Texte établi par Henri MartineauLe Livre du divan (Napoléon. Tome Ip. 178-180).


CHAPITRE XLVIII

DES MINISTRES


Le grand malheur de Napoléon est d’avoir eu sur le trône trois des faiblesses de Louis XIV. Il aima jusqu’à l’enfantillage la pompe de la cour ; il prit des sots pour ministres et, s’il ne croyait pas les former, comme Louis XIV disait de Chamillard, il crut du moins que quelle que fût l’ineptie des rapports qu’ils lui faisaient, il saurait démêler le vrai jour de l’affaire. Enfin Louis XIV craignit les talents ; Napoléon ne les aimait pas. Il partait de ce principe qu’il n’y aurait jamais en France de faction forte que les Jacobins.

On le voit renvoyer Lucien et Carnot, hommes supérieurs qui avaient précisément les parties qui lui manquaient. On le voit aimer ou souffrir Duroc, le prince de Neuchâtel, le duc de Massa, le duc de Feltre, le duc de Bassano, le duc d’Abrantès, Marmont, le comte de Montesquiou, le comte de Cessac, etc., etc., tous gens parfaitement honnêtes et fort estimables sur tous les vivants, mais qu’un public malin s’est toujours obstiné à trouver un peu ineptes.

Quand l’air empesté de la cour eut tout à fait corrompu Napoléon et exalté son amour-propre jusqu’à un état maladif, il renvoya Talleyrand et Fouché et les remplaça par les plus bornés de ses flatteurs (Savary et Bassano).

L’empereur en arriva au point de pouvoir démêler l’affaire la plus compliquée en vingt minutes. On le voyait faire des efforts d’attention incroyables, et impossibles à tout autre homme, pour tâcher de comprendre un rapport prolixe et sans ordre, en un mot fait par un sot qui lui-même ne savait pas l’affaire.

Il disait du comte de C[essac], l’un de ses ministres : « C’est une vieille femme », et il le gardait. « Je ne suis pas un Louis XV moi, disait-il à ses ministres assemblés en conseil au retour d’un de ses voyages, je ne change pas de ministres tous les six mois. » Il partit de là pour leur dire à tous les défauts que le public leur reprochait. Il croyait tout savoir sur tout et n’avoir plus besoin que de secrétaires rédacteurs de ses pensées. Cela peut être juste dans le chef d’une République, où la chose publique profite de l’intelligence du moindre citoyen, mais dans le chef d’un despotisme qui ne souffre l’existence d’aucun corps, d’aucune règle !

Les plus grands succès du duc de Bassano lui arrivaient pour avoir deviné sur une affaire la pensée de l’empereur que celui-ci ne lui avait pas encore communiquée. Tel n’était pas le rôle de Sully auprès de Henri IV, tel ne serait pas le rôle d’un simple honnête homme auprès d’un souverain et surtout d’un souverain dont l’effrayante activité voulait décider par décret même d’une dépense de cinquante francs.