Voyage autour du monde fait dans les années 1740, 1, 2, 3, 4/Livre III/Ch. V

CHAPITRE V


Ce que nous fimes à Tinian, jusqu’à notre dernier départ de cette Ile ; avec une courte description des Iles des Larrons.


Dès que le Commandeur fut revenu à bord du Centurion, au retour de ce Vaisseau à Tinian, il résolut de ne rester à cette Ile, qu’aussi longtems qu’il le faudroit, pour faire une provision suffisante d’eau, et dans cette vuе, nous nous mimes immédiatement à l’ouvrage. Mais la perte de notre double Chaloupe qui avoit été brisée contre notre poupe, la nuit que nous fumes forcés en Mer, nous jetta dans de grands embaras. Nous fumes obligés de transporter toutes nos Futailles sur des Radeaux, et les Courans étoient si violens, qu’outre les délais et les peines que ce transport nous occasionna, il nous arriva souvent de perdre les Radeaux et toute leur charge. Ce ne fut pas tout, le 14 d’Octobre un coup de vent, violent et soudain, nous fit chasser sur notre ancre et nous rejetta en Mer. Il est vrai que pour cette fois, nous avions à bord le Commandeur et les principaux Officiers, mais il restoit à terre près de soixante et dix hommes, occupés à remplir nos Futailles et à ramasser des provisions. Ils avoient avec eux nos deux Canots, qui ne suffisoient pas pour les ramener à bord, tous à la fois, ainsi on leur envoya le Bateau à dix-huit rames, et on 1eur marqua par un signal de s’embarquer en aussi grand nombre qu’il se pourroit. Les deux Canots vinrent d’abord, pleins de monde, mais il y avoit quarante de nos Gens, employés à tuer des Bêtes à corne, dans le Bois, et à les transporter au lieu d’embarquement ; et quoique le Bateau restât pour les emmener, le Vaisseau fut efflotté à une si grande distance de terre, qu’il leur fut impossible de nous joindre. Cependant le tems étoit plus favorable, et notre Equipage plus fort que la première fois, nous revinmes à l’ancre, au bout de cinq jours, et délivrames ceux qui étoient à terre, de la crainte qu’ils avoient encore eue d’être abandonnés dans cette Ile déserte.

A notre arrivée, nous trouvames que la Barque Espagnole, unique objet de leurs dernières espérances, avoit encore subi une nouvelle métamorphose. Ceux qui étoient restés à terre, désespérant de nous revoir, et ayant conçu que le travail d’allonger cette Barque étoit alors un travail excessif et inutile, vu leur petit nombre, avoient résolu d’en rejoindre les deux pièces et de la remettre dans son prémier état. L’ouvrage avançoit déja, et ils en seroient venus à bout, si notre retour ne l’eût fait abandonner.

En arrivant nous apprimes qu’immédiatement avant notre retour, deux Pros s’étoient approchés du rivage, et s’étoient arrêtés là jusqu’à ce que la vue de notre Vaisseau les avoit fait éloigner. A cette occasion, je vais rapporter un incident, arrivé pendant la première absence de notre Vaisseau, mais dont je n’ai pas encore parlé, pour ne pas interrompre le fil de la narration.

J’ai déja dit qu’une partie du Détachement qui étoit sous les ordres du Sergent Espagnol, étoit resté caché dans les Bois ; et nous nous étions d’autant moins mis en peine de les y chercher, que nos Prisonniers nous assuroient qu’il étoit impossible à ces Gens de gagner l’Ile de Guam, ni d’y faire parvenir aucun message. Pendant la première absence du Centurion, le Commandeur qui étoit resté à terre, entreprit, avec quelques-uns de ses Officiers, de faire le tour de l’Ile : dans cette promenade, étant sur une petite hauteur ces Messieurs apperçurent dans un Vallon voisin, un petit buisson auquel ils remarquèrent un mouvement progressif. Cet objet, comme l’on peut croire, attira leur attention, et ils s’assurèrent bientôt que c’étoient quelques fagots de branches de Cocos trainés par des Gens qui en étoient couverts. Il n’étoit pas difficile de conclure que ce devoit être quelques-uns de ceux du Détachement du Sergent Espagnol ; et le Commandeur avec sa Compagnie, se mit à leurs trousses, dans l’espérance de découvir le lieu de leur retraite. Les Indiens se voyant découverts, s’enfuirent au plus vite ; mais Mr. Anson étoit si près d’eux, qu’il ne les perdit de vue, que dans le moment, qu’ils entroient dans leur Caverne. Il les y suivit, et la trouva vuide, les Indiens s’étant échappés par une autre issue, qui donnoit sur une descente escarpée. Mr. Anson ne trouva dans cette Caverne, pour toutes armes, que deux vieux Mousquets ; mais il y avoit des provisions en abondance, entre autres des côtes de Porc salé, qui étoient excellentes. Les Indiens avoient préparé un diner copieux, vu le petit nombre qu’ils étoient ; d’où nos Gens inférèrent que l’appétit extraordinaire, qu’ils se sentoient, depuis qu’ils se trouvoient dans cette Ile, étoit un accident commun à tous ceux qui y faisoient quelque séjour. Mr. Anson et sa Compagnie profitèrent de ce repas, qui leur venoit fort à propos ; aussi bien notre Commandeur ne voyoit pas moyen d’attraper les Indiens, qu’il auroit pourtant bien voulu joindre, comptant, s’il pouvoit leur parler, de réussir à les engager à notre service. Malgré les assurances que nos Prisonniers nous avoient données de l’impossibilité de la chose, nous avons eu lieu depuis d’être persuadés, que ces Indiens furent transportés à Guam, longtems avant notre départ de Tinian.

Après notre second retour à cette Ile, nous travaillames de toutes nos forces à compléter notre provision d’eau ; et, le 20 d’Octobre, nous en avions cinquante tonneaux à bord, quantité que nous crumes suffisante pour notre Traversée jusqu’à Macao. Le lendemain, nous envoyames à terre, un homme de chaque Gamelle, pour y chercher autant qu’ils pourroient d’Oranges, de Citrons, de Cocos, et d’autres Fruits que l’Ile fournit. Ces Pourvoyeurs étant revenus le soir du même jour, nous mimes le feu à la Barque Espagnole et au Pros, hissames nos Chaloupes à bord, et quittames Tinian, pour la troisième et dernière fois ; emportant avec nous une idée de cette Ile, qui tient un peu du romanesque, et que produisirent en nous, la fertilité de son terroir, la beauté du païsage, la pureté de son air, et les avantures singulières que nous y avions eues.

Avant que de parler de notre Traversée d’ici à Formosa, et au delà à Canton, je vais donner une courte description des Iles des Larrons, оu Iles Marianes, du nombre desquelles est celle de Tinian.

Ces Iles furent découvertes еn 1521 par Magellan, et par ce qui est dit dans son Voyage, des deux, qu’il reconnut, ce doivent être celles de Saypan et de Tinian ; toutes deux belles, fertiles, et situées entre 15° et 16° de Latitude Septentrionale : car ce sont là les traits par où elles sont désignées dans ce Voyage, et ces traits conviennent parfaitement aux deux Iles que je viens de nommer. Celle de Tinian a reçu des Espagnols le surnom de Buenavista, et celle de Saypan, qui est à 15° 22’, de Latitude Nord n’offre pas un coup d’œil moins agréable : on peut s’en convaincre par la vue, que j’en donne ici. C’est celle du côté du Nord-Ouest de l’Ile, prise à la distance de trois lieues.

On compte ordinairement douze de ces Iles ; mais il paroit par la Carte, que je joins ici de la partie Septentrionale de l’Océan Pacifique, que si on veut compter les Ilots et les Rochers, il s’en trouvera plus de vingt. Ces Iles ont été autrefois fort peuplées ; on prétend même, qu’il n’y a pas plus de soixante ans que Guam, Rota et Tinian, qui en sont les trois principale, contenoient plus de cinquante mille Habitans. Depuis ce tems-là Tinian est totalement dépeuplé, et l’on n’a laissé que deux ou trois cens Indiens à Rota, pour cultiver du Ris, qui sert à nourrir les Habitans de Guam ; ensorte qu’il n’y a proprement que cette dernière Ile, qu’on puisse dire habitée. C’est-là, que les Espagnols ont un Etablissment, un Gouverneur et une Garnison, et que le Galion de Manille touche à son retour d’Acapulco. Les Espagnols disent que cette Ile a trente lieues de tour, et qu’elle est peuplée de quatre mille ames, dont le quart habite la Ville de St. Ignatio de Agand, Capitale de l’Ile, et résidence du Gouverneur. Les Maisons en sont, dit-on, considérables pour un lieu aussi reculé et d’aussi peu de commerce, elles sont bâties de pierres et de bonne charpente. Ce poste qui n’est important que par le passage du Galion et les rafraichissemens qu’il lui fournit, est défendu par deux Forts, situés sur le rivage de la Mer ; l’un s’appelle le Château de St. Angelo, et défend la Rade où le Galion mouille, autant que ses forces le permettent, telles qu’on peut les estimer par l’état de son Artillerie, qui consiste en cinq pièces de huit livres de balles. L’autre nommé St. Louis, est à quatre lieues au N. E. du prémier, et destiné à défendre une Rade où mouille un petit Bâtiment de Manille, qui vient à cette Ile, tous les deux ans une fois. Ce dernier Fort est garni d’Artillerie, précisément comme l’autre : et outre ces deux Forts, il y a encore une Batterie de cinq pièces, sur une éminепсе voisine de la Mer. La Garnifon Espagnole consiste en trois Compagnies d’Infanterie, de quarante à cinquante Hommes chacune ; et ce sont-là toutes les Troupes, sur quoi le Gouverneur peut compter : car pour les Indiens, il s’y fie si peu qu’il a pris le parti de ne leur souffrir ni Armes à feu, ni Lances.

Les autres Iles, quoiqu’inhabitées, sont fertiles en plusieurs sortes de vivres excellens ; mais sans Ports, ni bonnes Rades. J’ai déja parlé de celle de Tinian ; la Rade de Guam n’est pas beaucoup meilleure ; il arrive souvent que le Galion, quoiqu’il n’y séjourne que vingt-quatre heures, chasse sur ses ancres, est jetté en Mer, et contraint d’abandonner sa Chaloupe. On ne cesse de la part du Conseil de Manille d’exhorter le Gouverneur de Guam, à employer toute son industrie pour découvrir un Port sûr dans ces Quartiers. Je ne sais jusqu’où va cette industrie, et quel soins on s’est donnés pour cet effet ; mais il est certain que jusqu’à présent, on ne connoit pas un seul bon Port, dans aucune des Iles, qu’on trouve en assez grand nombre, entre le Méxique et les Philippines quoique dans tout autre Quartier du Monde, rien ne soit si commun que de trouver de fort petites Iles, fournies de Рorts excellens.

On voit que le nombre des Espagnols, habitués à Guam, est fort petit, en comparaison de celui des Indiens, et qu’autrefois c’étoit encore tout autre chose. Ces Indiens sont des Gens bienfaits, résolus, et à en juger par quelques-uns de leurs usages, très ingénieux. Leurs Pros qui sont les seuls Vaisseaux dont ils se servent, depuis des siècles, sont d’une invention, quu feroit honneur aux Nations les plus civilisées. On ne peut rien imaginer de plus convenable que ces Pros, pour la navigation de ces Iles, qui gissent toutes à peu près sous le même Méridien, entre les limites des vents alisés, et où par conséquent, pour passer de l’une à l’autre, il falloit des Bâtimens ргорres sur-tout à recevoir le vent de côté. Ceux-ci répondent parfaitement à cette vue ; outre cela la structure en est si simple, et ils sont d’une vitesse si extraordinaire, qu’ils méritent bien qu’on en fasse une description particulière, d’autant plus que ceux qui en ont déja parlé, n’en ont pas donné une idée assez exacte. C’est à quoi je vais tâcher de suppléer, tant pour contenter la curiosité des Lecteurs, que dans l’espérance que ceux, qui sont employés à la construction de nos Vaisseaux, et nos Marins, en pourront tirer quelque utilité. Au reste je suis en état de remplir cette tâche : j’ai dit ci-devant qu’un de ces Bâtimens nous tomba entre les mains, à notre arrivée à Tinian : Mr. Brett le débâtit, afin d’en examiner et mesurer toutes les pièces ; ainsi on peut regarder la description, que j’en vais donner, comme très exacte. Ces Bâtimens sont nommés Pros, à quoi on ajoute souvent l’épithète de volant, pour marquer l’extrême vitesse de leurs cours. Les Espagnols en racontent des choses incroyables, pour quiconque n’a jamais vu voguer ces Vaisseaux ; mais ils ne sont pas seuls témoins de faits extraordinaires à cet égard : ceux qui voudront en avoir quelques-uns bien avérés, peuvent s’en informer à Portsmouth, où l’on fit il y a quelques années des expériences, sur la vitesse de ces Bâtimens, avec un Pros assez imparfait qu’on avoit construit dans ce Port. Ce que je puis dire, c’est que suivant l’estime de nos Gens qui les ont observés à Tinian, tandis qu’ils voguoient, avec un vent alisé frais, ils faisoient vingt milles en une heure : cela n’approche pas de ce que les Espagnols en racontent, mais c’est cependant une très grande vitesse.

La construction de ces Pros est toute différentes de ce qui se pratique dans tout le reste du Monde, en fait de Bâtimens de Mer : tous les Vaisseaux ont la Proue différente de la Poupe, et les deux côtés semblables ; les Pros, au contraire, ont la Proue semblable à la Poupe, et les deux côtés différens : celui qui doit toujours être au Lof, est р1аt ; et celui qui doit être sous le vent, est courbe, comme dans tous les autres Vaisseaux. Cette figure et le peu de largeur de ces Bâtimens les rendroit fort sujets à sombrer sous voiles, sans une façon fort extraordinaire qu’on y ajoute ; c’est une espèce de Cadre, ajustée au côté qui est sous le vent, et qui soutient une poutre creusée, et taillée en forme de petit Canot. Le poids de ce Cadre sert à tenir le Pros en équilibre, et le petit Canot qui est au bout, et qui plonge dans l’еаu, soutient le Pros, et l’empèche de sombrer sous voiles. Le corps du Pros, au moins de celui que nous avons examiné, est composé de deux pièces, qui s’ajustent suivant la longueur, et qui sont cousues ensemble, avec de l’éсогсе d’arbres, car il n’entre aucun fer dans cette construction. Le Pros a deux pouces d’épaisseur vers le fond ; ce qui va en diminuant jusqu’aux bords, qui ne sont épais que d’un pouce, Les dimensions de chaque partie se concevront aisément, à l’aide de la Planche ci-jointe, où tout est exactement rapporté à la même Echelle : je vais en donner les renvois aussi distinctement qu’il me sera possible.

La Figure 1 représente le Pros sous voile, vu du côté du Lof.

La Figure 2 le représente, vu par Proue, le Cadre et le petit Canot qu’il soutient à son extrémité, est du côté qui est sous le vent.

La Figure 3 est le Plan de tout le Bâtiment :

(AB) est le côté du Pros qui est au Lof ; (CD) le côté qui est sous le vent ; (EFGH) le Cadre qui s’étend du même côté ; (IL) le petit Canot au bout de ce Cadre ; (MNPQ) deux bras, dont l’un vient de la Poupe et l’autre de la Proue, destinés à affermir le Cadre ; (RS) une Planche mince, placée au côté du Pros qui est sous le vent, pour l’empêcher de puiser par le haut ; c’est là que s’asseoit l’Indien, qui vuide l’eau du fond du Pros, et cette Planche sert aussi à y placer des Marchandises ; (I) est l’endroit de la pièce du milieu du Cadre, où le Mât est fixé : ce Mât est affermi, (Figure 2) par l’Etançon (CD), par le Hauban (EF), et par deux Etais, dont on en voit un, (Fig. 1) (CD), l’autre est caché par la Voile. La Voile (EFG) (Fig. 1) est faite de nattes ; le Mât, la Vergue, la Vergue inférieure et le Cadre sont de Bambous : le Talon de la Vergue est toujours logé dans un des Creux (T) ou (V) (Fig. 3 ) suivant la Bordée que court ce Pros. Lorsqu’on vent changer de Bordée, on arrive un peu pour avoir le vent eu Poupe ; alors en lâchant l’Ecoute, on dresse la Vergue, et faisant courir le Talon, le long du côté du Lof, on le fixe dans le Creux opposé ; tandis que la Vergue inférieure, en lâchant l’Ecoute (M), et en halant l’Ecoute (N) (Fig. 1) prend une situation opposée à celle où elle étoit auparavant ; ainsi ce qui étoit la Poupe du Pros en devient la Proue, et on a changé de Bordée. Quand il est nécessaire de prendre des Ris, ou de ferler la Voile, cela se fait en la roulant autour de la Vergue inférieure. Un Pros est ordinairement monté de six ou sept Indiens ; un à la Proue et un autre à la Poupe ; ces deux gouvernent chacun à son tour, par le moyen d’une Pagaye, dont se sert celui qui est à la Poupe, suivant la Bordée que l’on court. Les autres s’occupent à vuider l’eau qui peut entrer par hazard dans le Vaisseau, et à maneuvrer la Voile. On voit par cette description, que ces Pros sont d’une commodité admirable, pour voyager entre ces Iles qui sont toutes situées Nord et Sud, et entre les limites des vents alisés d’Est. Ces Bâtimens vont mieux qu’aucun autre à la Voile avec un vent de côté, et ont la commodité d’aller et venir, en changeant seulement leur voile, et sans jamais virer de bord. Ils ont aussi l’avantage d’aller avec une vitesse bien plus grande, qu’un Vaisseau qu’un Vaisseau qui a le vent en Poupe, et souvent plus vite que le vent même. Quelque paradoxe que cette proposition puisse paroître, elle n’en est pas moins vraie, et nous la voyons tous les jours vérifiée par une expérience commune et qu’on peut faire sans aller en Mer : il ne faut que faire attention aux Moulins à vent, dont les ailes se meuvent quelquefois plus vite que le vent : et c’est-là un avantage que les Moulins ordinaires auront toujours sur tous ceux dont le mouvement seroit horizontal. Car les ailes d’un Moulin horizontal se dérobent à la vitesse du vent, à mesure qu’elles tournent plus vite : au-lieu que les Moulins ordinaires, se mouvant perpendiculairement au courant de l’air, le vent agit sur leurs ailes dans leur plus violent mouvement, tout comme si elles étoient en repos.

En voila assez sur la construction et sur les usages de ces Bâtimens extraordinaires : il est vrai que l’on trouve dans plusieurs endroits des Indes Orientales, des Vaisseaux qui ont quelque ressemblance avec ceux-ci ; mais aucun ne leur est comparable, tant en simplicité dans leur structure qu’en vitesse dans leurs mouvemens. Il paroit qu’on pourroít inférer de-là que les Pros sont les Originaux de tous ces autres Bâtimens ; qu’ils sont la production de quelque génie distingué de ces Iles, dont les Peuples voisins n’ont fait qu’imiter l’invention. Quoique les Habitans des Iles des Larrons n’ayent pas de communication directe avec les Peuples voisins, il y a cependant au S. et S.O. de ces Iles, un grand nombre d’autres Iles, qu’on croit s’étendre jusques vers les Côtes de la Nouvelle Guinée. Ces Iles sont si peu éloignées de celles des Larrons, que des Pirogues en ont été quelquefois jettées par le mauvais tems, à l’Ile de Guam, et il y a quelques années que les Espagnols envoyèrent une Barque, pour en faire la découverte. Ils y laissèrent même deux Missionaires Jésuites, qui dans la suite ont été massacrés par les Habitans. Il en fort apparent que des Pros des Iles des Larrons, auront de même été jettés vers quelques-unes de ces Iles nouvelles. Il semble que la même rangée d’Iles s’étend vers le S. E. aussi bien que vers le S. 0. et même à une très grande distance ; car Schouten, qui traversa la partie Méridionale de l’Océan Pacifique, en 1615, rencontra une grande double Pirogue, pleine de monde, à plus de mille lieues au S. E. des Iles des Larrons. S’il est permis de conjecturer que cette Pirogue double fut une imitation des Pros, il faudra supposer dans tout cet intervalle, une rangée d’Iles, assez voisines l’une de l’autre, pour donner lieu à quelque communication, ne fut-ce qu’accidentelle : et ce qui confirme cette idée, c’est que tous ceux qui ont fait la Traversée d’Amérique aux Indes Orientales, sous quelque Latitude Méridionale que ce soit, ont trouvé plusieurs petites Iles, parsemées dans ce vaste Océan.

D’un autre côté, la Carte Espagnole, qu’on trouvera à la fin de cet Ouvrage, montre que cette longue rangée d’Iles, se continue aussi vers le Nord, depuis les Iles des Larrons, jusqu’au Japon, desorte que les Iles des Larrons ne sont qu’une très petite partie d’une longue chaîne d’Iles qui s’étendent jusqu’au Japon et delà peut-être jusqu’aux Terres Australes inconnues. Mais il est tems de reprendre le récit de nos avantures.