Une poignée de vérités/Les défauts de la race

Imprimerie Gagnon, éditeur (p. 94-100).

XIV

LES DÉFAUTS DE LA RACE

La grande amitié que j’éprouve pour les Canadiens-Français ne m’aveugle pas au point de ne pas voir leurs défauts. Ces défauts sont presque tous inhérents à la race, on les retrouve chez nous.

Il en est un cependant qui leur est bien personnel et qui est le défaut de toutes les minorités : c’est une modestie exagérée, un manque de confiance en soi-même, une absence totale d’audace, de toupet, de « culot » (passez-moi cette image faubourienne). Tandis que son voisin, l’Américain pousse la certitude du succès jusqu’à l’extrême, jusqu’au « bluff » à outrance, tandis que l’Anglais reste éternellement convaincu de sa supériorité, le Canadien-Français, timide, se blottit dans l’ombre, craint de se montrer, n’a aucune hardiesse. Quelques uns, mais quelques uns seulement, protestent se révoltent contre les calomnies répandues sur la race, notamment au sujet de la langue. Les autres laissent dire, laissent faire.

Combien de fois des Canadiens-Français parfaitement instruits et parlant notre langue d’une façon irréprochable ne m’ont-ils pas dit : « Ah ! vous avez de la chance d’être Français ! vous connaissez bien notre langue, nous ne parlons pas si bien que vous ! » On leur a tellement dit sur tous les tons qu’ils parlaient mal, qu’ils ont fini, dirait-on, par le croire. Témoin ce rédacteur d’un grand journal de Montréal qui, dans une conférence disait à ses auditeurs : « Que nous parlions moins parfaitement que nos cousins de France, nous l’admettons. Mais que ce ne soit pas la même langue, la seule et l’unique, cela, nous nous y refusons de toutes nos forces. Nous l’avons trop longuement, trop énergiquement défendue, nous l’avons portée comme un drapeau vivant : c’est le plus noble et le plus pur trésor de notre héritage national. » Voilà donc un rédacteur de la grande presse imbu lui-même de cette idée qu’il parle moins bien que les Français. Cela fait honneur à sa modestie mais ne peut qu’encourager la calomnie.

« Mon cher rédacteur, quand on parle le français comme vous (et comme vous, au Canada, ils sont légion,) il ne faut pas croire qu’on le parle imparfaitement. Car ou je ne m’y connais pas ou le passage cité est d’une parfaite correction, je dirai même d’une parfaite élégance. »

Il faudrait que les Français qui visitent nos Canadiens leur crient une bonne fois : « Mais pas du tout, chers amis, pas du tout, vous ne parlez pas patois. Vous parlez aussi bien que nous. Vos articles du Devoir, de l’Action Catholique, de l’Action Française, du Droit, du Canada, de la Presse, de la Patrie, de toute votre presse en un mot sont d’une tenue littéraire parfaite. Et c’est par la presse qu’on peut juger de la langue d’un peuple. Naturellement il ne saurait être question ici des timides essais d’un reporter occasionnel ou des articles abracadabrants de la publicité. Tel et tel de vos « leaders » ferait bonne figure à la Rédaction du Figaro, du Journal ou des Annales. Soyez donc plus sûrs de vous-même. Vos docteurs, vos avocats, vos notaires, vos curés, vos commis, vos employés de commerce parlent le même français qu’en France. Ayez donc plus d’assurance, même pour les autres questions que les questions de langue. »

Nos Canadiens ne risqueront jamais d’imiter les Anglais qui eux, non seulement sont profondément persuadés de leur supériorité, mais croient, avec une candeur stupéfiante, que le monde entier en est persuadé. Pendant mon dernier séjour à Québec j’étais descendu dans une pension anglaise ; les autres étaient au complet. Mrs X. ; ma propriétaire anglaise, m’a pendant tout ce séjour, surabondamment démontré par son attitude, sa manière de me parler, sa morgue, ses silences même, qu’elle était d’une lignée de cent coudées au dessus de la mienne. Ce fait était, pour elle, l’évidence même, mais ne l’empêchait aucunement d’accepter mon argent à la fin du mois. Ce jour-là mais ce jour-là seulement, elle me gratifiait d’un large sourire découvrant ses dents, longues comme les touches d’ivoire d’un vieux piano.

Dans le « Roi des Montagnes », Edmond About a plaisamment mis en relief ce ridicule amusant. Il raconte l’histoire d’une vieille anglaise arrêtée par des brigands sur une route de Calabre. On lui vole son argent et ses bijoux. Ce qui la surprend le plus, ce qui la révolte, c’est le manque d’égards qu’on lui témoigne à elle Anglaise ! Je ne connais pas de satire plus mordante de la vanité des Anglais. Si cette vanité nous les rend parfois réjouissants, d’autres fois elle nous les rend insupportables ; par exemple en chemin de fer, dans les hôtels, aux bureaux de poste où ils prétendent passer les premiers. Pensez donc ! la première nation du monde !

Cependant, que nos Canadiens n’oublient pas qu’une pointe d’orgueil est salutaire pour une collectivité. Que leurs savants, leurs écrivains, leurs artistes, prennent nettement conscience de leur valeur, incontestable quand on songe à l’extrême jeunesse de ce peuple.

Qu’ils sachent mieux encourager les talents qui se font jour en faisant mentir le méchant proverbe : « Nul n’est prophète en son pays. » Qu’ils n’imitent pas ce jeune homme qui me confiait : « Si cela continue, je quitte le Canada. Tout le temps il faut défendre nos libertés une par une ; constamment l’on nous menace de nous ravir nos droits, notre langue, notre foi : c’est une lutte perpétuelle. Ce n’est pas une vie. J’en ai assez. » Je vous laisse à penser si j’ai vertement reproché à ce jeune Canadien-Français dont je n’ai pas rencontré le pareil, son peu de courage, son manque d’espoir : « Si les autres pensaient comme vous, lui ai-je dit, ce serait l’abdication complète, la reddition sans honneur, une honte pour toute la race. Ce n’est pas quand on entrevoit la Victoire qu’il faut parler de désertion. »

Un autre défaut des Canadiens-Français (et celui-là est bien de chez nous) c’est d’être trop souvent divisés entre eux. Ils ont, comme en France, la manie de se séparer en petits clans, en petites chapelles et de se combattre. Ces querelles ne peuvent que nuire à la vitalité de la Race.

Le clergé, lui-même, n’est pas exempt de ce défaut. Pourtant il faut ajouter, comme je l’ai déjà dit, que lorsqu’il s’agit d’une attaque venant du dehors et visant l’existence même de la race, tout le monde se lève et se retrouve sur le terrain de la défense.

Quand le Canadien-Français monte une entreprise, une grosse affaire comme une usine, une industrie quelconque, un hôpital, il manque d’audace. Je ne parle ici ni des sociétés en commandite, ni du gouvernement, ni des municipalités. Le Canadien-Français isolé ne se risque pas. Il ne jettera pas d’un seul coup sur le tapis la mise fastueuse que saura jeter à propos l’Américain. Il rognera sur tout, il économisera, se contentant d’un modeste bureau garni de rideaux défraîchis et de meubles d’occasion. Il ne vide jamais son bas de laine : il est français. L’Américain est plus hardi : c’est un beau joueur et la chance sourit aux beaux joueurs. S’il ne gagne pas du coup, s’il se ruine, il repart et il recommence. À son exemple les Canadiens-Français semblent se ressaisir et paraissent décidés à devenir plus audacieux, plus téméraires : témoins leurs grosses banques, leurs gros magasins de nouveautés, etc…

Pourtant ce manque de hardiesse, cette peur du risque sont-ils bien un défaut ? et puis-je le leur reprocher, moi, fils et petit-fils de français qui ont épargné sou par sou pour augmenter leur patrimoine ? Après tout, cette méthode du « gagne petit » a toujours réussi aux français : elle est dans le génie de la race, elle est héréditaire ! Ne la sacrifions pas par orgueil et par lucre à la manie des brasseurs d’affaires juifs et saxons.

Voici maintenant un dernier défaut que j’ai rencontré souvent chez nos Canadiens-français, les gens du peuple surtout : le défaut de tenue dans l’habillement. Ce défaut est encore bien français. (Est-il encore bien certain du reste que ce soit là un défaut ?) En France, il semble naturel qu’un couvreur, qu’un plombier ne soient pas habillés comme des « messieurs » et tirés « à quatre épingles ». Mais en Amérique, comme en Angleterre, l’ouvrier, le commis, le barbier, le comptable, le commerçant qui quittent le travail sont mis comme des « gentlemen ». Leur menton est toujours rasé de frais, leur faux col toujours blanc, la coupe de leurs vêtements toujours irréprochable, le pli du pantalon toujours marqué. Quand ils se comparent avec nos Canadiens-français, dont beaucoup ont conservé l’habitude française du port de la moustache et du pantalon sans pli, ils se trouvent infiniment supérieurs en raison de cet axiome mis à la mode par un grand tailleur : « Un homme bien habillé en vaut deux. » Le pli au pantalon : voilà qui ne marque pas nécessairement la supériorité d’une race !