Une poignée de vérités/Quelle devrait être l’attitude des Canadiens-Anglais ?
XV.
QUELLE DEVRAIT ÊTRE L’ATTITUDE DES
CANADIENS-ANGLAIS ?
Loin de moi, la prétention de donner des conseils à des rois, à des présidents de république ou à des ministres d’État. Je demande seulement la permission de dire mon mot, de faire entendre mon opinion sur la question Canadienne-française ; je demande à ajouter mon grain de sel. À mon avis, les Canadiens-anglais ont grand tort de s’alarmer des progrès de la race Canadienne-française. Car, il n’y a pas à dire, c’est là, qu’au fond, réside toute la question. Ils redoutent l’envahissement de cette race qu’ils prétendent inférieure tout en la craignant, ce qui est peu logique.
Jamais, les Canadiens-français n’ont cherché à nuire aux Anglais : bien au contraire.
Le plus grand homme d’État du Canada, mort récemment, Sir Wilfrid Laurier, que le monde entier admirait, n’a jamais manqué d’exprimer à cet égard les sentiments de ses compatriotes. À Liverpool, en 1897, il disait : « Mes compatriotes ayant obtenu les droits de sujets britanniques, se considèrent liés par le devoir, l’honneur et l’amitié à accepter et à accomplir, dans leur intégrité, les obligations et les responsabilités des sujets britanniques. Ils sont fiers de leur origine, fierté que peu d’Anglais leur reprocheront, celle d’être des descendants d’une race altière. S’ils ont l’orgueil de race, ils ont aussi au cœur un autre orgueil, celui de la reconnaissance. Et au jour du jubilé, dans toute l’immense étendue de l’empire, c’est de la terre qu’habitent les sujets français de Sa Majesté, que s’élèveront au ciel les prières les plus ferventes pour que Sa Majesté vive encore de longues années. »
Dans une précédente occasion, pendant la session de 1871, il affirmait :
« Nos pères jadis ont été les ennemis des Anglais ; ils se sont fait pendant des siècles des guerres sanglantes. Nous, leurs descendants, réunis sous le même drapeau, nous ne livrons plus d’autres combats que ceux d’une généreuse émulation pour nous vaincre mutuellement dans le commerce, dans l’industrie, dans les sciences et les arts de la paix. »
Ces aveux ont d’autant plus de prix que Sir Wilfrid Laurier était l’homme le plus populaire du Canada. Comme tous les Canadiens-français, il aspirait à l’union complète de tous les Canadiens, sans distinction de races.
Il me semble que tout bon Canadien-anglais, devrait cesser bien vite les tracasseries, les persécutions quotidiennes. Il devrait dire à ses frères Canadiens-français : « Vous voulez conserver votre religion ? Conservez-la avec vos églises et vos prêtres. Cela m’est bien égal pourvu que vous restiez bons citoyens ! Vous désirez garder votre langue ? Gardez-la donc, mais continuez à apprendre consciencieusement la nôtre ! Quant à nous, nous apprendrons le français dans nos écoles et nous deviendrons ainsi une nation vraiment bilingue, une nation supérieure. Nous travaillerons ensemble pour notre commune patrie et toutes nos querelles se fondront au foyer de ce sentiment unanime : l’amour du Canada. Souvenons-nous de ce qu’a dit le grand pacificateur, Canadien-français :
« Notre patrie, c’est le Canada, c’est tout ce que couvre le drapeau britannique sur le continent américain, la vallée du Saint Laurent, les terres fertiles qui bordent la baie de Fundy, la région des Grands lacs, les prairies de l’Ouest, les Montagnes Rocheuses, les terres que baigne cet océan célèbre où les brises sont aussi douces que les brises de la Méditerranée. Nos compatriotes ne sont pas seulement ceux dans les veines desquels coule le sang de France ; ce sont tous ceux, quelle que soit leur race ou leur langue, que le sort de la guerre ; les accidents de la fortune ou leur choix propre, ont amené parmi nous et qui, reconnaissent la suzeraineté de la couronne britannique. Quant à moi, je le proclame hautement, voilà mes compatriotes, mais je suis Canadien… Les droits de mes compatriotes d’autres races me sont aussi chers, aussi sacrés que les droits de ma propre race, et si le malheur voulait qu’ils fussent jamais attaqués, je les défendrais avec autant d’énergie et de vigueur que les droits de ma propre race. »
Voilà un langage que tout Canadien-anglais devrait approuver. Qu’à l’égard des Canado-américains les États-Unis montrent aussi plus de tolérance et tout ira pour le mieux dans le meilleur des continents.
Verrons-nous luire ce beau jour d’union sacrée ? Attendons et espérons !
En attendant, puisque l’Angleterre et les États-Unis ont si bien aidé notre chère France à gagner la grande guerre, puisqu’ils ont combattu à nos côtés pour la même cause, qu’ils aillent jusqu’au bout. Qu’ils permettent, qu’ils encouragent chez eux le parler français. Qu’ils ne cherchent pas à détruire cette chose qui est la plus belle du monde « la Langue Française ».
Cette tolérance ne peut que leur être utile et notre gratitude n’en sera que plus grande, nos rapports plus amicaux.