsqu’elles en auront le plus grand besoin ; on leur donnera de l’air le plus souvent qu’il sera possible, et on les garantira sur-tout de l’humidité et du froid.

Voilà à peu près toutes les précautions essentielles qu’on doit prendre pour la réussite des plantes en nature. L’intelligence du jardinier suppléera à une infinité de petits détails qu’on n’a pu prévoir ; mais nous croyons qu’on ne doit user de ce moyen d’enrichir l’Europe de productions étrangères, que l’année du retour des vaisseaux.

Nous terminerons ce mémoire par l’état des outils et ustensiles dont il est bon que le jardinier soit pourvu pour ses cultures et ses récoltes, pendant le voyage.

État des objets nécessaires au jardinier pendant son voyage.

1°. Vingt-quatre boîtes de fer-blanc, de différentes grandeurs, depuis dix pouces de long, sur huit de large et six de profondeur, jusqu’à vingt pouces de long, sur seize de large et douze d’épaisseur.

Ces boîtes sont destinées à mettre une partie des semences qu’on emportera d’Europe, et elles serviront, au retour, à contenir les graines qu’on aura rencontrées pendant le voyage.

2°. Deux arrosoirs, dont un à pomme fine, et l’autre à goulot, pour cultiver les plantes en nature sur le vaisseau, et pour la culture première des graines qu’on sèmera dans différens parages.

3°. Quatre serpettes de différentes tailles, pour servir et dans les cultures et dans les récoltes.

4°. Deux greffoirs pour le même usage.

5°. Deux thermomètres à mercure, gradués suivant Réaumur, pour être placés dans les caisses de plantes vivantes, afin de diriger le jardinier sur leur culture.

6°. Les dix poinçons nécessaires pour frapper les numéros propres à marquer les arbres et plantes qu’on emportera d’Europe, et ceux qu’on y rapportera.

7°. Soixante livres de plomb laminé, d’une ligne d’épaisseur, pour faire des numéros.

8°. Un bâton de six pieds de long, divisé en pieds dans sa longueur, qui, par le bas, aura une douille sur laquelle se vissera une petite bêche pour lever des plantes avec leurs racines, et par sa partie supérieure une autre emboîture pour y placer un petit croissant avec un crochet, pour atteindre aux branches d’arbres qui seront hors de la portée de la main.

9°. Deux pioches à deux pointes, dont une sera aplatie, et l’autre aiguë, propres à faire les défonçages nécessaires à la plantation des arbres, ou enlever ceux qu’on voudra rapporter en Europe.

10°. Deux bêches destinées au même usage.

11°. Deux scies à main, fermant en couteau, propres à scier les branches d’arbres dont il ne serait pas possible de se procurer des graines autrement.

12°. Trois boîtes de fer-blanc, de seize pouces de long, sur dix de large et six d’épaisseur, divisées dans l’intérieur en plusieurs compartimens ; s’ouvrant à charnière, et ayant des anneaux pour les suspendre en bandoulière, lorsqu’on ira récolter des graines et des plantes pour l’herbier.

13°. Six autres boîtes de fer-blanc, de seize pouces de long, sur onze de large et un pied d’épaisseur, pour mettre les plantes sèches, dont les numéros seront en rapport avec ceux qui seront mis sur les semences qu’on récoltera.

14°. Six rames de grand et fort papier gris, non collé, pour préparer les exemplaires de plantes qu’on destinera à l’herbier.

15°. Quatre rames de grand papier blanc, pour mettre les plantes sèches.

16°. Quatre livrets in-4° de papier blanc, propres à faire le journal du jardinier, et les états des productions qu’il emporte, et de celles qu’il rapportera de son voyage.

17°. Une grande écritoire garnie de deux canifs, d’une douzaine de crayons, et d’un stylet pour disséquer les graines.

18°. Une loupe à deux lentilles.

19°. Les Élémens d’agriculture, de Duhamel, 2 vol. in-12.

20.° La Physique des arbres, de Duhamel, 2 vol. in-4°.

Ces deux ouvrages sont destinés à l’instruction et à l’amusement du jardinier pendant un si long voyage.

État des graines qu’il est nécessaire d’acquérir pour semer dans les différens lieux qu’on parcourra.


PREMIÈRE DIVISION.
Objets qui peuvent se manger sans préparation.
fruits d’arbres.
Pepins de Pommes 6 boisseaux.
Poires 6 midem.
Raisin 8 midem.
Groseilles 8 litrons.
Noyaux de Pêches 2 boisseaux.
Abricots 1 midem.
Prunes 1 midem.
Cerises ½ midem.
Amandes 2 midem.
Noix 2 midem.
fruits d’herbes.
Graines de Melons de différentes espèces 6 litrons.
Pastèques à chair rouge et à chair blanche 4 midem.
Artichauts blancs et violets 4 midem.
Poivre de Guinée 1 midem.
légumes.
Graines de Céleri de différentes variétés 1 boisseau.
Cerfeuil ½ midem.
Cresson alénois 1 midem.
Persil de différentes variétés 4 litrons.
Pourpier doré 1 midem.
Oseille 1 midem.
Laitue pommée ½ boisseau.
Laitue romaine ½ midem.
Petite laitue à couper 1 midem.
Chicorée sauvage 1 midem.
racines.
Oignons blancs et rouges 1 midem.

Navets des différentes variétés 2 midem.
Raves des différentes espèces 6 litrons.
Radis noirs et blancs 2 midem.
Ail 1 midem.
Échalotes 1 midem.


DEUXIÈME DIVISION.
Substances qui n’ont besoin d’autre préparation pour être mangées, que d’être cuites à sec.
racines.
Oignons blancs et rouges 1 midem.
Pommes de terre 1 litron.
Carottes des diverses variétés 2 boisseaux.
Chiroui 3 lirons.
Panais 1 boisseau.
Salsifis d’Espagne 1 midem.
Salsifis blanc ½ midem.
Betterave rouge, blanche et jaune 3 midem.
semences céréales.
À acquérir à Brest Froment des différentes espèces 8 boisseaux.
Maïs des différentes variétés 4 midem.
Sarrasin, ou blé noir 4 midem.
Riz de Piémont 4 midem.
Orge des différentes espèces 4 midem.
Avoine des différentes variétés 2 midem.
Seigle 4 midem.


TROISIÈME DIVISION.
Productions qui ne sont mangeables que cuites dans un fluide, et qui ne conviennent, pour cette raison, qu’aux peuples qui ont l’usage des vaisseaux propres à les faire cuire.
Pois des différentes espèces 6 boisseaux.
Haricots des différentes espèces 6 midem.
Fèves de marais des différentes variétés 3 midem.
Lentilles de la grosse espèce 2 midem.
Pois chiches blancs et rouges 1 midem.
Lupins 2 litron.
Vesce blanche et noire 2 midem.
Fenu-grec 1 midem.
Moutarde blanche 1 midem.
Mélongène ½ midem.
Chou pommé blanc 1 boisseau.
Chou pommé rouge 1 midem.
Citrouille et potiron 1 midem.
Concombre 1 litron.
Courge 1 midem.
Calebasse 1 midem.
Bonne-dame 1 boisseau.
Carde-poirée ½ midem.
Tabac ¼ de litron.

Nota. Il conviendra de diviser cet assortiment de graines en quatre parties égales, dont chacune sera renfermée dans une caisse qu’on n’ouvrira qu’à l’instant d’en semer les graines, et cela pour remédier à l’inconvénient d’éventer des semences qui ne devront être employées que plusieurs mois et même une année après leur récolte.

État des végétaux qui doivent être transportés en nature.
arbres et arbustes fruitiers.
1 Pommier de calville rouge.
1 Pommier blanc.
2 Pommiers de reinette franche.
2 Pommiers d’api.
1 Poirier de beurre d’Angleterre.
2 Poiriers de bon-chrétien.
2 Poiriers de crassane.
2 Poiriers de Saint-Germain.
4 Vignes-chasselas doré.
4 Vignes-muscat.
2 Vignes-raisin de Corinthe.
2 Pêchers-grosse mignonne.
1 Pêcher-brugnon.
2 Pruniers de reine-claude.
1 Prunier de mirabelle.
2 Pruniers de gros damas de Tours.
2 Abricotiers ordinaires.
2 Abricotiers-pêche.
3 Figuiers blancs.
2 Figuiers-angélique.

2 Figuiers violets.
2 Cerisiers de Montmorenci.
2 Guigniers.
2 Bigarreautiers.
2 Oliviers francs.
2 Coignassiers de Portugal.
1 Mûrier noir.
2 Châtaigniers cultivés.
1 Noyer à coque tendre.
1 Amandier à coque tendre.
2 Framboisiers de Malte.
plantes légumières.
Pommes de terre des différentes variétés À prendre à Brest.
Topinambour
Ail
Échalotes
Patates À prendre aux îles du cap Vert, au cap de Bonne-Espérance, ou dans l’Amérique septentrionale.
Ignames.
arbustes d’agrément.
Rosier à cent feuilles.
Lilas.
Tubéreuse.