Voyage à la recherche de Livingstone

Le tour du monde
Nouveau journal des voyages


voyage à la recherche de Livingstone
au centre de l’Afrique,
par M.  Henry Stanley, correspondant du New-York Herald.

1871-1872. — texte traduit de l’ouvrage anglais « how I found Livingstone » avec l’autorisation de l’auteur.


Shaw et Farquhar, personnages de la caravane de M. Stanley. — Dessin d’Émile Bayard, d’après M. Stanley.

M. James Bennet et M. Stanley. — Itinéraire. — Un grand détour. — Zanzibar. — Premières impressions.

Le 16 octobre 1869, à dix heures du matin, Henry Stanley, qui alors se trouvait à Madrid, reçut le télégramme suivant :

« Rendez-vous à Paris ; affaire importante. »

La dépêche était signée de M. James Bennet, gérant du New-York Herald, et fils du propriétaire de cette feuille, dont M. Stanley était l’un des correspondants. Deux heures après les malles étaient faites, les livres et les tableaux emballés ; le reporter faisait ses visites d’adieu en attendant l’express ; et le lendemain il entrait chez M. Bennet, qu’il trouvait couché au Grand-Hôtel.
James Gordon Bennet, esp. — Gravure tirée de l’édition anglaise.

« Qui êtes-vous ? lui demanda le gérant.

— Stanley.

— Ah ! oui. Prenez un siège. Où pensez-vous que soit Livingstone ?

— Je n’en sais vraiment rien, monsieur.

— Croyez-vous qu’il soit mort ?

— Possible que oui, possible que non.

— Moi, je pense qu’il est vivant, qu’on peut le trouver ; et je vous envoie à sa recherche.

— Au centre de l’Afrique ? Est-ce là ce que vous entendez ?

— J’entends que vous partiez, que vous le retrouviez, que vous rapportiez de lui toutes les nouvelles qu’on peut en avoir ; et… qui sait ?… le vieux voyageur est peut-être dans le besoin. Prenez avec vous tout ce qui pourra lui être utile. Naturellement vous suivrez vos propres idées. Faites comme bon vous semblera ; mais retrouvez Livingstone.

— Avez-vous réfléchi, monsieur, à la dépense qu’occasionnera ce voyage ?

— Combien coûtera-t-il ?

— Burton et Speke ont dépensé de trois mille à cinq mille livres et je crains qu’il ne faille pas moins de deux mille cinq cents livres (soixante-deux mille cinq cents francs).

— Eh bien ! voilà ce que vous ferez : vous prendrez maintenant mille livres, quand elles seront dépensées, vous ferez une traite d’un nouveau mille, puis d’un troisième, et ainsi de suite ; mais retrouvez Livingstone.

— Dois-je aller directement à sa recherche ?

— Non ; vous assisterez d’abord à l’inauguration du canal de Suez. De là, vous remonterez le Nil : j’ai entendu dire que Baker allait partir pour la Haute-Égypte ; informez-vous le plus possible de son expédition. En remontant le fleuve, vous décrirez tout ce qu’il y a d’intéressant pour les touristes ; et vous nous ferez un guide, un guide pratique : vous nous direz ce qui mérite d’être vu, et de quelle manière on peut le voir.

« Vous ferez bien, après cela, d’aller à Jérusalem ; le capitaine Warren fait, dit-on, là-bas des découvertes importantes ; puis à Constantinople, où vous vous renseignerez sur les dissentiments qui existent entre le khédive et le sultan. Vous passerez par la Crimée et visiterez ses champs de bataille ; puis vous prendrez le Caucase jusqu’à la mer Caspienne ; on dit qu’il y a là une expédition russe en partance pour Khiva. Ensuite vous gagnerez l’Inde en traversant la Perse ; vous pourrez écrire de Persépolis une lettre intéressante, Bagdad sera sur votre passage : adressez-nous quelque chose sur le chemin de fer de la vallée de l’Euphrate ; et quand vous serez dans l’Inde, vous vous embarquerez pour rejoindre Livingstone. Maintenant, bonsoir ; et que Dieu soit avec vous ! »

Henry Stanley partit donc pour l’Égypte, où il eut des nouvelles de Baker par le mécanicien en chef de l’expédition, M. Higginbotham, qu’il rencontra à Philæ ; puis il continua sa route.

Après avoir causé à Jérusalem avec le capitaine Warren, examiné les marques des ouvriers de Tyr sur les fondations du temple de Salomon, visité les mosquées de Stamboul, dîné à Odessa avec la veuve du général Liprandi, parcouru la Crimée, vu Palgrave à Trébizonde, le baron Nicolay à Tiflis, demeuré chez l’ambassadeur russe à Téhéran ; après avoir reçu dans toute la Perse le meilleur accueil des gentlemen de la Compagnie du télégraphe indo-européen, écrit son nom sur l’un des monuments de Persépolis, il arriva dans l’Inde au mois d’août 1870.

Embarqué à Bombay le 12 octobre sur la Polly, mauvaise voilière, il mit trente-sept jours pour gagner l’île Maurice. La Polly avait pour contre-maître un Écossais nommé Lawrence Farquhar. C’était un bon marin, et M. Stanley, pensant qu’un pareil homme ne pourrait que lui être utile, l’engagea pour toute la durée de l’expédition.

De Maurice, il fallut aller aux Seychelles, où, le quatrième jour après son arrivée, M. Stanley se rembarqua avec Farquhar et le fidèle Sélim, jeune Arabe chrétien qu’il avait pris à Jérusalem en qualité d’interprète.

Enfin, le 6 janvier 1871, le correspondant du New-York Herald abordait à Zanzibar. Il y trouva l’hospitalité la plus cordiale chez le capitaine Francis Webb, consul des États-Unis. Si ce gentleman, dit-il, ne m’avait pas rendu cet éminent service, il m’aurait fallu descendre chez M. Charlet, un Français à nez corbin et fort original, très-connu dans l’île entière pour héberger les allants et venants qui n’ont pas le sou ; homme excentrique, dont l’active bonté se manifeste sans cesse, tout en se dissimulant sous un front très-rude. Autrement j’en aurais été réduit à planter ma tente sur la grève de cette île tropicale, chose nullement a désirer.

Je parcourus la ville, continue Stanley, et rapportai de ma course une impression générale d’allées tortueuses, de maisons blanches, de rues crépies au mortier dans le quartier propre ; d’alcôves avec des retraites profondes, ayant un premier plan d”hommes, enturbannés de rouge, et un fond de piètres cotonnades : calicots blancs, calicots écrus, étoffes unies, rayées, quadrillées ; des planchers encombrés de dents énormes ; des coins obscurs remplis de coton brut, de poterie, de clous, d’outils, de marchandises communes et de tout genre, dans le quartier de Banyans. Le souvenir de têtes laineuses, avec des corps fumants, noirs ou jaunes, assis aux portes de misérables huttes, et riant, babillant, se querellant, marchandant au milieu d’un air affreusement odorant : un composé d’effluves de cuir, de goudron, de crasse, de débris végétaux et autres, etc., dans le quartier des nègres.

Je me rappelle de grandes maisons à l’air solide, aux toits plats, avec de grandes portes sculptées, et grands marteaux d’airain, et des créatures assises, les jambes croisées, guettant la sombre entrée de la maison du maître ; un bras de mer peu profond, avec des canots, des barques, des daous arabes, un étrange remorqueur a vapeur, couché dans la vase que la marée a laissée derrière elle ; une place nommée Nazi-Moya, où les Européens se traînent le soir d’un pas languissant pour respirer la brise ; quelques tombes de marins qui sont venus mourir là ; un grand logis habité par le docteur Tozer, évêque de l’Afrique centrale ; son école et mille autres choses ; — images mouvantes et confuses, où je distingue à peine les Arabes des Africains, les Africains des Banyans, les Banyans des Hindi, les Hindi des Européens, etc., etc.


Zanzibar. — Dessin de E. Riou, d’après une photographie du docteur Otto Kersten.

Commerce de Zanzibar. — Exportations, importations. — Les traitants. — Classes laborieuses. — Chiffre de la population. — Arabes, Banyans et Hindi. — Présenté au Dr Kirk. — Soirée au consulat britannique. — Entretien avec le consul. — Abattement. — Résolution.

Zanzibar est le Bagdad, l’Ispahan, le Stamboul de l’Afrique orientale ; c’est le grand marché qui attire l’ivoire et le copal, l’orseille, les peaux, les bois précieux, les esclaves de cette région ; c’est là qu’on amène, pour y être vendues au dehors, les noires beautés de l’Ouhiyou, de l’Ougindo, de l’Ougogo, de la Terre de la Lune et du pays des Gallas. Zanzibar vend, en outre, des clous de girofle, du poivre, du sésame, du cauris et de l’huile de coco. La valeur de ses exportations est estimée à quinze millions de francs ; celle de ses importations a dix-sept millions et demi.

Tout ce commerce est entre les mains de trois sortes d’individus : Arabes de Mascate, Banyans et Hindous musulmans, qui représentent la classe supérieure et la classe moyenne. C’est à eux qu’appartiennent les terres, les magasins, les navires, la fortune et l’autorité. Les classes laborieuses sont composées d’Africains, esclaves ou hommes libres. Elles forment probablement les deux tiers de la population, qu’on peut évaluer à deux cent mille âmes, dont près de la moitié habitent la ville.

Les Arabes voyagent presque tous ; ce sont eux qui vont à la recherche de l’ivoire. On-ferait, avec leurs aventures, de gros volumes de récits palpitants, et ils doivent aux obstacles vaincus, aux périls surmontés, un air de résolution et de confiance en eux-mêmes qui n’est pas dépourvu de grandeur.

Le Banyan est trafiquant de naissance ; c”est le bénef incarné ; l’argent afflue dans ses poches aussi naturellement que l’eau suit une pente rapide ; il surpasse le juif et n’a de rival que le Parsi ; auprès de lui l’Arabe n’est qu’un enfant.

Je ne suis pas sur néanmoins qu’en fait de ruse et de rapacité maligne, il ne soit pas égalé par l’Hindi. li LE TOUR DU MONDE.

Je me suis demandé bien des fois qui des deux l’emportait, et avant de donner la palme au Banyan, j’ai beaucoup hésité. G’était à ces gens-la que j’allais avoir affaire.

Avant tout, je désirais voir le docteur Kirk. Il représentait commercialement et politiquement la Grande-Bretagne. Il avait été le compagnon de Livingstone ; et je m’imaginais que si quelqu’un pouvait me donner des renseignements sur l’illustre voyageur, ce devait être son consul et son ami.

Ce fut M. Webb qui me présenta au docteur. Je vis un homme assez mince, simplement mis, légèrement voùté, ayant la Iigure un peu maigre, les cheveux et la barbe noirs. En entendant mon nom, il releva les paupières et me regarda attentivement. L’entretien roula sur divers sujets ; sa figure, - je ne la quittais pas Zanzibar. - Dessin de E. Riou, d’après une photographie du docteur Otto Kersten. des yeux, - ne s’anima que lorsqu’il vint a parler de ses exploits de chasse. Il ne fut pas dit un mot de ce qui me tenait au cœur ; et je dus attendre le mardi suivant, jour de réception au consulat britannique, pour interroger le consul.

Jamais soirée ne m’avait paru plus triste, lorsque M. Kirk, ayant pitié de moi, vint me montrer un superbe raîfle pour éléphant, et me raconter quelques épisodes de ses voyages avec Livingstone. A propos de ce dernier, lui dis-je, où pensez-vous qu’il soit maintenant ?

— Dilficile de vous répondre ; il est peut-être mort ; voilà deux ans qu’on n’a eu de ses nouvelles. Nous lui envoyons continuellement différentes choses. Une petite Zanzibar. - Dessin de È. Riou, d’après caravane est même pour lui en ce moment à Bagamoyo. Il devrait bien revenir ; le voilà qui vieillit, et slil mourait, ses découvertes seraient perdues. Il ne tient pas de journal, ne prend pas d’observations, ou très-rarement ; il se borne à mettre sur une carte une simple note, ou un signe que personne ne connaît. Il devrait bien revenir, et céder la place a quelqu’un de plus jeune.

une photographie du docteur Otto Kersten. — Quel homme est-il ? demandai-je, vivement intéressé. - En général, très-difficile à vivre. Personnellementje n’ai jamais eu à me plaindre de lui ; mais que de fois je l’ai vu s’emporter contre les autresl Gela vient, je présume, de ce qu’il déteste avoir des compagnons. - Mais supposez que je le rencontre dans mes voyaPage:Le Tour du monde - 25.djvu/5 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/6 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/7 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/8 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/9 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/10 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/11 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/12 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/13 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/14 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/15 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/16 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/17 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/18 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/19 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/20 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/21 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/22 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/23 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/24 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/25 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/26 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/27 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/28 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/29 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/30 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/31 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/32 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/33 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/34 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/35 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/36 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/37 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/38 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/39 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/40 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/41 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/42 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/43 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/44 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/45 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/46 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/47 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/48 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/49 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/50 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/51 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/52 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/53 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/54 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/55 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/56 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/57 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/58 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/59 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/60 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/61 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/62 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/63 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/64 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/65 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/66 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/67 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/68 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/69 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/70 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/71 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/72 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/73 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/74 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/75 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/76 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/77 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/78 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/79 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/80 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/81 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/82 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/83 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/84 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/85 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/86 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/87 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/88 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/89 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/90 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/91 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/92 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/93 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/94 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/95 Page:Le Tour du monde - 25.djvu/96