L’Indépendant du Cher (p. 50-51).

XXXIV

L’École des prophètes

Toute la région sud de la Stella Négra est occupée par un parc d’une splendeur inouïe. Au milieu de ce parc, disséminés en cercle, mais assez lointains les uns des autres, se trouvent huit temples d’aspects variés.

Il est impossible de les décrire sans commettre une indiscrétion tellement grave qu’elle pourrait être dangereuse. Cependant, ceux que les mystérieuses et passionnantes questions occultes intéressent pourront demander à l’auteur communication de ses notes manuscrites.

En quelques mots, résumons les huit jours employés par le brahmane et la jeune fille à parcourir : Le mercredi, le temple de l’hyérophante Mercurio, inspirateur de la science.

Le jeudi, celui de : Jupiterio, gouverneur de la famille.

Le vendredi, celui de : Venusio, inspirateur de l’amour.

Le samedi, celui de : Saturnio, génie de la réflexion.

Le dimanche, celui du : Solario, génie de la gloire.

Le lundi, celui de : Lunario, génie de l’imagination et des voyages.

Le mardi, celui de : Marsio, inspirateur de la lutte.

Et enfin, le dernier jour, ils virent : Octavio, le contempteur de toutes les études, le plus savant des prophètes.

Il put à l’aide des fluides émanant d’une des lettres, celle signée Mélanie, apercevoir où la pensée de l’écrivaine avait été projetée et la suivre : « L’homme visé par cette âme habite une île des côtes d’Afrique nommée la “Nouvelle Atlantide”, il y écrit le journal de sa vie et voici les mots que je puis lire : “Moi, échappé par miracle à la nuit menaçante du tombeau, moi fils du dernier souverain… je me trouve heureux de vivre au rang des simples mortels…” »

Octavio s’arrêta et dit : la page finit là et si je puis lire à travers l’espace mes yeux sont dénués de moyens matériels pour tourner un feuillet.

Véga lui tendit l’autre lettre, celle de Sophia. Le visage de l’hyérophante s’éclaira : « Une belle âme, éprise d’un rêve chimérique. À ce moment, elle est dans une île magnifique, mais blessée ; son bras est brisé, un homme est près d’elle, c’est Cléto Pisani, il sera ici demain. »

Revenons maintenant à ce qu’il est possible de conter et descendons un moment dans l’île souterraine :

Cette partie absolument inconnue double la mystérieuse Stella Negra et pourrait servir de refuge aux compagnons en cas d’alerte.

À plusieurs reprises, ils furent traqués, poursuivis et quelques-uns même expient aux mines et ont payé par la mort leur fidélité au principe de fraternité sociale.

L’île est entourée de torpilles dormantes qui la protègent contre les invasions de dehors et au cas où, malgré tant de précautions, une troupe ennemie y parviendrait, elle serait immédiatement exterminée par le moyen des trappes invisibles à ressort — en temps ordinaire solidement verrouillées — qui s’ouvriraient sous les pas des assaillants et les précipiteraient dans des oubliettes communiquant avec la mer.

Cette ville souterraine, le Brahmane et la jeune fille la parcouraient rendant visite aux divers habitants qu’elle contenait.

Les rues, larges, éclairées à giorno par des foyers électriques de lumières, colorées diversement dans les cryptes des temples, offraient une fraîche et curieuse promenade.

D’abord, sur elles, donnaient les laboratoires de produits chimiques qui envoyaient dans la terre des champs, exposés au plein air, les vapeurs et les liquides destinés à faciliter la production des plantes textiles devant produire le « néo-color ». Cette couleur invisible à nos regards humains, parce que ses vibrations sont en dehors de la gamme admise par nos sens rudimentaires. — Or, un être ou un objet recouvert de l’« étoffe néo-color » est parfaitement invisible. Là aussi on fabriquait la lorgnette magique permettant de voir l’au delà du rayon naturel[1].

On fabriquait encore l’« audi-tux », acoustique permettant d’entendre les vibrations de la lumière et les sons émis en deça et au delà de notre diapason humain.

Les savants qui osaient aborder ainsi les grands problèmes de la science à venir — déjà connue dans le passé — ainsi que le prouve la « régression des souvenirs » obtenus par les élèves-prophètes et les élèves-médium de l’École, se « chargeaient » des forces nécessaires à leur colossal effort en parcourant les cryptes des temples, en se baignant chez Mercure dans la lumière verte, chez Jupiter dans le pourpre, chez Saturne dans le bleu-sombre, chez Mars dans le rouge, chez le Soleil dans l’or liquide, chez la Lune dans l’argent, chez Vénus dans le rose, ils sortaient de ces radiations tout électrisés, l’esprit orienté vers le sens qu’ils souhaitaient atteindre.

La science moderne se rapproche beaucoup de celle qui se pratiquait 1900 ans avant notre ère, elle retrouve, en fouillant les mystères de l’espace, les vieux clichés gravés encore dans l’astral, et sur lesquels se sont superposés tant de vaines études.

Aour-Ruoa finit par conduire Véga à l’une des quatre extrémités de l’île où se voyaient identiquement la même chose : une chambre parfaitement étanche, suspendue aux flancs de l’île et plongeant dans la mer. Cette chambre, retenue par des chaînes et des ressorts, était aisément détachable d’un seul geste et devenait alors flottante.

Elle avait la forme d’un fuseau, contenait une forte provision d’air liquide, et une collection des « pastilles de vie » qui permettent, on le sait, de s’alimenter sans absorber de matières inutiles.

Ces « sous-marins », munis de propulseurs, étaient la dernière ressource des compagnons, leur porte échappatoire suprême.

Ils pouvaient fuir entre deux eaux.

Pendant cette excursion, Véga s’amusait infiniment à regarder par le hublot, les habitants des grands fonds éclairés par leur propre radiation, car la lumière solaire ne pénètre pas à de telles profondeurs.

Soudain, son attention fut attirée plus haut. L’une des glaces réflecteur de la surface des eaux lui montrait un naufragé accroché à une planche.

Elle bondit et se mit à courir à la recherche d’un des ascenseurs secrets qui permettent de remonter au jour.

Juste comme elle reparaissait au niveau de la mer, un yacht abordait dans le port.

— Oh ! s’écria-t-elle, c’est Tio mio.

Et courant vers l’arrivant, elle jeta à un pilote l’ordre de songer au naufragé. L’homme aussitôt partit en canot dans la direction indiquée par la jeune fille.

— Toi, dit Cléto Pisani, en ouvrant les bras à son enfant chérie, je n’espérais pas te trouver ici.

Les compagnons venaient saluer le grand maître avec un évident plaisir.

Ces « utopistes », s’aimaient fraternellement.

Ils avaient l’extraordinaire conception philosophique d’une vie justement équilibrée, avec du bonheur et de l’aisance pour tous, et ils croyaient à la possibilité de l’obtenir par la déchéance des souverains, le nivellement égalitaire, sans songer que ceci est impossible, « que jamais ce ne fut sur terre » et « que ce qui sera est comme ce qui fut ».

Mais ils gardaient leur rêve fou, envoyé par la lointaine et subtile influence d’Uranus, la planète gouvernant les rêves utopistes.

La planète gouvernant aussi le sixième sens vers lequel nous marchons, l’intuition.

  1. Tous nos sens agissent dans un médium, mais leur gamme s’étend au delà et en deça.