Vaccination et revaccination dans les écoles

Vaccination et revaccination dans les écoles
Revue pédagogique, second semestre 1894 (p. 55-60).

VACCINATION ET REVACCINATION
dans les écoles

(Compte-rendu de l’Académie de médecine, séance du 5 juin 1894 ;
extrait du Journal officiel.)

L’Académie de médecine a été priée par M. le ministre de l’instruction publique d’établir chaque année « une liste générale de propositions, à l’effet d’attribuer des récompenses décernées par M. le ministre de l’intérieur aux instituteurs et institutrices publics et privés qui auraient réuni les statistiques les plus complètes sur les opérations vaccinales et qui auraient le plus contribué à propager les vaccinations dans les écoles ».

Dans son premier rapport sur l’application de cette mesure, M. Hervieux, directeur du service de la vaccine, déclare tout d’abord que, si l’on réfléchit aux tâtonnements, aux hésitations inséparables d’une première expérience, on ne saurait méconnaître que les résultats obtenus dans un grand nombre de départements ont été satisfaisants. Les rapports reçus des préfets, ainsi que les observations consignées par les maires, les inspecteurs d’académie et les médecins inspecteurs des écoles dans les états de vaccination, tous ces rapports louent le zèle des instituteurs qu’ils recommandent et leur dévouement à la vaccine. Ils disent leurs démarches, leurs instances répétées auprès des familles pour obtenir l’autorisation de laisser vacciner et revacciner les enfants ; revacciner surtout. Car il ne faut pas oublier que si l’on ne rencontre pas habituellement de résistance sérieuse pour la vaccination, il n’en est pas de même pour la revaccination. La résistance à cette dernière opération est un souvenir de l’époque lointaine où l’on croyait à la pérennité de l’action prophylactique de la vaccine, quand elle n’est pas l’effet d’une sorte d’insanité consistant à dire : Pourquoi mes enfants seraient-ils revaccinés, puisque je ne l’ai jamais été ?

Un autre mode de résistance, et qui a exigé de la part des instituteurs des efforts beaucoup plus sérieux, est celui qui prend sa source non pas seulement dans un manque de foi en l’utilité de la revaccination, mais dans une défiance à l’endroit de la vaccine elle-même, défiance reposant sur l’ignorance, les préjugés et les relations idiotes de maladies plus ou moins graves attribuées par des matrones à la découverte de Jenner. À ces causes de résistance il faut ajouter l’apathie et l’indifférence naturelles aux habitants de la campagne pour tout ce qui ne touche pas à leurs intérêts pécuniaires.

Il est facile de comprendre que pour triompher de cette insouciance et de ces mauvais vouloirs la tâche des instituteurs a dû souvent être assez rude ; mais leur dévouement s’est manifesté à maintes reprises sous d’autres formes que nous allons énumérer.

Un instituteur public du département de l’Aisne, le nommé Lelong, a réussi à faire inscrire au budget de sa commune (Boué) un crédit qui lui a permis de revacciner tous les élèves de son école.

L’instituteur Capolini, commune de Guagno (Corse), qui n’avait pu faire revacciner les enfants de son école, faute du vaccin nécessaire pour l’opération, se procura à prix d’argent un certain nombre de tubes de vaccin à l’aide desquels 67 revaccinations furent pratiquées.

Couturier, instituteur public à Méasne (Creuse), non content d’avoir obtenu d’une sage-femme qu’elle pratiquât 146 revaccinations dans son école, stimula si bien son zèle qu’elle continua à revacciner dans le département de l’Indre.

M. et Mme Pinet, l’un instituteur, l’autre institutrice de l’école communale de Rousset (Drôme), ont, en 1892, dans le cours d’une épidémie de variole, fourni de leurs deniers à la sage-femme le vaccin nécessaire pour les revaccinations. Ils ignoraient probablement, comme Capolini, la gratuité de notre vaccin. De 1886 à 1893, ils ont fait pratiquer 174 opérations vaccinales.

Combes, instituteur public à Perpezac-le-Noir (Corrèze), indépendamment de 245 opérations vaccinales, dont 174 revaccinations, a, dans son ardeur à propager la vaccine, réussi, en dehors de son école, à faire vacciner 328 et revacciner 566 personnes (épidémie de 1893).

Dans le même département, M. et Mme Vallat, l’un instituteur, l’autre institutrice de l’école communale de Pandrignes (Corrèze), ont uni leurs efforts pendant l’épidémie de 1893 pour faire vacciner ou revacciner 85 enfants et, en dehors de l’école, 88 personnes. Les mêmes actes de dévouement ont été accomplis dans la Corrèze par Forges, instituteur à Saint-Pardoux-l’Ortigier, qui, outre 122 revaccinations dans son école, a fait revacciner 108 personnes dans le cours de l’épidémie, et aussi par l’instituteur Dezeix et l’institutrice Dezeix, qui ont obtenu à Saint-Chamant par leur exemple, en se faisant revacciner, l’inoculation de 132 enfants dans leur école, et par leurs exhortations la revaccination de 800 personnes en dehors de l’école.

Une institutrice de Neuilly-l’Évêque (Haute-Marne) a fait afficher la circulaire ministérielle dans la commune.

Dans le même département, Pierre, instituteur à Chézeaux, a fait revacciner jusqu’à trois fois les élèves de son école sur lesquels l’inoculation n’avait pas réussi. Comme plusieurs de ses confrères, il a, en dehors de son école, recommandé la revaccination.

Le Pas-de-Calais, qui ne nous a envoyé aucun état des vaccinations et revaccinations, appelle notre attention sur l’instituteur Gerbot, qui a fait prendre du vaccin sur ses propres enfants. Dans le même département, l’instituteur Lebrun a pris l’initiative de signaler au médecin du bureau de bienfaisance tous les sujets à vacciner et à revacciner.

Mme Michaux, institutrice à Vicq (Haute-Marne), a eu recours, comme l’institutrice de Neuilly-l’Évêque, à la voie des affiches pour engager tous les habitants à se faire vacciner, eux et leurs enfants.

Deux instituteurs du Puy-de-Dôme, Sabatier à Champagnat-le-Jeune, et Pissés à Ludesse, qui n’avaient dans leur commune ni médecin ni sage-femme, ont requis une sage-femme des environs pour procurer aux enfants de leurs écoles le bénéfice de l’inoculation vaccinale.

Perrin, instituteur à Parent (Puy-de-Dôme), depuis sa nomination, qui remonte à une vingtaine d’années, fait revacciner tous les cinq ans, à ses frais, les enfants de son école.

Dans le même département, Mavel, instituteur à Saint-Beauzire, a obtenu du conseil municipal que les frais des vaccinations fussent à la charge de la commune. Il s’est fait revacciner pour prêcher d’exemple.

Andrieux, instituteur à la Ferté (Haute-Marne), a fait sur la nécessité des vaccinations et des revaccinations une conférence dont une copie est jointe à son dossier.

Ces différentes manifestations prouvent assurément le zèle d’un certain nombre d’instituteurs pour la propagation de la vaccine, et il faudra en tenir compte dans l’appréciation des titres de chacun d’eux aux récompenses proposées. Mais le témoignage par excellence, la preuve mathématique des services rendus, c’est le chiffre des opérations vaccinales pratiquées dans l’école avec le concours moral de l’instituteur et de l’institutrice. C’est pourquoi M. le ministre a exigé que les résultats obtenus par chacun des candidats fussent consignés dans un état des vaccinations et des revaccinations dont le spécimen était joint à la circulaire. Toutefois, les familles opposant toujours une plus grande résistance à la pratique des revaccinations, l’Académie doit, pour établir le classement, attribuer plus d’importance à celles-ci qu’à celles-là.

Les statistiques communiquées, aussi bien que les actes de dévouement ci-dessus relatés, démontrent clairement tout ce qu’on peut attendre de la bonne volonté des instituteurs.

À côté des bons résultats dus à une première application de la circulaire ministérielle, M. Hervieux signale quelques desiderata de cette application.

Un grand nombre de préfets n’ont envoyé que les états de vaccinations et de revaccinations se rapportant aux candidats qu’ils proposaient pour les récompenses ministérielles. Il y a dans ce modus faciendi une économie regrettable de documents.

En ne signalant qu’un petit nombre de candidats, choisis parmi les plus dignes il est vrai, les autorités préfectorales et communales forcent la main pour ainsi dire et, d’une autre part, laissent dans l’ignorance des titres de ceux qui ne figurent pas sur la liste, ce qui, à certain point de vue, n’est pas sans importance.

Les listes dressées par les maires et les préfets de quelques autres départements laissent encore plus à désirer, car le cadre dans lequel doit être compris l’état des vaccinations et des revaccinations est entièrement supprimé. On se borne à une courte notice sur les actes de l’instituteur qui témoignent de son zèle pour la propagation de la vaccine. Cet exposé un peu trop sommaire des titres des candidats ne fournit que des éléments insuffisants d’appréciation.

Enfin, quelques départements, tels que l’Orne, les Ardennes, la Nièvre, le Lot et l’Aveyron, ont informé par l’organe de leurs préfets qu’ils n’avaient pas de candidats à proposer, s’abstenant de justifier par l’envoi des états de vaccinations et de revaccinations la sévérité de leur jugement. Or, le nombre assez élevé de tubes que l’Académie a envoyés dans quelques-uns de ces départements, et notamment dans le Lot et les Ardennes, laisse quelques doutes sur l’indifférence de tous les instituteurs sans exception en matière d’inoculation vaccinale.

On doit cependant déclarer que dans les Basses-Alpes l’inspecteur d’académie s’est plaint du peu d’empressement des instituteurs et des institutrices à encourager ce genre d’opérations, et que, dans un autre département, c’est aux municipalités qu’on s’en prend de cette indifférence.

Si, dans plusieurs départements, il n’est pas une seule commune qui ait envoyé ou dont l’Académie ait reçu les états de vaccination, il existe deux départements, la Haute-Marne et Meurthe-et-Moselle, qui ont transmis les états de vaccination de toutes leurs communes. Or, il résulte de ces états que la Haute-Marne renferme 113 écoles communales dans lesquelles il n’a été pratiqué aucune opération vaccinale, et 56 autres écoles où le chiffre de ces opérations n’a pas dépassé quelques unités. Parmi les écoles communales de Meurthe-et-Moselle il y en a 254 où il n’a été fait ni vaccination ni revaccination, et 59 où le chiffre de ces opérations ne s’est élevé qu’à quelques unités. Révélation très inattendue et qui ne laisse pas que d’être très inquiétante ; car on est en droit de se demander si, dans chacun des autres départements, toutes les écoles communales (et le nombre en est énorme) dont on n’a pas reçu les états de vaccination n’ont pas été aussi déshéritées au point de vue de la vaccine. Il n’est pas de fait qui plaide avec plus d’éloquence la cause de la vaccine obligatoire.

En outre, la circulaire ministérielle dit explicitement que les récompenses de vermeil, d’argent et de bronze seront attribuées aux instituteurs et aux institutrices publics et privés qui auront réuni les statistiques les plus complètes sur les opérations vaccinales.

Or, en parcourant les dossiers transmis, M. Hervieux a été surpris de voir que, à l’exception de la Haute-Marne, il n’était question, dans tous les autres départements, que d’écoles publiques, d’instituteurs publics et d’institutrices publiques.

M. le rapporteur fait d’autre part observer que bien qu’il sût depuis longtemps qu’un grand nombre d’enfants appartenant aux écoles publiques ou privées n’étaient pas vaccinés, et que, même depuis la circulaire ministérielle du 25 mars 1890, la recommandation relative à la nécessité de revacciner les sujets au-dessus de dix ans restait souvent à l’état de lettre morte, il ne soupçonnait guère jusqu’à quel degré s’élevait l’indifférence des populations et des autorités communales à l’égard de cette mesure préservatrice.

Les dossiers de la Haute-Marne et de Meurthe-et-Moselle nous ont révélé ce fait presque incroyable pour la Haute-Marne, de 116 communes restées sans vaccinations ni revaccinations et de 56 autres communes où les opérations vaccinales étaient réduites à quelques unités ; pour Meurthe-et-Moselle, de 254 communes sans vaccinations ni revaccinations et de 59 autres où le chiffre annuel des opérations vaccinales ne dépassait pas quelques unités.

Si l’on jugeait par ce qui a été constaté dans ces deux départements de ce qui se passe dans tous les autres, on arriverait à cette conclusion lamentable, qu’il y a en France 12,0000 communes au minimum où l’on ne vaccine ni ne revaccine, et 4,000 autres où le nombre des opérations vaccinales ne s’élève pas à 3 ou 4 par an. Cette hypothèse, qui est probablement au-dessous de la vérité, pourrait être facilement vérifiée par une simple recommandation du ministre aux préfets d’exiger, l’année prochaine, un état des vaccinations de toutes les écoles publiques et privées. Ce serait un premier avantage de la mesure actuelle.

Un autre avantage résultant de celui qui précède serait de faire connaître chaque année :

1° La manière dont sont appliquées les circulaires ministérielles relatives aux opérations vaccinales ;

2° Le plus ou moins de zèle et d’activité déployés dans l’accomplissement de leur tâche par les fonctionnaires chargés de l’exécution de ces prescriptions ;

3° Les lacunes administratives qui empêcheraient cette exécution d’être parfaite et irréprochable.

Connaître le mal, c’est connaître en même temps le remède.

En parlant récemment à l’Académie de l’inspectorat médical des écoles dans les campagnes, M. Hervieux exprimait le regret, au point de vue des intérêts de l’hygiène, que le nombre des praticiens investis de ces utiles fonctions ne fût pas en rapport avec les nécessités d’une surveillance active dans toutes les écoles. Un grand nombre de ces établissements échappent à cette surveillance, faute d’inspecteurs médicaux qui les rappellent à l’observation rigoureuse des prescriptions réglementaires.

Il y aurait donc lieu de créer des inspecteurs médicaux dans les circonscriptions qui en sont dépourvues, et de leur imposer l’obligation, si elle n’existe pas déjà, de procéder chaque année à une constatation des enfants qui n’ont pas été vaccinés ou qui, ayant atteint l’âge de dix ans, ont besoin d’être revaccinés.

Ces inspecteurs devraient être armés des pouvoirs nécessaires pour exiger ces vaccinations et ces revaccinations, ou, moyennant un supplément de rétribution, pour les pratiquer eux-mêmes.

Ici se pose la question de la gratuité des inoculations vaccinales dans les campagnes, question qui, avec l’indifférence, et peut-être plus que l’indifférence, est un si grand obstacle à la propagation de la vaccine.

L’examen des dossiers susvisés témoigne des difficultés résultant de la non-gratuité des opérations vaccinales. On a vu par les citations faites que certains instituteurs avaient fait venir à leurs frais un médecin ou une sage-femme pour inoculer leurs élèves. D’autres fournissaient les lancettes et le vaccin qui leur avait été expédié de Genève ou de Montpellier. D’autres, par leurs démarches et leurs instances auprès du conseil municipal, réussissaient à faire inscrire au budget de la commune les frais des opérations vaccinales.

Deux genres de résistances rendent indispensable la gratuité des vaccinations dans les campagnes : la première et la mieux connue est celle des familles ; la seconde est celle des municipalités. Plusieurs des rapports transmis à l’Académie se plaignent assez vivement de cette dernière. Les mesures sanitaires, qui visent aussi directement l’intérêt des communes, devraient être supportées par elles. À quelque moyen qu’on ait recours pour vaincre les résistances dont nous parlons, la gratuité restera une des premières conditions du succès dans la lutte engagée contre le fléau variolique.