Une ruelle poétique sous Louis XIV



UNE
RUELLE POÉTIQUE
SOUS LOUIS XIV.

Pavillon. — Sain-Pavin. — Hesnault. — Madame Des Houlières, etc., etc.

Revenons à nos moutons, et ne mordons plus personne. On me l’a conseillé ; c’est le plus sage. Un peu d’idylle, même en critique ; je reprends ma houlette et je fais taire mon chien.

En parcourant dernièrement cette quarantaine de petits volumes où, sous le titre d’Annales Poétiques, est enterré, en fait de vers, tout ce qu’on ne lit plus, où La Monnoie tient autant de place que Racine, où Pavillon offre deux fois plus de façade que Despréaux, un petit résultat évident m’est apparu.

Il y a eu toute une école poétique, au XVIIe siècle et au commencement du XVIIIe, pour laquelle, à certains égards essentiels, le siècle de Louis XIV n’a pas existé ; elle se continue avec le goût Louis XIII et de la première régence, et finit à la seconde, sous La Motte et Fontenelle. Elle part de Voiture, Saint-Évremond ; elle est assez d’accord avec la première manière de La Fontaine ; elle se cantonne, durant Boileau et Racine, à l’hôtel Bouillon, chez les Nevers, les Des Houlières, Hesnault, Pavillon, Charles Perrault ; voici l’anneau trouvé avec Fontenelle.

Un double caractère de cette petite école est d’être à la fois en arrière et en avant, de tenir à l’âge qui s’en va et au siècle qui vient, d’avoir du précieux et du hardi ; enfin, de mêler dans son bel-esprit un grain d’esprit fort.

Ce dernier point n’est vrai que de quelques-uns sans doute, mais l’est assez pour qu’on y voie un trait de caractère. Saint-Pavin, Hesnault, Mme Des Houlières elle-même, tenaient du philosophe, de l’indévot : par leur liberté de pensée en morale non moins que par leur goût en poésie, ils devaient être antipathiques à Despréaux, à Racine. Le goût élevé, exclusif de ceux-ci, se combinait au fond avec la gravité morale, et s’y appuyait : ils représentent le siècle de Louis XIV à son centre. Bayle, qui vécut toujours hors de France, qui ne tient point, à vrai dire, au règne de Louis XIV, qui, par le style comme par les idées, fut plutôt du siècle d’avant ou de celui d’après, Bayle admira beaucoup cette petite école ; il la jugeait très poétique et tout-à-fait à son gré. Ces affinités, comme ces antipathies, quand elles s’adressent, non pas à un individu, mais à des groupes, dénotent l’esprit secret et ne trompent pas.

Une certaine conscience intérieure, au milieu de tous leurs succès de société, semble avoir averti les poètes et beaux-esprits de ce bord, qu’ils n’étaient pas à leur vraie place dans le siècle, que leur moment était passé ou n’était pas venu, que d’autres, véritablement grands, régnaient, qu’ils étaient évincés, en un mot. J’aime à croire que cette sorte de découragement et de dépit ajouta, chez quelques-uns, à l’incomplet du talent, et contribua au chétif emploi qu’ils en firent ; c’est, du moins, une excuse. Chassés du haut du pavé, ils prirent et gardèrent la ruelle. Rien de grand chez eux, ni de haute haleine. Ils ont vécu au jour le jour, en épicuriens de la gloire, heureux des roses et des faveurs de chaque matin, gaspillant à des riens mille graces.

Quand on parcourt leurs œuvres décousues, inégales, sans composition et sans dessein, on est souvent surpris de trouver un morceau charmant, une idylle, une épigramme heureuse : tous ces gens-là ont fait en leur vie une bonne petite pièce ; mais la seconde ne s’y rencontre pas. Ce qui les a perdus, c’est le tous les jours.

Si quelqu’un mérita, par son talent, de prétendre à plus et d’oser mieux, c’est certainement Hesnault ; c’est lui aussi qui, de tout ce groupe, paraît avoir le mieux compris la position fausse où l’esprit, le goût libertins, allaient se trouver sous Louis XIV, par-devant Despréaux le censeur, et en regard du decorum grandissant. Il considéra de bonne heure sa vie, même de poète, comme une partie perdue, et tournant le dos à l’avenir comme au grand ennemi, il ne s’occupa qu’à piller tout le premier le butin.

L’aimable et moins hardi Pavillon n’était point ainsi ; je ne sais s’il se tourmenta beaucoup de la renommée, mais il ne la méprisait pas et crut la posséder suffisamment. Les trois quarts de sa longue vie, toute diaprée de madrigaux et de conseils à Iris, se passèrent dans les jouissances littéraires sans envie, dans la goutte sans aigreur : il eut de la gloire dans sa chambre. Également bien avec Boileau et avec Tallemant, il succédait aussi coulamment à Benserade dans l’Académie française qu’à Racine dans l’Académie des Inscriptions. Il mourut âgé de soixante-treize ans, écrit l’honnête Niceron, ayant conservé jusqu’à son dernier moment son bon sens, sa réputation et ses amis : rien que cela ! En pourrait-on dire autant aujourd’hui de beaucoup de nos grands hommes ? Sa fable intitulée l’Honneur, très courte, il est vrai, semble du La Fontaine au temps de Fouquet[1].

Saint-Pavin, qui lui est supérieur en vivacité, en hardiesse, a du prix comme poète. Fontenelle le goûtait beaucoup. Dans un choix en six volumes[2], fort bien fait, où le siècle de Louis XIV en poésie est d’ailleurs comme non advenu, et où il paraît que Fontenelle a mis la main, Saint-Pavin tient une bonne place entre Charleval et Voiture. Il la mérite de tout point. Fut-il un peu contrefait, comme son portrait, tracé par lui-même, l’indiquerait ? Son esprit, en ce cas, justifia le proverbe en redoublant de gentillesse : c’était du plus coquet et du plus fin dans le monde même de Mme de Sévigné, sa voisine de campagne à Livry. Il eut du Chaulieu dans ses mœurs, dans sa vie de bénéficier assez licencieux ; son tour exquis, railleur, ne rappelle pas mal cet autre abbé poète, Mellin de Saint-Celais. Il hanta fort Des Barreaux dans sa jeunesse : on l’a même voulu rattacher au poète Théophile. Du milieu de ses délices, il songeait à l’art et le pratiqua. Ses vers sont très soignés ; il a fait nombre de sonnets, et à peu près les derniers en date, avant l’espèce de renaissance que nous-même avons tentée. On peut dire que, si le rondeau à cette époque, est mort sous Benserade[3], le sonnet a fini avec Saint-Pavin. Mais celui-ci n’abusa point autant que l’autre du genre, et dans ses mains la pointe ne s’est pas émoussée. J’en pourrais citer de délicatement tendres ; en voici un de piquant :

SONNET.

Il ne faut point tant de mystère ;
Rompons, Iris ; j’en suis d’accord.
Je vous aimais, vous m’aimiez fort ;
Cela n’est plus, sortons d’affaire.

Un vieil amour ne saurait plaire ;
On voudrait déjà qu’il fût mort :
Quand il languit ou qu’il s’endort,
Il est permis de s’en défaire.

Ce n’est plus que dans les romans
Qu’on voit de fidèles amans :
L’inconstance est plus en usage.

Si je vous quitte le dernier,
N’en tirez pas grand avantage :
Je fus dégoûté le premier.

Dans la première scène de Mademoiselle de Belle-Isle, la marquise de Prie, attendant Richelieu, ne pourrait-elle pas trouver ce sonnet-là sur sa toilette, comme à-propos ? Saint-Pavin en a donné une quantité d’aussi jolis, d’aussi aiguisés : il ne se laissait pas faire[4]. Boileau l’a touché et y a attrapé sa piqûre. Il espérait l’avenir pour ses vers : rendons-le-lui du moins, autant qu’il nous est possible, en les goûtant.

Et pourquoi faire fi de son plaisir ? Un vieil ami que j’ai dans le canton de Vaud, vrai connaisseur en poésie, un homme qui a vu André Chénier en 89, et qui faisait alors lui-même, à Paris, un journal très en vogue, qui depuis s’est enfermé dans les vieux livres, et qui sait son La Fontaine mieux qu’éditeur au monde, M. Cassat, me disait : « Quand j’ai lu Théocrite, je lis encore Fontenelle ; je préfère l’un, mais je sais passer à l’autre. Je chausse alors un autre bonnet de nuit, et je jouis d’une autre oreille. »

Ce serait trop demander pourtant au lecteur d’aujourd’hui que de me suivre en détail près de chaque poète de cette famille, de cette coterie. On aime à retrouver tout un monde dans un fraisier ; mais il ne faut pas que le fraisier soit trop desséché ni mort. La plupart d’entre eux, d’ailleurs, reviennent de droit à notre ami M. Chasles, à titre de victimes de Boileau. Il est un nom célèbre qui va me suffire à résumer, à développer mon aperçu ; je m’en tiendrai à Mme Des Houlières.

Malgré ses injustices contre Racine, malgré l’inimitié de Boileau et les allusions vengeresses du satirique peu galant, elle a survécu ; elle a joui long-temps de la première place parmi les femmes poètes, et ce n’est que devant un goût plus nouveau et dédaigneux que sa renommée est venue mourir. On s’est impatienté à la fin contre ses petits moutons toujours ramenés ; on avait commencé par les lui contester, et l’accuser sérieusement de les avoir dérobés ailleurs ; mais il a suffi, sans tant y prendre garde, de les lui attribuer, pour la faire paraître insipide. Elle vaut, elle valait beaucoup mieux que sa réputation aujourd’hui.

Quand on lit un choix bien fait de ses vers, desquels il faut retrancher absolument et ignorer tant de fadaises de société sur sa chatte et sur son chien, on est frappé chez elle de qualités autres encore que celles qu’on lui accordait jadis. Elle semble plus moraliste qu’il ne convient à une bergère ; il y a des pensées sous ses rubans et ses fleurs. Elle est un digne contemporain de M. de La Rochefoucauld ; on s’aperçoit qu’elle savait le fond des choses de la vie, qu’elle avait un esprit très ami du vrai, du positif même ; on ne s’en serait pas douté, à lui en voir souvent si peu dans l’expression. Mais ces contraires se concilient. On s’appelle Iris ou Climène, ou de nos jours de quelque nom à la Médora : la nature retrouve son compte là-dessous.

Mme Des Houlières, n’étant encore que Mme de La Garde, eut pour maître Hesnault, et Bayle prétend qu’on s’en aperçoit bien. Il paraît qu’Hesnault fut un peu amoureux d’elle, comme Ménage de Mme de La Fayette son écolière ; mais, très peu pédant qu’il était, il ne le lui dit pas en vers grecs ni latins. On a son Épître à Sapho, dans laquelle il s’attache à lui déconseiller la gloire, et à l’édifier sur l’amour : c’est une très ingénieuse pièce contre l’immortalité poétique. Hesnault n’y croyait pas. En revanche, on nous dit qu’il avait trois systèmes différens sur la mortalité de l’ame, tant il avait peur d’y manquer. Après avoir démontré, fort joliment, que la gloire après la mort n’est rien, il continue :

Cessez donc, ô Sapho, de vous en faire accroire ;
Dans un monde nouveau ne cherchez plus la gloire,
Et faites succéder, au soin de l’acquérir,
Le soin de la connaître et de vous en guérir.
Mais quoi ? faut-il purger d’une erreur si grossière
Un esprit si perçant et si plein de lumière ?
................
Si vous avez besoin d’être désabusée,
C’est d’une erreur plus fine et plus autorisée :
Le partage des morts se fait peu souhaiter ;
Mais celui des vivans a de quoi vous tenter.
Si la gloire pour vous n’est rien après la vie,
Tandis que vous vivez, elle vous fait envie.
Cependant pourrait-elle exciter un désir,
Si l’on ne la croyait elle-même un plaisir ?
C’en est un, il est vrai, pour quelques ames vaines ;
Mais, hélas ! c’en est un qui donne mille peines.
Il en est, ô Sapho, qui n’ont rien que de doux :
Si vous les connaissez, que ne les cherchez-vous ?
S’ils vous sont inconnus, vous manque-t-il un maître ?
................
Écoutez donc, Sapho, la nature et l’amour.
Je vous viens, de leur part, révéler leur mystère ;
Je n’en parle pas mal et je sais bien me taire.

Hesnault n’y allait point par deux chemins, on le voit ; Mme Des Houlières ne le suivit sans doute qu’avec discrétion. Dans ses vers pourtant, elle s’est ressentie des préceptes généraux du maître. Bayle leur a fait à tous les deux l’insigne et maligne faveur de les impliquer dans une note de son article Spinosa. Il cite d’elle les vers qui terminent l’idylle du Ruisseau :

Courez, Ruisseau, courez, fuyez-nous, reportez
Vos ondes dans le sein des mers dont vous sortez ;
Tandis que, pour remplir la dure destinée

Où nous sommes assujettis,
Nous irons reporter la vie infortunée
Que le hasard nous a donnée,
Dans le sein du néant d’où nous sommes sortis !

En paraissant admettre comme correctif que probablement la dame, en cela, n’avait suivi que des idées poétiques qui ne tirent pas à conséquence, Bayle a soin d’ajouter tout aussitôt, selon sa méthode de nous dérouter : « Ce n’est pas qu’on ne puisse cacher beaucoup de libertinage sous les priviléges de la versification. »

À côté des vers du Ruisseau, on en trouverait bon nombre d’autres notables par la portée philosophique, et moins contestables pour la doctrine. Sous le titre de Moralités, elle a exprimé bien des réflexions graves, vraies, amères, qui tendent à démasquer la vanité de notre nature. Quoi de plus sévèrement pensé, de plus sérieusement rendu que ce point d’une méditation sur la mort ?

Que l’homme connaît peu la mort qu’il appréhende,
Quand il dit qu’elle le surprend !
Elle naît avec lui, sans cesse lui demande
Un tribut dont en vain son orgueil se défend.
Il commence à mourir long-temps avant qu’il meure ;
Il périt en détail imperceptiblement[5] ;
Le nom de mort qu’on donne à notre dernière heure
N’en est que l’accomplissement.

Mme Des Houlières, qu’on voit de loin dans un costume couleur de rose, était triste ; c’est une des personnes qui, avec le plus de moyens naturels d’être heureuse, eut aussi le plus à se plaindre de la fortune. Née vers 1634, environ deux ans après Mme de La Fayette, mariée à dix-sept ans à M. Des Houlières, brave et habile officier, qui suivit le prince de Condé dans la Fronde et chez les Espagnols, elle passa ses premières années de mariage, solitaire, retirée chez ses parens. La philosophie de Descartes et de Gassendi étaient aux prises. Au lieu de s’enflammer, comme Mme de La Sablière, pour Descartes, elle pencha vers Gassendi : ce qui au fond n’était pas moins s’occuper

De certaine philosophie
Subtile, engageante et hardie.

Étant allée rejoindre son mari dans les Pays-Bas espagnols, elle y trouva le prince de Condé et toute une cour à Bruxelles. Sa beauté, son esprit, y firent des conquêtes ; elle y brilla, et ce fut son plus heureux moment. Le retour bien prompt en eut plus d’amertume. Des réclamations trop vives pour les appointemens de son mari la firent jeter en prison : elle y resta huit mois. Rentrée en France, ayant négocié la grace de M. Des Houlières, qui reprit du service et vécut fort peu à ses côtés, elle ne put jamais relever ses affaires de fortune, dérangées par une longue absence, et sa vie se passa dans des gênes continuelles, que l’agrément de la société ne recouvrait qu’à demi. Les vers allégoriques à ses enfans : Dans ces prés fleuris, etc., ne sont qu’une manière de placet à Louis XIV, désigné comme le dieu Pan, une inspiration très positive enveloppée avec grace. Ainsi de ses autres idylles : presque toujours une plainte au fond. Sa santé se dérangea d’assez bonne heure ; elle mourut en 1694, n’ayant au plus que soixante ans. Un voyage dans le Dauphiné, aux bords du Lignon, une visite à Vaucluse, rentrent davantage dans le genre d’existence bocagère qu’on lui suppose. Elle n’en eut que le regret et le rêve. Observant autour d’elle et en elle l’humanité d’une vue un peu chagrine, elle envia tour à tour les moutons, les fleurs, les oiseaux, les ruisseaux, cette nature enfin qu’elle voyait trop peu. Elle ne cessa d’envisager le sort, ses jeux bizarres, ses injustices, d’agiter en idée la faiblesse de l’homme, ses déceptions vaines, l’insuffisance de sa raison

Homme, vante moins ta raison ;
Vois l’inutilité de ce présent céleste
Pour qui tu dois, dit-on, mépriser tout le reste.
Aussi faible que toi dans ta jeune saison,
Elle est chancelante, imbécille ;
Dans l’âge où tout t’appelle à des plaisirs divers,
Vile esclave des sens, elle t’est inutile ;
Quand le sort t’a laissé compter cinquante hivers,
Elle n’est qu’en chagrins fertile ;
Et quand tu vieillis, tu la perds.

Reprenant la question posée par son maître Hesnault sur le désir immodéré qu’ont les hommes de léguer leurs noms à la postérité, elle en réfute non moins sérieusement que lui la chimère : espère-t-elle donc les en guérir, s’en guérir elle-même ?

Non ; mais un esprit d’équité
À combattre le faux incessamment m’attache,

Et fait qu’à tout hasard j’écris ce que m’arrache
La force de la vérité.

Elle s’est plue à rimer en les variant, à traduire çà et là en espèce de madrigal moral, quelqu’une des maximes de La Rochefoucauld, dont l’esprit lui convenait fort : comme lui aussi elle avait vu périr son idéal dans la Fronde.

Elle avait, à sa rentrée en France, fréquenté l’hôtel Rambouillet, et pris un rang distingué entre les précieuses. Somaize n’a pas manqué de l’enregistrer dans son grand Dictionnaire sous le nom de Dioclée. Son ton, son goût s’était fixé dès-lors, et, à la différence de Mmes de Sévigné et de La Fayette, elle ne le modifia guère en avançant : de là, dans ses poésies, une mode qui pouvait, dès les années finissantes du siècle, paraître un peu vieillie. Au plus plein milieu du règne de Louis XIV, aux années d’Iphigénie et de Phèdre, elle croyait à la décadence ; mais passons vite, c’est là son crime. Disons seulement qu’elle fut fidèle aux souvenirs et aux admirations de sa jeunesse, à l’ancienne et galante cour, comme elle l’appelait ; elle remontait ainsi en idée jusqu’aux Bellegardes et aux Bassompières : tout ce qui survenait de nouveau, même à Versailles, lui paraissait peu poli ; elle ne s’y mêlait que malgré elle, et se croyait au moment de perdre les seuls derniers auditeurs auxquels volontiers elle s’adressait :

Que ferez-vous alors ? Vous rougirez sans doute
De tout l’esprit que vous aurez ;
Amarante, vous chanterez
Sans que personne vous écoute !

Ce qu’elle disait là à une amie, elle se l’appliquait à elle-même ; le lendemain de Genseric elle dut le croire bien davantage. Dans ses vers d’idylle ou de chanson, elle n’était pourtant pas si raffinée toujours qu’il semblerait d’après ses délicatesses. L’hôtel Rambouillet n’avait pas réduit toute la matière en vapeur. Ses Sylvandres sont quelquefois pressans, et ses Iris savent rougir de manière à se faire comprendre. Si, par hasard, les ombrages qui renaissent ne servent qu’à cacher des pleurs, c’est bien malgré la bergère, qui s’écrie :

Ah ! je n’aurai jamais d’autre besoin de vous !

Jusque près de la fontaine de Vaucluse, elle s’est imaginé (qui le croirait ?) de voir Laure attendrie et Pétrarque victorieux.

On sait le mot peu platonique de Mme de La Sablière, repris depuis par Figaro : — « Eh ! quoi ? toujours aimer, recommencer sans cesse ? Les bêtes du moins n’ont qu’une saison. » — « C’est que ce sont des bêtes. » Mme Des Houlières, sans le dire de ce ton de prose, et sous air innocent de donner l’avantage aux bêtes, n’est pas si loin de cette idée en ses idylles : ses petits moutons sont aussitôt aimés qu’amoureux.

Petits oiseaux qui me charmez,
Voulez-vous aimer ? vous aimez.

Mlle de Lenclos, sur le luth, devait chanter ses airs : plus d’un rappelle cette Chanson pastorale du poète Lainez, qui commence par le rossignol et finit par les moineaux.

En un mot, un peu de XVIIIe siècle déjà en Mme Des Houlières, puisqu’on est convenu d’appeler XVIIIe siècle cela[6]. — À côté de ces libertés de muse, elle avait la vie pure, irréprochable, disent ses biographes, et peut-être assez de pratique religieuse, au moins pour la bienséance d’abord, et vers la fin (selon toute apparence) avec sincérité. Ainsi se gouverne l’inconséquence de nos esprits, assemblant les contradictions selon le siècle et les âges. Mais la tendance était chez elle, et j’ai voulu la noter. Elle fit une ode chrétienne en 1686, au milieu des souffrances physiques qui, dès-lors, l’éprouvaient : le ton en est élevé, senti ; j’y remarque ce vers :

Ôte-moi cet esprit dont ma foi se défie !

L’esprit persistait ; la philosophie revient toute voisine de cette pièce pénitente et de quelques paraphrases des Psaumes, dans des réflexions hautement stoïques ; on dirait qu’elle essaie la mort de tous les côtés :

Misérable jouet de l’aveugle fortune,
Victime des maux et des lois,
Homme, toi qui, par mille endroits,
Dois trouver la vie importune,
D’où vient que de la mort tu crains tant le pouvoir ?
Lâche, regarde-la sans changer de visage ;
Songe que, si c’est un outrage,
C’est le dernier à recevoir !

Elle fut très sensible à l’amitié ; on la trouve entourée de mille noms alors en vogue, dont quelques-uns ont pâli sans doute ; mais, pour la douceur de la vie, il n’est pas nécessaire d’avoir affaire aux seuls immortels. Elle jouissait de tous : on ne dit pas que, comme Mme de La Fayette, elle se soit singulièrement attachée à aucun. Elle semblait leur dire, au milieu des fleurs qu’elle en recevait, comme à l’abbé de Lavau :

Que vous donner donc en leur place ?
Un simple bonjour ? c’est trop peu ;
Mon cœur ? c’est un peu trop, quoique sa saison passe.

Des noms graves s’y mêlaient, et sous un reflet très radouci. Elle a écrit à Mascaron une épître badine datée des bords même du Lignon. Elle cultiva précieusement Fléchier, qui le lui rendit ; Fléchier, caractère noble, esprit galant, qui n’a d’autre tort que d’avoir été trop comparé par les rhéteurs à Bossuet, qu’il fallait seulement (à part son éclair sur Turenne) rapprocher de Bussy, de Pellisson, de Bouhours, et dont le portrait par lui-même est bien la plus jolie pièce sortie de la littérature Rambouillet. Ce n’est pas à Mme Des Houlières, mais à sa fille, qu’il l’adressa. Vivant dans ses diocèses, à Lavaur, à Nîmes, c’est-à-dire en province, il regrettait quelque peu le monde de Paris et les belles compagnies lettrées ; il était d’autant mieux resté sur le premier goût de sa jeunesse. Il correspondait à ses loisirs avec Mme Des Houlières, qui se plaignait quelquefois en vers de ses involontaires négligences :

Damon, que vous êtes peu tendre !

Elle le traite comme un sage du portique, et le menace d’appeler l’amour au secours de l’amitié :

Un sage être amoureux ! Qu’est-ce qu’on en dirait ?

Fléchier lui envoyait en offrande, pour l’apaiser, du miel de Narbonne[7].

Dans ses meilleurs et ses plus poétiques momens, Mme Des Houlières a fait de jolis airs : c’est ainsi qu’elle appelle un simple couplet, une idée tendre, fugitive, un sentiment rapide qui nous arrive comme à travers un son de vieux luth ou de clavecin. Nos pères aimaient cette émotion suffisante, vive, non prolongée ; Bertaut a des couplets de cette sorte charmans, de vraies naïvetés enchantées. Mme Des Houlières en a juste dans ce goût, dans cette même coupe déjà ancienne alors, et qui rappelait la jeunesse de Mme de Motteville. Presque toujours le printemps, comme chez les trouvères, en est le sujet :

L’aimable printemps fait naître
Autant d’amours que de fleurs ;
Tremblez, tremblez, jeunes Cœurs :
Dès qu’il commence à paraître,
Il fait cesser les froideurs ;
Mais ce qu’il a de douceurs
Vous coûtera cher peut-être.
Tremblez, tremblez, jeunes Cœurs ;
L’aimable printemps fait naître
Autant d’amours que de fleurs.

N’est-ce pas comme un chant de gaie fauvette qui le salue ? Mais quoi de plus touchant comme simple note, et de plus sensible que cet air-ci :

Aimables habitans de ce naissant feuillage
Qui semble fait exprès pour cacher vos amours,
Rossignols, dont le doux ramage
Aux douceurs du sommeil m’arrache tous les jours,
Que votre chant est tendre !
Est-il quelques ennuis qu’il ne puisse charmer ?
Mais hélas ! n’est-il point dangereux de l’entendre
Quand on ne veut plus rien aimer ?

Ainsi, chez Mme Des Houlières, la sensibilité, la mélodie, remplacent quelquefois ce qui manque pour l’imagination, et font taire le bel-esprit moraliste et raisonneur. Dans ses pièces plus longues, elle a moins réussi ; en quelques stances, pourtant, on découvrirait des éclairs de passion et surtout des traits de grace. Dans certaine de ses églogues, la bergère délaissée accuse les bocages de s’être prêtés aux amours infidèles de l’ingrat durant toute une saison,

Depuis que les beaux jours, à moi seule funestes,
D’un long et triste hiver eurent chassé les restes,
Jusqu’à l’heureux débris de vos frêles beautés.

Mme Des Houlières offre trop peu de vers comme ce dernier.

Je crois toutefois en avoir assez dit pour montrer qu’elle mérita de vivre. Il ne s’agit ni de réhabiliter, ni de proposer pour modèle, mais simplement de reconnaître ce qui fut, de retrouver, s’il se peut, la poésie aux moindres traces où elle a passé. La destinée posthume de Mme Des Houlières ne manqua pas de vicissitudes : elle semblait d’avance s’y attendre en se disant :

Tandis que le soleil se lève encor pour nous,
Je conviens que rien n’est plus doux
Que de pouvoir sûrement croire
Qu’après qu’un froid nuage aura couvert nos yeux,
Rien de lâche, rien d’odieux
Ne souillera notre mémoire ;
Que regrettés par nos amis
Dans leur cœur nous vivrons encore.
Pour un tel avenir tous les soins sont permis ;
C’est par cet endroit seul que l’amour-propre honore.
Il faut laisser le reste entre les mains du sort.

On l’accusa pourtant d’une action presque odieuse, d’avoir pillé son idylle des Moutons dans le recueil de Coutel. Ce fut vers 1735 que se fit cette grande découverte : presque à la fois le Mercure Suisse, dans le numéro d’avril de cette année, le baron de la Bastie et le président Bouhier, dans des lettres à l’abbé Le Clerc (janvier et février 1735)[8], dénonçaient ou discutaient le prétendu plagiat. Fréron, depuis, et d’autres sont entrés en lice : nous les y laissons, certain que l’idée de s’adresser à des moutons n’est pas neuve, et que la manière dont l’a fait Mme Des Houlières s’approprie au tour exact de son esprit. À part ce soupçon injurieux, elle continuait de garder sa place. J.-B. Rousseau, il est vrai, dans sa correspondance[9], affecte de la rabaisser : vieille rancune de versificateur à la suite de Racine, contre l’école de Fontenelle. Voltaire, si plein de tact en courant quand il est désintéressé, nous indique du doigt, dans son Temple du Goût, « le doux, mais faible Pavillon, faisant sa cour humblement à Mme Des Houlières, qui est placée fort au-dessus de lui. » Pour revenir à l’école même qu’elle représente, et que nous avons montrée un peu jetée de côté dans le XVIIe siècle, il semble qu’elle ait eu sa revanche au XVIIIe ; je veux dire que, même sans qu’on s’en rendît compte, cette manière avant tout spirituelle, métaphysique, moraliste et à la fois pomponnée, de faire des vers, prévalut et marqua désormais au front la poésie du siècle, avec quelques différences de rubans et de nœuds seulement. On en peut demander des nouvelles à Saint-Lambert, qui est en plein milieu. Voltaire, de toutes parts entouré, y échappe le plus souvent à force d’esprit et de saillie vive. La cour de Sceaux s’y complut trop pour en sortir. Et combien n’y a-t-il pas, en effet, de Mme Des Houlières dans le goût comme dans les idées de cette spirituelle Launay, contre laquelle un illustre critique a été si ingénieusement sévère[10] ! Il a eu raison de l’être : le genre plus ou moins précieux, qui s’était tenu dans les coulisses sous Louis XIV, rentrait en scène en s’émancipant. Des révolutions sérieuses rompirent cette filiation, qui n’était vraie que par un point à l’origine. La plupart des noms surtout, en s’éloignant, s’évanouirent. Au commencement de ce siècle on se retourna encore pour regarder un moment ces petites gloires prêtes à disparaître : Mlle de Meulan, qui n’était pas sans quelque rapport de bel-esprit moraliste avec Mme Des Houlières, a parlé d’elle plus d’une fois et assez bien. Mais, puisque nous en sommes à ce qui est fini, il est une femme poète, plutôt nommée que lue, qui me paraît à certains égards de l’école dont j’ai parlé, et en reproduire qualités et défauts, avec la différence des époques, Mme Dufrenoy.

La différence est d’abord dans la distance même qui sépare la fin du XVIIIe siècle et le XVIIe. Les contemporains de Mme Dufrenoy crurent que c’était pour celle-ci un avantage, et qu’elle allait être classique plus sûrement. M. Jay a écrit dans des Observations sur elle et sur ses œuvres : « Supérieure sous tous les rapports à Mme Des Houlières, mais ne devant peut-être cette supériorité qu’à l’influence des grands spectacles dont elle fut témoin et dont elle reçut les impressions, elle a conquis une palme immortelle… » L’originalité poétique de Mme Dufrenoy (si on lui en trouve) n’est pas dans les chants consacrés à des évènemens publics, mais dans la simple expression de ses sentimens tendres. Béranger y songeait surtout, quand il a dit :

Veille, ma Lampe, veille encore,
Je lis les vers de Dufrenoy.

De bonne heure, le maître habile qu’elle eut, comme Mme Des Houlières, Hesnault, la détourna des graves poèmes et lui indiqua son sentier :

Aimer, toujours aimer, voilà ton énergie.

Chez elle, dans ses élégies, plus de petits moutons ni de bergère Célimène ; il était moins besoin de travestissement : c’est de l’amour après Parny ; Boufflers a déjà chanté le cœur ; le positif enfin se découvre tout à nu. Je remarque dans le style quelque chose de précis, pas plus d’imagination et bien moins d’esprit que chez Mme Des Houlières. Mais le goût d’un jour, la manière, est-elle pour cela absente ? Quand l’amante poète nous dit :

Arrangeons ce nœud, la parure
Ne messied point au sentiment,

pompon pour pompon, n’est-ce pas un peu comme à l’hôtel Rambouillet ? Les premières élégies de Mme Dufrenoy commencèrent de paraître dans les recueils poétiques aux environs de 89. Si on en compare le texte à celui des dernières éditions, on est frappé des différences. Elle-même avait pu assister déjà au changement de couleur de ses rubans, et elle essayait de les reteindre. Si on lit dans l’Almanach des Muses de 1790, la pièce qui a pour titre le Pouvoir d’un Amant :

J’aime tout dans celui qui règne sur mon cœur, etc.,

on est surpris du jargon qu’elle a osé hasarder, et qui semblait tout simple à cette date. Elle l’a senti depuis : dans les réimpressions, l’air vaurien d’Elmandre s’est corrigé en air lutin ; elle a supprimé ce vers incroyable :

Son infidélité devient une faveur !

On lit un peu plus délicatement :

Son tendre repentir donne encor le bonheur.

J’appelle cela des ressemblances avec Mme Des Houlières, parce que ce délire à la Zulmé, du temps de Bertin, eût été fadeur d’Iris au temps des bergeries. C’est ainsi, à la distance d’un siècle, que les défauts de goût, en quelque sorte, se transposent. Un rapport entre elles qu’on aime mieux signaler est, dans les traits de passion, évidens chez Mme Dufrenoy, mais non pas absens dans l’autre muse. Toutes les deux paraissent avoir senti l’infidélité avec une douleur qui n’éteignit pas l’amour :

Amour, redonnez-lui le dessein de me plaire :
Mais, quoi que l’ingrat puisse faire,
Ne sortez jamais de mon cœur !

Mme Des Houlières, en des stances, l’a dit ; Mme Dufrenoy l’a redit en cent façons dans ses élégies, et dans la plus ardente, les Sermens. C’est la mise en action de ce mot de La Rochefoucauld : On pardonne tant que l’on aime. Il semble que cette inspiration d’un amour sans bonheur, la douleur passionnée, ait fait aussi le premier génie de Mme Valmore. Corinnes et Saphos, toutes vont là. Toujours le cœur brisé qui chante, toujours le cri en poésie de cette autre parole dite à voix plus basse, en prose plus résignée, et que bien des existences sensibles ont pensée en avançant : « Il n’y a qu’une date pour les femmes et à laquelle elles devraient mourir, c’est quand elles ne sont plus aimées. » Mais je touche à l’élégie moderne, et je n’y veux pas rentrer aujourd’hui.

Ce n’était qu’un rien que ce point littéraire ici aperçu ; j’ai tenu pourtant à ne le pas laisser fuir. En feuilletant au hasard quelques petits in-12 oubliés, un reflet de soleil m’a paru éclairer et comme dessiner exactement cette traînée de parcelles dans la poussière ; si je ne l’avais pas saisie à l’instant, je ne l’aurais sans doute plus revue jamais. Nous passons si vite nous-mêmes, nous paraîtrons si peu ; il est doux de comprendre tout ce qui a vécu.


Sainte-Beuve.
  1. Est-elle bien de Pavillon ? Je la trouve également attribuée à Fontenelle ; en un si grave procès je ne décide pas.
  2. Recueil des plus belles pièces des poètes français depuis Villon jusqu’à Benserade, 6 vol. in-12. 1752. La première édition est de 5 vol. Barbin, 1692. On attribue à la plume même de Fontenelle les petites vies des poètes qui y sont touchées avec une netteté élégante.
  3. Le dernier rondeau en date que je connaisse est, je crois, celui-ci, adressé (vers le temps de M. de Surville) à une beauté qui faisait la Diane chasseresse :

    Doux Vents d’automne, attiédissez l’amie !
    Vaste Forêt, ouvre-lui tes rameaux !
    Sous les grands bois la douleur endormie,
    En y rêvant, souvent calma ses maux.
    Aux maux plus doux tu fus hospitalière,
    Noble Forêt ! Ici vint La Vallière,
    Ici Diane, en ces règnes si beaux ;
    Et la charmille éclatait aux flambeaux.
    La chasse court, le cerf fuit, le cor sonne :
    Pour prolonger ce que l’ombre pardonne,
    Vous ménagiez le feuillage aux berceaux,
    Doux Vents d’automne !

    Ô ma Beauté ! n’y soupirez-vous pas ?
    Pourquoi ce cri vers le désert sauvage ?
    Sur son coursier la voilà qui ravage
    Rocs et halliers, et franchit tous les pas.
    Cœur indompté, l’air des bois l’aiguillonne,
    L’odeur des pins l’enivre. Ah ! c’est assez ;
    Quand la forêt la va faire amazone,
    Soufflez sur elle et me l’attiédissez,
    Doux Vents d’automne !

  4. Il a dit lui-même de son esprit :

    Je l’ai vif dans les reparties
    Et plus piquant que les orties.

    Il eut fort souvent affaire aux coquettes et s’en vengea : on vient de voir ce qu’il dit à l’une ; voici pour une autre :

    Le changement vous est si doux,
    Que, quand on est bien avec vous,
    On n’ose s’en donner la gloire.
    Celui qui vous peut arrêter
    A si peu de temps pour le croire,
    Qu’il n’en a pas pour s’en vanter.

    À une dévote un peu tendre, mais qui ne l’était pas assez :

    N’écoutez qu’une passion :
    Deux ensemble, c’est raillerie.
    Souffrez moins la galanterie,
    Ou quittez la dévotion…
    Tout le monde se met en peine
    De vous voir toujours incertaine
    Sans savoir à quoi vous borner.
    Vous finirez comme une sotte :
    Vous ne serez jamais dévote,
    Vous ne pourrez jamais aimer.

    Mais voici peut-être l’épigramme en ce genre la plus sanglante, et je la cache tout au bas :

    Vous voulez en femme d’honneur
    Me refuser le point suprême !
    Vous marchandez à qui vous aime
    L’entier abandon du bonheur.
    Mais allez, vous avez beau faire
    Et triompher d’un air sévère
    Quand de là je reviens battu.
    Au lieu du tout, si l’on ne donne
    Qu’une moitié de sa personne,
    On n’est qu’une demi-vertu.

    M. de Monmerqué possède beaucoup de vers inédits de Saint-Pavin.

  5. Racan, dans ses belles stances sur la Retraite, avait dit :

    L’âge insensiblement nous conduit à la mort.

    Mais c’est dans un sentiment doux : le vers de Mme Des Houlières est d’un autre accent.

  6. Par exemple la chanson sur l’abbé Testu.
  7. Ils furent tous les deux élus membres de l’Académie des Ricovrati de Padoue : Charles Patin, fils de Guy Patin, et qui résidait à Padoue même, fut comme le négociateur de ces brevets. Elle fut aussi de l’académie d’Arles. À propos de derniers rondeaux, j’en sais un sur Arles, moins académique que gaulois, et qui remonte tout-à-fait pour le ton à l’école bourguignonne de La Monnoie, autre ami de Mme Des Houlières. C’est une allusion au calidus juventâ consule Planco d’Horace. Il faut se rappeler encore que les Aliscamps ou Champs-Élysées sont l’antique et célèbre cimetière de la ville, et que les femmes d’Arles sont d’une insigne beauté. Le voici :

    RONDEAU

    Sous le consulat de Plancus,
    En Arles la belle romaine,
    Devant la grace souveraine,
    Les coups d’œil lancés et reçus
    De ces beautés au front de reine,
    Cher ami, que ta jeune veine
    Range encor dans les invaincus,
    Qui pourtant comprendras ma peine,
    Ah ! quels jours j’eusse là vécus
    Sous le consulat de Plancus !

    Redisant le mot de Flaccus,
    Répétant ma plainte trop vaine,
    Je vais donc où mon pas me mène,
    Vers les grands débris aperçus.
    Vaste amas de poussière humaine,
    Blancs Aliscamps, je vous ai vus !
    J’erre seul, et de loin à peine
    J’entends les savans convaincus :
    À ce fronton l’un veut Bacchus,
    L’autre Constantin fils d’Hélène ;
    Moi, j’ai ma date plus certaine,
    Et je lis encore aux murs nus :
    Sous le consulat de Plancus.

  8. Tome V des Nouveaux Mémoires d’Histoire, de Critique et de Littérature, par l’abbé d’Artigny.
  9. Lettre à Brossette du 4 juillet 1730 : « Il y a plus de substance dans le moindre quatrain de Mlle Cheron que dans tout ce qu’a fait en sa vie Mme Des Houlières…
  10. M. Villemain, Tableau du dix-huitième Siècle, onzième leçon.