Visite récente à l’île de Cuba

(Redirigé depuis Voyage à Cuba)

Visite
RÉCENTE
À L’ÎLE DE CUBA.


Départ de Charleston. — Incidens de mer. — Arrivée à Matanzas. — Ses Environs. — Combats de coqs. — La Havane. — Aspect de la ville ; promenades publiques, les volantes, les calesseros, l’Opéra, la police, le clergé. — L’amiral Laborde. — Général Vivès. — Pirates de la Régla. — Fêtes à l’occasion du mariage du roi d’Espagne. — La marine de Cuba. — Excursion dans l’intérieur. — Les injenios. — Le district de San-Marco. — Insectes venimeux. — Beauté du pays. — Ascension du Monte-Pelado. Le guao. — Les niguas. — Aventure d’un moine qui s’était inoculé une nigua. — Bois-dentelle. — Les Nègres marrons. — San-Suzanna, San-Salvador. — Retour à la Havane. — Statistique de l’île de Cuba.

Il y avait trois jours que j’attendais un vent favorable à Charleston, lorsque je m’embarquai le 31 janvier 1830, pour Cuba. J’avais retenu mon passage sur une goëlette à la clarté de la lune qui glissait au-dessus de nous et suivait les mouvemens de notre bâtiment, bercé mollement par les vagues, et rafraîchi par la brise, qui entretenait une mélodie constante parmi les voiles et les cordages !

Le 3 février au soir, nous aperçûmes, brillant comme une étoile au-dessus des bois, le phare du cap Floride ; et peu après, nous nous trouvâmes en pleine mer, traversant le golfe du Mexique.

Le 4 au point du jour, nous découvrîmes trois voiles à contre-bord : c’étaient des felouques espagnoles. Une d’elles effraya notre capitaine, qui ne rêvait que pirates. Elle tenta de nous approcher par plusieurs évolutions, et nous cherchâmes de même à l’éviter. Bientôt elle s’éloigna, voyant qu’elle ne pourrait réussir à nous aborder. Ses intentions étaient sans doute très-pacifiques. « Toutefois, disait le capitaine, there is so much villainy about here, qu’il ne faut pas s’y fier. »

Mais nous, faibles et inoffensifs, aurions-nous jamais cru être pris pour des pirates ? Notre forme à fleur d’eau, notre fine voilure, annonçaient cependant, il faut en convenir, quelque chose de suspect ; et en effet, bientôt nous aperçûmes derrière nous un brick de guerre espagnol (l’Hercule, de 24), qui nous donnait la chasse, entassant voiles sur voiles et bonnettes sur bonnettes pour nous joindre. Vains efforts ! Il nous suivit ainsi pendant quatre heures ; et, lassé sans doute de ses fatigues inutiles, il laissa arriver, piqua dans l’est, et s’évanouit à l’horizon. Nous devînmes suspects à tous les bâtimens en vue, qui avaient été témoins de notre fuite devant l’Hercule. Saisis de frayeur à notre approche, ils se rangeaient vite de côté, mettaient en panne à distance, pour voir quelle tournure les choses allaient prendre ; et, peu rassurés sans doute, ils finissaient par disparaître. Quant au Little-William, poursuivant sa carrière, il s’en allait droit au sud-sud-ouest, riant beaucoup des terreurs paniques qu’il faisait naître.

C’était avec intention que j’avais choisi un si petit bâtiment pour aller à l’île de Cuba : en partant des côtes des États-Unis, une goëlette vaut mieux qu’un brick et qu’un trois-mâts. Le nombre de ces bâtimens perdus dans le commerce de la Havane est immense : ils ne peuvent longer la terre en dedans du courant, comme nous le faisions, et sont forcés de passer dans l’est, au milieu des îles et des roches innombrables des Bahamas, repaires de pirates, où de rapides courans les entraînent à une perte certaine, s’ils ne sont constamment sur leurs gardes ; tandis que nous, nous ne courions qu’une mauvaise chance, c’était d’avoir de forts vents d’est.

Le 4 à midi, nous étions à quatre-vingt-dix milles de Matanzas ; et ayant eu bonne brise toute la journée, nous pensions déjà à une heure du matin, au clair de la lune, apercevoir la terre. Nous mîmes en panne pour attendre le jour, et à six heures nous vîmes effectivement le Pan de Matanzas, grande montagne à l’ouest de la ville.

Nous nous remîmes en route, et une goëlette de guerre américaine, le Grampus, vint droit sur nous, et ne vira de bord qu’à une demi-encâblure, quand elle eut bien reconnu que nous ne l’avions pas trompée en hissant le pavillon américain.

Les vapeurs qui couvraient les montagnes se dissipèrent à mesure que nous avançâmes ; les côtes devinrent de plus en plus vertes, les maisons blanches se détachèrent du milieu des bois, d’où s’élançaient de hauts palmiers ; en entrant dans la rade, nous aperçûmes derrière les mâts des bâtimens les maisons roses de la ville, avec leurs toits en terrasse. Nous passâmes habilement au milieu des navires mouillés, et nous jetâmes l’ancre à peu de distance du rivage, entre deux gros bâtimens espagnols, l’un le Ferdinand vii, et l’autre la Santa-Maria-del-Carmen. En face de nous s’élevait un fort où flottait le pavillon jaune aux armes d’Espagne, et derrière, s’étendait une partie de la ville, à côté de laquelle s’élevaient des palmiers, des cocotiers, des bananiers, d’immenses ceivas, tous brillans sous le soleil éclatant des tropiques.

Peu après notre arrivée, un joli canot tenté et à dix avirons vint à bord. Il contenait l’adjudant de place, un médecin, un officier des douanes et un interprète. L’adjudant, qui avait une vraie face d’inquisiteur, me permit de descendre à terre, et eut même l’obligeance de me recommander la Fonda del Biscaïno, comme la meilleure auberge. Quant à l’inspection du bâtiment, il n’y prit aucune part. Notre cuisinier avait apporté, pour les vendre, une cage remplie de souris blanches qui captivèrent l’attention de M. l’adjudant tout le temps qu’il resta à bord.

Les environs de Matanzas sont très-pittoresques. On me proposa d’aller faire une course à la campagne ; et, le dimanche matin 7 février, sous un ciel bleu d’azur, je montai en volante avec M. P., et nous sortîmes de la ville, nous dirigeant à l’est. Nous nous trouvâmes presque aussitôt au milieu du plus beau pays du monde : c’étaient des montagnes boisées, des collines, des vallées, des plaines de café, des mangos, d’énormes palmiers, des haies de citronniers, des bambous formant des voûtes et des arceaux sombres et épais ; le tout animé par des perroquets volant de branche en branche avec leur joli caquetage. Il ne manquait que de l’eau à ce beau paysage. Si les routes des environs de Matanzas étaient quelquefois réparées, elles seraient excellentes ; mais jamais on n’y travaille. Les grosses charrettes qui portent le café et le sucre les défoncent, et y creusent de profondes ornières ; il n’y a que les voitures inversables, comme les volantes, qui puissent y passer.

Le cafétal de M. Stouder, où je me rendais, est à huit milles de Matanzas. Au milieu de notre promenade, un nuage noir et menaçant nous fit revenir sur nos pas. Tout à coup une trompette retentit, et les nègres qui étaient à danser et à jouer se réunirent, et accoururent tous la pelle à la main ramasser en grands tas le café qui était étalé à sécher. Le majoral, ex-colon de Saint-Domingue, et un nègre, présidaient au travail le fouet à la main ; ils le faisaient claquer en criant : Onta ! onta ! Quand le café fut en tas, on le couvrit d’un toit de chaume ou de feuilles de palmiers, fait exprès, qui l’enveloppait de tous côtés.

En rentrant en ville, M. Stouder nous fit arrêter dans un cirque où se donnait un combat de coqs : c’était une enceinte circulaire, entourée de dix à douze gradins, recouverte par un toit. Tout était rempli de spectateurs, et nous y trouvâmes place avec peine. Les combattans étaient déjà fatigués à notre arrivée, et à chaque instant jonchaient la terre ; leurs propriétaires, admis seuls dans l’enceinte, les reprenaient, leur nétoyaient le bec, soufflaient dedans pour en faire sortir la poussière, y pressaient un peu de canne à sucre, les chatouillaient sous la queue, leur grattaient le cou, leur tiraient les pates, les approchaient bec à bec, et, dans cette position, les posaient doucement à terre, où ces pauvres animaux se jetaient encore l’un sur l’autre, et tombaient de chaque côté, exténués de ce dernier effort.

Du cirque, nous allâmes faire une jolie promenade en bateau sur la rivière Canima, qui traverse la ville, jusqu’à de hauts rochers où se trouvent des souterrains dont on ne connaît pas l’étendue, et dans lesquels sont des salles, des colonnades et des stalactiques superbes. Ces souterrains donnèrent asile anciennement aux Indiens que les Espagnols poursuivaient de tous côtés ; mais ces malheureux, y étant à la fin découverts, se précipitèrent dans l’eau, ou furent tués à coups de fusil. C’est ce qui a fait donner à cette ville le nom de Matanzas, qui veut dire massacre, tuerie. Il y a à Matanzas près de douze mille habitans. J’observai que, le 9 février, le thermomètre y marquait vingt-cinq degrés de Réaumur.

De Matanzas à la Havane, je fis un court et agréable voyage sur le bateau à vapeur ; El Vapor el Veloz est un joli bâtiment qui a été construit aux États-Unis. Je ne fus pas peu surpris en y voyant arriver un canot avec sept à huit dames qui avaient chacune à la main un certain vase qu’elles tenaient par l’anse. On me dit que c’était par précaution contre le mal de mer ; et je les vis toutes monter une à une sans se dessaisir de ce précieux vase, et aller s’asseoir, d’un air résigné, en attendant le moment fatal. Quoique mon cœur de vieux marin fût à toute épreuve, je ne voulus pas rester plus long-temps en leur présence, et j’allai dehors respirer le grand air.

Nous étions près de trente passagers, non compris deux cents pauvres nègres entassés à fond de cale, arrivés tout fraîchement du Congo. Ce trafic d’hommes est défendu par les lois du pays ; mais, il s’y fait avec la plus grande impunité, et malgré les bâtimens de guerre qui croisent devant l’île. La cargaison se débarque habituellement dans un petit port près de Matanzas ou de la Havane ; le bâtiment entre sur son lest, et les nègres arrivent pendant la nuit. On va les voir, et ils se vendent publiquement. Quant aux nôtres, ils entrèrent fièrement à la Havane, avec le pavillon déployé du roi d’Espagne, du Mexique et des Indes.

La mer était unie et bleue comme le ciel, excepté autour de nous, où les poissons volans la blanchissaient d’écume ; nous avancions rapidement, en suivant la côte à un demi-mille de distance. Elle est montueuse, boisée et très-pittoresque ; souvent on passe devant de jolies vallées où l’œil perce au loin à travers cent nuances de verdures différentes, et dans lesquelles l’œil distingue surtout le vert tendre des champs de cannes à sucre. Sur notre droite, jusqu’à l’horizon, endormies sur l’eau, malgré toutes leurs voiles blanches déployées, se voyait une foule de goëlettes, de felouques et de bateaux pêcheurs qui se réfléchissaient sans aucunes rides sur la surface de la mer.

Vers deux heures, nous vîmes le phare et le sommet des murailles du Morro et des Cavanas ; et une demi-heure après, la sentinelle nous hélait au moment où nous entrions dans le port.

On sait que l’île de Cuba fut découverte en 1492, par Christophe Colomb. Elle a en longueur, d’un cap à l’autre, et en suivant la courbe la plus courte pour passer par le centre, deux cent seize lieues. Sa plus grande largeur du nord au sud est de trente-neuf lieues, et sa partie la plus étroite, de sept. Sa circonférence est de cinq cent soixante-treize lieues. Quant à sa forme, elle est très-irrégulière ; large et étroite, elle forme un arc dont la partie convexe est exposée au nord. Saint-Cristobal de la Havane est la capitale de l’île, et la résidence du capitaine-général, gouverneur de la place, actuellement Vivès. C’est une place-forte, et son port est un des plus sûrs de toute l’Amérique ; son entrée est étroite et entourée des forts et châteaux Morro, Cabanas, Principe et Punta. La beauté de ce port est assez connue : ces forts et ces édifices élevés sur les rochers ont un certain air mauresque qui me plaisait, surtout à moi, tout fraîchement sorti de la simple et mesquine architecture des États-Unis.

Nous jetâmes l’ancre à côté du Guerrero, vaisseau de 74, et en un instant nous fûmes entourés d’un essaim de bateaux bien peints, surmontés de tentes de diverses couleurs, qui venaient nous prendre pour nous conduire à terre. Arrivés au quai, où sont amarrés des centaines de bâtimens venus de tous les points du globe, nous eûmes fort à faire pour défendre nos bagages contre tous les nègres, qui voulaient les porter malgré nous. Un soldat qui se trouvait là nous fit jour avec sa canne, et le tout fut chargé sur une charrette traînée par un mulet. Nous traversions la foule, les nègres, les voitures, les sacs de café et les caisses de sucre, quand on nous cria d’arrêter. C’était un douanier, qui eut la bonté de ne pas me visiter. Il était à dîner ; il se rassit, m’invita à prendre place à table, et se remit à manger, sans attendre même ma réponse. La proposition me parut singulière. On me dit plus tard que l’habitude espagnole était toujours d’offrir, mais qu’il ne fallait jamais accepter.

En sortant de la douane, je traversai la plaza de armas, et m’arrêtai dans une petite rue sale, à une espèce d’auberge, qui est, avec la Fonda di Madrid, la seule qui existe dans la ville, et il n’y en a pas au monde de plus mal tenues. L’habitude est d’aller demeurer chez un ami, ou chez une personne pour qui vous avez une lettre. J’en avais une pour M. Tennant, négociant anglais, que j’allai voir. Il m’offrit aussitôt d’habiter sa maison, ce que j’acceptai.

La maison de M. Tennant, Calle de Mercaderes, est une des plus grandes de la ville ; c’est celle où se réunit la Société Philharmonique, qui y donne plusieurs bals chaque hiver. Cette maison est carrée, elle a une cour intérieure entourée d’arcades au rez-de-chaussée, et de galeries de trente pieds de large au premier, fermées par des persiennes. C’est là qu’on dîne au frais. Ma chambre avait trente-cinq pieds de haut, et des murs de quatre pieds d’épaisseur, avec une énorme fenêtre qui fermait avec des jalousies ; car on n’a pas de croisées à la Havane, pas de vitres, et pas de matelas sur les lits ! Un lit se compose d’une toile bien tendue, sur laquelle sont deux draps et un traversin. Le tout est surmonté d’un dais, d’où pend une longue cousinière. Un matelas serait insupportable à cause de la chaleur.

Les maisons ordinaires ont rarement deux étages, et les toits sont remplacés par des terrasses : elles sont toutes bâties en pierres. Les fenêtres, qui commencent souvent à un pied du niveau de la rue, ont vingt-cinq et trente pieds d’élévation, et sont fermées de haut en bas par des grilles de fer ou de bois ; elles sont assez claires cependant pour que, le rideau relevé, on puisse parfaitement distinguer de la rue les femmes assises dans leur butaca, l’éventail à la main, des fleurs dans les cheveux, les bras nus, dans la mise la plus légère.

De cinq à six heures, toutes les fenêtres des rues où la mode veut que l’on passe en allant au Paseo, sont garnies de femmes qui, je dois le dire, ont l’air peu modeste, mais qui n’en sont pas moins très-jolies. Le Paseo est la promenade, le Corso de la Havane ; il est à la porte de la ville : c’est une large allée, de quinze cents mètres de long, bordée de toute espèce d’arbres, avec deux autres allées latérales pour les piétons, et des bancs de pierre de distance en distance. Au milieu du Paseo est une fontaine, et à une des extrémités une statue de Charles iii. Les volantes y vont à la file, passent devant cette statue, traversent la Plaza de Toros, une partie des faubourgs, et reviennent au Paseo. La volante est ce qui m’a le plus frappé en arrivant à la Havane : la coupe de cette voiture est celle d’une chaise de poste ; elle est placée sur ressorts, et les roues sont très-hautes, mises ridiculement en arrière. Un rideau de drap, qui s’abaisse à volonté, et qu’on peut boutonner sur les côtés, ferme la volante comme une boîte. Ce rideau préserve du soleil, de la poussière ou de la boue. Au brancard est attelé un cheval ou un mulet monté par un nègre, qu’on appelle calessero. Le costume de ce calessero mérite d’être décrit : il se compose d’un chapeau de feutre avec un large galon d’or ou d’argent, une veste rouge, blanche ou verte, couverte également de galons et de petits boutons ; un pantalon blanc, et de hautes bottes de postillon, bien cirées, collant sur la jambe, s’élargissant beaucoup au-dessus du genou, s’arrêtant sur le cou-de-pied, et recouvertes de grosses boucles d’argent, avec de longs éperons, dans un lourd étrier d’argent, et au côté, sa machetta, ou sabre droit. Pour la promenade, on se sert ordinairement de quitrines, qui diffèrent de la volante en ce qu’elles ont un soufflet qui se baisse comme celui d’un cabriolet. C’est le meuble le plus soigné dans les maisons : la première chose qu’on aperçoit sous la porte en entrant, est la volante ; souvent elle est dans l’antichambre ou dans le salon même. Un jour, étant à dîner chez M. Stouder, on fit passer le cheval par la salle à manger, pour l’atteler dans le salon.

Les femmes vont habillées au Paseo aussi élégamment qu’elles iraient au bal. Les dimanches et les jours de fête, il y a de la musique militaire placée à certains intervalles, et un piquet de lanciers maintient l’ordre parmi les voitures. Les volantes de louage n’y sont pas admises. On revient ordinairement de cette promenade à la Plaza de armas, où la musique militaire joue plusieurs fois par semaine, et la journée se termine à l’Opéra. J’y fus un soir ; je pris une luneta, et me trouvai au parterre, qui est tout divisé en lunetas, ou stalles. La salle est assez grande, et peut contenir dix-huit cents personnes ; elle a cinq rangs de loges, qui presque toutes sont louées à l’année. Tout était plein, et garni de dames richement parées. Les beaux yeux et les jolies figures n’y manquaient pas ; quant au teint de ces dames, il ne faut pas être difficile : il y en a qui sont presque jaunes, mais charmantes cependant. On donnait un opéra de Garcia, l’Amante astuto, qui ne fut pas mal exécuté. L’orchestre est bon, et la prima donna, la Santa-Marta, chante très-bien. Du reste, tout le monde est musicien à la Havane, et en passant dans la rue, on n’entend que guitares, pianos, et musique de Rossini.

C’est sur la Plaza de armas que se trouvent le palais du gouverneur et celui de l’intendant, qui en occupent les deux faces principales. Cette place est ornée de statues, de vases, de fleurs, de plantes indigènes et exotiques, coupée de jolies allées sablées, et entourée de bancs de pierre avec des dossiers en fer ; le soir, elle est très-bien éclairée. Je ne saurais trop dire de quelle architecture sont les deux palais qui la décorent ; mais ils ont de la grandeur, une blancheur éclatante, des arcades, de hautes fenêtres, des soldats aux portes ; et tout cela a très-bonne physionomie. Vis-à-vis le palais du gouverneur est une chapelle élevée en mémoire de la première messe, qui, à la découverte de l’île, se célébra dans cet endroit, à l’ombre d’un immense ceiva, qui existait encore il y a peu d’années.

Il n’y a pas, je crois, de rues plus sales au monde que celles de la Havane. On ne peut guère marcher que le long des maisons, un à un, éclaboussé par les volantes qui se croisent, arrêté par les charrettes qui portent le sucre et le café, et par des files immenses de mules, de nègres, de capucins, d’enterremens et de processions qui se succèdent sans interruption. Malheur à vous si vous rencontrez le Saint-Sacrement à pied, pendant que vous êtes en voiture ; il vous faut descendre sur-le-champ et le conduire dans votre volante où bon lui semble. Le milieu de la rue, creusé par les charrettes, offre une succession de montagnes, de lacs et de précipices, qu’il est difficile d’affronter à pied. En été, quand il a plu long-temps de suite, l’eau s’élève à trois et quatre pieds, coule avec la rapidité du torrent, entre dans les volantes, et entraine souvent les chevaux. La population de la Havane est de cent vingt mille âmes, et il y a des endroits où la cohue est telle, qu’on ne sait comment en sortir.

La police est très-mal faite, ou, pour mieux dire, il n’y en a pas. On n’ose pas sortir à la chute du jour, et à plus forte raison après dix heures, quand toutes les boutiques sont fermées : les voleurs et les assassins sont alors paisibles possesseurs des rues. L’éclairage public y est à peine connu : de loin en loin, une solitaire chandelle, dans une sale lanterne, jette une faible lumière à l’endroit où elle est suspendue ; mais tout, à l’entour, est plongé dans l’obscurité. Si encore on pouvait garder le milieu de la rue, peut-être, en se tenant bien sur ses gardes, éviterait-on d’être attaqué à l’improviste ; mais il faut suivre à tâtons le long des maisons, et le nègre ou le mulâtre perfide, caché dans quelque embrasure de porte, vous laisse passer et vous frappe par derrière, d’autant mieux que toute arme est défendue dans le pays, excepté un tromblon ou une grande rapière. Un nègre reçut un jour une once pour aller assassiner quelqu’un ; il vint chez cette personne, et lui dit : « Donnez-m’en une autre, et je vais tuer celui qui m’envoie chez vous. » Il la prit, et tint parole. Ces misérables assassinent souvent en plein jour, et presque toujours avec impunité. Si, étant attaqué, vous appelez du secours, à l’instant même tout le monde se cache ; les portes et les boutiques se ferment, et vous ne devez compter sur l’assistance de personne. Si vous êtes rencontré fuyant, on vous arrête l’épée sous la gorge, et on vous met en prison avec une foule de scélérats, auxquels vous tenez compagnie jusqu’au lendemain, où vous prouvez votre innocence. La raison qui fait ainsi fuir tout le monde quand on crie au secours, est d’abord la crainte d’une émeute, et de voir les boutiques pillées ; ensuite, c’est que, si la personne menacée vient à succomber, que le meurtrier s’évade, et que vous soyez trouvé près du cadavre, coupable ou non, vous êtes jeté en prison, et y languissez des années entières, si vous n’avez pas de l’or pour acheter votre délivrance ! On est réellement étonné, en voyant tant de troupes dans la ville, que la police y soit si mal faite.

Il y a à la Havane un grand nombre de vieilles églises, d’architecture mauresque, et entre autres la cathédrale. À côté du maître-autel se voit un bas-relief sur le mur, représentant la tête de Christophe Colomb, entourée d’une couronne ; on dit que ses os sont renfermés dans le mur. Dans un coin d’une autre église est un escalier composé de trente marches très-rapprochées, par lesquelles on monte, et seulement de douze marches plus éloignées pour descendre ; on l’appelle l’escala santa. Celui qui, dans certains jours de l’année, monte cet escalier à genoux, en disant les prières convenables, obtient dix mille ans d’indulgence, dont il est tenu cependant d’acheter les bulles chez monseigneur l’évêque. — Un brigand, un voleur, un assassin, qui, au moment d’être pris, peut toucher une église, est sauvé. Il se fait donner un certificat par un prêtre, attestant qu’il y est arrivé à temps, et il peut le mettre dans sa poche et se retirer sans crainte. Du reste, il y a dans cette ville force capucins, moines et nonnes.

Notre consul de France, M. le marquis Devins de Peyssac, fut plein de bonté pour moi : il me mena faire quelques visites dans sa volante, car un gentleman marche rarement à pied, et une femme presque jamais. Nous fûmes d’abord chez l’amiral Laborde, commandant toutes les flottes de S. M. C. Nous ne parvînmes jusqu’à lui qu’en traversant une foule d’officiers et de valets. Il nous reçut dans un grand salon. C’est un petit homme assez gros, quoique sans excès, avec une assez belle figure. Il parle très-bien français, et sa famille est de Pau. L’amiral me dit, après les premières politesses d’usage, qu’il avait connu mon père à la Corogne, et que, quoique simple lieutenant de vaisseau alors, il en avait reçu tant de marques de bienveillance, qu’il ne l’oublierait jamais, et qu’il se trouvait heureux de pouvoir faire quelque chose pour un de ses fils. Je profitai de ses offres de service pour lui demander à voir ses bâtimens, ce qu’il m’accorda avec beaucoup de grâce

Nous allâmes ensuite chez le gouverneur, où nous trouvâmes même affluence d’officiers à cannes dans l’antichambre. Le général Vivès est un petit homme à cheveux gris, qui est loin d’avoir l’air franc et cordial de l’amiral. Je fus aussi présenté chez l’intendant, le comte de Villa-Nueva, qui est la seconde autorité de la Havane. Son palais est le plus beau de la ville. En le visitant, il me fit remarquer avec tant soit peu de malice les coqs du gouverneur. Vivès ne sort jamais de chez lui, et son unique et sa plus chère occupation est de veiller à la santé et à l’éducation de ses coqs, qui, du reste, sont superbes. Je voyais de la fenêtre leurs maisons séparées avec leurs noms inscrits dessus, et l’arène sablée où se livrent leurs combats. Vivès a écrit sur ce sujet un long ouvrage qu’il a intitulé Gallomachia : aussi le gouverneur s’occupant exclusivement de pareilles puérilités, n’y a-t-il aucune police dans la ville. Les pirates, qui assassinent et massacrent les équipages des bâtimens de ces parages, vivent impunément à Regla, à un demi-mille de la Havane.

Dans une promenade que je fis à ce village, je comptai vingt-cinq tables de jeu les unes près des autres, et toutes entourées de joueurs. J’étais assez étonné de voir de simples monteros (paysans) jouer deux ou trois onces d’or[1] à la fois. Ces monteros ont tous de très-belles figures, et sont assez grands et généralement maigres. Leur costume se compose d’un chapeau de paille très-élevé, d’une chemise et un pantalon de toile rayée de couleur, très-serré à la taille et de la plus grande propreté, avec la machetta au côté, le cigare[2] à la bouche, et autour du cou un mouchoir à vignettes attaché négligemment.

Le 21 février commencèrent les fêtes pour célébrer les noces du roi d’Espagne. Il y eut un Te Deum chanté le matin à la cathédrale, où tous les ducs, chambellans et marquis dorés étaient réunis. Dans la soirée à peine pouvait-on avancer dans les rues. On voyait de tous côtés des transparens allégoriques, des portraits du roi et de la reine, des inscriptions relatives à la circonstance, et des viva el rey Fernando vii. Parmi les maisons les mieux éclairées, et ornées avec le plus de goût, se faisait remarquer le consulat de France : il y avait malheureusement un transparent couvert de fleurs de lis, entouré de drapeaux blancs, avec ces mots, vivent les Bourbons. Toutes les rues étaient parfaitement illuminées, et le feu d’artifice, tiré du Morro, se réfléchissant dans la mer, faisait un très-bel effet. Deux vaisseaux avaient été rapprochés de l’Alameda, promenade le long de la baie, et illuminés jusqu’au haut des mâts ; il y avait des transparens à la poupe : c’était un spectacle superbe. À dix heures, il y eut à la Société philharmonique, dans la maison que j’habitais, un bal brillant où rivalisèrent de grâce des femmes charmantes, mises dans la dernière élégance, avec des diamans et des perles en profusion.

Le 22 et le 23 furent également des jours de fêtes ; l’intendant donna un concert, qui fut suivi d’un feu d’artifice très-bien exécuté par un Français. Il y eut toujours foule au Paseo, et à six heures l’Alameda était remplie de promeneurs qui venaient respirer la brise du soir, et admirer l’illumination du vaisseau amiral le Soberano. Notre consul, qui (soit dit en passant) représente autrement bien que M. le marquis de Fougères, consul de France à Charleston, qui vend ses oranges de Saint-Augustin habit bas au marché, eut la bonté de m’accompagner chez l’intendant, et de là au second bal masqué de la Société philharmonique. Mais le lendemain, tout fut fini : plus de société, plus de réunions à espérer, car il n’y a jamais à la Havane ni soirées, ni bals, ni dîners ; ce n’est que dans les grandes occasions qu’on se réunit.

Parmi les belles maisons de la Havane, on remarque celle du comte de Fernandina, qu’il a payée 1,500,000 francs. Il y en a sept ou huit dans la ville qui ont coûté cette somme. On ne peut se figurer le luxe déployé par les nobles habitans de ces palais. Je dînai un jour chez le comte ; tout y était magnifique. On dîne généralement à trois heures, mais la mode veut qu’on arrive une demi-heure et même une heure avant. Cette heure se passe à jouer aux cartes. Un dîner havanais ne diffère pas d’un dîner de Paris ; seulement on se leva de table pour laisser placer le dessert, et on passa au salon. Un quart d’heure après on vint avertir qu’on était servi de nouveau, et chacun reprit sa place. La table était chargée de fleurs, de fruits, de glaces et de gâteaux en profusion.

L’amiral Laborde tint sa promesse, et m’invita à déjeuner, pour aller ensuite visiter ses bâtimens. Le consul de France, celui d’Angleterre, le comte de Fernandina, le capitaine Gordon, commandant de la frégate anglaise le Briton, venant de Tampico, et une vingtaine d’officiers de la marine espagnole, étaient avec nous. À midi, par une chaleur suffocante, nous montâmes dans deux canots bien couverts, qui nous menèrent à bord du vaisseau amiral le Soberano. Toutes les troupes et l’équipage garnissaient sur trois rangs les bastinguages du bâtiment. On fit l’exercice, on défila avec musique militaire et coups de canon, et le chapelain dit la messe sur un autel élevé au pied du mât d’artimon, messe très-courte et fort heureusement accompagnée de musique. L’amiral nous fit voir son vaisseau de haut en bas dans les moindres détails : ce vaisseau est parfaitement tenu, mais il a plus de soixante-dix ans. Il fit faire l’exercice du canon dans la batterie basse, après quoi nous allâmes visiter le Guerrero, de 74. — Le capitaine du Guerrero reçut l’amiral avec tous les honneurs dus à son rang, et le vaisseau fut aussi scrupuleusement examiné que le Soberano. Le capitaine Gordon nous mena ensuite à bord du Briton, de 46, qui n’était entré que de la veille, et quoiqu’il y eût du désavantage pour lui à être vu près de bâtimens qui n’étaient pas sortis du port depuis six mois. On se hâta, à notre arrivée, de tirer les clarinettes et les autres instrumens de musique de leurs étuis, et nous y fûmes reçus au bruit d’une musique assez maigre.

Je désirais depuis long-temps de faire un voyage dans l’intérieur ; le marquis Ramos m’ayant invité à aller le voir, je partis un matin en volante pour son caféier, avec quelques jeunes gens de mes amis, tous armés de poignards et de pistolets. Les rues étaient désertes. Nous avions trois chevaux à chaque volante, et deux nègres avec deux domestiques armés suivaient à cheval. Un soleil éclatant se leva dans le ciel aussitôt que nous eûmes dépassé les portes de la ville, et nous relayâmes à un petit bourg nommé Hoyo Colorao. — Dans certains endroits, les chemins sont aussi unis qu’un parquet ; et dans d’autres, ils sont presque impraticables.

À onze heures, nous arrivâmes à Guanajai, village qui intra muros et extra muros, compte 7,000 habitans. Nous descendîmes chez le comte de Gibacoa, où nous passâmes la journée, et où nous couchâmes. Son fils nous mena voir ses coqs ; il en avait alors cent cinquante, dont plusieurs étaient estimés sept et huit cents francs. Il nous montra leur caserne, où ils étaient tenus avec le plus grand soin, ainsi que leur infirmerie, où l’on loge ceux qui reviennent blessés du champ de bataille. Nous dînâmes avec une dixaine de jeunes gens, ses parens, et montant tous en volante, à travers les montagnes et les vallées, par le plus beau pays du monde, nous allâmes, au clair de la lune, à la sucrerie de M. de Montalve. Madame de Montalve est très-jolie, et nous accompagna dans la visite que nous fîmes à cet établissement, chose aussi nouvelle qu’intéressante pour moi, et où je vis faire le sucre, depuis le moment où on exprime le jus de la canne jusqu’à celui où il est en pain, éclatant de blancheur. C’est là que je bus pour la première fois de l’excellent guarapo (qu’on appelle, je crois, sirop de batterie en français), délicieux breuvage, et très-bon pour les poitrinaires. On engraisse les nègres avec ce sirop, qu’on leur laisse à discrétion. L’air et l’odeur d’une sucrerie guérissent, dit-on, un poitrinaire en un mois, s’il n’est qu’à la seconde période de la maladie.

C’est un singulier coup-d’œil que celui de ces injenios, ou sucreries, pendant la nuit. Il est curieux aussi d’entendre cette multitude de voix discordantes qui y résonnent constamment, car les nègres ne peuvent rien faire sans crier ou chanter. Tout est bien éclairé ; c’est un monde qui s’agite au milieu d’un nuage de fumée et de vapeur ! Ici c’est une chaîne d’esclaves qui se passent les cannes pour les élever en tas ; là vous en voyez d’autres qui les placent dans d’énormes cylindres pour en exprimer le suc. Les uns excitent les bœufs qui font mouvoir le moulin ; d’autres sont occupés à une quantité de cuves de toutes dimensions qui contiennent le sucre bouillant ; ils écument ce brûlant liquide avec de longues cuillers, le font sauter en l’air avec adresse, et retomber en longues nappes jaunes et transparentes. Les femmes, les enfans, tout travaille ; c’est un mouvement perpétuel. Le feu brille partout, l’air est chaud, tous les fronts reluisent de sueur ; quelquefois le fouet résonne, et on voit, au milieu de la foule, se promener majestueusement le majoral blanc, sa longue machetta, terreur des noirs, serrée au côté, et son grand chapeau de paille sur la tête. Mais l’odeur de ces injenios est délicieuse, et toutes les fois que, dans mes voyages, je me suis trouvé sous le vent d’un injenio, j’ai fait arrêter, pour jouir de ce parfum tout nouveau pour moi.

Je partis le lendemain matin à sept heures ; je changeai de chevaux en route ; et, après avoir fait cinq lieues, je me trouvai dans le district de San-Marco, le jardin de l’île de Cuba. C’est là que sont les caféiers de l’Esperanza et de la Simpatia, tous deux appartenant au marquis Ramos. Trois lieues environ avant d’y arriver, on se trouve, en suivant une route parfaitement unie, où le calessero va toujours au triple galop, dans un véritable paradis terrestre. La terre de ce district est d’un rouge très-vif, comme à Mantazas et dans d’autres parties de l’île. Figurez-vous un ciel bleu indigo éclatant, et une brise fraîche qui vous caresse, toute parfumée de fleurs et de fruits ; des plaines de café vert foncé ; de longues allées rouges à perte de vue, bordées d’ananas vert tendre, et d’une longue colonnade de majestueux palmiers royaux[3], entremêlés d’orangers ployant sous le fardeau de leurs fruits d’or, qu’ils sèment de tous côtés, qu’on ne se donne pas la peine de ramasser : la terre en est jaune, les chevaux et les voitures les écrasent, et personne n’y fait attention ; puis des haies de roses et de citronniers entourant ces jardins, où s’élèvent des milliers de bananiers, et un grand nombre d’arbres à fruits, des mangos, des caimites, des sapotilles, des corossoles, des cocotiers, des avocats, etc. : tel est le district de San Marco, toujours vert, toujours fleuri.

À neuf heures, nous étions arrêtés, indécis, à un carrefour où aboutissaient quatre de ces magnifiques colonnades de palmiers, ne sachant de quel côté tourner, quand un nègre qui travaillait dans les environs nous indiqua notre chemin. Deux minutes après, nous étant secoués de notre mieux, car nous étions rouges de poussière de la tête aux pieds, les voitures s’arrêtèrent à la porte d’une maison perdue dans les fleurs, à un rez-de-chaussée seulement, avec de hautes fenêtres, des persiennes bien vertes, et entourée de galeries.

Je reçus l’hospitalité la plus aimable à l’Esperanza ; et dans un pays aussi enchanteur, avec une société aussi agréable que celles de Josefita et Assuncion R., et plusieurs de leurs amies qui venaient les voir, ce séjour ne me laissait rien à désirer. Dans nos promenades, nous jouissions des délicieuses soirées qui n’ont été faites que pour ces latitudes, où les astres sont si brillans, si différens de ce qu’on voit par nos quarante-neuf degrés. Quel séjour que celui de la campagne dans ce beau pays ! En se levant le matin, on ne s’inquiète pas du temps, on ne demande pas : Quel temps fait-il ! On est sûr, en ouvrant sa persienne, de voir un beau ciel bleu, et de se sentir caresser par un air frais et délicieux à respirer. À huit heures du soir, une nombreuse société était réunie dans le salon à nous attendre, on dansait jusqu’au souper, à onze heures, où on passait dans la salle à manger. Aucun caféier des environs n’est plus beau que celui de l’Esperanza. Il avait, lors de ma visite, cent cinquante chevaux dont la seule occupation était de mener promener ces dames, et les conduire à la Havane. Quarante seulement étaient à l’Esperanza, et le reste s’engraissait en mangeant des cannes à sucre dans une de leurs sucreries. On ne peut se figurer la rapidité avec laquelle on parcourt les beaux chemins de San-Marco. À peine le calessero est-il sauté à cheval, qu’on est enlevé comme par le vent. Le seul désagrément qu’on éprouve est la poussière rouge quand il n’a pas plu, mais il n’y en a pas jusqu’à neuf heures du matin, à cause de la rosée très-abondante de la nuit.

Je fis à l’Esperanza une abondante collection de scorpions énormes, de mille-pates, et d’horribles araignées velues, dont une, entre autres, ne tenait pas dans ma main avec ses pates. Je recueillis aussi une bête noire nommée mancaperro, qui rend boiteux le chien qui la touche, et qui est très-venimeuse. Il est prudent le soir, au moment de se coucher, de faire la visite de ses draps ; et de quelle horreur n’est-on pas saisi en apercevant dans un coin un énorme scorpion noir ou rougeâtre (ce sont les plus venimeux) qui court à droite et à gauche en sifflant et en cherchant l’ombre ! J’en ai fait se suicider un bon nombre en les entourant d’un cercle de charbons ardens ; souvent cela ne suffit pas, ils passent par-dessus, et meurent brûlés. Pour rendre l’expérience plus sûre, on jette sur les charbons de l’eau-de-vie, qui leur présente de tous côtés un rempart de flammes, qu’on resserre peu à peu ; ils en font le tour plusieurs fois, et, ne trouvant pas d’issue, ils se tuent avec leur dard. — Le cadre de cet article ne me permet pas d’entrer dans de plus longs développemens sur l’histoire naturelle de l’île de Cuba ; mais je dois cependant dire quelques mots d’une espèce de cancre assez curieuse. Ces crustacées pullulent tellement sur les bords de la mer, qu’il est dangereux d’y passer, parce qu’ils ont en quelque sorte miné le terrain, quelquefois jusqu’à une demi-lieue dans l’intérieur, en creusant une quantité de caves profondes. Dans certains parages, les cochons les mangent ; cependant on prétend que c’est une nourriture dangereuse. Ils sont d’un rouge-clair, quelques-uns avec de grandes taches, et il y en a de sept pouces de diamètre, sans compter les pattes.

Il n’y a qu’un reproche à faire au pays de San-Marco, c’est de manquer d’eau : l’œil a soif dans ces beaux paysages, où l’on ne trouve que rarement de petits ruisseaux ; mais les arbres y sont immenses, les fleurs y abondent ; des haies de citronniers et de roses bordent les chemins, et y enclosent de véritables jardins anglais. La vue qui me charma le plus dans mes courses fut celle de la baie de Mariel du haut du Monte Vigia. Dans le fond, on apercevait de belles montagnes, des forêts, plusieurs îles bien boisées, et le soleil couchant dorait le sommet des palmiers, dont les tiges étaient déjà noyées dans les ombres. Mariel est un port excellent, un petit village, où de nombreux bâtimens viennent prendre le sucre et le café pour les porter à la Havane, moyen de transport plus économique que celui de terre.

Le marquis Ramos avait à San-Salvador d’aimables voisines, chez lesquelles il voulut bien me conduire, et où je passai quelque temps. Ce caféier est situé dans las lomas, ou les montagnes, à vingt-quatre lieues environ de la Havane. Il est dans un entonnoir, et à sept cents pieds au-dessus du niveau de la mer. Là, je trouvai réunie la famille charmante de madame Jouve, dont les quatre filles, aussi jolies qu’aimables et gracieuses, parlaient également bien le français, l’espagnol et l’anglais. Je me rappellerai toujours avec plaisir les momens heureux que je passai auprès d’elle. Ma journée se partageait entre la chasse aux pintades, aux poules sauvages, aux perroquets, et la promenade. Le dimanche, nous allions à la messe à Altamisa, petit village à une lieue du caféier. On y voyait une grande quantité de jolies créoles, qui venaient des campagnes voisines, à cheval, ou dans leurs volantes, coiffées en cheveux avec leur long voile noir de dentelle, qui pend du haut du peigne jusqu’aux pieds. Elles s’asseoient au milieu de l’église, sur un petit tapis que vient y étaler le calessero ; mais en général elles n’ont pas l’air très-recueilli.

En levant les yeux au ciel, on aperçoit du caféier le sommet chenu du Monte-Pelado, célèbre dans le pays par le guao qu’il porte. Le guao est un arbre empoisonné qu’il est dangereux de rencontrer. Nous avions, depuis long-temps, formé le projet de gravir le Monte-Pelado ; nous partîmes un jour après déjeuner avec vingt ou vingt-cinq nègres, armés de fusils, de machettas et de couteaux. Nous étions à cheval ; mais au bout de vingt minutes de chemins escarpés, il fallut nous arrêter, et descendre un à un ; nous grimpâmes alors, à travers les cannes à sucre, jusqu’à un bois mystérieux, qu’on n’aborde pas sans frémir. C’est dans ce bois que se trouve le guao, le même arbre, je crois, que le mancenillier, ou du moins de la même famille. Le mancenillier donne la mort sans douleurs ; il ne produit qu’un engourdissement qui finit par la mort, tandis que le guao fait beaucoup souffrir. Il suffit, non-seulement de toucher cet arbre, mais encore de rester à son ombre pendant quelque temps, pour être attaqué de cent manières différentes, au visage, aux oreilles, aux mains, aux pieds, etc. Il se forme sur les parties attaquées des crevasses, des abcès ; on a la fièvre, une démangeaison insupportable. Si l’on touche la sève de l’arbre, on court le risque, dit-on, de perdre la main. Les deux Jouve avaient déjà pénétré une fois dans ce bois, et tous les deux en étaient revenus malades, ayant, l’un très-mal au pouce, où il fut obligé de subir une opération dont il souffrit pendant trois mois ; l’autre, étant, de la tête aux pieds, couvert de boutons qui durèrent plus de huit jours, avec des douleurs horribles. L’acétate de plomb dans lequel il se baignait, pouvait seul soulager ses souffrances.

Le matin, on avait envoyé des nègres couper tous les arbres et arbrisseaux qui auraient pu nous présenter quelques obstacles. Nous pénétrâmes dans le bois, mais ce n’était que du coin de l’œil que je regardais ce grand guao avec ses larges branches, ses feuilles courtes et minces comme une épingle, et je traversai à regret l’ombre redoutable qu’il étendait sur le terrain que j’avais à gravir ! Un de ces guaos, très-élevé, avait été marqué à coups de hache, et d’une grande entaille découlait une liqueur brune, qui m’aurait donné des soupçons, quand même je n’aurais pas su de quel arbre elle sortait. Hors du bois, nous grimpâmes à genoux, avec peine, sur des herbes sèches et glissantes ; mais bientôt enfin, nous arrivâmes à la moins élevée des deux pointes, d’où nous jouîmes d’un des coups d’œil les plus beaux et les plus imposans qu’on puisse imaginer. — Des deux côtés, la mer ! Nous voyions par-dessus l’île, au sud et au nord : au sud, l’île de Pinos bien éloignée à l’horizon, et beaucoup d’autres plus rapprochées ; puis des montagnes, des vallées, des villages, des sucreries, des routes, la vaste plaine de San-Marco, le village de Guanajai, et au pied du Monte-Pelado, une petite maison blanche ; c’était celle d’où nous étions partis. On voyait presque jusqu’à la Havane. — Nous passâmes à l’autre pointe qui est plus élevée, à l’est, et nous enterrâmes une bouteille contenant la relation de notre expédition, signée de tous nos noms, et le tout en bon latin. — Autour de nous planaient des vautours, étonnés sans doute de voir des êtres de notre espèce venir visiter leurs régions. — En redescendant, je rencontrai l’ébène, l’acajou, le gayac, le cacaotier, et d’autres arbres curieux qui me firent oublier le guao. Je cueillis des graines, poursuivis un colibri, et tuai deux belles perdrix à tête bleue. — Nous étions assez fatigués en rentrant, et inquiets de notre sort futur. Un des fils de madame Jouve avait déjà les yeux hors de la tête, et les oreilles rouges comme le feu ; bientôt ses pieds commencèrent à se gonfler, et il se coucha avec la fièvre : il était mieux le lendemain, et au bout de trois jours, quand je le quittai, il n’avait plus qu’une oreille de malade. Lui seul de nous tous, au reste, fut attaqué.

J’avais été aussi un peu invalide à Espéranza ; dans le pays, tout le monde est exposé à cet inconvénient, depuis les nègres jusqu’aux dames : j’avais ce qu’on appelle en français une chique, et en espagnol, nigua. C’est une petite bête ronde, grosse comme la tête d’une épingle, qui s’introduit dans la peau, s’y loge, s’y enfonce, y fait des petits, grossit en peu de temps avec sa famille, et finit par vous dévorer, si vous ne l’enlevez. Mon pied me faisait souffrir depuis quelques jours ; il était rouge et enflé, sans que je pusse en deviner la cause. Je le montrai à Petrona, mulatresse habile en pareille matière : Caramba ! che nigua gorda ! s’écria-t-elle, et avec une épingle, elle me la fit sortir très-habilement, sans grande douleur, après quoi elle employa le tabac et l’huile pour fermer le trou. On dit que si on mettait le pied dans de l’eau froide après cette opération, on aurait des attaques de nerfs très-fortes, qui ont quelquefois donné la mort en semblables occasions. Les jambes des nègres sont remplies de niguas, et présentent en petit l’aspect de montagnes et de vallées ! — On raconte qu’un moine, voulant faire connaître cette petite bête en Espagne, se l’inocula dans le pied en s’embarquant ; mais avant d’arriver à Cadix, la petite bête était devenue si grosse, qu’elle avait mangé presqu’entièrement le moine, et qu’on les avait jetés tous deux à la mer. —-Comme on porte presque toujours des bas et des souliers, il est très-facile de gagner de ces niguas, qui du reste s’enlèvent aisément le premier jour. C’est surtout dans les endroits où on épluche le café qu’elles se trouvent ; quelquefois elles se mettent dans vos mains et sous vos ongles, elles sont alors très-dangereuses, car il est difficile de les en déloger.

Il y a un grand nombre de nègres marrons dans las lomas de San-Salvador et de Cusco, où ils sont fort redoutés. Quelquefois ils descendent dans des caféiers isolés, brûlent et ravagent tout. On leur fait souvent la chasse avec des chiens comme à des bêtes fauves. Les chiens les suivent aussi bien que quelque gibier que ce soit ; et il est assez singulier, quand on se promène dans les bois, et qu’on en a un avec soi, de le voir tout d’un coup, donnant de la voix, s’enfoncer sous bois, et entendre dire tranquillement par son compagnon de voyage : Ah ! c’est un nègre marron qui aura passé là ! — La fumée de leurs feux, qui s’élève au-dessus des arbres, sert aussi à les faire découvrir ; car un nègre ne peut pas vivre sans feu, et quand il dort, il est toujours couché le dos tout près de la braise où rôtissent ses bananes. Un soir, dans une de nos promenades, nous en rencontrâmes trois, forts, vigoureux, à l’air fier, avec un long bâton sur l’épaule, et entièrement nus. Ils restèrent quelque temps indécis sur le parti qu’ils prendraient, et les femmes commençaient déjà à pâlir et à trembler ; mais ils s’enfoncèrent bientôt dans le bois, en s’enfuyant à toutes jambes.

Il y a aussi beaucoup de chiens sauvages dans les bois de San-Salvador. Quand la lune brille, on les entend hurler de tous côtés dans ces silencieuses montagnes. Il y en avait un apprivoisé à San-Suzanna, qui était bien la plus jolie bête que j’eusse jamais vue[4].

Le caféier de San-Suzanna est le plus beau des montagnes ; il a cinq cent mille pieds de café ; celui d’Esperanza, quatre cent mille, et celui d’el Fondador, huit cent mille. Dans les montagnes de Cusco, à l’ouest de celles de San-Salvador, où on ne peut aller qu’à cheval, il y a de petits caféiers, de véritables ermitages, où le colon est absolument seul avec sept ou huit nègres.

En fait de curiosités rapportées de San-Salvador, était un certain bois nommé dagilla. Il ne se trouve que dans ces montagnes et celles de Cusco. En coupant l’écorce, et en la divisant en dix, vingt, trente morceaux, dans toute la longueur de la branche, on a autant de morceaux de dentelle, de vraie dentelle, très-fine, et d’une grande blancheur ! — J’en rapportai aussi un caméléon, que je vis mourir et changer de couleur à son dernier moment.

La veille de mon départ, G. avait fait mettre le feu à des herbes sèches sur la montagne, dans un endroit où il voulait planter du café. L’herbe brûla, le vent poussa la flamme du côté du bois, elle gagna en très-peu de temps les branches les plus élevées des palmiers et les profondeurs de la forêt, à travers les lianes les plus épaisses, les fourrés les plus impénétrables ; une fumée noire commença à se faire jour, et à tourbillonner lourdement dans l’air. Bientôt la flamme jaillit de tous côtés, avec un bruit de foudre ; ce n’était plus qu’un océan de feu, sifflant de branche en branche, pétillant, volant de cime en cime, et embrasant tout ce qu’il atteignait. Un beau ceiva, immense colosse de la montagne, que je croyais, par sa hauteur, à l’abri de l’incendie, eut tout son feuillage brûlé aussi vite que le serait une plume sur une bougie allumée ! Lorsque tout notre côté de la montagne fut consumé, l’incendie descendit de l’autre ; nous pouvions juger de sa force aux nuages épais de fumée qui s’en élevaient, et à la pluie d’étincelles qui venaient tomber jusque sur nous. Quoiqu’il ne fût que trois heures après midi, le jour était si obscurci, qu’on ne pouvait lire dans le salon. Le soir cependant, le feu était éteint, seulement quelques souches et quelques longs cadavres de palmiers étendus par terre brûlaient encore !

Je ne sais comment j’ai pu ne pas parler encore des fruits délicieux de l’île de Cuba. Il y en a une grande variété ; je mets en première ligne la banane, la principale nourriture des nègres. La figue-banane crue est un manger délicieux, mais rien de plus délicat que la banane frite : c’était mon plat favori. Viennent ensuite les ananas et les oranges, puis les sapotes et les sapotilles, qui ont un peu le goût des nèfles ; les caïmites, si rafraîchissans ; les mangos, qui étonnent la première fois qu’on en mange, par leur goût de thérébentine, mais qu’on finit par aimer ; les grenades, les citrons, les avocats, la noix de coco, où il y a à boire et à manger ; les pommes cannelles, les pommes roses, les icaques, l’abricot de Saint-Domingue, le cœur de bœuf, le tamarin. — Il y a aussi une grande variété de confitures ; on en fait même avec des pommes de terre et des œufs. — Quant à la cuisine du pays, elle est différente de la nôtre, et ne me plaît nullement. L’ognon et la graisse en sont les bases principales, les mets sont si dissimulés, qu’il n’est pas aisé de dire ce que l’on mange. Ce sont en général les callesseros qui en sont chargés ; ce sont d’habiles gens que ces callesseros ! Ils composent la musique pour les danses, et sont bons danseurs eux-mêmes ; ils jouent de la guitare, et chantent passablement : il n’y a pas de cœur de négresse qui puisse résister à leurs avances. Il y en avait un à Esperanza qui, en une nuit, fatigua quatre chevaux en se rendant à quatre caféiers différens, à trois ou quatre lieues de là, dans chacun desquels il avait une tendre esclave à laquelle il rendait visite ; mais un des chevaux qu’il avait montés étant mort des suites de sa course, il garda long-temps sur le dos de tristes souvenirs de cette nuit d’amours.

Un matin, je rentrais de ma promenade solitaire dans les bambous, quand A. vint me dire qu’il avait reçu une lettre de la Havane ; qu’une corvette américaine y était arrivée, et qu’elle nous conduirait de suite à Pensacola. J’aurais aimé cependant à passer tout l’été à San-Suzanna. On n’y a jamais de fièvres ; les pluies, qui à cette époque sont si abondantes et si désagréables à la ville, n’y durent que trois ou quatre heures par jour ; elles ne tombent jamais avant midi, et après l’orage, l’air est rafraîchi par une brise continuelle… Cependant il fallut partir ; et le lendemain matin, avant le jour, j’étais à cheval pour retourner à l’Esperanza. Nous en repartîmes à midi dans la même volante, par une chaleur et une poussière étouffantes… À quatre heures, il plut à torrens… Il fallut aller au pas, et passer à travers les bambous, rendez-vous ordinaire des voleurs ; mais nous n’en rencontrâmes pas, et à dix heures du soir nous arrivâmes à la Havane.

On s’aperçoit d’un bien grand changement dans l’air en revenant de la campagne à la ville ; il est épais et chargé des exhalaisons les plus désagréables, telle que celle du bœuf fumé de Rio-Janeiro. Mais, en arrivant le soir, nous échappâmes au moins à ces régimens de mulets et de chevaux qu’on rencontre le matin, et qui font une poussière que ceux qui l’ont respirée peuvent seuls apprécier. Il entre journellement quinze mille chevaux ou mulets à la Havane !

Il y avait alors dans ce port neuf bâtimens de guerre espagnols, dont trois de soixante-quatorze, et deux frégates ; une frégate et deux corvettes américaines, deux corvettes et une goëlette anglaises, et une corvette française, la Cérès, la même qui m’avait conduit à Terre-Neuve. La Havane est probablement la ville où se tirent le plus de coups de canon par jour, à cause de cette entrée continuelle de bâtimens de guerre. Chacun salue la rade de vingt-un coups, et l’amiral de treize. La forteresse et le vaisseau amiral répondent à leur tour par un nombre égal, ce qui fait par conséquent soixante-huit coups de canon pour un seul bâtiment, et souvent il en entre quatre et cinq par jour…

Avant de finir, il ne sera peut-être pas inutile de donner sur l’île de Cuba quelques détails statistiques, dont je puis garantir l’authenticité.


La population de l’île de Cuba en 1829 était de 730,562

Blancs 
46,621
Mulâtres libres 
8,215
Mulâtres esclaves 
1,010
Nègres libres créoles 
9,684
Nègres libres de nation 
5,663
Nègres esclaves créoles 
6,995
Nègres esclaves de nation 
15,835
Voyageurs, garnison et marine 
18,000
Total 
112,023


Population des deux villes principales après la Havane.
Santiago de Cuba 
70,522
Puerto Principe 
61,990


Force militaire de l'île de Cuba en 1829.
Département de l’est 
Infanterie
Cavalerie
6,914
187 7,101

Département du centre 
Infanterie
Cavalerie
4,730
380 5,110
Département de l’ouest 
Infanterie
Cavalerie
Artillerie
Chefs
Officiers
7,525
3,422
907 11,854
100
1,322
Total 
25,487


Forces de mer.
Canons. Hommes.
Vaisseau 
74
Soberano 
750
 Id. 
74
Guerrero 
750
Frégate 
50
Lealtad 
400
 Id. 
50
Restauracion 
400
 Id. 
40
Casilda 
400
Brick 
22
Cantivo 
200
 Id. 
22
Hercules 
200
 Id. 
18
Marte 
200
Goëlette 
5
Amalia 
100
 Id. 
1
Habanera 
30
 Id. 
1
Ligera 
30
 Id. 
1
Clarita 
30
 Id. 
1
Flechera 
30
 Id. 
1
 
30
360 3,500
Toutes dépenses couvertes, il y avait dans le trésor de la Havane, au commencement de 1830 
719,727 dollars.
Dans celui de Matanzas 
5,781
Revenus de la Havane 
7,054,487 dollars.
Revenus de Matanzas 
649,621
Bâtimens entrés à la Havane en 1829 
1136
Bâtimens entrés à Matanzas 
291
1427

Bâtimens sortis de la Havane en 1829 
1154
Bâtimens sortis de Matanzas 
303
1457
Importation générale de la Havane 
17,000,000 dollars.
Imporation générale de Matanzas 
1,400,000
18,400,000
Exportation de la Havane 
11,000,000 dollars.
Exportation de Matanzas 
1,700,000
12,700,000


Nombre des bâtimens entrés à la Havane en 1827, et sortis de ce port


ENTRÉS SORTIS
Bâtimens. Nations. Tonnages. Bâtimens. Nations. Tonnages.
57
Espagnols 
5,412 80
Espagnols 
7,098 1/4
785
Américains 
25,087 1/2 667
Américains 
103,395 3/2
14
Brêmois 
2,709 13
Brêmois 
2,589 1/2
31
Danois 
3,458 17
Danois 
3,014
48
Français 
9,813 1/3 38
Français 
7,477
12
Hambourgeois 
2,021 13
Hambourgeois 
2,251 1/2
24
Hollandais 
4,284 19
Hollandais 
3,471
71
Anglais 
12,337 1/2 53
Anglais 
8.119 1/4
1
Prussiens 
224
2
Russes 
476 2
Russes 
476
8
Sardes 
1,386 2/3 7
Sardes 
1,313
1
Siciliens 
247
3
Suédois 
442 1/2 2
Suédois 
360
6
Toscans 
1,322 1/2 5
Toscans 
1,165 3/4
1053 169,281 1/2 916 140,731


Température moyenne de l’île de Cuba.
Therme. cente
Celle de la Havane et de la côte septentrionale, dans le voisinage de la mer, est de 
25°
Celle de la Havane, dans les mois les plus chauds 
28° 8
dans les mois les plus froids 
21° 1
Température moyenne dans l’intérieur, dans les mois les plus froids 
17°
Moyenne température dans la ville de Cuba 
27°
Dans les mois les plus chauds à Cuba 
29° 4
Dans les mois les plus froids 
23° 8
On se plaint du froid à la Havane, quand la température tombe soudainement à 
21°
Le thermomètre n’a jamais été plus bas que 
16°
Sa plus grande élévation, dans les mois les plus chauds, a été 
31°
Il s’est élevé une fois à 
34°
Dans l’intérieur de l’île, le thermomètre a baissé quelquefois à 10° et à 12°, mais cela dure si peu, qu’aucune des productions de la zone torride ne se trouve en souffrir.
À la profondeur de cent pieds, on a trouvé dans un puits 
24

Il ne neige jamais dans l’île, même sur les hautes montagnes.

On a vu au mois de janvier 1801, sur une éminence à trois cent cinquante pieds au-dessus du niveau de la mer, l’eau gelée dans le creux d’un rocher, de quelques lignes d’épaisseur. C’était à la suite des vents de nord qui avaient soufflé pendant long-temps.

Les ouragans y sont moins fréquens qu’à S.-Domingue et à la Jamaïque. Ils arrivent ordinairement à la fin d’août, et continuent jusqu’à la fin d’octobre. Ils sont plus fréquens sur les côtes méridionales que septentrionales, et ils viennent généralement du sud-sud-est, ou du sud-sud-ouest.


Le commodore Elliot, qui commandait la station américaine des Antilles, me proposa de me conduire à Pensacola, en Floride, sur le Falmouth, grosse corvette de 24 et de deux cent trente hommes d’équipage. Le 9 mars, cinquième jour de notre traversée, ayant eu un temps magnifique et une mer très-douce, nous entrâmes en rade de Pensacola, d’où je devais aller par terre à la Nouvelle-Orléans.

Eugène Ney


  1. Une once d’or vaut près de 8.5 francs.
  2. Il se consomme plus de cigares à la Havane qu’il ne s’en exporte.
  3. Il y a différentes espèces de palmiers ; celui qu’on nomme palmier royal, est sans contredit l’arbre le plus important et le plus remarquable de l’île de Cuba. Son fruit, nommé palmiche, est la principale nourriture des troupeaux de cochons, et même souvent des bœufs et des vaches. Le chou qui surmonte les branches est, à certaines époques de l’année, un aliment excellent, semblable au palmito de la partie méridionale de l’Espagne. Dans les grandes sécheresses, la pulpe laiteuse de l’intérieur de son tronc alimente et rafraîchit les bestiaux ; les branches servent à couvrir les toits des maisons, et faire des cloisons. Le tronc, converti en planches, quoique un peu étroites, est également très-utile pour la bâtisse, et pour faire des canaux dans les champs. Ce bois, bien travaillé et poli, offre des veinures qui le font beaucoup rechercher des étrangers. Enfin, les branches servent, par leur grandeur, leur force et leur élasticité, à une multitude d’emplois : on en fait des boîtes pour renfermer le tabac, des seaux, des cages, etc. Mais, pour leur donner la forme convenable et les rendre maniables, il faut bien les mouiller, car on n’en peut rien faire quand elles sont sèches.
  4. Le perro jibaro, chien sauvage, est le chien domestique enfui dans les montagnes : son poil est rude et d’un gris sale ; il est carnivore et féroce, cependant beaucoup moins que le loup d’Europe : il ne se jette sur l’homme que lorsqu’il en est attaqué. Ces chiens vivent dans les cavernes, les bois les plus épais, et causent de grands ravages parmi les troupeaux de cochons, les veaux et les poulains. Le chat sauvage, qui est également le chat domestique enfui dans les bois, est l’ennemi le plus dangereux des oiseaux.