Une poignée de vérités/Pourquoi ce petit livre?

Imprimerie Gagnon, éditeur (p. 7-10).


POURQUOI CE PETIT LIVRE ?


I.


Le Canada ! Sujet sur lequel on a bien souvent et bien longuement écrit. Il faudrait une bonne demi-heure pour énumérer seulement les titres des ouvrages publiés sur ce pays. Comme toujours, dans tout ce qui est humain, à côté d’excellentes choses on a accumulé, à propos du Canada, les plus grosses erreurs, les plus abracadabrantes fantaisies. C’est qu’en réalité, pour bien connaître ce pays, il faut y séjourner longtemps, il faut l’étudier, non pas à l’aide de documents de bibliothèques, non pas en se laissant accaparer par un groupe d’amis qui ne vous montrera que ce qu’il veut montrer, mais en pénétrant dans les familles, en faisant causer le paysan et l’ouvrier, en vivant de la vie Canadienne.

Les sentiments de l’âme canadienne sont tellement divers, tellement tiraillés par des aspirations contraires qu’il est difficile de les comprendre. Ce pays semble voué à la complexité. Géographiquement d’abord : au Nord, ce sont les régions polaires ; au Sud c’est la nation voisine bornée par une ligne purement imaginaire, le 45e degré ; à l’Est et à l’Ouest deux immenses océans.

Climatériquement : le Canada est extrêmement froid, extrêmement chaud. Politiquement : le Canada est officiellement Anglais, mais beaucoup de Canadiens sont français par la langue et par le cœur, d’autres sont Canadiens tout court. Administrativement : Canadiens-Français, Canadiens-Anglais coexistent, mais ne se mélangent pas. Cultuellement : catholiques d’une part, protestants d’autre part, tous défendent avec acharnement leurs convictions. Ce pays est un terrain de lutte perpétuelle, de tiraillements sans fin, de frictions journalières (comme on dit là-bas), à propos des écoles, de la langue, de la religion, des élections, des coutumes etc… Pour y voir clair au milieu de cette complexité, pour l’étudier de près on a écrit nombre de livres. Selon que l’auteur est catholique ou protestant, républicain ou royaliste, conservateur ou libéral, anglophile ou francophile, il a placé la question sur son terrain à lui et l’a résolue conformément à ses convictions. Il n’existe pas sur le Canada une seule étude véritablement impartiale.

On me dira : « Mais, vous-même, vous catholique et français, n’allez-vous pas vous montrer involontairement partial ? Pourrez-vous vous, défendre de votre sympathie pour les Canadiens-français ? » Evidemment non, ma sympathie, je ne saurais la cacher, et je ne le veux pas non plus. C’est même pour l’affirmer que j’écris ; c’est pour montrer à quel point nos « cousins » du Canada ont été ignorés et méconnus ; c’est pour rappeler qu’ils sont du peuple de France, un des plus grands peuples du monde. C’est aussi pour les défendre contre les inconcevables calomnies qu’on a semées et qu’on continue à répandre à plaisir sur leur compte.

Pendant deux ans, j’ai été l’hôte des Canadiens-français, j’ai vécu parmi eux, je les ai observés, étudiés, et j’ai pu les apprécier. Ce serait n’avoir pas de cœur, ce serait mépriser la Justice et la Vérité que de ne rien dire, de ne pas élever la voix en présence des assauts livrés à une race qui est la mienne. Ce que je fais là, c’est mon devoir, c’est une obligation de conscience que je remplis. Je voudrais que le monde entier lût ce petit livre. Cependant c’est surtout à mes compatriotes, aux Français que je m’adresse ; presque tous ignorent le Canada : je le prouverai tout-à-l’heure. Voilà le lecteur prévenu : l’auteur de ces lignes est l’ami des Canadiens-français : ce qu’il désire c’est les faire aimer comme il les aime. Ce ne sera pas difficile : il n’a qu’à dire ce qui est, ce qu’il a vu. Il promet de ne rien avancer qu’il ne prouve. On ne trouvera dans ce petit ouvrage ni chiffres, ni dates, ni documents puisés dans les archives, les bibliothèques, les mairies, le Parlement ou ailleurs. Ce genre de travail a été fait et refait : je risquerais de répéter ce qu’ont déjà dit les Siegried, les Arnould, les Lamy, les Bazin, les Hanotaux, etc… Ce que je compte faire, c’est étudier le plus consciencieusement possible l’âme du peuple canadien-français, c’est montrer la grande affection qui le rattache à nous, quoi qu’on ait pu dire. Je voudrais aussi montrer l’intérêt qu’offre pour nous, Français, cet immense pays, au point de vue de la langue, des coutumes et des mœurs. Je ne suis ni sociologue, ni économiste. J’avoue ne m’être exprimé jusqu’à présent qu’en petits vers de 6 à 8 pieds que j’ai musiqués tant bien que mal. Mais un simple chansonnier peut très bien sentir l’âme d’un peuple, exprimer les sentiments qui l’animent, formuler ses aspirations et son idéal.

À travers mes nombreuses randonnées dans le pays, personne ne m’a guidé : j’ai marché au hasard. Ma venue au Canada n’a rien eu d’officiel (ce qui est une garantie de sincérité !). Avant d’y venir je n’avais aucun parti pris, aucune idée préconçue et, autant dire, aucune connaissance du pays. Les réceptions qu’on m’a faites, n’étaient aucunement préparées. Mon métier de « troubadour » m’a permis de pénétrer partout, chez les riches comme chez les pauvres. Souvent j’ai logé, j’ai couché chez l’« habitant ». Avec moi point de gêne, point de timidité. Nous étions en famille. Ce livre est le récit fidèle de ce que j’ai vu et entendu.