Valvèdre (1861)
Michel Lévy frères (p. 190-226).

VI


Je retournai chez les Obernay. On dansait encore ; mais Alida, secrètement blessée de mon départ, s’était retirée. Le jardin était illuminé ; on s’y promenait par groupes dans l’intervalle des contredanses et des valses. Il n’y avait aucun moyen de nouer un mystère quelconque dans cette fête modeste, pleine de bonhomie et d’honnête abandon. Je ne vis pas reparaître Valvèdre, et j’affectai, devant mademoiselle Juste, qui tenait bon jusqu’à la fin, beaucoup de gaieté et de liberté d’esprit. On proposa un cotillon, et les jeunes filles décidèrent que tout le monde en serait. J’allai inviter mademoiselle Juste, Henri ayant invité sa mère.

— Quoi ! me dit en souriant la vieille fille, vous voulez que je danse aussi, moi ? Eh bien, soit. Je ferai avec vous une fois le tour de la salle ; après quoi, je serai libre de me faire remplacer par une danseuse dont je vais m’assurer d’avance.

Je ne pus voir à qui elle s’adressait ; il y avait un peu de confusion pour prendre place. Je me trouvai avec elle vis-à-vis de M. Obernay père et d’Adélaïde. Quand ils eurent ouvert la figure, les deux graves personnages se firent signe et s’éclipsèrent. Je devenais le cavalier d’Adélaïde, avec laquelle je n’avais pas osé danser sous les yeux d’Alida, et qui me tendit sa belle main avec confiance. Elle n’y entendait certes pas malice ; mais mademoiselle Juste savait bien ce qu’elle faisait. Elle parlait bas au père Obernay en nous regardant d’un air moitié bienveillant, moitié railleur. La figure candide du vieillard semblait lui répondre : « Vous croyez ? Moi, je n’en sais rien, ce n’est pas impossible. »

Oui, je l’ai su plus tard, ils parlaient du mariage autrefois vaguement projeté avec mes parents. Juste, sans rien savoir de mon amour pour Alida, pressentait quelque charme déjà jeté sur moi par l’enchanteresse, et elle s’efforçait de le faire échouer en me rapprochant de ma fiancée. Ma fiancée ! cette splendide et parfaite créature eût pu être à moi ! Et moi, je préférais à une vie excellente et à de célestes félicités les orages de la passion et le désastre de mon existence ! Je me disais cela en tenant sa main dans la mienne, en affrontant les magnificences de son divin sourire, en contemplant les perfections de tout son être pudique et suave ! Et j’étais fier de moi, parce qu’elle n’éveillait en moi aucun instinct, aucun germe d’infidélité envers ma dangereuse et terrible souveraine ! Ah ! si elle eut pu lire dans mon âme, celle qui la possédait si entièrement ! Mais elle y lisait à contre-sens, et son œil irrité me condamnait au moment de mon plus pur triomphe sur moi-même ; car elle était là, cette magicienne haletante et jalouse, elle m’épiait d’un œil troublé par la fièvre. Quelle victoire pour Juste, si elle eût pu le deviner !

L’appartement de madame de Valvèdre était au-dessus de la salle où l’on dansait. D’un cabinet de toilette en entre-sol, on pouvait voir tout ce qui se passait en bas par une rosace masquée de guirlandes. Alida avait voulu jeter machinalement un dernier regard sur la petite fête ; elle avait écarté le feuillage, et, me voyant là, elle était restée clouée à sa place. Et moi, me sentant sous les yeux de Juste, je croyais être un grand diplomate et servir habilement la cause de mon amour en m’occupant d’Adélaïde et en jouant le rôle d’un petit jeune homme enivré de mouvement et de gaieté !

Aussi le lendemain, quand j’eus réussi à faire tenir ma lettre à madame de Valvèdre, je reçus une réponse foudroyante. Elle brisait tout, elle me rendait ma liberté. Dans la matinée, Juste et Paule avaient parlé devant elle de mon union projetée avec Adélaïde et d’une récente lettre de ma mère à madame Obernay, où ce désir était délicatement exprimé.

« Je ne savais rien de tout cela, disait Alida, vous me l’aviez laissé ignorer. En apprenant que votre voyage en Suisse n’avait pas eu d’autre but que la poursuite de ce mariage, et en voyant de mes propres yeux, cette nuit, combien vous étiez ravi de la beauté de votre future, je me suis expliqué votre conduite depuis trois jours. Dès que vous êtes entré dans cette maison, dès que vous avez vu celle qu’on vous destinait, votre manière d’être avec moi a entièrement changé. Vous n’avez pas su trouver un instant pour me parler en secret, vous n’avez pas pu inventer le plus petit expédient, vous qui savez si bien pénétrer dans les forteresses par-dessus les murs, quand le désir vient en aide à votre génie. Vous avez été vaincu par l’éclat de la jeunesse, et, moi, j’ai pâli, j’ai disparu comme une étoile de la nuit devant le soleil levant. C’est tout simple. Enfant, je ne vous en veux pas ; mais pourquoi manquer de franchise ? pourquoi m’avoir fait souffrir mille tortures ? pourquoi, sachant que je haïssais à bon droit certaine vieille fille, l’avoir traitée avec une vénération ridicule ? N’avez-vous pas senti déjà des mouvements de malveillance, presque d’aversion, contre la malheureuse Alida ? Il me semble que, dans un moment, l’unique moment où vos regards, sinon vos paroles, pouvaient me rassurer, vous m’avez fait entendre que j’étais, selon vous, une mauvaise mère. Oui, oui, on vous avait déjà dit cela, que je préférais mon bel Edmond à mon pauvre Paul, que celui-ci était une victime de ma partialité, de mon injustice : c’est le thème favori de mademoiselle Juste, et elle avait bien réussi à le persuader à mon mari, qui m’estime ; elle a dû réussir plus vite à le prouver à mon amant, qui ne m’estime pas !

» Allons ! il faut se placer au-dessus de ces misères ! Il faut que je dédaigne tout cela, et que je vous apprenne que, si je suis une personne odieuse, au moins j’ai la fierté qui convient à ma situation. Épargnez-vous de vains mensonges ; vous aimez Adélaïde et vous serez son mari, je vais vous y aider de tout mon pouvoir. Renvoyez-moi mes lettres et reprenez les vôtres. Je vous pardonne de tout mon cœur comme on doit pardonner aux enfants. J’aurai plus de peine à m’absoudre moi-même de ma folie et de ma crédulité. »

Ainsi ce n’était pas assez de la situation terrible où nous nous trouvions vis-à-vis de la famille et de la société : il fallait que le désespoir, la jalousie et la colère missent en cendre nos pauvres cœurs déjà battus en ruine !

Je fus pris d’un accès de rage contre la destinée, contre Alida et contre moi-même. J’allai faire mes adieux à la famille Obernay, et je repartis pour mon prétendu voyage d’agrément ; mais je m’arrêtai à deux lieues de Genève, en proie à une terreur douloureuse. Je n’avais pas pris congé de madame de Valvèdre ; elle était sortie quand j’étais allé faire mes adieux. En rentrant et en apprenant ma brusque résolution, elle était bien femme à se trahir ; mon départ, au lieu de la sauver, pouvait la perdre… Je revins sur mes pas, incapable d’ailleurs de supporter la pensée de ses souffrances. Je feignis d’avoir oublié quelque chose chez Obernay, et j’y arrivai avant qu’Alida fût rentrée. Où donc était-elle depuis le matin ? Adélaïde et Rosa étaient seules à la maison. Je me hasardai à leur demander si madame de Valvèdre avait aussi quitté Genève. Je regrettais de ne l’avoir pas saluée. Adélaïde me répondit avec une sainte tranquillité que madame de Valvèdre était à la chapelle catholique au bas de la rue. Et, comme elle prenait mon trouble pour de la surprise, elle ajouta :

— Est-ce que cela vous étonne ? Elle est fervente papiste, et, nous autres hérétiques, nous respectons toute sincérité. C’est demain, nous a-t-elle dit, l’anniversaire de la mort de sa mère ; et elle se reproche de nous avoir fait, cette nuit, le sacrifice de danser. Elle veut s’en confesser, commander une messe, je crois… Enfin, si vous vouliez prendre congé d’elle, attendez-la.

— Non, répondis-je, vous voudrez bien lui exprimer mes regrets.

Les deux sœurs essayèrent de me retenir, pour causer, disaient-elles, une bonne surprise à Henri, qui allait rentrer. Adélaïde insista beaucoup ; mais, comme je ne cédai pas, et que, sans m’en vouloir, elle me dit amicalement adieu et gaiement bon voyage, je vis que cette simplicité de manières bienveillantes ne couvrait aucun regret déchirant.

Je fus à peine dehors, que je me dirigeai vers la petite église. J’y entrai ; elle était déserte. Je fis le tour de la nef ; dans un coin obscur et froid, je vis, entre un confessionnal et l’angle de la muraille, une femme habillée de noir, agenouillée sur le pavé, et comme écrasée sous le poids d’une douleur extatique. Elle était couverte de tant de voiles, que j’hésitai à la reconnaître. Enfin je devinai ses formes délicates sous le crêpe de son deuil, et je me hasardai à lui toucher le bras. Ce bras roidi et glacé ne sentit rien. Je me précipitai sur elle, je la soulevai, je l’entraînai. Elle se ranima faiblement et fit un effort pour me repousser.

— Où me conduisez-vous ? dit-elle avec égarement.

— Je n’en sais rien ! à l’air, au soleil ! vous êtes mourante.

— Ah ! il fallait donc me laisser mourir !… j’étais si bien !

Je poussai au hasard une porte latérale qui se présenta devant moi, et je me trouvai dans une ruelle étroite et peu fréquentée. Je vis un jardin ouvert. Alida, sans savoir où elle était, put marcher jusque-là. Je la fis entrer dans ce jardin et s’asseoir sur un banc au soleil. Nous étions chez des inconnus, des maraîchers ; les patrons étaient absents. Un journalier qui travaillait dans un carré de légumes nous regarda entrer, et, supposant que nous étions de la maison, il se remit à l’ouvrage sans plus s’occuper de nous.

Le hasard amenait donc ce tête-à-tête impossible ! Quand Alida se sentit ranimée par la chaleur, je la conduisis au bout de ce jardin assez profond, qui remontait la colline de la vieille ville, et je m’assis auprès d’elle sous un berceau de houblon.

Elle m’écouta longtemps sans rien dire ; puis, me laissant prendre ses mains tièdes et tremblantes, elle s’avoua désarmée.

— Je suis brisée, me dit-elle, et je vous écoute comme dans un rêve. J’ai prié et pleuré toute la journée, et je ne voulais reparaître devant mes enfants que quand Dieu m’aurait rendu la force de vivre ; mais Dieu m’abandonne, il m’a écrasée de honte et de remords sans m’envoyer le vrai repentir qui inspire les bonnes résolutions. J’ai invoqué l’âme de ma mère, elle m’a répondu : « Le repos n’est que dans la mort ! » J’ai senti le froid de la dernière heure, et, loin de m’en défendre, je m’y suis abandonnée avec une volupté amère. Il me semblait qu’en mourant là, aux pieds du Christ, non pas assez rachetée par ma foi, mais purifiée par ma douleur, j’aurais au moins le repos éternel, le néant pour refuge. Dieu n’a pas plus voulu de ma destruction que de mes pleurs. Il vous a amené là pour me forcer à aimer, à brûler, à souffrir encore. Eh bien, que sa volonté soit faite ! Je suis moins effrayée de l’avenir depuis que je sais que je peux mourir de fatigue et de chagrin quand le fardeau sera trop lourd.

Alida était si saisissante et si belle dans son voluptueux accablement, que je trouvai l’éloquence d’un cœur profondément ému pour la convaincre et la rappeler à la vie, à l’amour et à l’espérance. Elle me vit si navré de sa peine, qu’à son tour elle eut pitié de moi et se reprocha mes pleurs. Nous échangeâmes les serments les plus enthousiastes d’être à jamais l’un à l’autre, quoi qu’il pût arriver de nous ; mais, en nous séparant, qu’allions-nous faire ? J’étais parti pour toutes les personnes que nous connaissions à Genève. L’heure avançait, on pouvait s’inquiéter de l’absence de madame de Valvèdre et la chercher.

— Rentrez, lui dis-je ; je dois quitter cette ville, où nous sommes entourés de dangers et d’amertumes. Je me tiendrai dans les environs, je m’y cacherai et je vous écrirai. Il faut absolument que nous trouvions le moyen de nous voir avec sécurité et d’arranger notre avenir d’une manière décisive.

— Écrivez à la Bianca, me dit-elle ; j’aurai vos lettres plus vite que par la poste restante. Je resterai à Genève pour les recevoir, et, de mon côté, je réfléchirai à la possibilité de nous revoir bientôt.

Elle redescendit le jardin, et j’y restai après elle pour qu’on ne nous vît pas sortir ensemble. Au bout de dix minutes, j’allais me retirer, lorsque je m’entendis appeler à voix basse. Je tournai la tête ; une petite porte venait de s’ouvrir derrière moi dans le mur. Personne ne paraissait, je n’avais pas reconnu la voix ; on m’avait appelé par mon prénom. Était-ce Obernay ? Je m’avançai et vis Moserwald, qui m’attirait vers lui par signes, d’un air de mystère.

Dès que je fus entré, il referma la porte derrière nous, et je me trouvai dans un autre enclos, désert, cultivé en prairie, ou plutôt abandonné à la végétation naturelle, où paissaient deux chèvres et une vache. Autour de cet enclos si négligé régnait une vigne en berceau soutenue par un treillage tout neuf à losanges serrées. C’est sous cet abri que Moserwald m’invitait à le suivre. Il mit le doigt sur ses lèvres et me conduisit sous l’auvent d’une sorte de masure située à l’un des bouts de l’enclos. Là, il me parla ainsi :

— D’abord faites attention, mon cher ! Tout ce qui se dit sous la treille peut être entendu à droite et à gauche à travers les murs, qui ne sont ni épais ni hauts. À gauche, vous avez le jardin de Manassé, un de mes pauvres coreligionnaires qui m’est tout dévoué ; c’est là que vous étiez tout à l’heure avec elle, j’ai tout entendu ! À droite, le mur est encore plus perfide, je l’ai fait amincir et percer d’ouvertures imperceptibles qui permettent de voir et d’entendre ce qui se passe dans le jardin des Obernay. Ici, entre les deux enclos, vous êtes chez moi. J’ai acheté ce lopin de terre pour être auprès d’elle, pour la regarder, pour l’écouter, pour surprendre ses secrets, s’il est possible. J’ai fait le guet pour rien tous ces jours-ci ; mais, aujourd’hui, en écoutant par hasard de l’autre côté, j’en ai appris plus que je ne voudrais en savoir. N’importe, c’est un fait accompli. Elle vous aime, je n’espère plus rien ; mais je reste son ami et le vôtre. Je vous l’avais promis, je n’ai qu’une parole. Je vois que vous êtes grandement affligés et tourmentés tous les deux. Je serai, moi, votre providence. Restez caché ici ; la baraque n’est pas belle, mais elle est assez propre en dedans. Je l’ai fait arranger en secret et sans bruit, sans que personne s’en soit douté, il y a déjà six mois, lorsque j’espérais qu’elle serait, un jour ou l’autre, touchée de mes soins, et qu’elle daignerait venir se reposer là… Il n’y faut plus songer ! Elle y viendra pour vous. Allons, mon argent et mon savoir-faire ne seront pas tout à fait perdus, puisqu’ils serviront à son bonheur et au vôtre. Adieu, mon cher. Ne vous montrez pas, ne vous promenez pas le jour dans l’endroit découvert ; on pourrait vous voir des maisons voisines. Écrivez des lettres d’amour tant que le soleil brille, ou ne prenez l’air que sous le berceau. À la nuit noire, vous pourrez vous risquer dans la campagne, qui commence à deux pas d’ici. Manassé va être à vos ordres. Il vous fera d’assez bonne cuisine ; il renverra les ouvriers, qui pourraient causer. Il portera vos lettres au besoin et les remettra avec une habileté sans pareille. Fiez-vous à lui ; il me doit tout, et dans un instant il va savoir qu’il vous appartient pour trois jours. Trois jours, c’est bien assez pour se concerter, car je vois que vous cherchez le moyen de vous réunir. Cela finira par un enlèvement ! je m’y attends bien. Prenez garde pourtant ; ne faites rien sans me consulter. On peut assurer son bonheur sans perdre la position d’une femme. Ne soyez pas imprudent, conduisez-vous en homme d’honneur, ou bien, ma foi ! je crois que je me mettrais contre vous, et que, malgré mon peu de goût pour les duels, il faudrait nous couper la gorge… Adieu, adieu, ne me remerciez pas ! Ce que je fais, je le fais par égoïsme ; c’est encore de l’amour ! mais c’est de l’amour désespéré. Adieu !… Ah ! à propos, il faut que je retire de là quelques papiers ; entrons.

Abasourdi et irrésolu, je le suivis dans l’intérieur de ce hangar en ruine, tout chargé de lierre et de joubarbes. Une petite construction neuve s’abritait sous cette carapace et s’ouvrait de l’autre côté du jardin sur un étroit parterre éblouissant de roses. L’appartement mystérieux se composait de trois petites pièces d’un luxe inouï.

— Tenez, dit Moserwald en me montrant, sur une console de rouge antique, une coupe d’or ciselé remplie jusqu’aux bords de perles fines très-grosses, je laisse cela ici. C’est le collier que je lui destinais à sa première visite, et, à chaque visite, la coupe eût contenu quelque autre merveille ; mais, dans ce temps-là, vous savez, elle n’a pas seulement daigné voir ma figure !… N’importe, vous lui offrirez ces perles de ma part… Non, elle les refuserait ; vous les lui donnerez comme venant de vous. Si elle les méprise, qu’elle en fasse un collier à son chien ! Si elle n’en veut pas, qu’elle les sème dans les orties ! Moi, je ne veux plus les voir, ces perles que j’avais choisies une à une dans les plus beaux apports du Levant. Non, non, cela me ferait mal de les regarder. Ce n’est pas là ce que je voulais retirer d’ici. C’est un paquet de brouillons de lettres que je voulais lui écrire. Il ne faut pas qu’elle les trouve et qu’elle s’en moque. Ah ! voyez, le paquet est gros ! Je lui écrivais tous les jours, quand elle était ici ; mais, quand il s’agissait de cacheter et d’envoyer, je n’osais plus. Je sentais que mon style était lourd, mon français incorrect… Que n’aurais-je pas donné pour savoir tourner cela comme vous le savez dans doute ! Mais on ne me l’a point appris, et j’avais peur de la faire rire, moi qui me sentais tout en feu en écrivant. Allons, je remporte ma poésie, et je pars. Ne me parlez pas… Non, non ! pas un mot ; adieu. J’ai le cœur gros. Si vous m’empêchiez de me dévouer pour elle, je vous tuerais et je me tuerais ensuite… Ah ! ceci me fait penser… Quand on a des rendez-vous avec une femme, il ne faut pas se laisser surprendre et assassiner. Voilà des pistolets dans leur boîte. Ils sont bons, allez ! on les a faits pour moi, et aucun souverain n’en a de pareils… Écoutez ! encore un mot ! si vous voulez me voir, Manassé vous déguisera et vous conduira dans la soirée à mon hôtel. Il vous fera entrer sans que personne vous remarque. Fût-ce au milieu de la nuit, je vous recevrai. Vous aurez besoin de mes conseils, vous verrez ! Adieu, adieu ! soyez heureux, mais rendez-la heureuse.

Il me fut impossible d’interrompre ce flux de paroles, où le grossier et le ridicule des détails étaient emportés par un souffle de passion exaltée et sincère. Il se déroba à mes refus, à mes remerciements, à mes dénégations, dont, au reste, je sentais bien l’inutilité. Il tenait mon secret, et il fallait lui laisser exercer son dévouement ou craindre son dépit. Il me repoussa dans le casino, il m’enferma dans le jardin, et je me soumis, et je l’aimai en dépit de tout ; car il pleurait à chaudes larmes, et je pleurais aussi comme un enfant brisé par des émotions au-dessus de ses forces.

Quand j’eus repris un peu mes sens et résumé ma situation, j’eus horreur de ma faiblesse.

— Non certes, m’écriai-je intérieurement, je n’attirerai pas Alida dans ce lieu, où son image a été profanée par des espérances outrageantes. Elle ne verrait qu’avec dégoût ce luxe et ces présents que lui destinait un amour indigne d’elle. Et, moi-même, je souffre ici comme dans un air malsain chargé d’idées révoltantes. Je n’écrirai pas d’ici à Alida ; je sortirai ce soir de ce refuge impur pour n’y jamais rentrer !

La nuit approchait. Dès qu’elle fut sombre, je priai Manassé, qui était venu prendre mes ordres, de me conduire chez Moserwald ; mais Moserwald arrivait au même instant pour s’informer de moi, et nous rentrâmes ensemble dans le casino, où, sur l’ordre de son maître, Manassé nous servit un repas très-recherché.

— Mangeons d’abord, disait Moserwald. Je ne serais pas rentré ici au risque d’y rencontrer une personne qui ne doit pas m’y voir ; mais puisque vous me dites qu’elle n’y viendra pas, et puisque vous vouliez venir me parler, nous serons plus tranquilles ici que chez moi. Vous n’aviez pas pensé à dîner, je m’en doutais. Moi, je n’y songeais que pour vous, mais voilà que je me sens tout à coup grand’faim. J’ai tant pleuré ! Je vois qu’on a raison de le dire : les larmes creusent l’estomac.

Il mangea comme quatre ; après quoi, les vins d’Espagne aidant à la digestion de ses pensées, il me dit naïvement :

— Mon cher, vous me croirez si vous voulez, mais, depuis six mois, voici le premier repas que je fais. Vous avez bien vu qu’à Saint-Pierre je n’avais pas d’appétit. Outre ma mélancolie habituelle, j’avais l’amour en tête. Eh bien, la secousse d’aujourd’hui m’a guéri le corps en m’apaisant l’imagination. Vrai, je me sens tout autre, et l’idée que je fais enfin quelque chose de bon et de grand me relève au-dessus de ma vie ordinaire. N’en riez pas ! En feriez-vous autant a ma place ? Ce n’est pas sûr !… Vous autres beaux esprits, vous avez pour vous l’éloquence. Cela doit user le cœur à la longue !… Mais nous voilà seuls. Manassé ne reviendra pas sans que je le sonne, car, vous voyez, il y a là un cordon qui glisse sous les treilles et qui aboutit à sa maisonnette, dans l’enclos voisin. Parlez : que vouliez-vous me dire ? et pourquoi prétendez-vous que madame de Valvèdre ne peut pas venir ici ?

Je le lui expliquai sans détour. Il m’écouta avec toute l’attention possible comme s’il eût voulu s’aviser et s’instruire des délicatesses de l’amour ; puis il reprit la parole.

— Vous vous méprenez sur mes espérances, dit-il ; je n’en avais pas.

— Vous n’en aviez pas, et vous faisiez décorer cette maisonnette, vous choisissiez une à une les plus belles perles d’Orient ?…

— Je n’espérais rien de ces moyens-là, surtout depuis l’affaire de la bague. Faut-il vous répéter que, pour moi, je n’y voyais que des hommages désintéressés, des preuves de dévouement, la joie de procurer un petit plaisir féminin à une femme recherchée ? Vous ne comprenez pas cela, vous ! Vous vous êtes dit : « Je mériterai et j’obtiendrai l’amour par mes talents et ma rhétorique. » Moi, je n’ai pas de talents. Toute ma valeur est dans ma richesse. Chacun offre ce qu’il a, que diable ! Je n’ai jamais eu la pensée d’acheter une femme de ce mérite ; mais, si par ma passion j’avais pu la convaincre, où eût été l’offense quand je serais venu mettre mes trésors sous ses pieds ? Tous les jours, l’amour exprime sa reconnaissance par des dons, et, quand un nabab offre des bouquets de pierreries, c’est comme si vous offriez un sonnet dans une poignée de fleurs des champs.

— Je vois, lui dis-je, que nous ne nous entendrons pas sur ce point. Admettez, si vous voulez, que j’ai un scrupule déraisonnable, mais sachez que ma répugnance est invincible. Jamais, je vous le déclare, Alida ne viendra ici.

— Vous êtes un ingrat ! fit Moserwald en levant les épaules.

— Non, m’écriai-je, je ne veux pas être ingrat ! Je vois que vous ne m’avez pas trompé en me disant qu’il y avait en vous des trésors de bonté. Ces trésors-là, je les accepte. Vous savez le secret de ma vie. Vous l’avez surpris, je n’ai donc pas eu le mérite de vous le confier, et pourtant je le sens en sûreté dans votre cœur. Vous voulez me conseiller dans l’emploi des moyens matériels qui peuvent assurer ou compromettre le bonheur et la dignité de la femme que j’aime ? Je crois à votre expérience, vous connaissez mieux que moi la vie pratique. Je vous consulterai, et, si vous me conseillez bien, ma reconnaissance sera éternelle. Toutes mes répulsions pour certains côtés de votre nature seront vivement combattues et peut-être effacées en moi par l’amitié. Il en est déjà ainsi ; oui, j’ai pour vous une réelle affection, j’estime en vous des qualités d’autant plus précieuses qu’elles sont natives et spontanées. Ne me demandez pas autre chose, ne cherchez jamais à me faire accepter des services d’une valeur vénale. Vous n’êtes que riche, dites-vous, et chacun offre ce qu’il peut ! Vous vous calomniez : vous voyez bien que vous avez une valeur morale, et que c’est par là que vous avez conquis ma gratitude et mon affection.

Le pauvre Moserwald me serra dans ses bras en recommençant à pleurer.

— J’ai donc enfin un ami ! s’écria-t-il, un véritable ami, qui ne me coûte pas d’argent ! Ma foi, c’est le premier, et ce sera le seul. Je connais assez l’humanité pour avoir cela. Eh bien, je le garderai comme la prunelle de mes yeux, et vous, comme mon ami, prenez mon cœur, mon sang et mes entrailles. Nephtali Moserwald est à vous à la vie et à la mort.

Après ces effusions, où il trouva le moyen d’être comique et pathétique en même temps, il me déclara qu’il fallait parler raison sur le point capital, l’avenir de madame de Valvèdre. Je lui racontai comment je m’étais lié à mon insu avec le mari, et, sans lui rien confier des orages de mon amour, je lui fis comprendre que des relations ordinaires protégées par l’hypocrisie des convenances étaient impossibles entre deux caractères entiers et passionnés. Il me fallait posséder l’âme d’Alida dans la solitude, j’étais incapable de ruser avec son mari et son entourage.

— Vous avez grand tort d’être ainsi, répondit Moserwald. C’est un puritanisme qui rendra toutes choses bien difficiles ; mais, si vous êtes cassant et maladroit, ce qu’il y a encore de plus habile, c’est de disparaître. Eh bien, cherchons les moyens. M. de Valvèdre est riche et sa femme n’a rien. Je me suis informé à de bonnes sources, et je sais des choses que vous ignorez probablement ; car vous avez traité d’injurieux mon amour pour elle, et pourtant, par le fait, le vôtre lui sera plus nuisible. Savez-vous qu’on peut l’épouser, cette femme charmante, et que ma fortune me permettait d’y prétendre ?

— L’épouser ! Que dites-vous ? Elle n’est donc pas mariée ?…

— Elle est catholique, Valvèdre est protestant, et ils se sont mariés selon le rite de la confession d’Augsbourg, qui admet le divorce. Bien que M. de Valvèdre soit, à ce qu’on dit, un grand philosophe, il n’a pas voulu faire acte de catholicité, et, bien qu’Alida et sa mère fussent très-orthodoxes, ce mariage était si beau pour une fille sans avoir, que l’on n’insista pas pour le faire ratifier par votre Église et par les lois civiles qui confirment l’indissolubilité. On assure que madame de Valvèdre s’est affectée plus tard de ce genre d’union qui ne lui paraissait pas assez légitime, mais que rien n’a pu décider son mari à se dénationaliser, civilement et religieusement parlant. Donc, le jour où Valvèdre sera mécontent de sa femme, il pourra la répudier, qu’elle y consente ou non et la laisser à peu près dans la misère. Ne jouez pas avec la situation, Francis ! vous n’avez rien, et il y a dix ans que cette femme vit dans l’aisance. La misère tue l’amour !

— Elle ne connaîtra pas la misère ; je travaillerai.

— Vous ne travaillerez pas de longtemps, vous êtes trop amoureux. L’amour emporte le génie, je le sais par expérience, moi qui n’avais qu’un gros bon sens, et qui suis parfaitement devenu fou ! Je n’ai pas fait une seule bonne affaire depuis que j’avais cette folie en tête. Heureusement, j’en avais fait auparavant ; mais revenons à vous, et supposons, si vous voulez, que vous ferez, malgré l’amour, des vers magnifiques. Savez-vous ce que cela rapporte ? Rien quand on n’est pas connu, et fort peu quand on est célèbre. Il arrive même très-souvent que, pour commencer, il faut être son propre éditeur, sauf à vendre une demi-douzaine d’exemplaires. Croyez-moi, la poésie est un plaisir de prince. Ne songez à elle qu’à vos moments perdus. Je vous trouverai bien un emploi, mais il faudra s’en occuper et s’y tenir. Des chiffres, cela ne vous amusera pas, et si Alida s’ennuie dans la ville où vous vous fixerez !… Je vous l’ai dit la première fois que je vous ai vu, vous devriez faire des affaires. Vous n’y entendez rien, mais cela s’apprend plus vite que le grec et le latin, et, avec de bons conseils, on peut arriver, pourvu qu’on n’ait pas de scrupules exagérés et des idées fausses sur le mécanisme social.

— Ne me parlez pas de cela, Moserwald ! répondis-je avec vivacité. Vous passez pour un honnête homme, ne me dites rien des opérations qui vous ont enrichi. Laissez-moi croire que la source est pure. Je risquerais, ou de ne pas comprendre, ou de me trouver dans un désaccord terrible avec vous. D’ailleurs, mon jugement là-dessus est fort inutile ; il y a un premier et insurmontable obstacle, c’est que je n’ai pas le plus mince capital à risquer.

— Mais, moi, je veux risquer pour vous… Je ne vous associerai qu’aux bénéfices !

— Laissons cela ; c’est impossible !

— Vous ne m’aimez pas !

— Je veux vous aimer en dehors des questions d’intérêt, je vous l’ai dit. Faut-il s’expliquer ?… Les causes et les circonstances de notre amitié sont exceptionnelles ; ce qu’un ami ordinaire pourrait peut-être accepter de vous très-naturellement, moi, je dois le refuser.

— Oui, je comprends, vous vous dites que, par le fait, c’est à moi qu’Alida devrait son bien-être !… Alors n’en parlons plus ; mais le diable m’emporte si je sais ce que vous allez devenir ! Il faudrait, pour vous donner un bon conseil, savoir les dispositions du mari.

— Cela est impossible. L’homme est impénétrable.

— Impénétrable !… Bah ! si je m’en mêlais !

— Vous ?

— Eh bien, oui, moi, et sans paraître en aucune façon.

— Expliquez-vous.

— Il a bien confiance en quelqu’un, ce mari ?

— Je n’en sais rien.

— Mais, moi, je le sais ! Il ouvre quelquefois le verrou de sa cervelle pour votre ami Obernay… Je l’ai écoulé parler, et, comme il mêlait de la science à sa conversation, je n’ai pas bien compris ; mais il m’a paru un homme chagrin ou préoccupé. Cependant il n’a nommé personne. Il parlait peut-être d’une autre femme que la sienne : il est peut-être épris de cette merveilleuse Adélaïde.

— Ah ! taisez-vous, Moserwald ! la sœur d’Obernay ! un homme marié !

— Un homme marié qui peut divorcer !

— C’est vrai, mon Dieu ! Parlait-il de divorcer ?

— Allons, je vois que la chose vous intéresse plus que moi, et, au fait, c’est vous seul qu’elle intéresse à présent. Si Alida avait eu le bon sens de m’aimer, je ne m’inquiétais guère de son mari, moi ! Je lui faisais tout rompre, je lui assurais un sort quatre-vingt-dix fois plus beau que celui qu’elle a, et je l’épousais, car je suis libre et honnête homme ! Vous voyez bien que mes pensées ne l’avilissaient pas ; mais l’amour est fantasque, c’est vous qu’elle choisit : n’y pensons plus. Donc, c’est à vous qu’il importe et qu’il appartient de fouiller dans le cœur et dans la conscience du mari. Ne quittez pas ce précieux casino, mon cher ; mettez-vous souvent en embuscade au bout du mur, sous la tonnelle de charmille que vous voyez d’ici, et qui est la répétition de celle qui occupe l’angle du jardin Obernay. C’est là que j’ai fait pratiquer une fente bien masquée. Le mur n’est pas long, et, lors même que les personnages se promènent d’un bout à l’autre en causant, on ne perd pas grand’chose quand on a l’oreille fine. Faites ce métier patiemment pendant cinq ou six fois vingt-quatre heures, s’il le faut, et je parie que vous saurez ce que vous voulez savoir.

— L’idée est ingénieuse à coup sûr, mais je n’en profiterai pas. Surprendre ainsi les secrets de la famille Obernay me semble une bassesse !

— Vous voilà encore avec vos exagérations ! Il s’agit bien des Obernay ! Si votre ami marie sa sœur avec Valvèdre, vous le saurez un peu plus tôt que les autres, voilà tout, et vous êtes bon, j’imagine, pour garder les secrets que vous surprendrez. Ce qui est d’une importance incalculable pour Alida, c’est de savoir si Valvèdre l’aime encore ou s’il en aime une autre. Dans le premier cas, il est jaloux, irrité, il se venge en brisant tout, et vos affaires vont mal : il faudra alors se creuser la tête pour en sortir. Dans le second cas, tout est sauvé, vous tenez le Valvèdre. Pressé de rompre sa chaîne, il fait à sa femme un sort très-honorable, qu’elle pourra même discuter, et on se sépare sans aucun bruit ; car, si le divorce peut s’obtenir malgré la résistance de l’un des époux, il y a scandale dans ces cas-là, tandis que, par consentement mutuel, aucune des parties n’est déconsidérée. Valvèdre fera beaucoup de sacrifices à sa réputation. Ce sera l’affaire de sa femme de profiter de la circonstance. Alors vous l’épousez ; vous n’êtes pas bien riches, mais vous avez le nécessaire, et il vous est permis de cultiver les lettres. Autrement…

J’interrompis Moserwald avec humeur. J’avais beau faire pour l’aimer, il trouvait toujours moyen de me blesser avec son positivisme.

— Vous faites de ma passion, lui dis-je, une affaire d’intérêt. Vous m’en guéririez, si je vous laissais prendre de l’influence sur moi. Tenez, j’en suis fâché, tout ce que vous m’avez conseillé aujourd’hui est détestable. Je ne veux ni attirer Alida ici, ni accepter de vous les moyens de la faire vivre avec moi, ni écouter derrière les murs, — autant vaut écouter aux portes, — ni me préoccuper de la question d’argent, ni désirer un divorce qui me permettrait de faire un mariage avantageux. Je veux aimer, je veux croire, je veux rester sincère et enthousiaste. Je braverai donc la destinée, quelle qu’elle soit, puisqu’il n’y a pas de moyens irréprochables pour la soumettre.

— C’est fort bien, mon pauvre don Quichotte ! répondit Moserwald en prenant son chapeau. Vous parlez à votre aise de risquer le tout pour le tout ! Mais, si vous aimez, vous réfléchirez avant de précipiter Alida dans la honte et dans le besoin. Je vous laisse ; la nuit porte conseil, et vous passerez la nuit ici, car vous n’avez pas vos effets, et il faut bien me donner le temps de vous les faire tenir. Où sont-ils ?

Je les avais laissés aux environs de Genève, dans une auberge de village que je lui indiquai.

— Vous les aurez demain matin, me dit-il, et, si vous voulez partir pour le royaume de l’inconnu, vous partirez : mais le dieu d’amour vous inspirera auparavant quelque chose de plus raisonnable et surtout de plus délicat. Demain au soir, je reviendrai voir si vous y êtes encore et dîner avec vous…, si toutefois vous êtes seul.

J’écrivis à madame de Valvèdre le résumé de tout ce qui s’était passé, comme quoi je me trouvais tout près d’elle et pouvais l’apercevoir, si elle se promenait dans le jardin. Je dormis quelques heures, et, dès le matin, je lui fis tenir ma lettre par l’adroit et dévoué Manassé, qui me rapporta la réponse, ainsi que mon sac de voyage.

« Restez où vous êtes, me disait madame de Valvèdre ; j’ai confiance en ce Moserwald, et il ne me répugne pas d’aller dans ce jardin. Faites que celui qui donne vis-à-vis de la chapelle soit ouvert, et ne bougez pas de la journée. »

À trois heures de l’après-midi, elle se glissa dans mon enclos. J’hésitais à la faire entrer dans le pavillon. Elle se moqua de mes scrupules.

— Comment voulez-vous, me dit-elle, que je m’offense des projets de mariage de ce Moserwald ? Il voulait gagner mon cœur à force de bagues et de colliers ! Il raisonnait à son point de vue, qui n’est pas le nôtre. Un juif est un animal sui generis, comme dirait M. de Valvèdre ; il n’y a pas à discuter avec ces êtres-là, et rien de leur part ne peut nous atteindre.

— Vous détestez les juifs à ce point ? lui dis-je.

— Non, pas du tout ! je les méprise !

Je fus choqué de ce parti pris, inique à tant d’égards ; j’y vis une preuve de plus de ce levain d’amertume et d’injustice réelle qui était dans le caractère d’Alida ; mais ce n’était pas le moment de s’arrêter à un incident, quel qu’il fût : nous avions tant de choses à nous dire !

Elle entra dans le casino, elle en critiqua la richesse avec dédain et ne regarda pas seulement les perles.

— Au milieu de toutes les imbécillités de ce Moserwald, dit-elle, il y a une bonne idée dont je m’empare. Il veut que nous surprenions les secrets de mon mari. Cela peut vous répugner ; mais c’est mon droit, et c’est pour essayer cela que je suis venue.

— Alida, repris-je saisi d’inquiétude, vous êtes donc bien tourmentée des résolutions de votre mari ?

— J’ai des enfants, répondit-elle, et il m’importe de savoir quelle femme aura la prétention de devenir leur mère. Si c’est Adélaïde… Pourquoi donc rougissez-vous ?

J’ignore si j’avais rougi en effet, mais il est certain que je me sentais blessé de voir l’immaculée sœur d’Obernay mêlée à nos préoccupations. Je n’avais pas fait part à madame de Valvèdre des réflexions de Moserwald à cet égard ; j’eusse cru trahir la religion de la famille et de l’amitié ; mais un reste de jalousie rendait Alida cruelle envers cette jeune fille, envers moi, envers Valvèdre et tous les autres.

— Vous ne me croyez pas assez simple, dit-elle, pour n’avoir pas vu, depuis huit jours, que la belle des belles trouve mon mari fort bien, qu’elle s’évanouit presque d’admiration à chaque parole de sa bouche éloquente, que mademoiselle Juste la traite déjà comme sa sœur, qu’on joue à la petite mère avec mes fils, enfin que, dès hier, toute la famille, surprise de votre brusque départ, a définitivement tourné les yeux vers le pôle, c’est-à-dire vers le nom et la fortune ! Ces Obernay sont très-positifs, des gens si raisonnables ! Quant à la jeune personne, elle était d’une gaieté folle en m’annonçant que vous étiez parti. J’aurais fait bien d’autres observations, si je n’eusse été brisée de fatigue et forcée de me retirer de bonne heure. Aujourd’hui, je me sens plus vivante, vous êtes là, et je m’imagine que je vais apprendre quelque chose qui me rendra la liberté et le repos de ma conscience. Moi qui avais des remords et qui prenais mon mari pour un sage de la Grèce !… Allons donc ! il est toujours jeune, et beau, et brûlant comme un volcan sous la glace !

— Alida ! m’écriai-je, frappé d’un trait de lumière, ce n’est pas de moi, c’est de votre mari que vous êtes jalouse !…

— Ce serait donc de vous deux à la fois, reprit-elle, car je le suis de vous horriblement, je ne peux pas le cacher. Cela m’est revenu ce matin avec la vie.

— C’est peut-être de nous deux ! qui sait ? vous l’avez tant aimé !

Elle ne répondit pas. Elle était inquiète, agitée ; il semblait qu’elle se repentît de notre réconciliation et de nos serments de la veille, ou qu’une préoccupation plus vive que notre amour lui fît voir enfin les dangers de cet amour et les obstacles de la situation. Il était évident que ma lettre l’avait bouleversée, car elle m’accablait de questions sur les révélations que Moserwald m’avait faites.

— À mon tour, lui dis-je, laissez-moi donc vous interroger. Comment se fait-il que, me voyant si malheureux en présence de tout ce qui nous sépare, vous ne m’ayez jamais dit : « Tout cela n’existe pas, je peux invoquer une loi plus humaine et plus douce que la nôtre, j’ai fait un mariage protestant » ?

— J’ai dû croire que vous le saviez, répondit-elle, et que vous pensiez comme moi là-dessus.

— Comment pensez-vous ? Je l’ignore.

— Je suis catholique… autant que peut l’être une personne qui a le malheur de douter souvent de tout et de Dieu même. Je crois du moins que la meilleure société possible est la société qui reconnaît l’autorité absolue de l’Église et l’indissolubilité du mariage. J’ai donc souffert amèrement de ce qu’il y a d’incomplet et d’irrégulier dans le mien. N’était-ce pas une raison de plus pour y ajouter, par ma croyance et ma volonté, la sanction que lui a refusée Valvèdre ? Ma conscience n’a jamais admis et n’admettra jamais que lui ou moi ayons le droit de rompre.

— Eh bien, répondis-je, je vous aime mieux ainsi : cela me semble plus digne de vous ; mais, si votre mari vous contraint à reprendre votre liberté !…

— Il peut reprendre la sienne, si tant est qu’il l’ait perdue ; mais, moi, rien ne me décidera à me remarier. Voilà pourquoi je ne vous ai jamais dit que cela fut possible.

Croirait-on que cette décision si nette me blessa profondément ? Une heure auparavant, je frémissais encore à l’idée de devenir l’époux d’une femme de trente ans, deux fois mère, et riche des aumônes d’un ancien mari. Toute ma passion faiblissait devant une si redoutable perspective, et pourtant je m’étais dit que, si Alida, répudiée par ma faute, exigeait de moi cette solennelle réparation, je me ferais au besoin naturaliser étranger pour la lui donner ; mais j’espérais qu’elle n’y songerait seulement pas, et voilà que je l’interrogeais, voilà que je me trouvais humilié et comme offensé de sa fidélité quand même envers l’époux ingrat ! Il était dans la destinée et aussi dans la nature de notre amour de nous abreuver de chagrins à tout propos, à toute heure, de nous rendre méfiants, susceptibles. Nous échangeâmes des paroles aigres, et nous nous quittâmes en nous adorant plus que jamais, car il nous fallait l’orage pour milieu, et l’enthousiasme ne se faisait en nous qu’après l’excitation de la colère ou de la douleur.

Ce qu’il y avait de remarquable, c’est que nous n’arrivions jamais à prendre une résolution. Il me semblait pressentir un mystère derrière les réserves et les hésitations d’Alida. Elle prétendait qu’il y en avait un aussi en moi, que je conservais une arrière-pensée de mariage avec Adélaïde, ou que j’aimais trop ma liberté d’artiste pour me donner tout entier à notre amour. Et, quand je lui offrais ma vie, mon nom, ma religion, mon honneur, elle refusait tout, invoquant sa propre conscience et sa propre dignité. Quel labyrinthe inextricable, quel chaos effrayant nous environnait !

Quand elle fut partie, disant, comme de coutume, qu’elle réfléchirait et que je devais attendre une solution, je marchai avec agitation sous la treille et me retrouvai machinalement à l’angle de la muraille, derrière la tonnelle des Obernay. Adélaïde et Rosa étaient là ; elles causaient.

— Je vois qu’il faut travailler pour faire plaisir à nos parents, à mon frère et à toi, disait la petite, et aussi à mon bon ami Valvèdre, à Paule, à tout le monde enfin ! Cependant, comme je me sens bien d’être un peu paresseuse par nature, je voudrais que tu me disses encore d’autres raisons pour me forcer à me vaincre.

— Je t’ai déjà dit, répondit la voix suave de l’aînée, que le travail plaisait à Dieu.

— Oui, oui, parce que mon courage lui marquera l’amour que j’ai pour mes parents et mes amis ; mais pourquoi n’y a-t-il dans tout cela que moi à qui la peine d’apprendre ne fasse pas grand plaisir ?

— Parce que tu ne réfléchis pas. Tu t’imagines que la paresse te réjouirait ? Tu te trompes bien ! Aussitôt que ce qui nous contente afflige ceux qui nous aiment, nous sommes dans le faux et dans le mal, dans le repentir et le chagrin par conséquent. Comprends-tu cela ? Voyons !

— Oui, je comprends. Alors je serai donc mauvaise, si je suis paresseuse ?

— Oh ! cela, je t’en réponds ! dit Adélaïde avec un accent qui paraissait gros d’allusions intérieures.

Il sembla que l’enfant eût deviné l’objet de ces allusions, car elle reprit après un instant de silence :

— Dis donc, sœur, est-ce que notre amie Alida est mauvaise ?

— Pourquoi le serait-elle ?

— Dame ! elle ne fait rien de la journée, et elle ne se cache pas pour dire qu’elle n’a jamais voulu rien apprendre.

— Elle n’est pas mauvaise pour cela. Il faut croire que ses parents ne tenaient pas à ce qu’elle fût instruite ; mais, puisque tu me parles d’elle, crois-tu qu’elle se plaise beaucoup à ne rien faire ? Il me semble qu’elle s’ennuie souvent.

— Je ne sais pas si elle s’ennuie, mais elle bâille ou pleure toujours. Sais-tu qu’elle n’est pas gaie, notre amie ? À quoi donc pense-t-elle du matin au soir ? Peut-être qu’elle ne pense pas.

— Tu te trompes. Comme elle a beaucoup d’esprit, elle pense au contraire beaucoup, et peut-être même qu’elle pense trop.

— Trop penser ! Papa me dit toujours : « Pense, pense donc, tête folle ! pense à ce que tu fais ! »

— Le père a raison. Il faut penser toujours à ce qu’on fait et jamais à ce qu’on ne doit pas faire.

— À quoi donc pense Alida ? Voyons, le devines-tu ?

— Oui, et je vais te le dire.

Adélaïde baissait instinctivement la voix ; je collai mon oreille contre la fente du mur, sans me rappeler le moins du monde que je m’étais promis de ne jamais espionner.

— Elle pense à toutes choses, disait Adélaïde : elle est comme toi et moi, et peut-être beaucoup plus intelligente que nous deux ; mais elle pense sans ordre et sans direction. Tu peux comprendre cela, toi qui me racontes souvent tes songes de la nuit. Eh bien, quand tu rêves, penses-tu ?

— Oui, puisque je vois un tas de personnes et de choses, des oiseaux, des fleurs…

— Mais dépend-il de toi de voir ou de ne pas voir ces fantômes-là ?

— Non, puisque je dors !

— Tu n’as donc pas de volonté, et, par conséquent, pas de raison et pas de suite d’idées quand tu rêves.

Eh bien, il y a des personnes qui rêvent presque toujours, même quand elles sont éveillées.

— C’est donc une maladie ?

— Oui, une maladie très-douloureuse et dont on guérirait par l’étude des choses vraies, car on ne fait pas toujours, comme toi, de beaux rêves. On en fait de tristes et d’effrayants quand on a le cerveau vide, et on arrive à croire à ses propres visions. Voilà pourquoi tu vois notre amie pleurer sans cause apparente.

— C’est donc cela ! Et, j’y pense, nous ne pleurons jamais, nous autres ! Je ne t’ai jamais vue pleurer, toi, que quand maman était malade ; moi, je bâille bien quelquefois, mais c’est quand la pendule marque dix heures du soir. Pauvre Alida ! je vois que nous sommes plus raisonnables qu’elle.

— Ne t’imagine pas que nous valions mieux que d’autres. Nous sommes plus heureuses, parce que nous avons des parents qui nous conseillent bien. Là-dessus, remercie Dieu, petite Rose, embrasse-moi, et allons voir si la mère n’a pas besoin de nous pour le ménage.

Cette rapide et simple leçon de morale et de philosophie dans la bouche d’une fille de dix-huit ans me donna beaucoup à réfléchir. N’avait-elle pas mis le doigt sur la plaie avec une sagacité extrême, tout en prêchant sa petite sœur ? Alida était-elle un esprit bien lucide, et son imagination n’emportait-elle pas son jugement dans un douloureux et continuel vertige ? Ses irrésolutions, l’inconséquence de ses velléités de religion et de scepticisme, de jalousie tantôt envers son mari, tantôt envers son amant, ses aversions obstinées, ses préjugés de race, ses engouements rapides, sa passion même pour moi, si austère et si ardente en même temps, que penser de tout cela ? Je me sentis si effrayé d’elle, qu’un instant je me crus délivré du charme fatal par l’ingénue et sainte causerie de deux enfants.

Mais pouvais-je être sauvé si aisément, moi qui portais, comme Alida, le ciel et l’enfer dans mon cerveau troublé, moi qui m’étais voué au rêve de la poésie et de la passion, sans vouloir admettre qu’il y eût, au-dessus de mes propres visions et de ma libre création intérieure, un monde de recherches, sanctionnées par le travail des autres et l’examen des grandes individualités ? Non, j’étais trop superbe et trop fiévreux pour comprendre ce mot simple et profond d’Adélaïde à sa petite sœur : l’étude des choses vraies ! L’enfant avait compris, et, moi, je haussais les épaules en essuyant la sueur de mon front embrasé.

Les jours qui suivirent eurent des heures fortunées, des enivrements et des palpitations terribles, au milieu de leurs détresses et de leurs découragements. Je restai dans le casino, et je tentai d’y ébaucher un livre, précisément sur cette question qui me brûlait les entrailles, l’amour ! Il semblait que le destin m’eût jeté dans mon sujet en pleine lumière, et que le hasard m’eût fourni pour cabinet de travail l’oasis rêvée par les poëtes. J’étais entre quatre murs, il est vrai, dans une sorte de prison régulièrement encadrée d’un berceau de monotone verdure ; mais cet intérieur d’enclos, abandonné à lui-même, avait des massifs de buissons et des festons de ronces, parmi lesquels la belle vache et les chèvres gracieuses brillaient au soleil comme dans un cadre de velours. L’herbe poussait si drue, qu’au matin elle avait réparé le dégât causé par la pâture de la veille. Derrière le casino, j’avais le parfum des roses et un rideau de chèvrefeuille rouge d’un incomparable éclat. Les petites hirondelles dessinaient dans le ciel de souples évolutions au-dessous des courbes plus larges et plus hardies des martinets au sombre plumage. De la mansarde du casino, je découvrais, au-dessus des maisons inclinées en pente rapide, un coin de lac et quelques cimes de montagnes. Le temps était chaud, écrasant ; les matinées et les nuits étaient splendides.

Alida venait chaque jour passer une ou deux heures auprès de moi. Elle était censée prier dans l’église ; elle s’échappait par la petite porte. Manassé l’aidait par un signal à saisir le moment où la rue était déserte. Je ne me montrais pas, je ne sortais jamais de mon enclos, nul ne pouvait me savoir là.

Moserwald mit une extrême discrétion dans ses rapports avec moi dès qu’il sut que je recevais madame de Valvèdre. Il ne vint plus que lorsque je le faisais demander. Il ne me questionnait plus, il m’entourait de soins et de gâteries qui sans doute étaient secrètement à l’adresse de la femme aimée, mais qui ne la scandalisaient pas. Elle en riait et prétendait que ce juif était largement payé de ses peines par la confiance qu’elle lui témoignait en venant chez lui et par l’amitié qu’avec lui je prenais au sérieux.

J’avais accepté cette situation étrange, et je m’y habituais insensiblement en voyant le peu de compte que madame de Valvèdre en voulait tenir. Rien n’avançait dans nos projets, sans cesse discutés et toujours plus discutables. Alida commençait à croire que Moserwald ne s’était pas trompé, c’est-à-dire que Valvèdre, préoccupé extraordinairement, couvait quelque mystérieuse résolution ; mais quelle était cette résolution ? Ce pouvait aussi bien être une exploration des mers du Sud qu’une demande en séparation judiciaire. Il était toujours aussi doux et aussi poli envers sa femme ; pas la moindre allusion à notre rencontre aux approches de sa villa. Personne ne paraissait lui en avoir entendu parler ; pas la moindre apparence de soupçon. Alida n’était nullement surveillée ; au contraire, chaque jour la rendait plus libre. Les Obernay avaient repris leur train de vie paisible et laborieux. On ne se voyait plus guère qu’aux repas et dans la soirée. Loin de faire pressentir un doute ou un blâme, les hôtes de madame de Valvèdre lui témoignaient une sollicitude cordiale et la pressaient de prolonger son séjour dans leur maison. Il le fallait, disaient-ils, pour habituer les enfants à changer de milieu sous les yeux de leurs parents. Valvèdre venait tous les jours chez les Obernay et semblait être tout à l’installation et aux premières études de ses fils, ainsi qu’aux premières joies domestiques de sa sœur Paule. Mademoiselle Juste se tenait davantage chez elle et paraissait avoir enfin franchement donné sa démission. Tout était donc pour le mieux, et il fallait demander au ciel que cette situation se prolongeât, disait madame de Valvèdre, et pourtant elle avouait des moments de terreur. Elle avait vu ou rêvé un nuage sombre, une tristesse inconnue, sans précédent, au fond du placide regard de son mari.

Mais, si l’amour va vite dans ses appréhensions, il va encore plus vite dans ses audaces, et, comme rien de nouveau ne s’était produit à la fin de la semaine, nous commencions à respirer, à oublier le péril et à parler de l’avenir comme si nous n’avions qu’à nous baisser pour en faire un tapis sous nos pas.

Alida avait horreur des choses matérielles ; elle fronçait le coin délié de son beau sourcil noir, quand j’essayais de lui parler au moins de voyage, d’établissement momentané dans un lieu quelconque, de motifs à trouver pour qu’elle eût le droit de disparaître pendant quelques semaines.

— Ah ! disait-elle, je ne veux pas savoir encore ! Ce sont des questions d’auberge ou de diligence qui doivent se résoudre à l’impromptu. L’occasion est toujours le seul conseil qu’on puisse suivre. Êtes-vous mal ici ? Vous ennuyez-vous de m’y voir entre quatre murs ? Attendons que la destinée nous chasse de ce nid trouvé sur la branche. L’inspiration me viendra quand il faudra se réfugier ailleurs.

On voit qu’il n’était plus question de se réunir pour toujours et même pour longtemps. Alida, inquiète des projets de son mari, n’admettait pas qu’elle pût faire un éclat qui donnerait à celui-ci des griefs publics contre elle.

N’espérant plus changer sa destinée et sentant bien que je ne le devais pas, je m’efforçais de vivre comme elle au jour le jour, et de profiter du bonheur que sa présence et mon propre travail eussent dû m’apporter dans cette retraite charmante et sûre. Si l’amour inquiet et inassouvi me dévorait encore auprès d’elle, j’avais la poésie pour épancher en son absence la surexcitation qu’elle me laissait. Cet embrasement de toutes mes facultés se faisait sentir à moi avec tant de puissance, que je savais presque gré à mon inflexible amante de me l’avoir fait connaître et de m’y maintenir ; mais elle était pour mon cerveau comme une dévorante liqueur qui ne ranime qu’à la condition d’épuiser. Je croyais embrasser l’univers dans mon aspiration d’amant et d’artiste, et, après des heures d’une rêverie pleine de transports divins et d’aspirations immenses, je retombais anéanti et incapable de fixer mon rêve. Malgré moi alors, je me rappelais la modeste définition d’Adélaïde : « Rêver n’est pas penser ! »