Victor, de la Brigade mondaine/Chapitre XII


DOUZIÈME CHAPITRE

LE TRIOMPHE DE LUPIN


I


Victor, de la Brigade mondaine ! Le fameux Victor qui, peu à peu, grâce à son exceptionnelle clairvoyance, avait démêlé l’écheveau embrouillé de l’affaire ! qui avait démasqué en vingt-quatre heures les trois premiers détenteurs de l’enveloppe jaune ! qui avait découvert le père Lescot ! qui avait traqué le baron d’Autrey et l’avait acculé au suicide ! qui avait déjoué les machinations de Félix Devalle ! C’était lui, sous l’apparence du Péruvien Marcos Avisto…

Bressacq supporta le choc sans un tressaillement. Il laissa Victor remettre le récepteur à sa place, réfléchit quelques secondes, et, à son tour, tira son revolver.

Alexandra, devinant le geste, s’était jetée sur lui, effarée :

« Non… non !… pas ça ! »

Il chuchota, la tutoyant pour la première fois :

« Tu as raison. D’ailleurs le résultat sera le même. »

Victor le nargua.

« Quel résultat, Bressacq ?

— Le résultat de notre lutte.

— Il est réglé d’avance, en effet, dit Victor, qui consulta sa montre. Deux heures et demie… J’estime que dans quarante minutes, mon chef, en l’espèce, M. Gautier, directeur de la Police judiciaire, escorté de quelques-uns de ses loustics, posera sa main sur l’épaule du sieur Lupin.

— Oui, mais d’ici là, mouchard ?…

— D’ici là ?

— Il passera de l’eau sous le pont.

— En es-tu certain ?

— Presque aussi certain que toi. D’ici là, le sieur Victor… »

Bressacq se carrait, d’aplomb sur ses jambes, les bras croisés sur sa large poitrine, plus grand que son adversaire, et combien plus solide et plus vigoureux d’aspect que le vieil inspecteur au visage ridé et aux épaules arrondies !

« D’ici là, prononça Victor — et lui aussi revint au tutoiement — d’ici là, tu resteras bien tranquille, mon bon Lupin… Oui, oui, ça te fait rire, un duel entre Victor et Lupin, et tu te sens rassuré maintenant que tu n’as plus affaire qu’à moi. Une chiquenaude, hein, et ce sera fini. Farceur, va ! Il ne s’agit pas de muscles aujourd’hui, ni de biceps, mais de cerveau. Or, vrai, sous ce rapport, Lupin, tu as été d’un faiblard, depuis trois semaines ! Quelle déchéance ! Comment, c’est ça ce fameux Lupin dont je me faisais un épouvantail ! Lupin l’invincible ! Lupin le géant ! Ah ! Lupin, je me demande si ce n’est pas la chance qui t’a favorisé jusqu’ici, et si toutes tes victoires et ta renommée ne viennent pas de ce que tu n’as jamais trouvé en face de toi un adversaire un peu d’aplomb !… comme moi !… comme moi ! »

Victor se frappait la poitrine, en répétant fortement ces deux mots

« Comme moi ! comme moi ! »

Antoine Bressacq hocha la tête.

« Il est de fait que tu as rudement bien mené ta barque, policier. Toute ta comédie avec Alexandra… de premier ordre !… ton vol de l’agrafe… ton vol chez le recéleur… excellent, tout cela !… Et la bousculade du Cambridge, la façon dont tu nous as sauvés !… Fichtre, comment me serais-je défié d’un pareil cabotin ! »

Bressacq tenait sa montre en main, et ne cessait de la regarder.

Victor lui dit, goguenard :

« Tu trembles, Lupin !

— Moi ?

— Oui, toi ! Actuellement tu arrives à crâner. Mais qu’est-ce que ça sera quand on va te prendre au collet ! »

Victor pouffa de rire.

« Oui ! Quelle frousse tu avais tout à l’heure ! Et c’est ce que je voulais… te montrer que tu n’avais pas plus de cran qu’une femmelette. Et te le montrer en face d’Alexandra, dont tu te moquais ! Hein ! le coup de l’échelle évanouie ?… Mais elle est à un mètre de distance, l’échelle, là où je l’ai repoussée en enjambant le balcon de la fenêtre… Ah ! ce que tu as flanché à ce moment ! La preuve, c’est que tu n’as pas réagi quand j’ai téléphoné, et que tu ne réagis pas à présent, et qu’en fin de compte tu vas essayer de fiche ton camp par la porte, sans les millions. »

Il frappa du pied et s’écria :

« Mais rebiffe-toi donc, flanchard ! Voyons, ta maîtresse te regarde ! Es-tu malade ? Un peu ramolli, peut-être ? Allons, un mot ! un geste ! »

Bressacq ne bronchait pas. Les sarcasmes de Victor lui semblaient indifférents, et l’on aurait même pu croire qu’il ne les entendait point. Ayant tourné les yeux vers Alexandra, il la vit qui était debout, le regard obstinément et fiévreusement fixé vers l’inspecteur Victor.

Une dernière fois, il consulta sa montre.

« Vingt-cinq minutes, dit-il entre ses dents. C’est beaucoup plus qu’il ne m’en faut.

— Beaucoup plus, dit Victor. Une minute pour descendre les deux étages, et une autre pour sortir de l’hôtel avec tes copains.

— Il m’en faudra une de plus, dit Bressacq.

— Pourquoi faire ?

— Pour te corriger.

— Diable ! la fessée ?

— Non, un solide passage à tabac sous les yeux de ma maîtresse, comme tu dis. Quand la police arrivera, elle te trouvera quelque peu égratigné, quelque peu sanguinolent, bien ficelé…

— Et ta carte de visite clouée dans la gorge.

— Précisément, la carte d’Arsène Lupin… Respectons les traditions. Alexandra, aie l’obligeance d’ouvrir la porte. »

Alexandra ne bougea pas. Était-ce l’émotion qui la paralysait ?

Bressacq courut vers la porte, et tout de suite poussa un juron.

« Crebleu de crebleu, fermée à clef !

— Comment ! plaisanta Victor, tu ne t’étais pas aperçu que je la fermais ?

— Donne-moi la clef.

— Il y en a deux, celle-ci et celle de l’autre porte, au bout du couloir.

— Donne-moi les deux.

— Ce serait trop commode. Tu descendrais l’escalier et tu sortirais de la maison, comme un brave bourgeois qui s’en va de chez lui ? Non. Il faut que tu saches bien, qu’entre toi et la sortie, il y a une volonté, celle de Victor, de la Brigade mondaine. En dernier ressort, toute l’aventure est là, telle que je l’ai conçue et réalisée. Toi ou moi ! Lupin ou Victor ! Le jeune Lupin avec trois brutes de ses amis, un revolver, des poignards, une complice. Et le vieux Victor, tout seul, sans armes. Comme témoin de la bataille, comme arbitre du duel, la belle Alexandra. »

Bressacq avançait, implacable, le visage dur. Victor ne remua pas d’une semelle. Il n’y avait plus de paroles à prononcer. Le temps pressait. Avant que la police n’intervînt, il fallait que le vieux Victor fût terrassé, châtié, et que les clefs lui fussent reprises.

Deux pas encore.

Victor se mit à rire.

« Vas-y donc ! N’aie pas pitié de mes cheveux blancs ! Allons, du courage !… »

Un pas de plus. Et soudain Bressacq fit un bond sur son adversaire, et, du premier coup, de tout son poids, l’écrasa. Ils roulèrent sur le parquet, enlacés, et le duel prit aussitôt un caractère d’acharnement presque sauvage. Victor essayait de se dégager. L’étreinte de Bressacq semblait impossible à rompre.

Alexandra considérait la scène avec effroi, mais sans un mouvement, comme si elle n’avait pas voulu influer sur l’issue. Lui était-il égal que l’un fût vainqueur plutôt que l’autre ? On eût dit qu’elle attendait de savoir, avec une avidité anxieuse.

L’incertitude ne dura guère. Malgré la supériorité physique de Bressacq, malgré l’âge de Victor, ce fut Victor qui se releva. Il n’était même pas essoufflé. Il souriait, l’air aimable contre son habitude. Et il fit des grâces, comme un lutteur de cirque qui a « tombé » son adversaire.

L’autre gisait, inerte, meurtri.

II


Le visage de la jeune femme trahit la stupeur qu’elle éprouvait devant un tel dénouement. Il était manifeste qu’elle n’avait pas envisagé un instant la défaite d’Antoine Bressacq, et que ce corps étendu lui paraissait un spectacle inconcevable.

« Ne vous inquiétez pas, dit Victor qui visitait les poches de Bressacq et en retirait les armes, revolver et poignard. C’est un coup de ma façon dont l’effet est immanquable… le poing entre dans la poitrine sans qu’il soit besoin de recul et d’élan. Aucune gravité, d’ailleurs… Seulement c’est douloureux, et ça vous détraque pendant une heure… Pauvre Lupin… »

Mais elle ne s’inquiétait pas. Elle avait déjà pris son parti de l’événement, et ne pensait plus qu’à ce qui pouvait advenir et aux intentions de cet étonnant individu qui la déconcertait une fois de plus.

« Qu’allez-vous faire de lui ?

— Comment ? mais je vais le livrer. Dans un quart d’heure il aura les menottes.

— Vous ne ferez pas cela. Laissez-le partir.

— Non.

— Je vous en supplie.

— Vous me suppliez en faveur de cet homme… mais en votre faveur à vous ?

— Je ne demande rien, moi. Faites de moi ce qui vous plaira. »

Elle dit cela avec un calme étrange chez une femme qui frémissait de peur auparavant et que menaçait un danger si immédiat. Il y avait du défi, de l’arrogance même, dans ses yeux tranquilles.

Il s’approcha d’elle, et à voix basse :

« Ce qui me plaît ? C’est que vous partiez, vous, et sans une minute de retard.

— Non.

— Une fois mes chefs ici, je ne réponds pas de vous. Partez.

— Non. Toute votre conduite me prouve que vous agissez toujours à votre guise, en marge de la police, et même, contre elle, si cela vous est plus commode. Puisque vous me proposez la fuite, sauvez aussi Antoine Bressacq. Sinon, je reste. »

Victor s’irrita.

« Vous l’aimez donc, lui ?

— La question n’est pas là. Sauvez-le.

— Non, non.

— Alors je reste.

— Partez !

— Je reste.

— Eh bien, tant pis pour vous ! s’écria-t-il rageusement. Mais il n’y a pas de force au monde qui puisse me contraindre à le sauver. Vous entendez ? Depuis un mois, je ne travaille qu’à cela ! Toute ma vie ne tend qu’à ce but… l’arrêter !… le démasquer !… De la haine contre lui ? Oui, peut-être, mais surtout un mépris exaspéré.

— Du mépris ? Pourquoi ?

— Pourquoi ? je vais vous le dire, puisque vous n’avez jamais pressenti la vérité. Elle est si claire, cependant ! »

Bressacq s’était relevé, très pâle, le souffle court. Il retomba assis. On voyait qu’il ne pensait qu’à la fuite, et qu’il reconnaissait son irrémédiable défaite.

De ses deux mains, Victor saisit la tête de la jeune femme, et scanda, impérieusement :

« Ne me regardez pas… Ne m’interrogez pas de vos yeux avides… Ce n’est pas moi qu’il faut regarder… C’est lui… c’est l’homme que vous aimez, ou plutôt dont vous aimez la légende, la bravoure indomptable, les ressources toujours renouvelées. Mais regardez-le donc, au lieu de vous détourner de lui ! Regardez-le, et avouez qu’il vous a déçue. Vous attendiez mieux que cela, n’est-ce pas ? Un Lupin, ça vous a tout de même une autre allure ! »

Il riait, méchamment, le doigt braqué sur le vaincu.

« Un Lupin, est-ce que ça devrait se laisser jouer comme un gosse au maillot ? Ne parlons pas de ses gaffes depuis le début de l’affaire, de la façon dont je l’ai entortillé, à travers vous, d’abord, et puis directement, dans sa maison de Neuilly. Mais, ici, cette nuit, qu’est-ce qu’il a fait ? Depuis deux heures, c’est un pantin que j’agite à ma guise ; un polichinelle ! Ça, un Lupin ? Un épicier, oui, qui établit son bilan. Pas une lueur ! pas une idée ! Tandis que je le manœuvrais, tandis que je faisais monter la peur en lui, il bafouillait comme un imbécile. Regardez-le donc, votre Lupin en peau de lapin. Parce que je lui ai chatouillé l’estomac, le voilà blême comme s’il allait vomir ! La défaite ? Mais jamais Lupin, le véritable Lupin, n’accepta la défaite. C’est quand il est foutu qu’il se redresse. »

Victor se redressait, lui. Il était soudain de taille plus haute.

Toute proche, frémissante, Alexandra chuchota :

« Qu’est-ce que vous voulez dire ? De quoi l’accusez-vous ?

— C’est vous qui l’accusez.

— Moi ?… Moi ?… Je ne comprends pas…

— Si. La vérité commence à vous étreindre… Croyez-vous vraiment que cet homme ait la grandeur que vous lui avez attribuée ? Est-ce celui-là que vous aimiez, ou un autre plus grand… un véritable chef, qui ne peut pas être cet aventurier vulgaire ? Un chef, ajouta-t-il, en se frappant la poitrine, ça se reconnaît à certains signes ! Un chef demeure chef dans n’importe quelle situation ! Comment avez-vous pu être aveugle à ce point ?

— Qu’est-ce que vous voulez dire ? répéta-t-elle avec égarement. Si je me suis trompée, dites-le. Quoi ? Qui est-il ?

— Antoine Bressacq.

— Et Antoine Bressacq, qui est-ce ?

— C’est Antoine Bressacq, pas davantage.

— Mais si ! il y a un autre homme en lui ! Quel est-il ?

— Un voleur ! s’exclama Victor violemment. Un voleur de nom et de personnalité ! Quand on n’a que de petits moyens et qu’un esprit médiocre, c’est plus commode de flibuster une gloire toute faite ! Du jour au lendemain, on a de l’éclat ! On jette de la poudre aux yeux ! On insinue dans l’ombre à une femme : « Je suis Lupin », et, si cette femme est démolie par la vie, et qu’elle soit en quête d’émotions, qu’elle cherche quelque chose d’extraordinaire et d’impossible, alors on joue le rôle de Lupin, comme on peut, plutôt mal que bien, jusqu’au jour où les événements vous dégonflent et vous jettent par terre comme un mannequin. »

Elle murmura, rouge de honte :

« Oh ! est-ce possible ?… Vous êtes sûr ?…

— Tournez la tête vers lui, comme je vous en conjure depuis le début, et vous serez sûre, vous aussi… »

Elle ne tourna pas la tête. La réalité s’imposait à elle. Et c’est Victor qu’elle considérait de ses yeux ardents, comme si d’autres pensées, involontaires et confuses, l’envahissaient peu à peu.

« Allez-vous-en, dit-il. Les hommes de Bressacq doivent vous connaître et vous laisseront passer… Sinon, l’échelle est à ma portée…

— À quoi bon ! dit-elle. J’aime mieux attendre.

— Attendre quoi ? La police ?

— Tout m’est égal, dit-elle accablée. Cependant… une prière.

— Laquelle ?

— Les trois hommes, en bas, ce sont des brutes… Quand les agents arriveront, il pourrait y avoir une bataille… des victimes… Il ne faut pas… »

Victor observa Bressacq qui paraissait toujours souffrir, incapable d’un effort. Alors il ouvrit la porte, courut jusqu’au but du couloir, puis siffla. Un des trois hommes grimpa précipitamment.

« Décampez en vitesse… la police !… Et surtout, en vous en allant, laissez ouverte la grille du jardin. »

Puis il revint dans le bureau.

Bressacq n’avait pas bougé.

Alexandra ne s’était pas approchée de lui.

Aucun regard entre eux. Deux étrangers.

Il s’écoula deux ou trois minutes. Victor écoutait.

Un bruit de moteur gronda. Une auto s’arrêta sur le boulevard, devant l’hôtel, et une seconde auto.

Alexandra s’agrippait au dossier du fauteuil et ses ongles griffaient l’étoffe. Elle était livide, maîtresse d’elle cependant.

Des voix retentirent au rez-de-chaussée. Puis, le silence.

Victor chuchota : « M. Gautier et ses agents ont pénétré dans les chambres. Ils délivrent les gardiens et le Grec. »

À ce moment, Antoine Bressacq trouva la force de se lever et de marcher jusqu’à Victor. Son visage était décomposé par la souffrance plus peut-être que par la peur. Il balbutia, en désignant Alexandra :

« Que va-t-elle devenir ?

— T’occupe pas de ça, ex-Lupin. Ce n’est plus ton affaire. Ne pense qu’à toi. Bressacq est un faux nom, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Le vrai, on peut le retrouver ?

— Impossible.

— Pas de crime ?

— Non. Sauf le coup de couteau à Beamish. Et encore rien n’atteste que ce soit moi.

— Des cambriolages ?

— Aucune preuve solide.

— Bref, quelques années de prison.

— Pas davantage.

— Tu les mérites. Et après ?… De quoi vivre ?

— Les Bons de la Défense.

— La cachette où tu les as mis est bonne ? »

Bressacq sourit.

« Meilleure que celle de d’Autrey, dans le taxi. Introuvable. »

Victor lui tapota sur l’épaule.

« Allons, tu t’arrangeras. Tant mieux. Je ne suis pas méchant, moi. Tu m’as dégoûté pour avoir volé le joli nom de Lupin et rabaissé à ton niveau un bonhomme de sa taille. Ça, je ne le pardonne pas, et c’est pourquoi je te fais coffrer. Mais, en raison de ton coup d’œil dans cette affaire du taxi, et si tu ne bavardes pas trop à l’instruction, je ne te chargerai pas. »

Des voix s’élevaient au bas de l’escalier.

« Ce sont eux, dit Victor. Ils fouillent le vestibule, et ils vont monter. »

Il semblait transporté d’une joie soudaine, et, à son tour, il se mit à danser avec une agilité surprenante. Et c’était si comique, ce vieux monsieur distingué, à cheveux gris, qui lançait des entrechats, et ricanait :

« Tiens, mon cher Antoine, voilà ce qui s’appelle un pas à la Lupin ! Rien de commun avec tes gambades de tout à l’heure ! Ah ! c’est qu’il faut avoir le feu sacré, l’exaltation d’un vrai Lupin qui entend la police, qui est seul, entouré d’ennemis, et à qui l’on pourrait crier devant les flics : « C’est lui, Lupin ! Il n’y a pas de Victor, de la Brigade mondaine. Il n’y a que Lupin. Lupin et Victor, ça ne fait qu’un. Si vous voulez arrêter Lupin, arrêtez Victor. »

Il s’immobilisa subitement devant Bressacq et lui dit :

« Tiens, je te pardonne. Rien que pour m’avoir procuré une minute comme celle-là, je réduis ta peine à deux ans, à un an de prison. Dans un an « je t’évade ». D’accord ? »

Bressacq balbutia, abasourdi :

« Qui êtes-vous ?

— Tu l’as dit, bouffi.

— Hein ? quoi ? vous n’êtes pas non plus Victor ?

— Il y a bien eu un Victor Hautin, fonctionnaire colonial, et candidat au poste d’inspecteur de la Sûreté. Mais il est mort, me laissant ses papiers au moment même où je voulais m’amuser à jouer, de temps à autre, un rôle dans la police. Seulement, pas un mot là-dessus, hein. Laisse-toi traiter de Lupin, ça vaut mieux. Et puis ne parle pas de ton petit hôtel de Neuilly, et pas un mot contre Alexandra. Compris ? »

Les voix approchaient. Et, au delà de ces voix, on en entendait d’autres, moins distinctes.

Victor, qui allait au devant de M. Gautier, jeta à la jeune femme en passant :

« Dissimulez votre visage derrière votre mouchoir. Et surtout ne craignez rien.

— Je ne crains rien. »

M. Gautier accourait, escorté de Larmonat et d’un agent. Il s’arrêta sur le seuil et contempla le spectacle avec satisfaction.

« Eh bien, Victor, ça y est ? s’écria-t-il joyeusement.

— Ça y est, chef.

— C’est Lupin, cet individu ?

— En personne, sous le nom d’Antoine Bressacq. »

M. Gautier contempla le captif, lui sourit aimablement, et enjoignit à l’agent de lui passer le cabriolet de fer,

« Crebleu ! ça fait plaisir, murmurait-il. L’arrestation d’Arsène Lupin : le fameux, l’universel, l’invincible Arsène Lupin, pris au piège, coffré ! La police triomphante ! Ce n’est pas de règle avec Lupin. Mais c’est ainsi. Arsène Lupin est arrêté par Victor, de la Brigade mondaine. Fichtre ! c’est une date que celle d’aujourd’hui ! Victor, il a été bien sage, le monsieur ?

— Comme un agneau, chef.

— Il a l’air un peu délabré.

— On s’est un peu battu. Mais ce n’est rien. »

M. Gautier se tourna vers Alexandra, qui était courbée, le mouchoir contre les yeux.

« Et cette femme, Victor ?

— La maîtresse et la complice de Lupin.

— La dame du cinéma ? la femme de la Bicoque et de la rue de Vaugirard ?

— Oui, chef.

— Mes compliments, Victor. Quel coup de filet ! Vous me raconterez ça en détail. Quant aux Bons de la Défense, évanouis sans aucun doute ? mis en sûreté par Lupin ?

— Je les ai dans ma poche », annonça Victor en tirant d’une enveloppe les neuf Bons de la Défense.

Bressacq avait bondi sur place, bouleversé. Il apostropha Victor.

« Salaud !

— À la bonne heure ! fit Victor. Voilà enfin que tu réagis ! Cachette introuvable, disais-tu ? une ancienne canalisation dans ta villa… tu appelles ça introuvable ? Enfant, va ! La première nuit, je l’avais découverte. »

Il s’avança vers Antoine Bressacq, et, tout bas, de manière à n’être entendu que de lui :

« Tais-toi… Je te revaudrai ça… Sept ou huit mois de prison, pas davantage… et, à ta sortie, une bonne pension cent pour cent d’ancien combattant, et un bureau de tabac. Ça colle ? »

Cependant, les autres agents arrivaient. Ils avaient délivré le Grec, et celui-ci, soutenu par ses deux gardiens, agitait les bras et criait.

Quand il aperçut Bressacq, tout de suite il s’exclama :

« Je le reconnais ! Voilà celui qui m’a frappé et bâillonné ! Je le reconnais ! »

Mais il s’arrêta, frappé d’horreur. On dut le soutenir. La main tendue vers l’étagère aux souvenirs, il bégayait :

« Ils m’ont volé les dix millions ! L’album de timbres-poste ! Une collection sans prix ! Je pouvais la revendre pour dix millions. Vingt fois on me les a offerts… Et c’est lui, c’est lui !… Qu’on le fouille !… Misérable !… Dix millions !… »

III


On fouilla Bressacq qui, dans son désarroi, n’opposa aucune résistance.

Victor sentait peser sur lui deux regards obstinés, celui d’Alexandra qui avait écarté son mouchoir et relevé la tête, et celui de Bressacq qui le contemplait avec stupeur. Les dix millions disparus… Mais, en ce cas ?… La pensée de Bressacq se précisait en lui, et il bredouilla quelques mots, comme s’il était sur le point de la formuler à haute voix, cette pensée accusatrice, et de se défendre, et de défendre Alexandra. Mais les yeux de Victor, fixés sur Bressacq, étaient si impérieux, il subissait si profondément l’influence de cet homme, qu’il garda le silence. Avant d’accuser, il fallait réfléchir. Il fallait comprendre, et il n’arrivait pas à comprendre comment les dix millions avaient disparu puisque lui seul avait cherché, qu’il n’avait rien découvert, et que Victor n’avait pas bougé.

Victor hocha la tête et déclara :

« Les affirmations de M. Sériphos m’étonnent. J’accompagnais ici Antoine Bressacq, dont je m’étais fait l’ami, et n’ai cessé de le surveiller durant ses recherches. Or, il n’a rien trouvé.

— Cependant…

— Cependant Bressacq avait trois complices qui se sont enfuis, et dont j’ai le signalement. Sans doute est-ce eux qui, au préalable, ont emporté l’argent, ou plutôt cet album dont parle M. Sériphos. »

Bressacq haussa les épaules. Il savait bien que ses trois complices n’avaient pas pénétré dans cette pièce. Pourtant il ne dit rien. Il n’y avait rien à faire. D’une part, la justice et toute sa puissance… de l’autre Victor. Il choisit Victor.

Ainsi, à trois heures et demie du matin, tout était fini. On remit à plus tard les investigations. M. Gautier décida d’emmener Antoine Bressacq et sa maîtresse à la Police judiciaire pour les interroger sans délai.

On téléphona au commissariat de Neuilly. La pièce fut fermée, deux agents restèrent dans l’hôtel avec les gardiens et le Grec Sériphos.

M. Gautier et deux inspecteurs firent monter Bressacq dans une des automobiles de la Préfecture. Victor, accompagné de Larmonat et d’un autre agent, se chargèrent de la jeune femme.

L’aube commençait à blanchir l’horizon lorsqu’ils partirent sur le boulevard Maillot. L’air piquait, très vif.

On traversa le Bois, et, par l’avenue Henri-Martin, on gagna les quais. La première automobile avait pris un autre chemin.

Alexandra, renfoncée dans l’encoignure, demeurait invisible, toujours masquée de son mouchoir. Placée près d’une fenêtre ouverte, elle frissonna de froid. Victor remonta la glace, puis, plus tard, comme on approchait de la Préfecture, il enjoignit au chauffeur l’arrêter, et dit à Larmonat :

« On gèle… On pourrait bien se réchauffer. Qu’en penses-tu ?

— Ma foi, oui.

— Va donc nous chercher deux bols de café. Moi, je ne bouge pas. »

Des voitures de maraîchers, qui se rendaient aux Halles, stationnaient devant un marchand de vins, dont la porte était entrebâillée. Larmonat descendit vivement. Aussitôt après, Victor envoya aussi l’autre inspecteur.

« Recommande à Larmonat d’apporter en même temps des croissants. Et qu’on se dépêche ! »

Il poussa la glace qui le séparait du chauffeur, allongea le bras, et, lorsque le chauffeur se retourna, il l’étourdit d’un terrible coup de poing sous le menton. Ensuite, il ouvrit la portière du côté opposé au trottoir, remonta dans l’auto par la portière d’avant, saisit le chauffeur évanoui, l’attira hors de la voiture, le déposa sur le pavé, et prit sa place au volant.

Le quai était désert. Personne ne vit la scène.

Il démarra de nouveau, rapidement.

L’auto fila par la rue de Rivoli et l’avenue des Champs-Élysées, et reprit la route de Neuilly, jusqu’à l’avenue du Roule où se trouvait le petit hôtel de Bressacq.

« Vous avez la clef ?

— Oui, dit Alexandra, qui semblait fort calme.

— Vous pouvez habiter là durant deux jours sans aucune crainte. Ensuite, réfugiez-vous chez une amie quelconque. Plus tard, vous gagnerez l’étranger. Adieu. »

Il s’éloigna, toujours dans l’auto de la Préfecture.

À ce moment, le directeur de la Police judiciaire était déjà prévenu de l’incroyable conduite de Victor et de sa fuite en compagnie de la captive.

On se rendit à son domicile. Le vieux domestique en était parti, le matin, avec son maître et quelques colis, dans l’auto de la Préfecture évidemment.

Cette auto, on la retrouva, abandonnée, au milieu du Bois de Vincennes.

Qu’est-ce que cela voulait dire ?

Les journaux du soir racontèrent toute l’aventure sans émettre la moindre hypothèse vraisemblable.

Ce n’est que le lendemain que l’énigme fut résolue par le fameux message d’Arsène Lupin que communiqua l’Agence Havas au monde entier, et qui produisit une telle explosion de joie et de scandale.

En voici l’exacte teneur :

MISE AU POINT

« Je dois avertir le public que le rôle de l’inspecteur Victor, de la Brigade mondaine, est terminé. En ces derniers temps, et touchant l’affaire des Bons de la Défense, ce rôle consista surtout à poursuivre Arsène Lupin, ou plutôt, car la justice et le public ne doivent pas être tenus plus longtemps dans l’ignorance, à démasquer un sieur Antoine Bressacq qui avait usurpé le nom respectable et la brillante personnalité d’Arsène Lupin. Victor, de la Brigade mondaine, s’y employa avec une vigueur haineuse qui prouve sa révolte contre de tels procédés.

« Aujourd’hui, grâce à Victor, le pseudo-Lupin est sous les verrous, et Victor, de la Brigade mondaine, sa mission accomplie, disparaît.

« Mais il n’admet pas que sa parfaite honorabilité de policier puisse être entachée de la moindre souillure, et, poussant les scrupules de sa conscience à un point qui forcera l’admiration, il n’a pas voulu conserver par devers lui les neuf Bons de la Défense Nationale, et il les a remis entre mes mains, avec mission de les envoyer à la Préfecture.

« Quant à la découverte des dix millions, c’est là, de sa part, un exploit dont il faut que l’on soit informé dans ses détails, si on veut connaître toutes les ressources et toute l’ingéniosité d’un homme qui, assis sur sa chaise et sans prendre la peine de faire un mouvement, débrouilla un problème étrangement difficile. Un des dossiers de M. Sériphos portait cette mention, qui avait guidé les recherches d’Antoine Bressacq : « Dossier A. L. B. », ce que Bressacq avait interprété ainsi : « Dossier d’Albanie. » Or, lorsque Bressacq, possesseur de certaines indications, fit à haute voix, l’autre nuit, l’inventaire de la pièce du deuxième étage, dans l’hôtel du boulevard Maillot, il énuméra, parmi les souvenirs pieusement conservés : « Album d’images… album de timbres-poste. » Et, chose en vérité miraculeuse, ces quelques mots suffirent à éclairer l’esprit attentif de Victor, de la Brigade mondaine !

« Oui, tout de suite, Victor devina que l’interprétation d’Antoine Bressacq était fausse, que ces trois lettres A. L. B. devaient être et ne pouvaient être que les trois premières lettres du mot album. Les dix millions qui composaient la moitié de la fortune de M. Sériphos n’étaient pas contenus dans un dossier Albanie, mais tout simplement dans un album d’enfant, et sous la forme d’une collection de timbres-poste rarissimes, ayant une valeur marchande de dix millions. N’est-ce pas inouï comme intuition, comme coup d’œil instantané sur les profondeurs d’un mystère ? Un simple geste, effectué par Victor, dans le tumulte de la bataille et dans l’incohérence des allées et venues, et l’album de timbres-poste fut pris et empoché, à l’insu de tous.

« Ce geste ne conférait-il pas à Victor, de la Brigade mondaine, un droit incontestable sur les dix millions ? Selon moi, oui. Non, selon Victor, dont la conscience est faite de délicatesse et de raffinement sentimental. Il a donc tenu à me remettre, en même temps que les Bons de la Défense, l’album de timbres-poste, gardant ainsi ses mains nettes de toute flétrissure professionnelle.

« Je renvoie par courrier — car c’est là une dette sacrée — les Bons de la Défense à M. Gautier, directeur de la Police judiciaire, en lui transmettant toute la reconnaissance de l’inspecteur Victor. Pour les dix millions, étant donné que M. Sériphos est puissamment riche, et qu’il les conservait indûment sous les espèces d’une inutile collection de timbres-poste, je considère que je dois les rendre moi-même à la circulation jusqu’au dernier centime. C’est un devoir dont je m’acquitterai dans des conditions de stricte loyauté. Jusqu’au dernier centime…

« Un mot encore. Je crois savoir que si Victor, de la Brigade mondaine, a mené la bataille avec tant de rude énergie, c’est par courtoisie — je dirai plus — par un élan chevaleresque envers la dame qu’il avait admirée, dès les premiers jours, au cinéma, et qui était la victime de l’imposteur Antoine Bressacq, lequel avait fait jouer à ses yeux le nom d’Arsène Lupin. Aussi m’a-t-il semblé juste de la rendre à sa vie de grande dame et de parfaite honnête femme. C’est pourquoi je l’ai libérée. Qu’elle veuille bien, dans la retraite inviolable où elle s’est réfugiée, trouver ici, avec les adieux de Victor, de la Brigade mondaine, et du Péruvien Marcos Avisto, les sentiments respectueux d’

Arsène Lupin.

Le lendemain du jour où la lettre fut écrite, le directeur de la Police judiciaire recevait, sous pli recommandé, les neuf Bons de la Défense. Une feuille de papier supplémentaire donnait à la police de brèves explications sur la mort d’Élise Masson, assassinée par le baron d’Autrey.

On n’entendit jamais plus parler des dix millions qu’Arsène Lupin s’était réservé de rendre lui-même à la circulation.

Le jeudi suivant, vers deux heures de l’après-midi, la princesse Alexandra Basileïef quittait l’appartement d’une amie à qui elle avait demandé asile, se promenait assez longtemps dans le jardin des Tuileries, puis prenait la rue de Rivoli.

Elle était vêtue simplement, mais, comme toujours, son étrange et merveilleuse beauté attirait les regards. Elle ne les fuyait pas. Elle ne se cachait pas. Qu’avait-elle à craindre ? Nul de ceux qui pouvaient la soupçonner ne la connaissait. Ni l’Anglais Beamish, ni Antoine Bressacq ne l’avaient dénoncée.

À trois heures elle entrait dans le petit square Saint-Jacques.

Sur un des bancs, à l’ombre de la vieille tour, un homme était assis.

Elle hésita d’abord. Était-ce lui ? Il ressemblait si peu au Péruvien Marcos Avisto, si peu à Victor de la Brigade mondaine ! Combien plus jeune et plus élégant que Marcos Avisto ! Combien plus fin, plus souple et plus distingué que le policier Victor ! Cette jeunesse, cet air de séduction aimable, la troublèrent plus que tout. Pourtant elle avança. Leurs yeux se rencontrèrent.

Elle ne s’y trompa pas : c’était bien lui. C’était un autre homme, mais c’était lui. Elle s’assit à ses côtés, sans une parole.

Ils restèrent ainsi, l’un près de l’autre, silencieux. Une émotion infinie les unissait et les séparait, et ils avaient peur d’en rompre le charme.

Enfin, il dit :

« Oui, c’est la première vision que j’ai eue de vous au cinéma, qui a réglé ma conduite. Si j’ai poursuivi toute cette aventure, c’est pour courir après mon adorable vision. Mais comme j’ai souffert de ce double rôle que j’étais contraint de jouer pour vous approcher ! Quelle vilaine comédie ! Et puis, cet homme m’exaspérait… Je le détestais, et en même temps, je sentais grandir en moi un sentiment de curiosité et de tendresse pour la femme qu’il avait dupée avec mon nom… un sentiment mêlé d’irritation contre elle, et qui n’était, au fond, que l’amour, grave et passionné, que je n’avais pas le droit de vous offrir et que je vous offre aujourd’hui. »

Il s’interrompit. Il n’attendait pas de réponse… il ne voulait pas de réponse, même. Après avoir parlé pour lui et pour dire ce qu’il pensait, il parla pour elle, sans qu’elle songeât un instant à s’opposer aux douces paroles qui s’insinuaient en elle.

« Ce qui me touchait le plus profondément en vous, et qui me montrait un peu de votre état d’âme, c’est votre confiance instinctive. Je la volais, cette confiance, et j’en étais honteux. Mais elle venait vers moi, à votre insu, et pour des raisons secrètes, dont vous ne vous rendiez pas compte… pour une raison surtout… le besoin de protection qui est le fond de votre être. Vous n’étiez pas protégée par l’autre… Cette sensation du danger, qui vous est indispensable par moments, elle devenait près de lui une angoisse que vous ne pouviez plus tolérer. Auprès de moi, et dès la première minute, tout en vous se calmait. Tenez, l’autre nuit, au plus fort de votre épouvante, vous vous êtes détendue, et vous n’avez plus souffert dès que l’inspecteur Victor eût imposé sa volonté. Et, à partir de l’instant où vous avez deviné qui était réellement l’inspecteur Victor, vous avez su que vous n’iriez pas en prison. Et vous avez attendu la police, sans crainte. Et vous êtes montée dans l’auto de la Préfecture presque en souriant. Il n’y avait plus que de la joie dans votre peur… Et votre joie provenait du même sentiment que moi, n’est-ce pas ? d’un sentiment qui paraissait s’éveiller brusquement, mais dont vous subissiez déjà toute la force… N’est-ce pas ? Je ne me trompe pas ? tout cela est bien la vérité de votre cœur ? »

Elle ne protesta point. Elle n’avoua pas non plus. Mais quelle tranquillité sur son beau visage !…

Jusqu’au soir ils demeurèrent l’un près de l’autre. À la nuit tombante, elle se laissa conduire… elle ne savait où…

Ils furent heureux.

Si Alexandra retrouva son équilibre, peut-être ne parvint-elle pas à une conception tout à fait normale de la vie, et peut-être surtout n’essaya-t-elle pas d’influer sur l’existence irrégulière de son compagnon. Mais il était, ce compagnon, si aimable dans son irrégularité, si amusant dans ses écarts, si loyal dans ses entreprises condamnables, si fidèle à ses engagements les plus saugrenus !

Ainsi voulut-il tenir la promesse faite à Bressacq, qu’il « évada », comme il disait, au bout de huit, mois, alors que Bressacq quittait pour le bagne le pénitencier de l’île de Ré. Ainsi voulut-il également délivrer l’Anglais Beamish, conformément à la promesse de Bressacq.

Un jour, il se rendit à Garches. Deux nouveaux mariés sortaient de la mairie, tendrement enlacés. C’était Gustave Géraume, libéré par le divorce de son infidèle épouse, et c’était la baronne Gabrielle d’Autrey, veuve consolée, fiancée amoureuse et palpitante, qui se suspendait gentiment au bras de son cher Gustave.

Comme ils allaient monter dans leur luxueuse « conduite intérieure », un monsieur fort élégant, s’approcha d’eux, s’inclina devant la mariée, et lui remit une belle gerbe de fleurs blanches.

« Vous ne me reconnaissez pas, chère madame ? C’est moi, Victor, vous vous rappelez sans doute ?… Victor, de la Brigade mondaine, autrement dit, Arsène Lupin ?… Artisan de votre bonheur, ayant deviné l’impression charmante que vous avait laissée Gustave Géraume, j’ai voulu vous apporter mes hommages respectueux et mes vœux les plus sincères… »

Le soir même, le monsieur très élégant disait à la princesse Alexandra :

« Je suis content de moi. Il faut faire le bien chaque fois qu’on le peut, pour compenser le mal qu’on est parfois obligé de faire. Je suis sûr, Alexandra, que l’attendrissante Gabrielle n’oubliera pas dans ses prières ce brave homme de Victor, de la Brigade mondaine, grâce auquel l’abominable d’Autrey a été expédié dans un meilleur monde, laissant la place à l’irrésistible et séduisant Gustave. Et, de tout cela, vous ne sauriez croire à quel point je me réjouis !… »