Vers pour Monseigneur le Dauphin au sujet d’une aventure arrivée entre lui et le petit Brancas


Vers pour Monseigneur le Dauphin au sujet d’une aventure arrivée entre lui et le petit Brancas.

1714



Vers pour Monseigneur le Dauphin au sujet d’une aventure arrivée entre lui et le petit Brancas1.
À Paris, chez Jacques Estienne, rue Saint Jacques, à la Vertu.
M. DCC. XIV.
Avec permission. In-8.

Muse, prenez vos plus brillans atours,
Vos patins neufs, vos habits des bons jours,
Vos beaux pendants ; soyez proprette et blanche,
Telle qu’un jour de fête ou de dimanche.
Il faut partir dès demain pour la cour :
Un jeune prince aussi beau que l’Amour,
Enfant des dieux, par ses grâces exige
De tous les cœurs un juste hommage lige ;
Chacun s’empresse à lui rendre le sien :
Portez-lui vite et le vôtre et le mien.
C’est ce Dauphin seul gage qui nous reste
D’un père, helas ! que le courroux celeste,
Malgré les cris des peuples gemissans,
Nous enleva dans la fleur de ses ans2.
Fasse le Ciel, appaisant sa colère,
Qu’un jour le fils nous remplace le père !
Nous ne pouvons souhaiter aujourd’hui
Rien de plus doux, ni pour nous ni pour lui.

Mais arrêtez : que vois-je ici, ma Muse ?
Vous qui d’abord, etonnée et confuse
Et dans le cœur murmurant contre moi,
Vous defendiez d’accepter cet emploi,
Au tendre nom du Dauphin de la France
Vous reprenez toute votre assurance,
Et semblez même, à votre air vif et gai,
Ne demander qu’à partir sans delai.
Je vois le point, et je crois vous entendre :
Pour un enfant dans l’âge le plus tendre
Et qui ne compte encor que trois moissons,
Me dites-vous, faut-il tant de façons ?

Muse, tout doux : qui vous laisseroit faire,
Vous me feriez à la cour quelque affaire.
Je crois vous voir, prompte à vous oublier,
D’un pas leger et d’un air familier,
Vers le Dauphin, pour debut d’ambassade,
Les bras ouverts, courir à l’embrassade.
Autant en fit, dans un semblable cas,
Jeune marquis que vous ne valez pas ;
Autant en fit, et compta sans son hôte :
Retenez-en, Muse, et n’y faites faute,
Toute l’histoire. Au prince, certain jour,
Ce jeune enfant alloit faire sa cour.
Sa cour, que dis-je ? helas ! c’est un langage
Dont à trois ans on ignore l’usage.
Sans tant tourner, disons qu’il l’alloit voir,
Plus par instinct même que par devoir.
Le cœur, qui fut son guide et son genie,
Ne connoît point tant de ceremonie.
Depuis long-temps flaté de ce plaisir,
Le pauvre enfant brûloit d’un vrai desir
De voir le prince, et disoit à toute heure :
Quand le verrai-je ! Il se tourmente, il pleure,
Il veut le voir. Soyez sage, et demain,
Lui disoit-on, vous le verrez. Soudain
Il s’appaisoit ; une telle promesse
Plus le touchoit que bonbons et caresse.
Arrive enfin ce jour tant souhaité,
Long-temps promis, et souvent acheté.
D’attendre au moins qu’un moment on l’instruise,
Point de nouvelle ; il faut qu’on l’y conduise
Sans differer. Enfin, pour faire court,
On l’y conduit, ou plutôt il y court.
Dès qu’il le voit, ne se sentant pas d’aise,
Il vole à lui, saute à son cou, le baise
De tout son cœur : qui n’en feroit autant
Si l’on osoit ? N’en faites rien pourtant.
Un tel debut, quoique assez pardonnable,
Muse, n’eut pas un succès favorable.
Bientost le prince, étant debarrassé
Des petits bras qui l’avoient embrassé,
Sur l’embrasseur jette une œillade fière,
En reculant quatre pas en arrière.
Son petit cœur, mais noble, et qui se sent,
Est tout ému de ce trait indecent.
Que fera-t-il ? Il s’agite, il secoue
Avec depit ce baiser de sa joue,
Et de sa main il semble s’efforcer,
S’il est possible, au moins de l’effacer.
À tous ces traits d’un courroux respectable
Que dit, que fit, que devint le coupable ?
Coupable ? oui : qu’il soit ainsi nommé,
Mais seulement pour avoir trop aimé.
Le pauvre enfant, dans une alarme extrême,
Se fit d’abord son procès à lui-même ;
Les yeux baissez, immobile, interdit,
Il reconnut sa faute, il en rougit.
Son repentir repara son audace,
Par son respect il merita sa grace,
Et, s’approchant humblement du Dauphin,
Il fit sa paix en lui baisant la main.

De tout ceci vous paraissez surprise,
Et votre esprit, raisonnant à sa guise,
Se dit tout bas : Prince, tant soit-il grand,
Si jeune encore entrevoit-il son rang ?
De son berceau touchant à la couronne,
Distingue-t-il l’éclat qui l’environne,
Et, de Louis presomptif successeur,
De son destin connoit-il la grandeur ?
Muse, il la sent, s’il ne sait la connoître.
Dans les heros que pour regner fait naître
Des grands Bourbons la royale maison
Le sang inspire, et previent la raison ;
Le noble instinct qui dans leur cœur domine
Rappelle en eux leur auguste origine,
Et de ce sang reçu de tant de rois
La majesté reclame tous ses droits.
Allez donc, Muse, et desormais, instruite,
Sur ces leçons reglez votre conduite ;
De ce soleil sous l’enfance éclipsé
N’approchez point d’un air trop empressé ;
Sans affecter des airs de confiance,
Qu’une modeste et naïve assurance
Gagne le prince et puisse de sa part
Vous attirer quelque tendre regard ;
Haranguez peu, mais que votre visage
De votre cœur exprime le langage.
Je ne dis pas qu’un petit compliment
Assaisonné du sel de l’enjoûment
N’eût son mérite et même ne pût plaire ;
Mais l’embarras, Muse, est de le bien faire.
Le tout dépend des momens et du tour ;
Vous l’apprendrez des rheteurs de la cour :
Point ne connois, pour l’art de la parole,
De plus adroite et plus subtile école ;
Le beau parler vint au monde en ce lieu,
Et compliment est leur croix de par Dieu.
L’air du pays, qui de lui-même inspire,
Vous dictera ce que vous devez dire.
Si cependant vous doutez du succès,
Retranchez-vous à faire des souhaits :
C’est un encens qui fut toujours de mise ;
Mais faites-les en Muse bien apprise.
Vous trouverez de quoi dans le Dauphin,
Et sur son compte on en feroit sans fin.
Souhaitez-lui les vertus de son père ;
Ajoutez-y les graces de sa mère
L’ame et le cœur du Dauphin son ayeul,
De Louis, tout : il comprend tout lui seul ;
Lui souhaiter qu’à Louis il ressemble
C’est le doüer de tous les dons ensemble.
S’il demandoit, comme il faut tout prevoir,
Pourquoi ne suis moi-même allé le voir,
Vous lui direz à l’oreille : Mon prince,
Je croi qu’il a quelque affaire en province ;
Mais, en tout cas, à lui ne tiendra point
Que ne soyez obéi sur ce point.




1. Louis de Brancas, marquis de Cereste. Il étoit né en 1711, et avoit par conséquent alors trois ans au plus. Louis XV, auquel il veut de si bonne heure faire sa cour, le fit maréchal de France en 1740. Il mourut en 1750.

2. Le duc de Bourgogne, dont le Dauphin, qui l’année suivante devoit devenir le roi Louis XV, étoit le troisième fils.