LE RÉCIT D’UNE SŒUR

L’histoire de la captivité de la famille royale au Temple a été bien souvent racontée.

Cependant les récits originaux qui nous en sont parvenus et les documents qui s’y rapportent présentent des lacunes singulières.

Il est notamment bien extraordinaire que ceux des documents qui auraient pu fournir les renseignements les plus précis et les plus certains : les archives du Temple, aient presque complètement disparu. Et ce qui est plus étrange encore que leur disparition, c’est qu’elles n’ont pas été supprimées par la Convention ou par les gouvernements qui peuvent être considérés comme ses héritiers, mais par le gouvernement de la Restauration. On n’en saurait douter en présence d’une lettre du comte de Pradel, directeur de la maison de Louis XVIII, écrite en septembre 1817, qui constate que les registres, cartons et cachets relatifs à la détention de la famille royale au Temple ont été remis au ministre de l’intérieur, Bénézech, sur un reçu de celui-ci, à la date du 10 germinal an IV, mais qu’ils ne se retrouvent plus[1]. À cette époque de 1817 précisément, la Restauration faisait procéder, non sans une certaine mise en scène, à une enquête, dont le but déclaré était de rechercher, pour les récompenser, toutes les personnes qui avaient pu, « dans leur captivité, rendre le moindre service aux illustres prisonniers », et qui — chose inouïe — « se dérobaient à la reconnaissance royale ». Il est bien clair que, dans de telles circonstances, le fait de la suppression n’eût pas été simplement signalé dans ces termes discrets par le directeur de la maison du roi, s’il lui eût paru possible d’en faire porter la responsabilité ou le soupçon sur les régimes antérieurs.

À défaut des procès-verbaux officiels, il restait aux historiens la ressource de puiser dans les notes laissées par plusieurs témoins oculaires : le Journal de Cléry, qui est resté au service de Louis XVI jusqu’au jour de sa mort ; les Mémoires de Hue, qui avait pu organiser un service de correspondance entre Marie-Antoinette et ses amis du dehors ; la Relation enfin de Madame Royale, qui a vu se dérouler sous ses yeux les sanglantes péripéties du lugubre drame et qui est restée la dernière dans cette triste prison. Ces trois ouvrages ont été réunis en un seul recueil publié en 1817 et présentés au public comme « les seuls qui puissent inspirer une véritable confiance ».

Il semblerait en effet qu’on doive accorder toute créance à de tels témoignages. Mais on a la preuve qu’ils ont été gravement altérés et largement tronqués[2].

Mais enfin, tels quels, ils permettent de reconstituer à peu près complètement ce qui s’est passé dans la tour du Temple depuis le 13 août 1792 jusqu’au 8 juin 1795, du moins en ce qui concerne Louis XVI et les princesses ; car tout ce qui se rapporte au Dauphin est resté enveloppé d’une obscurité profonde, mystérieuse, inexplicable.

À cet égard, la Relation de Madame Royale donne même lieu à une remarque bien étrange. C’est le peu d’intérêt que semble inspirer à la fille de Louis XVI le sort de cet enfant, comme elle orphelin, qui vit et souffre à quelques pas d’elle et qui est son frère et son roi. Elle ne le voit jamais, cela est vrai ; toutes communications entre elle et lui sont interdites ; il est même défendu aux gardiens de lui en parler et de lui donner de ses nouvelles, cela est encore vrai. La raison de cette consigne ne se comprend pas : il faut admettre qu’elle existait. Mais enfin, personne ne croira que cette consigne cruelle n’ait jamais été enfreinte par la pitié compatissante ou par l’indiscrétion involontaire de quelque municipal ou de quelque employé de la prison. Laurent, aux attentions et aux égards respectueux duquel[sic] Marie-Thérèse elle-même rend hommage ; Meunier, Baron, Gomin surtout, dont le dévouement lui avait paru si appréciable, qu’elle réclama ses services pour l’accompagner jusqu’à la frontière lorsqu’elle sortit du Temple et qu’elle voulut lui témoigner sa reconnaissance en lui remettant, avant de quitter le sol français, quelques lignes, — des plus émues certainement qu’ait jamais tracées sa plume[3], — ces hommes empressés à lui plaire et à gagner ses bonnes grâces ne se seraient pas refusés à servir quelquefois d’intermédiaires entre elle et son malheureux compagnon de captivité.

Or, on trouve bien dans la Relation quelques mentions relatives à des renseignements qui lui auraient été donnés de temps en temps sur l’état du pauvre enfant prisonnier ; mais ces mentions sont d’une sécheresse d’expression extraordinaire. Et rien n’indique que jamais aucune entrevue ait eu lieu, que jamais aucun message affectueux et consolateur ait été porté d’une cellule à l’autre ; il y a plus : il ne semble pas que Marie-Thérèse ait jamais songé à faire aucune tentative dans ce but. Il est même impossible de lire la Relation sans avoir cette impression que la sœur du Dauphin y a évité autant qu’elle l’a pu de parler de son frère. Si incompréhensible que paraisse un tel sentiment, on dirait qu’elle éprouve à cet égard une invincible répugnance, qui se manifeste en maints passages de son récit.

Après avoir raconté la mort de sa tante, elle exprime ce vœu :


Puissé-je avoir toutes ses vertus et l’aller rejoindre un jour, ainsi que mon père et ma mère dans le sein de Dieu, où je ne doute pas qu’ils ne jouissent du prix d’une mort qui leur a été si méritoire.


Un peu plus loin, elle dit :


Voyant que lorsque je demandais aux municipaux d’être réunie à ma mère et d’avoir des nouvelles de ma tante


Puis quelques lignes plus bas :


Il est affreux, leur dis-je, d’être séparée de sa mère depuis plus d’un an, sans savoir de ses nouvelles, ainsi que de sa tante.


Puis encore, à propos d’une visite du Comité :


Mon plus grand malheur était de ne pouvoir obtenir d’eux des nouvelles de ma mère et de ma tante ; je n’osais leur en demander de mes oncles et de mes grand’tantes, mais j’y pensais sans cesse[4].


Jamais un mot pour demander des nouvelles de son frère, pour solliciter la permission de le voir, de lui porter des conseils, des consolations, des soins ! Jamais un mot pour associer son souvenir au souvenir des parents dont elle déplore l’absence et dont, plus tard, elle pleure la perte ! Est-ce que cela n’est pas étrange, monstrueux, profondément troublant ?

Telle est cependant la force des légendes que certains écrivains sérieux, dans l’esprit desquels le nom de Madame Royale est gravé une fois pour toutes comme synonyme d’un modèle de toutes les vertus, ne se sont pas arrêtés devant ce problème moral. Ils ne l’ont pas même aperçu, et, avec la bonne foi d’une solide prévention, ils ont tout simplement attribué à la sœur du Dauphin les sollicitudes et les préoccupations qu’elle devait avoir et supposé les démarches qu’elle devait faire.


Ah ! pourquoi ne lui permettait-on pas de descendre au deuxième étage, de se faire ouvrir la porte de la chambre où gémissait le pauvre enfant, de le secourir, de le consoler, de le soigner, de le sauver ? Elle serait son bon ange, elle l’arracherait à la misère et à la mort. Pour accomplir cette œuvre de délivrance et de salut, il lui faudrait seulement descendre quelques marches, et on le lui interdisait ! Quel supplice pour cette jeune fille sublime qui aurait donné mille fois sa vie pour sauver celle de son frère[5] !


C’est en ces termes éloquents et touchants qu’un de ses panégyristes nous dépeint ses angoisses fraternelles.

Qui ne répugnerait en effet à croire que ce cœur de seize ans soit resté glacé par une indifférence révoltante ; que le désir ardent de soulager les misères de l’orphelin, de préserver sa jeune âme d’influences délétères en remplissant auprès de lui le rôle de mère, n’ait pas été l’obsession des interminables heures de solitude et ne lui ait pas inspiré quelques sollicitations pressantes auprès des comités ou quelques tentatives de séduction, comme en hasardent tous les prisonniers auprès des plus farouches geôliers ?

Mais précisément parce qu’une telle supposition est impossible à admettre, la description émouvante des sentiments et des démarches que comporte la situation fait d’autant plus ressortir ce qu’il y a de stupéfiant dans le silence, dans les réticences du récit de Marie-Thérèse sur tous ces points.

Le même auteur dont on vient de lire un extrait nous assure aussi que Robespierre s’étant présenté dans sa prison, la jeune princesse, « qui ne le connaissait pas, se doutant qu’elle avait devant elle un individu du pouvoir, ne lui adressa pas un seul mot, mais lui remit un papier sur lequel ces lignes étaient tracées :


« Mon frère est malade ; j’ai écrit à la Convention pour obtenir d’aller le soigner ; la Convention ne m’a pas encore répondu ; je réitère ma demande. »


Il n’indique pas où il a pris ce renseignement[6], ce qui serait intéressant à savoir : car l’incident, si l’on prend la peine d’y réfléchir, est bien tout ce qu’on peut imaginer de plus invraisemblable. Il faudrait admettre, non pas seulement que Marie-Thérèse s’est « doutée qu’elle avait devant elle un individu du pouvoir », mais qu’elle avait été prévenue de cette visite d’un individu du pouvoir, pour avoir tenu prêt le billet. L’on se figure d’ailleurs assez difficilement la prisonnière accueillant un personnage comme Robespierre avec le silence et l’attitude du dédain, et le « divin » Maximilien recevant ce billet préparé par un parti pris d’impertinence, ou attendant avec une patiente condescendance que la hautaine fille de Louis XVI ait crayonné quelques lignes pour éviter de lui adresser la parole. L’anecdote a été évidemment inventée par quelqu’un des écrivains de la Restauration, et il n’est pas difficile à qui a étudié avec un peu d’attention le système suivi par ces historiens de démêler à quel ordre de besoins elle répond.

Mais si le fait était vrai, la même question se poserait encore une fois : comment expliquer que Marie-Thérèse, qui raconte la visite de Robespierre[7], ne fasse aucune mention de la demande qu’elle lui aurait remise, non plus que de la requête qu’elle aurait précédemment adressée à la Convention ?

S’il fallait en croire les récits plus savamment fantaisistes que M. de Beauchesne a essayé d’introduire dans l’histoire sous la garantie d’un étrange témoin trouvé par lui, le gardien Gomin, on aurait même à enregistrer une omission qui révolterait tous les sentiments humains. Voici ce que raconte Beauchesne, avec un luxe de détails et un habile choix d’expressions propres à simuler la reproduction textuelle d’une note prise au moment du fait :


Il était expressément défendu de laisser se rencontrer les enfants de Louis XVI. Mathieu avait signifié cette prohibition de la manière la plus formelle ; aussi ne tint-on aucun compte de l’observation philanthropique du philosophe Delboy[8]. Depuis leur séparation, le 3 juillet, et leur confrontation, le 7 octobre 1793, Madame Royale n’avait point vu une seule fois son frère. Aujourd’hui 3 frimaire an III (23 novembre 1794), elle l’a aperçu par l’escalier au moment où elle rentrait dans sa chambre avec Laurent et où Gomin, escorté du commissaire de service du nom d’Alavoine, sortait de celle du Dauphin, emmenant l’enfant se promener avec lui sur la terrasse ; mais il ne lui a été donné ni de l’embrasser ni de lui parler.


Madame Royale ne dit pas un mot de cette rencontre.

Et certes, pourtant, si elle avait eu lieu, c’eût été, dans la triste et lugubre monotonie de sa vie de recluse, l’événement le plus mémorable, le plus émouvant. Marie-Thérèse aurait un jour aperçu ce frère chéri, ce frère malheureux ; elle aurait passé à quelques pas de lui ; ses gardiens — ces gardiens dont elle se loue — auraient eu le courage barbare de lui ravir une consolation fugitive que le hasard lui offrait ; ils auraient eu la dureté et la présence d’esprit d’arrêter l’élan qui devait irrésistiblement la jeter dans les bras de son frère, ils l’auraient précipitée dans sa chambre pour empêcher un appel et un cri d’étonnement douloureux et joyeux tout à la fois ; — et Marie-Thérèse aurait oublié cette scène inoubliable !

Non ! cela est impossible. M. de Beauchesne et l’honnête Gomin ont eu leurs raisons pour inventer cet épisode : des raisons qu’il ne convient pas de rechercher ici. Ou bien alors ce serait Madame Royale qui aurait été empêchée de parler de cette rencontre avec l’enfant détenu auprès d’elle, par des raisons que la sagacité du lecteur saura apercevoir.

Dans tous les cas, un fait subsiste : c’est qu’un sentiment invincible a contraint, aussi bien les historiens naïvement bienveillants que les panégyristes de parti pris, à pallier, par des suppositions gratuites, la choquante indifférence que laisse voir la Relation de Madame Royale pour tout ce qui regarde son frère. La seule sollicitation qu’elle déclare avoir faite en faveur du pauvre enfant est celle-ci :


Il ne se trouva qu’un seul garde dont les manières plus honnêtes m’engagèrent à lui recommander mon pauvre frère. Il osa parler de la dureté qu’on avait pour lui, mais il fut renvoyé le lendemain[9].


Si la Relation de Madame Royale trahit une inconcevable répugnance à parler de son frère, elle dénote aussi un non moins inconcevable dédain de l’exactitude dans les rares passages qu’elle lui consacre.

Deux exemples suffiront à cet égard.

À l’occasion du départ de Simon, Marie-Thérèse veut tracer le tableau des mauvais traitements infligés au Dauphin et y fait entrer ces détails :


Il était dans un lit qu’on n’avait pas remué pendant plus de six mois et qu’il n’avait plus la force de faire ; les puces et les punaises le couvraient, son linge et sa personne en étaient pleins. On ne l’a pas changé de chemise et de bas pendant plus d’un an ; ses ordures restaient aussi dans sa chambre, jamais personne ne les a emportées pendant tout ce temps…


Rien n’est vrai dans ce tableau poussé au noir.

Le Dauphin est resté sous la garde de Simon pendant six mois : du 3 juillet 1793 au 19 janvier 1794 ; et il est parfaitement établi que, s’il eut en effet à souffrir de la brutalité de son infâme « instituteur », les soins matériels qu’exige l’entretien d’un enfant lui furent toujours donnés par la femme Simon. Il est également établi qu’à cette époque sa santé n’était pas sérieusement altérée. Comme, d’ailleurs, il habitait le même logement que ses gardiens, il est de toute évidence que les détails qu’on vient de lire sont impossibles à admettre. On ne peut pas mieux les appliquer à un autre temps, en supposant une confusion d’époque. Du 19 janvier au 28 juillet 1794, s’écoula la période la plus dure de la captivité du royal enfant. Placé, sans gardien spécial, sous la surveillance roulante de membres des sections qui se relevaient tous les jours, il fut alors réellement laissé dans un état d’abandon et d’incurie lamentable, mais que, pour leur commodité personnelle, les commissaires de service n’auraient pu tolérer au degré indiqué par Madame Royale et qui, dans tous les cas, n’aurait pas duré autant qu’elle le dit. À partir du 28 juillet jusqu’à la fin de mars 1795, il fut confié à un commissaire spécial, Laurent, dont Madame Royale elle-même se loue en termes exprès. Laurent enfin fut remplacé par Gomin, dont nous savons à quel point elle apprécia la sollicitude et les attentions.

Ce qui est plus extraordinaire encore et ce qui confond l’imagination, c’est que Marie-Thérèse ne sait même pas exactement à quelle date serait mort son frère. Le décès de l’enfant prisonnier a eu lieu le 20 prairial (8 juin), ainsi que le constate l’avis officiel notifié à la Convention[10] ; et Madame Royale le fixe au 9 juin !

La page contenant le récit de cette mort mérite d’ailleurs d’être citée intégralement ; car elle n’est pas seulement remarquable par l’erreur de date. C’est un spécimen d’oraison funèbre d’un genre particulier, où ne se fait guère entendre l’accent d’une sœur pleurant son frère, d’une fille de France pleurant son roi.


La maladie de mon frère empirait de jour en jour ; ses forces diminuaient ; son esprit même se ressentait de la dureté qu’on avait si longtemps exercée envers lui et s’affaiblissait insensiblement. Le Comité de sûreté générale envoya pour le soigner le médecin Dessault[sic] ; il entreprit de le guérir, quoiqu’il reconnût que sa maladie était bien dangereuse. Dessault mourut ; on lui donna pour successeurs Dumangin et le docteur Pelletan. Ils ne conçurent aucune espérance. On lui fit prendre des médicaments qu’il [avala avec beaucoup de peine. Heureusement sa maladie ne le faisait pas beaucoup souffrir ; c’était plutôt un abattement et un dépérissement que des douleurs vives. Il eut plusieurs crises fâcheuses ; la fièvre le prit ; ses forces diminuaient chaque jour et il expira sans agonie.

Ainsi mourut le 9 juin 1795, à trois heures après-midi[11], Louis XVII, âgé de dix ans et deux mois. Les commissaires le pleurèrent amèrement, tant il s’était fait aimer d’eux par ses qualités aimables. Il avait eu beaucoup d’esprit, [mais la prison et les horreurs dont il a été victime l’avaient bien changé et même s’il eût vécu, il est à craindre que son moral n’en eût été affecté.]

Je ne crois pas qu’il ait été empoisonné, comme on l’a dit, et comme on le dit encore : [cela est faux, d’après le témoignage des médecins qui ont ouvert son corps, où ils n’ont pas trouvé le moindre vestige de poison. Les drogues qu’il avait prises dans sa dernière maladie ont été décomposées et se sont trouvées saines.] Le seul poison qui ait abrégé ses jours, c’est la malpropreté jointe aux horribles traitements, à la cruauté et aux duretés sans exemple qu’on a exercées envers lui.

[Telles ont été la vie et la fin de mes vertueux parents, pendant leur séjour au Temple et dans les autres prisons.]

Fait à la tour du Temple.

Si l’on ne devait voir dans ces lignes glaciales qu’un simple mémento destiné à servir de canevas à une relation plus complète, et livré tel quel à la publicité, on n’en éprouverait pas moins une pénible impression à n’y sentir rien qui révèle la moindre émotion. Mais combien cette impression s’aggrave quand on constate qu’on a sous les yeux un texte remanié et corrigé ! Les trois phrases placées entre les signes [ ] ne se trouvent pas dans l’édition publiée en 1817 sous le titre de Mémoires particuliers ; et dans la même édition, à la place de cette autre phrase : « Je ne crois pas qu’il ait été empoisonné, comme on l’a dit et comme on le dit encore », on lit ceci : « Il n’a pas été empoisonné, comme quelques personnes l’ont cru. » Ainsi les mots ont été pesés, la portée des expressions a été mesurée, le choix a été soigneusement fait de ce qui devait être ajouté ou retranché. Et voilà tout ce que le cœur de cette « jeune fille sublime » lui a inspiré pour raconter la mort de son frère et de son roi !

Elle donne sur les phases de la maladie des détails qu’elle n’a pu connaître avec certitude. Tout en déclarant que ses gardiens lui étaient affectionnés au point de le regretter amèrement, elle tient à le présenter comme à peu près hébété : préoccupation singulière qui semble tendre à affaiblir les regrets des fidèles au lieu d’exciter des sentiments compatissants à sa propre douleur. Elle éprouve le besoin de donner son avis sur la question de l’empoisonnement et interprète même sur ce point, d’une façon extrêmement hasardée, les constatations du procès-verbal d’autopsie. Mais il est d’autres questions qui, à cette époque et longtemps après, occupèrent l’opinion encore plus que celle-là, et qui, pour la sœur de Louis XVII, étaient d’un intérêt bien autrement poignant. Car elles ne soulevaient pas des doutes sur les causes d’un malheur irréparable : la mort ; mais des espérances sur un fait plein de consolation et de joie : la délivrance et la vie. Et sur ces questions pas un mot ! pas la trace d’une préoccupation ! pas le souvenir d’un élan qui l’aurait emportée un instant vers un espoir, fût-il chimérique ! Pas même une allusion à des motifs interdisant cet espoir !

Des commentaires et des soupçons auxquels donnèrent lieu les décès subits et successifs de Desault, de Chopart, de Doublet, on dirait qu’elle n’a jamais rien su. — « Dessault[sic] mourut, on lui donna pour successeurs Dumangin et le docteur Pelletan. » — C’est en ces termes qu’elle mentionne des faits qui avaient jeté l’émoi dans le corps médical et ouvert le champ à toutes les suppositions sur le sort de l’enfant-roi.

Des bruits qui se répandirent partout de l’évasion du jeune Louis XVII et dont les notes de police de l’époque signalent la persistance, on dirait également qu’aucun écho n’est parvenu jusqu’à elle. Si absurdes que pussent être ces bruits, on ne saurait concevoir qu’elle n’en ait pas été troublée. Et, en admettant même que pour elle toute incertitude fût impossible, il resterait encore inexplicable qu’une erreur de l’opinion pouvant aboutir à un schisme monarchique lui ait paru moins digne d’être rectifiée par son témoignage, qu’une erreur sur la question rétrospective de la mort naturelle ou de l’empoisonnement.

Un seul fait aurait pu rendre la sœur du Dauphin inaccessible à tout espoir ou à tout doute : qu’elle eût vu son frère mort. Mais n’est-ce pas le comble de l’étrange que son récit soit muet à cet égard ?

Si on lui a permis de contempler ces restes si chers, le souvenir de cette veillée funèbre auprès de la dernière des quatre victimes de son sang, frappées à ses côtés, s’est-il si vite effacé de son esprit et de son cœur, qu’elle ait plu clore la Relation des événements arrivés au Temple sans y déposer même quelque cendre de ce souvenir ? Ou peut-on imaginer un motif plausible qui l’ait contrainte à ce silence ?

Si cette consolation suprême lui a été refusée de mettre un dernier baiser sur le front de son frère, de lui fermer les yeux, de prier auprès de son lit mortuaire, on doit croire au moins qu’elle l’a implorée comme une grâce inestimable, qu’elle a supplié et pleuré pour l’obtenir et que la cruauté d’un tel refus a ravivé et exaspéré la douleur de toutes ses plaies saignantes et soulevé jusqu’à la tempête son indignation contre des bourreaux capables d’une telle barbarie. Et pas un cri de révolte ! Pas un mot de plainte ! Pas même l’expression d’un désir formulé ou seulement d’un regret conçu !

Tout cela fait rêver. Tout cela est si contraire à la logique des sentiments humains, qu’à vouloir y réfléchir, l’esprit s’arrête interdit comme devant une énigme redoutable.

Il n’est cependant pas impossible peut-être d’en pénétrer le premier mot, si l’on se rappelle ce que dit Eckart, quand il exprime la crainte que la publication indiscrète et altérée des Mémoires particuliers ne prive à jamais de Mémoires plus étendus auxquels ils devaient servir de base. Le cadre de ces Mémoires plus étendus — qui n’ont jamais paru en effet — comprenait évidemment ce qu’on est étonné de ne pas trouver dans les éditions livrées à la publicité. Mais alors l’énigme, pour être découverte sur une de ses faces, n’en devient que plus troublante dans ce qu’elle laisse à deviner.

Pour aller jusqu’au fond du mystère et pour chercher le sens caché et la raison secrète de ces incohérences, il faudrait franchir les limites volontairement marquées à la présente étude. Aussi bien, à poursuivre simplement l’exposé des faits qu’elle comporte, on est frappé tout naturellement des lueurs révélatrices qui jaillissent à chaque pas.

Si la Relation de Madame royale s’arrête si brusquement à la date du 9 juin 1795, ce n’est pas que les derniers mois de sa captivité aient été vides d’événements dignes de sa plume. Ce n’est donc pas, par conséquent, comme on a voulu le prétendre, qu’une superstition de respect filial ou de modestie personnelle ait fait tomber cette plume de ses mains, parce qu’elle n’aurait plus eu qu’à parler d’elle-même[12]. Les observations qui précèdent le démontrent surabondamment.

On trouve d’ailleurs à cet égard une indication bien significative dans ce fait que l’édition de 1817 ne contient pas les dernières lignes qui ont été ajoutées à celles de 1823, dans le but, trop maladroitement dissimulé, de donner discrètement cette utile impression au lecteur.

Il n’est pas besoin de faire remarquer en outre que cette interruption du récit coïncide précisément avec l’époque où, les communications avec le dehors étant autorisées, la lumière put se faire pour la recluse sur les faits que le régime cellulaire lui avait laissé ignorer ou ne lui avait permis de connaître que très incertainement et très imparfaitement : sur le sort de ses parents, sur tous les détails cruellement intéressants qu’une orpheline frappée par tant de deuils devait être avide d’apprendre, de graver dans sa mémoire et de consigner avec exactitude.

À peine, en effet, la chambre au dessous de la sienne fut-elle vide du cercueil de l’enfant qui venait d’y mourir, que les consignes s’abaissèrent, comme les ponts-levis d’un château enchanté, à l’heure fatale où cesse la puissance des maléfices.

C’est le 24 prairial (12 juin), d’après la note officielle du Moniteur, que fut porté au cimetière Sainte-Marguerite le corps du défunt désigné sous le nom de Charles-Louis Capet. Le lendemain même (25 prairial), le Comité de sûreté générale, ayant décidé « qu’il serait placé auprès de la fille de Louis Capet une femme pour lui servir de compagnie », se trouvait déjà en mesure de faire son choix entre « trois femmes recommandables par leurs vertus morales et républicaines », et nommait à cet emploi « la citoyenne Madeleine-Élisabeth-Renée Hillaire La Rochette, femme du citoyen Bocquet de Chanterenne, demeurant rue des Rosiers, 24, section des Droits de l’homme[13] ».

Mme de Chanterenne entrait aussitôt en fonctions, et alors — dit un auteur que nous avons déjà cité[14] — s’engagea ce dialogue entre la jeune princesse et sa nouvelle compagne : « Où est ma mère ? — Madame n’a plus de mère. — Et mon frère ? — Plus de frère. — Et ma tante ? — Plus de tante. — Eh quoi ! Élisabeth aussi ? Mais qu’ont-ils pu lui reprocher ? »

Quelques jours après, les dispositions favorables du gouvernement à l’égard de Marie-Thérèse se manifestèrent de nouveau par un arrêté ordonnant qu’il lui soit délivré des vêtements neufs.

Des vêtements noirs sans doute ? Car pour cette « jeune fille sublime », pour cette princesse si pénétrée de respect et de religion à l’égard de tous les devoirs, de toutes les traditions, de toutes les convenances, ce serait comme un sacrilège de ne pas porter le deuil du roi de France qui était son frère[15].

Et certainement le gouvernement de Thermidor, qui, à défaut d’une dame d’honneur qu’il n’ose pas encore lui accorder, vient de lui donner une dame de compagnie, ne lui refusera pas ce que la reine Marie-Antoinette, après la mort de Louis XVI, a obtenu pour elle et ses enfants, au plus fort du régime de la Terreur[16].

Le gouvernement ne fit en effet aucune difficulté de lui procurer les objets qu’elle demanda[17]. Eh bien ! il y a de quoi en demeurer stupide d’étonnement, voici quelle était sa toilette, d’après le fidèle Gomin :


Maintenant sa mise était très convenable. Le matin, dans sa chambre, elle était en redingote de satin blanc ; toute la journée en robe de nankin ; le dimanche elle se mettait en robe de linon, et toutes les fêtes solennelles, elle se parait d’une robe de soie verte. Sa belle chevelure, si abondante que les femmes à la mode de l’époque prétendaient qu’elle portait perruque, flottait comme par le passé dans un aimable négligé, retenue avec un ruban et quelquefois par un fichu attaché sur le devant de la tête.


Les mêmes détails sont donnés, presque dans les mêmes termes, par un autre contemporain, dans un petit opuscule de 150 pages in-18, intitulé : « Les adieux de Marie-Thérèse-Charlotte de Bourbon, Almanach pour l’année 1796, par M. d’Albins, à Basle, chez Toumesen, libraire, 1796. » — M. d’Albins est le pseudonyme de Michaud, qui, après avoir été, comme chacun sait, un des « courtisans de l’exil », en fut largement récompensé à la Restauration.

La dernière partie de cet ouvrage contient, sous ce titre : « Bulletin du Temple », des notes portant différentes dates, du 10 août au 19 décembre 1795. En voici quelques extraits intéressants :


(P. 114.) Du 10 août. — Il a été fourni depuis plus d’un mois, par suite des arrêtés des Comités de gouvernement, pour Marie-Thérèse… vingt-quatre chemises toile de Hollande superfine, — six paires de bas de soie de couleur, — six paires de souliers, — deux déshabillés de taffetas de couleur, — deux déshabillés de pékin et cotonnade avec taffetas de couleur pour doublure…

(P. 122.) Du 20 septembre. — Marie-Thérèse n’ignore plus les malheurs de sa famille ; elle passe presque tous ses moments à écrire pour se distraire de ses chagrins ; elle est tous les jours en robe de nankin ; tous les dimanches elle se met en robe de linon et toutes les fêtes solennelles elle se pare d’une robe de taffetas vert. Les dames de Tourzel y vont trois fois par semaine[18]

(P. 126.) Du 15 octobre. — Chaque jour apporte un adoucissement à la détention de la jeune prisonnière du Temple. Sous le régime de Robespierre, elle n’avait qu’une robe noire, qui la couvrait à peine ; maintenant elle est vêtue très décemment[19]. On lui a montré plusieurs étoffes, elle en a choisi pour faire des robes ; quand elle en demandait deux, on avait toujours le soin d’en mettre trois ou quatre, pour ne lui laisser rien à désirer.


Le même auteur nous apprend d’ailleurs que la jeune orpheline ne se montrait pas plus en deuil par son attitude que par ses vêtements. À la date du 15 novembre, il consigne une anecdote sur une chèvre qui « occupe ses soins » et qui, « reconnaissante, la suit familièrement. Un commissaire ayant appelé ce fidèle animal… la chèvre n’a point voulu le suivre, ce qui a beaucoup fait rire Marie-Thérèse » (p. 128) ; et quelques lignes plus loin cette observation :


La santé de Marie-Thérèse ne paraît point altérée. Elle sait maintenant qu’elle doit aller à la cour de l’empereur ; c’est sans doute ce qui contribue à lui donner la gaîté qu’elle fait paraître.


Ces véridiques tableaux, tracés au jour le jour, d’après les renseignements donnés par le mari et la sœur de Mme de Chanterenne, ne ressemblent guère aux récits touchants qui représentent Madame abîmée dans une incurable douleur et semblable à Rachel qui ne veut pas être consolée.

Qu’on veuille bien excuser ici une petite digression qui montrera, saisi sur le vif, un exemple assez innocent, mais amusant dans sa simplicité, des procédés par lesquels un peintre habile sait embellir un portrait d’une touche qui, maladroitement posée, en eût détruit l’harmonie. Cet exemple est pris dans une étude sur la duchesse d’Angoulême par un écrivain distingué et certainement consciencieux, auquel on ne saurait vraiment faire un crime de s’éprendre un peu trop facilement de ses modèles.

L’anecdote de la chèvre familière lui a plu. Pour n’en pas priver ses lecteurs, il l’a empruntée à l’Almanach de Bâle, et l’a citée entre guillemets, comme extraite textuellement. — Textuellement, pas tout à fait, mais on aurait sans doute mauvaise grâce à chicaner pour un seul mot changé, — et combien délicatement ! Trouvant apparemment qu’un éclat de gaîté détonnait un peu, dans une enceinte pleine de tant de souvenirs douloureux et si récents, l’écrivain respectueux des nuances a remplacé : « ce qui fit beaucoup rire par : « ce qui fit doucement sourire Marie-Thérèse. » C’est à peine une altération, — ce n’est presque qu’une atténuation, mais qui suffit pour que la figure de son héroïne garde la teinte de touchante mélancolie qu’il a voulu lui donner[20].

On pourrait cependant ne pas se sentir absolument choqué de ce qu’une prisonnière de seize ans, sevrée depuis trois longues années de toute consolation, de toute distraction, aurait été un peu étourdie par les premières bouffées d’espérance et de liberté, et de ce que, sous l’influence d’un renouveau enivrant, la sève de sa jeunesse aurait un instant bouillonné et fait explosion en un fugitif transport de naturelle allégresse.

Mais, sans avoir le sens des convenances à ce point affiné et susceptible qu’un accès passager d’hilarité le blesse comme une dissonance insupportable, on éprouve l’impression douloureuse, le sursaut de révolte et d’indignation que cause un scandale, à la pensée que dans la prison même où vient de mourir, il y a quelques jours à peine, l’enfant qui pour elle était le roi de France son frère, Madame Royale s’occupe d’assortir des toilettes variées et se montre parée de robes de nankin et de robes de taffetas vert.

On voudrait n’y pas croire. N’est-on point en présence d’inventions dues à la malignité d’ennemis perfides ou à la fantaisie de chroniqueurs plus soucieux du pittoresque que de l’exactitude et de la vraisemblance ? Mais non. Tout doute est impossible. Ces incroyables détails sont fournis par des témoins oculaires et dont les sentiments à l’égard de l’orpheline du Temple vont au delà du respect et de la vénération[21]. Et — ce qui précipite vraiment l’esprit dans un abîme de réflexions — ils les rapportent, ces détails, comme la chose la plus simple du monde.

Est-ce par une influence communicative de cette simplicité et de cette absence d’arrière-pensée qui caractérisent les premiers récits, ou par la vertu hypnotisante de préventions favorables admises à priori ? Ce qu’il y a de sûr, c’est que l’étrangeté, l’énormité de ce fait que la sœur du Dauphin n’a pas porté son deuil, n’ont choqué aucun des historiens postérieurs. Ils paraissent n’y avoir même pas pris garde[22]. Il en résulte des contrastes et des inconséquences bizarres. Dans l’ouvrage cité plus haut, où, par un pieux scrupule, une épithète imparfaitement congrue a été effacée et remplacée par une autre plus décente, on est stupéfait de voir la description des toilettes vertes et jaunes reproduite d’après Gomin, y compris l’appréciation de celui-ci sur ce que la mise de Madame avait de convenable. Par un hasard ironique de la typographie, ce passage s’étale précisément en regard du dialogue émouvant : « Où est mon frère ? — Madame n’a plus de frère. » Habent sua fata libelli.

Tout ce qui se passe dans ces derniers mois de 1795 est — il faut l’avouer — de nature à déconcerter quiconque chercherait l’enchaînement logique des événements. L’histoire ne présente aucun exemple d’un changement à vue aussi fantastique que celui qui se produit alors.

Le 9 thermidor avait eu des effets aussi soudains et aussi saisissants ; du jour au lendemain, la physionomie de Paris et de la France entière s’était transformée. Mais il n’y eut là rien que de très normal et de très explicable. L’exécution de Robespierre mettait fin à un régime qui avait tenu le pays haletant sous une horrible oppression ; la respiration étouffée redevenait subitement libre ; la vie reprenait son cours avec une exubérance nouvelle. C’est un phénomène moral qui peut être constaté à la chute de toute tyrannie.

Mais ici rien de pareil. Un enfant vient de mourir au fond d’une prison. Cet enfant, il est vrai, était l’espoir des ennemis de la République ; il personnifiait à leurs yeux le principe de la royauté. Mais enfin sa mort ne détruit pas le principe, et ne supprime aucun des périls qui menacent le pouvoir existant. Aucune modification essentielle ne s’ensuit dans les conditions d’existence de la nation ou du gouvernement.

Et cependant, à l’instant tout change de face.

Tant que cet enfant a vécu, un silence de mort a plané sur cette tour fermée comme un tombeau ; et, comme si ce tombeau eût recélé un mystère redoutable, il semble que le passant en détournait ses regards et s’efforçait d’en détourner sa pensée. Dès que l’enfant est mort, l’appareil lugubre disparaît, la vie renaît, le silence cesse, les portes s’ouvrent.

À voir la rapidité avec laquelle éclatent et se succèdent les actes et les motions qui marquent les dispositions nouvelles des gouvernants et l’affranchissement de l’opinion publique, on dirait qu’un charme est rompu, qui paralysait des bonnes volontés pressées de se manifester et retenait des intercessions prêtes à se produire.

On n’a pas oublié l’arrêté pris par le Comité de sûreté générale, le lendemain même de l’inhumation, pour donner une dame de compagnie à Marie-Thérèse. Trois jours après, le 16 juin, paraissait dans le journal de Perlet un article réclamant des mesures de clémence en faveur de la jeune prisonnière. Le 18 juin, une députation de la ville d’Orléans se présentait à la barre de la Convention et remettait une pétition tendant à sa mise en liberté. Quelques jours plus tôt, c’eût été s’offrir au bourreau que de faire entendre dans cette assemblée des paroles comme celles-ci :


Citoyens représentants, tandis que vous avez rompu les fers de tant de malheureuses victimes d’une politique ombrageuse et cruelle, une jeune infortunée, condamnée aux larmes, privée de toute consolation, de tout espoir, réduite à déplorer ce qu’elle avait de plus cher, la fille de Louis XVI languit encore au fond d’une horrible prison. Orpheline si jeune encore, si jeune encore abreuvée de tant d’amertumes, de tant de deuils, qu’elle a douloureusement expié le malheur d’une si auguste naissance ! Hélas ! qui ne prendrait pitié de tant de maux, de tant d’infortunes, de son innocence, de sa jeunesse ?… Venez, entourez tous cette enceinte, formez un cortège pieux, Français sensibles, et vous tous qui reçûtes des bienfaits de cette famille infortunée ; venez, mêlons nos larmes, élevons nos mains suppliantes et réclamons la liberté de cette jeune innocente, nos voix seront entendues ; vous allez la prononcer, citoyens représentants, et l’Europe applaudira à cette résolution, et ce jour sera pour nous, pour la France entière, un jour d’allégresse et de joie.


La terrible Convention écouta sans colère cet appel à la clémence en faveur de la fille des tyrans. Il est même probable qu’elle l’avait en secret encouragé, sinon provoqué, car cette manifestation servait des projets déjà formés et des négociations entamées au lendemain de l’événement qui avait si singulièrement fait tourner le vent à la réaction. Le 30 de ce même mois de juin (12 messidor an III), Treilhart, au nom des Comités de salut public et de sûreté générale, présentait un rapport contenant la proposition officielle d’échanger la fille de Louis XVI contre les prisonniers français détenus par l’Autriche. Ce rapport était habilement motivé :

Les triomphes du peuple français, l’espoir de tous les hommes éclairés, l’opinion du monde entier, sanctionnent la République. Il serait insensé de douter de son affermissement. Le moment est donc venu où il peut convenir de fixer ses regards sur la fille du dernier roi des Français. Un devoir impérieux, la sûreté de l’État, vous prescrivit la réclusion de cette famille. Aujourd’hui, vous êtes trop forts pour que cette mesure de rigueur soit encore indispensable. Vos Comités vous proposent de faire servir un acte d’humanité à la réparation d’une grande injustice. La plus odieuse et la plus noire des trahisons a livré des représentants du peuple et un ministre de la République à une puissance ennemie ; cette même puissance, par la violation du droit des nations, a fait arrêter des citoyens revêtus du titre le plus sacré, celui d’ambassadeur. Dans cet échange, nous nous désistons d’un droit pour faire cesser une injustice. Ce sera au gouvernement de Vienne à bien réfléchir sur ces considérations ; il optera entre son attachement aux liens du sang et le désir de prolonger une vengeance odieuse et inutile. Nous n’avons pas pensé que cet objet dût devenir celui d’une négociation ; il suffira que vous vous expliquiez, et les généraux français seront chargés de transmettre votre déclaration aux généraux des armées autrichiennes.


Les considérations présentées par le gouvernement étaient bien celles qui pouvaient le mieux flatter les passions de l’Assemblée et déterminer son adhésion. Mais au fond elles ne résisteraient pas à un examen sérieux. À les prendre à la lettre, il en faudrait conclure que l’affermissement de la République dépendait de la mort de l’enfant du Temple et que, la veille de cette mort, le gouvernement n’était pas assez fort pour que les mesures de rigueur et la réclusion eussent cessé d’être indispensables.

L’événement qui venait de se produire ne supprimait aucun prétexte et n’enlevait aucune force ni à la Vendée, ni à l’émigration, ni à la coalition ; et, loin qu’il diminuât le péril résultant de l’opposition monarchique, il l’aggravait certainement, en ralliant au comte de Provence un bon nombre de royalistes qu’inquiétaient et retenaient dans la réserve ses allures de régent, et en poussant celui-ci à redoubler d’ardeur et d’activité dans ses intrigues, sous l’influence du stimulant nouveau qui aiguillonnait son ambition impatiente.

La raison vraie du revirement si brusque et si étonnant dont le 8 juin a marqué la date reste donc un mystère.

La Convention se conforma aux vues de ses Comités et, le jour même, rendit le décret suivant :


La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses Comités de salut public et de sûreté générale, déclare qu’au même instant où les cinq représentants du peuple, le ministre, les ambassadeurs français et les personnes de leur suite, livrés à l’Autriche ou arrêtés et détenus par ses ordres, seront rendus à la liberté et parvenus aux limites du territoire de la République, la fille du dernier roi des Français sera remise à la personne que le gouvernement autrichien déléguera pour la recevoir ; et que les autres membres de la famille de Bourbon[23], actuellement en France, pourront aussi sortir du territoire de la République. La Convention nationale charge le Comité de salut public de prendre toutes les mesures pour la notification et l’exécution du présent décret. — La Convention nationale décrète que le rapport sera imprimé, distribué et inséré en entier au Bulletin.


En même temps que ces mesures étaient prises pour hâter sa délivrance, Marie-Thérèse voyait le régime du Temple se modifier subitement au point de ressembler plutôt à celui d’une maison de retraite qu’à celui d’une prison.

On s’était empressé de lui remettre des livres, du papier, des crayons, de l’encre de Chine, des pinceaux. Elle avait la permission d’aller et de venir à son gré. Elle faisait de longues promenades dans le jardin ; elle prenait des croquis de la Tour du Temple. La tolérance dont on usait à son égard était si grande, que les abords de l’enceinte du Temple étaient devenus comme un lieu de pèlerinage pour les royalistes de Paris, qui s’ingéniaient de mille façons à rendre leurs hommages à la fille de Louis XVI.

Dans l’enceinte même de l’enclos du Temple se trouvait une maison ovale, appelée la Rotonde, d’où la vue plongeait sur la Tour et sur le jardin. Hue, l’ancien valet de chambre du roi, y avait une chambre :


De mes fenêtres, dit-il dans ses Mémoires, je voyais Madame et je pouvais en être aperçu ; elle put même entendre chanter dans cette chambre une romance qui lui annonçait que bientôt les portes de sa prison allaient s’ouvrir :


Calme-toi, jeune infortunée,
Bientôt ces portes vont s’ouvrir ;
Bientôt, de tes fers délivrée,
D’un ciel pur tu pourras jouir.
Mais en quittant ce lieu funeste
Où règne le deuil et l’effroi,
Souviens-toi du moins qu’il y reste
Des cœurs toujours dignes de toi.


L’auteur de cette romance était M. Lepitre, officier municipal. C’est là aussi que j’amenais Mlle de Brévannes, pour qu’elle essayât, en faisant de la musique, de distraire cet ange de douceur et de vertu. Mlle de Brévannes a composé à cette occasion la complainte suivante de la Jeune Prisonnière (paroles et musique), qu’elle a chantée en cet endroit avec beaucoup d’autres :


Au fond de cette tour obscure
Où m’a confiné le malheur,
Vainement toute la nature
Me paraît sourde à ma douleur.
Ah ! cependant des cœurs sensibles,
Que je sais s’occuper de moi,
Rendent mes chaînes moins pénibles
En me prouvant encor leur foi.

L’intérêt, ni la flatterie,
N’ont point inspiré leurs accents.
Par eux je fus toujours chérie ;
Je dois tout à leurs sentiments.
Oui, seule je les intéresse ;
Sans l’éclat pompeux des grandeurs,
Sans récompense ni promesse,
Je règne à jamais sur leurs cœurs.


On chantait aussi aux fenêtres de la rue de la Corderie, qui longeait l’enclos du Temple du côté de la Tour. Malgré leur sympathie pour la princesse, les deux gardiens Gomin et Lasne crurent devoir se mettre en règle avec le Comité de sûreté générale en lui dénonçant ce petit « complot harmonieux ». Ils lui écrivirent, le 11 août 1795 : « Citoyens représentants, nous avons remarqué aujourd’hui que, des croisées qui ont vue sur le jardin, on a chanté une romance. Ayant cru nous apercevoir que l’on répétait cette romance à la vue de la jeune détenue, nous avons dirigé notre promenade d’un autre côté. Salut et fraternité. »

Le Comité ne paraît pas s’en être ému beaucoup, car trois jours après, le 15 août, fête de Marie-Thérèse, aucun empêchement ne fut mis aux manifestations sympathiques.


C’était hier la fête de Marie-Thérèse, dit l’Almanach de Bâle ; on lui a donné un concert dans lequel on a joué les airs les plus touchants et les plus analogues à sa situation : la musique était placée dans un grenier des bâtiments du Temple. Marie-Thérèse a paru dans le jardin, où elle s’est promenée longtemps. Elle a montré qu’elle était sensible à la marque d’intérêt qu’on lui donnait à une époque qui lui fut chère autrefois, mais qui avait dû lui devenir bien triste, depuis qu’elle était devenue l’anniversaire de sa captivité.


Quelques jours plus tard, Gomin était appelé à fournir des explications au Comité de sûreté générale. — « On donne des concerts, lui dit-on. — Citoyens, répondit-il, c’est une actrice qui répète ses rôles. » Cette réponse au Comité, après la dénonciation par lui-même envoyée quelques jours auparavant, prouve que ni le Comité ni lui ne prenaient cette affaire au sérieux. Mais l’éclat imprudemment donné à cette solennité du 15 août avait choqué les susceptibilités de farouches jacobins et donné lieu à des plaintes. Pour les apaiser, le gouvernement avait fait prévenir officieusement Hue qu’un peu plus de discrétion était nécessaire. Mais l’avis certainement n’avait pas été bien sévère, car dans le courant de vendémiaire (fin de septembre), une nouvelle dénonciation était envoyée par un nommé Leblanc, qui formule ainsi les griefs qui l’ont scandalisé :


Il y a environ quatre mois qu’on donne de temps à autre des concerts dans la Rotonde du Temple, en montant par l’escalier n° 4 aux mansardes du quatrième. Le logement était occupé par de braves gens que l’on a très largement payés pour le céder. Depuis deux décades ces concerts prétextés se répètent beaucoup plus souvent dans ce lieu. Ce sont des femmes très élégantes et des hommes à nattes retroussées qui s’y rendent pour contempler à loisir la fille de Capet qui, de son côté, ne manque pas d’aller se promener dans le jardin du Temple aussitôt qu’elle est instruite que l’assemblée royaliste est complète. C’est alors que ces partisans de l’ancienne cour lui adressent toutes les protestations de dévouement et de respect pour sa personne royale. Le lieu du concert ne se trouvant pas assez spacieux pour contenir toute cette illustre compagnie, elle se rend aussi en grand nombre dans une maison rue Beaujolais, n° 12, dont les croisées ont également vue sur le jardin du Temple, et là, comme aux mansardes de la Rotonde, se répètent publiquement les mêmes gestes, signaux et marques d’attachement à la fille de Marie-Antoinette… Le 1er vendémiaire, il y eut concert vers les cinq heures du soir, heure à laquelle il commence ordinairement ; ce fut un cours d’adoration et de télégraphie jusqu’à la fin du jour. On a cru y remarquer des personnes attachées à divers spectacles, et depuis l’époque citée, les voitures, qui étaient presque inconnues dans ce quartier, y roulent fréquemment. On compte par approximation une centaine de personnes qui se rendent à la fois dans les endroits ci-dessus désignés ; elles sont successivement et continuellement relevées par d’autres.


Ces divers extraits, empruntés à des témoins d’opinions opposées, étaient intéressants à rapprocher, parce qu’ils reproduisent, sous diverses faces, avec la précision d’instantanés photographiques, la physionomie nouvelle du Temple et font ressortir d’une façon saisissante le contraste des mêmes lieux vus à quelques jours de distance. La vieille Tour sombre, morne, silencieuse, terrible, a pris tout à coup, comme sous les rayons d’une aurore sereine, l’aspect d’un séjour plaisant, presque riant ; l’air et la lumière y pénètrent de toutes parts ; un va-et-vient affairé de fournisseurs et de marchands se fait entendre dans les cours et les escaliers qui ne retentissaient que du pas sinistre des rondes ; les abords sont sillonnés de nombreux équipages. Dans le jardin naguère désert, on voit paraître une jeune princesse, vêtue avec une sobre et charmante élégance. Elle n’a pas autour d’elle un cortège nombreux : rien qui rappelle les pompes de Versailles, ni même les berquinades de Trianon, mais un entourage décent comme celui d’un incognito royal : une dame d’honneur (car on a fini par lui en donner une), une dame de compagnie, et deux ou trois serviteurs empressés à se distinguer par leurs prévenances. La plus grande partie de son temps se passe en récréations douces ; tantôt elle s’assied pour lire ou dessiner, tantôt elle se promène en causant, et répond avec grâce et dignité aux salutations et aux hommages de fidèles attendris et avides d’attirer ses regards.

On reste plongé dans un ébahissement profond à la pensée que la vue des toilettes de nuances variées n’excitait ni indignation ni étonnement chez aucun de ces royalistes fervents qui se disputaient les places aux fenêtres voisines pour contempler la princesse royale. Peut-on expliquer qu’ils n’aient pas été violemment choqués de voir la sœur du dernier roi se dispenser aussi indécemment de porter son deuil ? Et peut-on concevoir qu’un si flagrant oubli des convenances n’ait fait l’objet d’aucune mention ni d’aucune explication dans les écrits des contemporains amis ou ennemis[24] ? Peut-on admettre qu’il n’ait donné lieu à aucune représentation respectueuse de la part des personnes qui furent bientôt admises dans son intimité ?

Car Madame Royale ne resta pas longtemps réduite aux témoignages télégraphiques de sympathie et de dévouement. Elle fut autorisée à recevoir des visites.

La marquise de Tourzel et sa fille Pauline reçurent la permission de venir au Temple trois fois par décade. « La marquise de Soucy, jadis sa sous-gouvernante, était déjà revenue reprendre son service[25]. » L’entrée fut presque aussitôt accordée à Mme de Mackau, à Mlle de Fillé, à Mme Laurent, nourrice de la princesse, à François Hue et à bien d’autres personnes. On voit même figurer parmi celles qui furent admises auprès de la prisonnière une prétendue comtesse Stéphanie-Louise de Bourbon, qu’un certain nombre de biographes considèrent comme une aventurière, et qui reçut un excellent accueil de la fille de Louis XVI[26]. Ce qui est singulier, c’est qu’un choix, dont les motifs paraissent incompréhensibles, présidait à ces autorisations. Une femme respectable et dévouée, Mme de Rambaud, ancienne femme de chambre du Dauphin, qui, des premières, avait sollicité une permission, ne put jamais obtenir ce qu’on accordait si facilement à bien d’autres, dont les antécédents, la situation, les relations, devaient, ce semble, inspirer à plus juste titre ombrage au gouvernement. Là encore il y a un mystère.

Mme de Tourzel était l’ancienne gouvernante des enfants de France. Elle avait succédé dans cette charge à la duchesse de Polignac, à l’époque où, par des intrigues et des manœuvres qui ne pouvaient être un secret pour les hommes du Comité de sûreté générale, on avait provoqué le mouvement d’émigration, dans le but d’éclaircir les rangs des défenseurs de la cour et de remplacer l’ancienne maison du Roi par un personnel moins réfractaire aux vues du parti dont le comte de Provence était le chef occulte. Il serait donc tout naturel de penser qu’un gouvernement prévoyant dût considérer comme particulièrement dangereux de laisser une intimité s’établir entre Mme de Tourzel et la nièce du comte de Provence, au moment où celle-ci allait recouvrer sa liberté. C’est précisément Mme de Tourzel qui obtient les plus larges autorisations. Sans doute, au moins, les Comités se seront assurés qu’il n’existe pas de relations actuelles entre elle et le prétendant ambitieux et remuant dont ils rencontrent les intrigues à chaque pas ; ils auront pris toutes les précautions pour surveiller et empêcher les communications. Rien de pareil n’a été fait ; et l’on est émerveillé de voir avec quelle aisance une correspondance régulière s’établit dès le premier jour entre le Temple et le cabinet de Vérone. Les mémoires de Mme de Tourzel donnent à cet égard des détails intéressants, que Marie-Thérèse eût pu relater et compléter sans se voir « réduite à ne parler que d’elle-même ». Comment expliquer, par exemple, qu’elle n’ait cru devoir rien dire des communications qu’elle reçut de son oncle et de Charette ?

Voici ce qu’on lit dans les Mémoires de Hue :


Je n’indiquai pas moins à madame à l’aide d’un signal qu’elle se rappela que j’étais chargé d’une lettre pour elle ; cette lettre était de Sa Majesté Louis XVIII. Je la fis parvenir dans la tour, et Madame m’envoya sa réponse. Quelques jours après, un des agents que le Roi avait à Paris me remit une lettre du chevalier de Charette pour Madame Royale. La personne à qui je me confiais pour la faire parvenir dans la tour craignant, ainsi que moi, de compromettre les jours de Madame, si cette lettre était saisie, je me fais autoriser à faire revivre l’écriture, afin que Madame ne connût que de vive voix le contenu de la lettre, que, pour éviter tout danger, je fus obligé de brûler


Que tout cela est bizarre ! Et quelles étranges pensées surgissent ! Les communications du comte de Provence, le prétendant, Sa Majesté Louis XVIII, parviennent sans peine jusqu’à la fille de Louis XVI, et elle y répond ; mais une lettre de Charette ne peut lui être remise sans compromettre la sûreté de ses jours ; on ne peut que lui en traduire (plus ou moins exactement) le contenu de vive voix ; et pour éviter tout danger, il faut brûler cette lettre. Que pouvait-elle donc contenir ? Et au profit de quels intérêts s’exerçait cette singulière police ?

Certes un message de cette importance méritait une mention dans les Mémoires de Madame Royale. Elle n’en dit rien cependant. Et ici encore nous voyons Mme de Tourzel se rencontrer avec Marie-Thérèse dans le même accident d’oubli ou le même parti pris de mutisme à propos d’un même fait.

Les Mémoires de Mme de Tourzel nous apportent d’ailleurs bien d’autres sujets d’étonnement.

C’est le 3 septembre, jour d’un lugubre anniversaire, qu’eut lieu la première entrevue de la petite-fille[sic] de Louis XVI et de son ancienne gouvernante.

L’auteur de l’Almanach de Bâle, Michaud, qui écrit, nous le savons, d’après les renseignements fournis par Mme de Chanterenne, la raconte ainsi :


Jeudi dernier (3 septembre), Mme de Tourzel et une de ses filles, M***, dînèrent avec elle (Marie-Thérèse) et y passèrent plusieurs heures. Après le dîner elles se promenèrent toutes trois dans le jardin avec Mme de Chanterenne.

La fille de Louis XVI était au jardin lorsque Mme de Tourzel et madame sa fille y arrivèrent. Avec quel empressement la prisonnière courut à elles, se précipita dans leurs bras, pressa la jeune dame contre son cœur ! Elle avait été la première compagne, la plus tendre amie de son enfance.


Le récit de Mme de Tourzel est un peu différent.


Je demandai à Gauthier[27] (dit-elle) si Madame avait connaissance de toutes les pertes qu’elle avait faites ; il nous dit qu’il n’en savait rien, et nous eûmes tout le long du chemin, du Comité, qui se tenait à l’hôtel de Brienne, jusqu’au Temple, l’inquiétude d’avoir peut-être à lui apprendre qu’elle avait perdu tout ce qui lui restait de plus cher au monde.

En arrivant au Temple, je remis ma permission aux deux gardiens de Madame, et je demandai à voir Mme de Chanterenne en particulier. Elle me dit que Madame était instruite de tous ses malheurs et que nous pouvions entrer. Je la priai de dire à Madame que nous étions à la porte. Je redoutais l’impression que pouvait produire sur cette princesse la vue des deux personnes qui, à son entrée au Temple, accompagnaient ce qu’elle avait de plus cher au monde, et dont elle était réduite à pleurer la perte ; mais heureusement, la sensibilité qu’elle en éprouva n’eut aucune suite fâcheuse. Elle vint à notre rencontre, nous embrassa tendrement, et nous conduisit à sa chambre où nous confondîmes nos larmes sur tous les objets de ses regrets.


S’il fut un jour dans la vie de Marie-Thérèse où son cœur dut s’ouvrir et céder à la pression débordante des épanchements, certes, ce fut celui-là.


On comprend, dit un de ses biographes, combien dut être pathétique l’entrevue de la jeune princesse et de son ancienne gouvernante. Que de choses lugubres elles avaient à se dire ! Si la fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, la nièce de Madame Élisabeth, la sœur de Louis XVII, pouvait raconter à Mme de Tourzel les drames du Temple, Mme de Tourzel pouvait lui raconter ceux de la prison de la Force… Oh ! quelle revue rétrospective ! Que de détails sinistres ! Quel océan de larmes ! Peut-on imaginer confidences plus amères et dialogue plus déchirant[28] ?


Eh bien ! dans cette « revue rétrospective », c’est à peine s’il est question de l’enfant-roi. La seule mention qu’en fasse l’orpheline est pour rappeler les mauvais traitements dont l’accablait Simon et pour retracer l’horrible scène de l’interrogatoire qu’on lui fit subir devant sa sœur et sa tante. Mais des derniers temps de sa vie, des circonstances de sa mort, pas un mot. Pas une confidence, pas une allusion rappelant les émotions ressenties auprès de ces restes si chers, si elle a été admise à les contempler ; ou exprimant son indignation, ses regrets amers au moins, si l’accès de la chambre mortuaire lui a été interdit.

Il est impossible cependant qu’elle n’en ait rien dit à Mme de Tourzel. Comment expliquer que des détails si intéressants et si inoubliables soient passés sous silence par cette dame, après l’avoir été par Madame Royale ?

En revanche, le récit de Mme de Tourzel nous apprend que la question du mariage de Marie-Thérèse fut traitée dès le début des entretiens.

Le lendemain de sa première visite au Temple, elle écrivit, dit-elle, à Louis XVIII pour lui en rendre compte. Elle reçut une réponse par laquelle ce prince la chargeait de pressentir Marie-Thérèse sur le désir qu’il avait de lui faire épouser son neveu, le duc d’Angoulême, fils aîné du comte d’Artois. Ce mariage, assure Mme de Tourzel, s’alliait si bien à l’attachement que la jeune princesse conservait pour sa famille et même pour cette France qui l’avait si mal traitée, qu’elle y était portée d’elle-même.


Un motif bien puissant pour son cœur, ajoute-t-elle, vint encore à l’appui : c’était le vœu bien prononcé du roi son père et de la reine de conclure ce mariage à l’instant de la rentrée des princes ; et je lui rapportai les propres paroles de la reine quand Leurs Majestés me donnèrent la marque de confiance de me parler de leurs projets à cet égard. — On s’est plu, me dit cette princesse, à donner à mes frères des impressions défavorables au sentiment que nous leur portons. Nous leur prouverons le contraire en donnant sur-le-champ la main de ma fille au duc d’Angoulême, malgré sa grande jeunesse, qui aurait pu nous faire désirer d’en retarder le moment.


Marie-Thérèse, dit Mme de Tourzel, écouta cette confidence avec émotion ; elle demanda cependant pourquoi ses parents ne lui avaient jamais parlé de ce projet[29]. « C’était de leur part, répondit-elle, une mesure de prudence, pour ne pas occuper votre imagination de pensées de mariage qui auraient pu nuire à l’application qu’exigeaient vos études. »

Ici il faut se demander si Mme de Tourzel a voulu se moquer de ses lecteurs, ou s’il est admissible que la gouvernante des enfants de France, qui vécut dans l’intimité de la famille royale jusqu’au dernier jour de sa liberté, ait été à ce point aveugle et sourde qu’elle ait pu se méprendre sur les sentiments que la triste connaissance des menées perfides de leurs frères avait fini par inspirer à Louis XVI et à Marie-Antoinette.

Dans tous les cas, aujourd’hui qu’une foule de documents ont fait la lumière sur ce point ; aujourd’hui que le caractère de la mission permanente de M. de Breteuil et des missions temporaires confiées à M. de Goguelat et à M. de Jarjayes est connu : que le témoignage de M. Brémond a révélé le secours demandé par Louis XVI au roi George III contre ses frères ; qu’un grand

. nombre de lettres de la Reine indiquent à quel point sa défiance et son ressentiment s’étaient exaltés contre celui qu’elle appelait Caïn, personne ne peut croire à la réalité de ce projet d’alliance.

Si vraiment la Reine avait tenu à Mme de Tourzel les propos rapportés par celle-ci, on serait forcé d’en conclure à une supposition fâcheuse pour la gouvernante des enfants de France, et de croire que Marie-Antoinette en était venue à la soupçonner assez fortement d’être engagée dans le parti du comte de Provence pour avoir conçu le plan d’essayer par son intermédiaire l’effet d’une avance de ce genre sur les beaux-frères émigrés.

Il faut avouer aussi que Madame Royale aurait été satisfaite à bien bon marché par la réponse de Mme de Tourzel à sa question bien naturelle sur le silence gardé vis-à-vis d’elle quant à ce projet matrimonial.

La crainte d’occuper son esprit de pensées propres à la distraire de ses études était certainement un motif de réserve très plausible et raisonnable, mais qui n’avait plus de raison d’être depuis le 3 septembre 1792 et surtout depuis le 21 janvier 1793. Comment admettre, si ce sujet était un « vœu bien prononcé » de Louis XVI et de Marie-Antoinette, que le Roi, avant de partir pour l’échafaud, n’en ait pas dit un mot à sa fille dans ses dernières recommandations ; — que la Reine, alors qu’elle n’avait plus d’illusions sur le sort qui l’attendait elle-même, n’ait pas éprouvé le besoin de faire connaître à Marie-Thérèse les suprêmes intentions de ses parents ; — que Madame Élisabeth, enfin, pendant le temps qu’elle resta seule auprès de l’orpheline, ne lui ait absolument rien dit d’un projet dont, sans aucun doute, elle aurait été instruite avant la gouvernante des enfants de France ?

Il est évident qu’il a fallu d’autres arguments et des considérations d’un ordre différent pour déterminer le consentement de Marie-Thérèse, et qu’en présentant les choses comme elle le fait, Mme de Tourzel se conforme purement et simplement au thème adopté et prescrit par le comte de Provence.

Ce n’est pas ici le lieu de rechercher pour quelles raisons secrètes ce prétendant, dont le plus froid égoïsme était le caractère et dont l’ambition fut toujours l’unique mobile, avait fait de ce projet de mariage une de ses principales affaires. Mais sa correspondance avec les agents diplomatiques qu’il entretenait auprès des différentes cours de l’Europe montre qu’elle l’occupait presque autant que celle de la reconnaissance de son titre royal. Il avait même, pour appuyer ses vues auprès des souverains, imaginé un autre thème, aussi ingénieusement et aussi manifestement faux que le premier : il avait supposé une inclination réciproque conçue de longue date entre les enfants de ses deux frères. Il est assez difficile de croire que ce touchant roman d’amour ait été pris au sérieux par les princes qu’il cherchait à y intéresser, si l’on fait attention que le duc d’Angoulême avait à peine quatorze ans et que Madame Royale n’avait pas onze ans lorsqu’ils s’étaient vus pour la dernière fois. Mais la variété des moyens mis en œuvre montre de quelle importance était le résultat pour les desseins du prétendant.

C’est du reste un des faits les plus remarquables de l’époque et un de ceux qui peuvent suggérer le plus de réflexions, que l’alliance de la fille de Louis XVI était devenue le point de mire de presque tous les ambitieux de haut vol et le pivot de la plupart des combinaisons politiques.

On trouve à cet égard un renseignement bien curieux dans le second volume des Mémoires de Napoléon :


Je ne pus me retenir de dire à Cambacérès : « Du moins il fallait garder en France la sœur de cet infortuné : on a commis un coup de bien mauvaise politique en lui rendant la liberté. »

Cambacérès, me regardant finement, répliqua : « Et le moyen de la retenir ici. Ils voulaient tous l’épouser, à commencer par feu Robespierre. C’est un leurre que l’on a présenté successivement à tous ceux qui ont pris de l’influence. Nous préférâmes qu’elle se mariât à son cousin. Je sais que dans l’intervalle de son départ au 9 thermidor, on m’est venu parler ainsi qu’à tous mes collègues d’un mariage à conclure entre le duc d’Orléans actuel et Madame Royale. Le duc deviendrait président de la République et sa descendance occuperait à perpétuité la présidence. »

— Quoi ! m’écriai-je, le fils d’un des bourreaux aurait épousé la fille de deux des victimes ?

— Oui.

— Et elle consentait ?

— On n’avait pas encore pris son avis, mais on se flattait de l’y déterminer. La proposition venait des intimes du duc d’Orléans ; il promettait par lettre d’accepter toutes les conditions qu’on lui imposerait ; il mettait de son côté pour clause unique son mariage avec Madame Royale.

— Et cette lettre, qui la possédait ?

— Fouché.


L’exactitude de cette conversation, quant au fond du moins, ne peut guère être mise en doute, en raison de ce que le rédacteur de ces Mémoires de Napoléon, Lamothe-Langon, avait été des intimes de Cambacérès.

En ce qui concerne d’ailleurs l’audacieuse prétention de Robespierre, il y a nombre d’autres témoignages. Fabre de l’Aude, dans son Histoire secrète du Directoire, en parle comme d’un fait avéré : il dit que Vaughan avait été l’instigateur de ce projet et avait promis de le favoriser. Barère l’a dénoncé à la tribune de la Convention. Enfin, dans les mémoires de Madame Royale elle-même, il est impossible de n’être pas frappé de la réserve singulière avec laquelle elle raconte une visite que lui fit « en grand secret » Robespierre et « les regards insolents » qu’il porta sur elle, et de l’affectation qu’elle met à ne pas l’avoir reconnu.

On ne peut douter non plus du plan conçu par le duc d’Orléans.

D’autre part, personne n’ignore que la cour de Vienne caressa assez longtemps le dessein de la marier à un archiduc, pour faire valoir ensuite des droits sur la Navarre, comme non assujettie à la loi salique, et accepter au besoin une compensation territoriale sur les frontières de l’Est.

Voilà pour les combinaisons matrimoniales. Mais il y en eût d’autres. La dernière dont on trouve la trace fut même postérieure à la mise en liberté de Madame Royale.

Mounier tenait de M. de Semonville que son gendre, le général Joubert, n’était républicain ni de goût, ni d’instincts. Il avait du courage, de l’esprit et de la résolution, et était parti pour Novi, où il mourut en combattant Souwarow, le plan d’un 18 brumaire tout arrêté. Voici quel était ce plan :


Le Directoire chassé, on convoquait tous les membres de l’Assemblée constituante encore vivants et on appelait à la couronne Madame, afin de faire une dynastie sans entrer dans une contre-révolution par le comte de Provence et le comte d’Artois.

Ce plan avait été concerté avec Azara, le seul étranger qui fût dans la confidence. Son exécution exigeait une victoire et un armistice.

Dans l’opinion de Semonville, tout réussissait sans la mort de Joubert[30].


La duchesse d’Abrantès déclare avoir lu le passage des Mémoires (inédits) de d’Azara, où il est question de ce projet, et ajoute qu’en ce qui concerne la participation de Joubert, elle en répond « sur sa conscience ».

On voit quelles intrigues s’agitaient pour accaparer cette orpheline, qui — chose bizarre — semblait à tous les partis tenir dans sa main la clé du pouvoir, alors que l’abolition du principe de la légitimité laissait la route libre à toutes les ambitions et que, dans le système d’un retour à la loi d’hérédité, l’ordre de succession appelait apparemment le comte de Provence au trône. Et, ce qui est plus étrange que tout, c’est que chez le comte de Provence lui-même, ce prétendant à la succession salique, on trouve si accusée cette préoccupation de s’assurer on ne sait quel appui de ce côté.

Quand on suit de près tous les faits qui se succèdent, il devient manifeste que Mme de Tourzel ne venait pas au Temple poussée seulement par le louable désir de porter des consolations à l’orpheline, mais par l’obligation d’y remplir une mission politique : mission connue et favorisée par les membres les plus influents et les plus actifs du gouvernement thermidorien.

Fabre de l’Aude donne sur les délibérations secrètes des comités des renseignements qui, quoique moins précis, concordent remarquablement avec le passage des Mémoires de Napoléon cité plus haut. Il nous apprend que la Convention, « prévoyant que le mariage de la fille de Louis XVI avec un prince étranger ou avec le duc d’Angoulême procurerait à son mari une influence dangereuse à la chose publique, hésitait à se dessaisir d’un otage de cette importance », mais que « ceux des membres du comité que son sort touchait particulièrement, Boissy d’Anglas, Lanjuinais, Cambacérès et P…, s’adressèrent sous main au comité royaliste, lui firent connaître l’état de la question et lui conseillèrent de faire faire une démarche par l’Autriche, qui, quoique en guerre avec nous, a néanmoins des rapports avec la République pour le cartel des prisonniers ». Il ajoute que l’empereur d’Autriche manifesta immédiatement l’intention d’agir dans ce sens, mais que M. de Thugut ne voulait pas d’abord en entendre parler et ne s’y décida que « parce qu’on lui fit apercevoir le parti que l’Autriche pourrait tirer d’un mariage de Madame Royale avec un archiduc ». Il donne encore ce détail intéressant que des démarches étaient faites à ce moment dans le même sens par le comte de Provence auprès du cabinet de Vienne[31].

Ces dernières révélations n’étaient pas nécessaires pour rendre évident que Boissy d’Anglas, Lanjuinais, Cambacérès et P… — et quelques autres encore — faisaient à cette époque le jeu de Monsieur de Provence et pour donner toute sa signification au mot de Cambacérès : « Nous préférâmes qu’elle se mariât à son cousin. »

« Lors du 13 vendémiaire, dit encore Fabre, l’échange était près d’avoir lieu ; les événements de cette journée le retardèrent quelque peu. » Ils devaient aussi retarder considérablement la restauration à laquelle ces bons apôtres prêtaient alors si charitablement leurs bons offices.

Pour refouler le mouvement nettement contre-révolutionnaire, et au fond royaliste, qu’avaient soulevé les derniers décrets et qui avait fait prendre les armes à toutes les sections de Paris sauf une seule, la Convention n’avait pas hésité à recourir aux moyens grâce auxquels elle avait établi son pouvoir tyrannique. Elle avait armé pour sa défense les hordes qui avaient fait les journées de septembre. Les généraux, les uns après les autres, refusaient de se mettre à la tête de ces bandes[32]. Bonaparte, qui, par l’âpre désir de parvenir, ne reculait ni devant la bassesse d’aucune compromission, ni devant l’odieux d’aucune besogne, s’était chargé de la répression, et, sans scrupules d’aucune sorte, l’avait faite impitoyable et sanglante. La Convention était condamnée à finir dans le sang comme elle avait commencé.

Paris atterré crut voir s’ouvrir une nouvelle Terreur. « La frayeur et la stupeur, dit Mme de Tourzel, prirent alors la place de l’espérance ; les soldats insultaient les passants, et chacun frémissait des suites que pourrait avoir cette cruelle journée. »

Pour la prisonnière du Temple et pour tous ceux qui s’intéressaient sincèrement à son sort, il y eut une période d’inquiétude d’autant plus justifiée que le Directoire se crut obligé de signaler son installation par une recrudescence de sévérité envers les royalistes. De nombreuses arrestations furent opérées parmi les agents du parti ; l’un d’eux, Lemaître, fut condamné à mort le 17 brumaire (8 novembre) et exécuté. Ce jour-là même, Mme de Tourzel fut arrêtée ; mais une protection secrète la couvrait évidemment[33] ; elle fut relâchée après trois jours de mise au secret. Seulement, l’entrée du Temple lui fut désormais interdite. Les investigations judiciaires furent poursuivies jusque dans l’intérieur du Temple ; Marie-Thérèse et Mme de Chanterenne furent soumises à un interrogatoire (19 brumaire, 10 novembre) qui ne fit relever aucunes charges contre elles ; mais les consignes furent rétablies avec plus de rigueur ; Mme de Chanterenne se vit condamnée à ne plus sortir et à ne plus communiquer avec sa famille.

Il y a toute apparence cependant que ces mesures ne furent guère ordonnées que pour la forme[34]. En réalité, le régime de MarieThérèse ne fut pas sensiblement modifié, car voici ce que mentionne l’Almanach de Bâle à la date du 15 novembre :


Marie-Thérèse a la liberté de se promener dans les cours du Temple. Deux commissaires veillent toujours auprès d’elle ; ils ne l’approchent que le chapeau bas, et ils la traitent avec le respect qu’inspire le souvenir de ce qu’elle fut et le triste spectacle de ce qu’elle est aujourd’hui. Plusieurs personnes viennent tous les jours la voir, et elle ne dîne presque jamais seule.


Le Directoire tenait cependant à faire parade de zèle anti-monarchique.

Est-ce à cette préoccupation qu’il faut attribuer l’éclat avec lequel fut signifié à l’ambassadeur de Toscane l’ordre de sortir du territoire français ; ou doit-on croire que ce renvoi fut motivé par la crainte qu’il n’agît contre la combinaison matrimoniale que préféraient les gouvernants ? La seconde hypothèse est la plus probable, car, en vérité, sans une raison de ce genre, on n’aperçoit guère la gravité de l’acte qui détermina le gouvernement à une mesure aussi inusitée.

Le comte Carletti, « homme de peu de cervelle », dit un écrivain contemporain, avait fait montre d’un grand enthousiasme pour les principes de la Révolution et avait eu un duel avec lord Windham qui l’avait traité de jacobin. La célébrité qu’il s’était ainsi acquise l’avait fait choisir par le grand-duc de Toscane, qui s’était imaginé ne pouvoir trouver un meilleur représentant auprès de la République. Il avait reçu en effet un excellent accueil à Paris et était traité par les gouvernants tout à fait comme persona grata. On ne s’explique guère qu’il ait perdu d’un seul coup le bénéfice de cette situation et ait encouru la rigueur d’une expulsion immédiate, par l’unique fait d’avoir sollicité l’autorisation de présenter à Madame Royale, avant son départ, ses hommages comme ministre d’un souverain avec lequel elle avait des liens de parenté. Le Directoire mena autant de bruit de cette affaire que s’il avait sauvé la République.

Les négociations relatives à l’échange n’en avaient pas moins été poursuivies sans interruption et avaient fini par aboutir. Le 27 novembre, le Directoire avait rendu l’arrêté suivant :


Les ministres de l’intérieur et des relations extérieures sont chargés de prendre les mesures nécessaires pour accélérer l’échange de la fille du dernier roi contre les citoyens Camus et Quinette et autres députés ou agents de la République, et de nommer pour accompagner la fille du dernier roi un officier de gendarmerie décent et convenable à cette fonction ; de lui donner pour l’accompagner celle des personnes attachées à son éducation qu’elle aime davantage.


Le lendemain même, le ministre de l’intérieur, Benezech, se présentait au Temple pour faire part à Marie-Thérèse de cet arrêté. Il la priait de désigner les personnes qu’elle désirait avoir pour l’accompagner et lui offrait toutes les facilités pour commander les toilettes qu’elle voudrait emporter.

Benezech se montra, non seulement plein d’égards, mais plein de prévenances. On peut juger de ce que dut être son entretien avec Madame Royale par ce que raconte Hue de la conversation que lui-même eut avec ce ministre républicain.


M. Benezech, dit-il, m’avait parlé avec attendrissement du sort de la jeune princesse, qu’il n’appelait que du nom de Madame Royale. S’apercevant que je le fixais d’un regard étonné : « Ce nouveau costume, me dit-il, n’est que mon masque. Je vais même vous révéler une de mes plus secrètes pensées : la France ne recouvrera sa tranquillité que le jour où elle reprendra son antique gouvernement. Ainsi donc, lorsque vous le pourrez sans me compromettre, mettez aux pieds du roi l’offre de mes services ; assurez Sa Majesté de tout mon zèle à soigner les intérêts de sa couronne.


Ces offres de service de Benezech peuvent passer pour un commentaire pratique du mot de Cambacérès. Elles font comprendre pourquoi les gouvernements préféraient à toute autre combinaison matrimoniale celle qui s’accommodait aux plans du comte de Provence.

Un fait assez curieux montre quels soins le gouvernement prenait à cet égard, et laisse en même temps entrevoir l’enchevêtrement d’intrigues auxquelles donnait lieu cette question de mariage. Marie-Thérèse avait répondu à l’invitation de Benezech en désignant pour l’accompagner Mme de Tourzel, Mme de Mackau et Mme de Serent. Mme de Tourzel fut exclue, ainsi que Mme de Serent. Et la raison de cette exclusion fut « que le Directoire craignait qu’elles ne fussent pas assez favorables à l’alliance avec le duc d’Angoulême[35] ». Pour Mme de Serent, ancienne dame d’atours de Madame Élisabeth, la crainte paraît tout naturellement fondée. Il est fort à croire, en effet, que dans l’intimité de la sœur de Louis XVI elle avait reçu des impressions la préparant mal à accueillir et à soutenir auprès de l’orpheline la fable du « vœu bien prononcé » du Roi et de la Reine. La défiance à l’égard de Mme de Tourzel s’explique plus difficilement. Faut-il croire qu’il y eut des hésitations et des intermittences dans le zèle qu’elle-même assure avoir déployé pour persuader Marie-Thérèse ?

En définitive, ce fut Mme de Soucy qui fut désignée, à la place de Mme de Mackau, sa mère, que son âge et sa santé empêchaient d’entreprendre ce long voyage.

Tous les préparatifs étaient achevés. Le 16 décembre, Marie-Thérèse recevait une nouvelle visite de Benezech, qui venait lui annoncer que son départ était fixé au 18 à onze heures du soir. Dans son zèle fervent, le ministre avait fait une proposition qui paraît, au premier abord, bien singulière pour l’époque, mais qui révèle mieux que tout quelle était à ce moment la véritable disposition des esprits. Cette proposition consistait à lui donner pour faire la route une calèche attelée de huit chevaux, où les populations auraient pu la contempler entourée des personnes de sa suite. Cet apparat n’avait pas été du goût du Directoire, qui avait décidé que le voyage se ferait dans le plus strict incognito possible et que, pour prévenir toute manifestation, le départ aurait lieu la nuit.

Le 18 décembre, à onze heures du soir, le ministre de l’intérieur, Benezech, se rend seul et à pied au Temple. Toutes les précautions sont prises pour ne pas attirer l’attention. Il a laissé sa voiture à quelque distance de là, rue Meslay. Il remet aux gardiens une expédition de l’arrêté du Directoire et une décharge en ces termes : « Le ministre de l’intérieur déclare que les citoyens Gomin et Lasne, commissaires préposés à la garde du Temple, lui ont remis Marie-Thérèse-Charlotte, fille du dernier roi, jouissant d’une parfaite santé, laquelle remise a été faite aujourd’hui à onze heures du soir, déclarant que lesdits commissaires sont bien et dûment déchargés de la garde de ladite Marie-Thérèse-Charlotte.

» Signé : Benezech.

» Paris, ce 27 frimaire an IV de la République
 une et indivisible. »


Marie-Thérèse, qui l’attendait, ayant auprès d’elle Gomin, prend le bras du ministre qui la fait sortir par la rue de la Corderie et la conduit jusqu’à sa voiture, où il monte avec elle et Gomin. On se rend ainsi rue de Bondy, où stationne une berline de voyage sur le devant de laquelle sont déjà Mme de Soucy et l’officier de gendarmerie Méchain. La princesse y prend place après avoir remercié Benezech, et fait monter après elle Gomin, qui est devenu son homme de confiance et qu’elle emmène pour l’accompagner.

Benezech tire sa montre. Il est minuit. C’est le 19 décembre 1795 qui commence. Ce jour-là, la fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, née à Versailles le 19 décembre 1778, entre dans sa dix-huitième année.


La jeune princesse voyage incognito sous le nom de Sophie. Les instructions données par le gouvernement à l’officier de gendarmerie, Méchain, sont de conduire à Huningue deux femmes et un homme (Marie-Thérèse, Mme de Soucy et Gomin) ; l’une de ces femmes doit passer pour sa fille ; l’autre pour son épouse ; l’homme pour son serviteur de confiance. Il a ordre que personne ne leur parle en particulier. Il doit surtout s’occuper de la plus jeune des deux femmes, désignée sous le nom de Sophie, et veiller sur tout ce qui pourrait intéresser sa santé[36].


Le voyage, qui dura six jours de Paris à la frontière, ne fut marqué par aucun incident important.

Marie-Thérèse en a écrit le récit.

Ainsi, nous avons d’elle : la relation du voyage de Varennes ; — la relation des événements arrivés au Temple du 13 août 1792 au 8 juin 1795 ; — la relation de son voyage de Paris à Vienne. Elle a tenu à consigner le souvenir de tous les événements auxquels elle a été mêlée et dont elle a été le témoin pendant la Révolution. Il n’y a que la période du 8 juin au 19 décembre 1795 sur laquelle il paraît qu’elle ne pouvait rien dire !

À Huningue, où elle arriva le 24 à la chute du jour, elle fut rejointe par François Hue, qui était parti de Paris une heure après elle, avec le fils de Mme de Soucy, deux employés du Temple, Meunier et Baron, et une femme de chambre.

Ce fut là qu’elle remit à Hue une lettre qu’elle écrivait à son oncle Louis XVIII, en le chargeant de la lui faire parvenir.

Cette lettre a été maintes fois citée comme un monument d’admirable magnanimité ; on l’a offerte en fac-simile[sic] à la vénération des royalistes, qui l’ont encadrée à côté du testament du Roi-martyr.


Qui ne conserverait — s’écrie Hue — un éternel souvenir des sentiments que cette princesse manifestait à Sa Majesté, en implorant sa clémence en faveur des Français et même des meurtriers de sa famille par ces expressions : « Oui, mon oncle, c’est celle dont ils ont fait périr le père, la mère et la tante, qui à genoux vous demande et leur grâce et la paix. »


Mais qui, plutôt, ne serait saisi d’une sorte de stupeur, en constatant que dans l’énumération des victimes il n’est pas question de son frère ?

Ils ne l’ont donc pas fait périr ? Il n’a donc pas succombé aux mauvais traitements ? Ou bien la fille de Louis XVI, qui adresse cette supplique miséricordieuse à Louis XVIII, a-t-elle oublié qu’un enfant qui était son frère a porté le nom de Louis XVII ?

Cette monstrueuse omission donne toute sa valeur à ce phénomène, unique sans doute, de l’enchaînement dans l’incohérence.

Mais, comme l’absurde ne peut régir toute une série de faits concordants, il reste à déterminer la raison secrète qui, nécessairement, les relie. Faut-il chercher la solution du problème dans l’ordre psychologique ? Ou peut-on en trouver une explication historique ?

  1. Arch. nat., F 7, 4391.
  2. Voir « Le Cachet de Louis XVI ».
  3. Voici les termes de ce billet :
    « Ce voyage, malgré mon chagrin, m’a paru agréable par la présence d’un être sensible et bon dont la bonté dès longtemps m’était connue, mais qui en a fait les dernières preuves en ce voyage par la manière dont il s’est comporté à mon égard, par la manière active de me servir, quoique assurément il ne dût pas y être accoutumé. On ne peut l’attribuer qu’à son zèle. Il y a longtemps que je le connais, cette dernière preuve n’était pas nécessaire pour qu’il eût toute mon estime ; mais il l’a encore davantage depuis ces derniers moments. Je ne peux dire davantage ; mon cœur sent fortement tout ce qu’il doit sentir, mais je n’ai pas de paroles pour l’exprimer. Je finis cependant par le conjurer de ne pas trop s’affliger, d’avoir du courage ; je ne lui demande pas de penser à moi, je suis sûre qu’il le fera et je lui réponds d’en faire autant de mon côté. »
  4. Édition de 1825, Paris, Baudouin frères, pp. 247, 248, 252, 254. — Il est à remarquer que, à l’époque du service de Laurent et des visites du Comité, les parents dont Madame Royale ignorait la mort étaient la Reine et Madame Élisabeth : l’expression qu’elle emploie exclut donc son frère. Au contraire, le vœu d’être réunie à ses parents défunts est évidemment formulé alors qu’elle n’ignore plus aucune de ses pertes : elle exclut donc encore son frère. Ses préoccupations familiales vont jusqu’à ses grand’tantes : elle y pense sans cesse. Il n’y a qu’à son frère qu’elle ne pense pas.
  5. M. Imbert de Saint-Amand, La Jeunesse de la duchesse d’Angoulême.
  6. M. Imbert de Saint-Amand pourrait dire qu’il l’a pris dans Nettement (qui ne dit pas d’où il le tient). On peut s’étonner que l’invraisemblance criante du récit ne l’ait pas arrêté, surtout quand on constate qu’il a reculé devant l’aggravation que les derniers mots du récit de Nettement apportent à cette invraisemblance : « Après avoir donné ce papier, elle détourna la tête et se remit à lire. » Cela faisait vraiment de Maximilien Robespierre un personnage un peu trop débonnaire et un courtisan à l’échine trop souple.
  7. Pour donner la mesure de la liberté avec laquelle certains écrivains, soit par parti pris, soit par fantaisie, travestissent l’histoire, il est bon de mettre en regard du récit précédent celui que Madame Royale elle-même, dans sa Relation, a laissé de la visite de Robespierre : « Il vint un jour un homme, je crois que c’était Robespierre ; les municipaux avaient beaucoup de respect pour lui. Sa visite fut un secret pour les gens de la tour, qui ne surent pas qui il était, ou qui ne voulurent pas me le dire. Il me regarda insolemment, jeta les yeux sur les livres et après avoir cherché avec les municipaux, il s’en alla. »
  8. Il paraît que ce Delboy avait exprimé l’opinion qu’on ne devait pas laisser les deux enfants privés de toute communication entre eux.
  9. Il s’agit d’un membre du Conseil nommé Cressent, qui fut en effet exclu du Conseil et renvoyé à la police pour s’être permis de plaindre le petit Capet : cette décision est du 7 germinal an II (27 mars 1794). Après cette date, Madame Royale, s’il faut s’en rapporter à son affirmation, n’aurait donc fait aucune sollicitation en faveur de son frère. Cette constatation peut avoir son importance.
  10. Rapport fait à la Convention par Sevestre au nom du Comité de sûreté générale, séance du 21 prairial (9 juin) :
    « Citoyens, depuis quelque temps le fils de Capet était incommodé par une enflure au genou droit et au poignet gauche ; le 15 floréal, les douleurs augmentèrent, le malade perdit l’appétit et la fièvre survint. Le fameux Desault, officier de santé, fut nommé pour le voir et pour le traiter ; ses talents et sa probité nous répondaient que rien ne manquerait aux soins qui sont dus à l’humanité. Cependant la maladie prenait des caractères très graves. Le 16 de ce mois, Desault mourut ; le Comité nomma pour le remplacer le citoyen Pelletan, officier de santé très connu, et le citoyen Dumangin, premier médecin de l’hospice de santé, qui lui fut adjoint. Leur bulletin d’hier à onze heures du matin annonçait des symptômes inquiétants pour la vie du malade, et à deux heures un quart après-midi, nous avons reçu la nouvelle de la mort du fils de Capet… »
    L’autopsie eut lieu le 21 prairial (9 juin), à onze heures du matin.
  11. Madame Royale n’était pas mieux informée de l’heure que du jour. La nouvelle de la mort était apportée au Comité de sûreté générale à deux heures un quart. Étrange insouciance ! l’erreur n’a été corrigée dans aucune des éditions.
  12. Un panégyriste s’est chargé de paraphraser cette thèse : « Quand Madame Royale apprit cette mort, il lui sembla qu’elle perdait encore une fois, dans la personne de son frère, tous ceux qu’elle avait perdus. L’histoire du Temple, que nous venons de résumer en la terminant, se résuma aussi dans son âme. Toutes les plaies de son cœur se rouvrirent, et dans ce seul deuil elle repleura tous les deuils qu’elle avait eu à porter. Le dernier cri de la Passion : « Tout est consommé » lui échappe et vient retentir dans son journal, qui se termine par ces douloureuses paroles : « Telles ont été la vie et la fin de mes malheureux parents, pendant leur séjour au Temple et dans les autres prisons. » C’est ainsi que Marie-Thérèse clôt le journal du Temple ; ce monument précieux de ses sentiments et de ses pensées va nous manquer désormais. Elle n’a plus à parler que d’elle-même, la plume lui tombe des mains ; elle renonce à écrire… » (A. Nettement, Vie de Marie-Thérèse de France, p. 193.)
    Quelle plaisanterie ! Ce deuil, dans lequel elle repleure tous ses deuils, elle ne le porte pas ! — Elle n’aurait plus à parler que d’elle-même. Mais elle aurait au moins à parler de son frère. — Elle renonce à écrire. Mais c’est pour reprendre la plume précisément quand elle n’aura plus à parler que d’elle-même, pour raconter son voyage de Paris à Vienne.
  13. Arrêté du Comité de sûreté générale du 2 messidor an III.
    D’après les « renseignements » fournis au Comité, le citoyen Chanterenne était « chargé en chef d’un détail de confiance à la Commission administrative de police ».
    Et d’après une note reproduite dans les journaux de l’époque, Mme de Chanterenne elle-même aurait été autrefois femme de chambre de Marie-Antoinette.
  14. M. Imbert de Saint-Amand, La Jeunesse de la duchesse d’Angoulême.
  15. Un des griefs qu’elle reproche à Simon est d’avoir empêché le Dauphin de porter le deuil de son père. « Avant son départ, dit-elle (le départ de la Reine), on était venu chercher les habits de mon frère. Elle avait dit qu’elle espérait qu’il ne quitterait pas le deuil, mais la première chose que fit Simon fut de lui ôter son habit noir. » (Relation, p. 227.)
  16. Commune de Paris. Séance du mercredi 23 janvier 1793.
    « Le Conseil général entend la lecture d’un arrêté du Conseil du Temple, qui renvoie au Conseil général à statuer sur deux demandes faites par Marie-Antoinette. La première d’un habillement de deuil très simple pour elle, sa sœur et ses enfants. Le Conseil général arrête qu’il sera fait droit à cette demande. Sur la seconde, à ce que Cléry soit placé auprès de son fils, comme il l’était primitivement, le Conseil général prononce l’ajournement. »
    Les vêtements de deuil furent accordés le 23 janvier, comme on le voit ; dès le 27, on en porta une partie au Temple. Les mémoires en sont conservés aux Archives (carton E, n° 6208).
  17. La Commission de secours publics.
    « Du 2 messidor de l’an III de la République française une et indivisible (20 juin 1795).
    » Le Comité de sûreté générale : Vu les différents rapports faits par les commissaires préposés à la garde du Temple sur les objets dont la fille de Louis Capet pourrait avoir besoin, le Comité de sûreté générale arrête que la Commission des secours demeure chargée de procurer à la fille de Louis Capet les objets qu’elle a demandés pour sa nourriture et son entretien, et il lui sera également fourni des livres pour son usage.
    » La même Commission rendra compte tous les mois de ce qu’elle aura fait en exécution du présent arrêté et de ceux relatifs aux personnes détenues au Temple. »
  18. Ces détails étaient donnés dans les mêmes termes aux journaux royalistes de province. Voici un extrait de la correspondance envoyée de Paris à un journal de Toulouse, l’Anti-Terroriste, numéro du samedi 26 septembre 1795, 4 vendémiaire an IV : « Marie-Thérèse-Charlotte n’ignore plus les malheurs de sa famille ; elle passe presque tous ses instants à lire et à écrire pour se distraire de ses chagrins. Elle est tous les jours en robe de nankin ; tous les dimanches, elle se met en robe de linon, et toutes les fêtes solennelles elle se pare d’une robe de taffetas vert. Les dames de Tourzelle[sic] y vont trois fois… »
  19. On dirait que ce qui est décent est d’avoir quitté le deuil au moment où il semble qu’elle dût le reprendre.
  20. Il est bien évident qu’une attention aussi scrupuleuse lui faisait un devoir, après avoir corrigé la première partie de la citation, d’en supprimer la fin où il est question de la gaîté que Marie-Thérèse fait paraître. Il fallait cacher ce mot qu’on ne saurait souffrir.
  21. On sait à quel point Gomin était dévoué à Madame Royale. Quant à l’auteur de l’Almanach de Bâle, Michaud, plus tard rédacteur de la Quotidienne, son dévouement n’est pas plus douteux ; et, pour ce qui est de la valeur de ses informations, il nous apprend qu’il écrit d’après des renseignements fournis par le mari et la sœur de Mme de Chanterenne.
  22. Le fait du deuil non porté n’a pas absolument échappé à tous les historiens. Nettement dit que, quelques semaines après son arrivée à Vienne en 1796, Madame Royale prit le deuil « qu’elle n’avait pu porter dans sa prison ». En présence des documents officiels qui constatent les prévenances du gouvernement pour offrir à Marie-Thérèse tout ce qu’elle pouvait souhaiter, conçoit-on qu’un écrivain réputé sérieux traite les faits avec autant de légèreté ou autant de parti pris ?
  23. Comme on le voit, le ton même est changé. Il n’est plus question de la famille Capet, mais de la famille de Bourbon.
  24. Les royalistes dans la France entière ne montrèrent pas plus d’étonnement. On trouve dans l’Anti-terroriste (de Toulouse), numéro du 26 septembre 1795, le bulletin suivant, envoyé de Paris (par la correspondance royaliste) : « Marie-Thérèse-Charlotte n’ignore plus les malheurs de sa famille… Elle est tous les jours en robe de nankin, tous les dimanches elle se met en robe de linon, et toutes les fêtes solennelles elle se pare d’une robe de taffetas vert… » Cela était accepté partout. Étrange ! étrange !
  25. C’est Fabre de l’Aude (certainement bien informé) qui donne ce renseignement (Histoire secrète du Directoire, t. I, p. 193). Les correspondances royalistes envoyées aux journaux de province parlent aussi de deux personnes placées auprès de Marie-Thérèse.
  26. Cette mystérieuse personne se disait fille du prince de Conti et de la duchesse de Mazarin et prenait le nom de comtesse de Mont-Cair-Zain, anagramme de Conti et de Mazarin. Elle se faisait appeler aussi Stéphanie-Louise de Bourbon. Il est généralement admis qu’elle ne fut qu’une intrigante. Quoique certains faits soient de nature à laisser quelques doutes à cet égard, il est fort étonnant que, dans dans sa situation contestée, elle ait obtenu des gouvernants l’entrée au Temple et de Marie-Thérèse un accueil empressé. — Il n’est pas indifférent de noter que cette énigmatique personne était alors, et resta la protégée et la pensionnaire du comte de Provence.
  27. Gauthier (de l’Ain) était membre du Comité de sûreté générale et était chargé du département de la police. Il paraît certain que Mme de Tourzel avait des titres quelconques à sa protection particulière.
  28. M. Imbert de Saint-Amand, La Jeunesse de la duchesse d’Angoulême, p. 136.
  29. S’il fallait en croire un autre écrivain, des plus dévoués à la cause de la Restauration, cette demande de Marie-Thérèse ne se comprendrait pas. Les fiançailles auraient eu lieu dès 1787. Voici ce qu’il raconte : « Quoique Madame Royale n’eût encore que neuf ans, son mariage avec M. le duc d’Angoulême, son cousin, avait déjà été arrêté. L’entrevue eut lieu avec pompe à Versailles, les paroles furent données, et il fut décidé que le mariage se ferait dès que le jeune prince aurait atteint l’âge fixé par les lois de la monarchie. » (Nettement, ib., p. 52.)
    Le zèle des écrivains de cette école est remarquable. Chacun d’eux sait trouver une version complaisante ; malheureusement ces versions se contredisent entre elles.
  30. Comte d’Hérisson, Le Cabinet noir, p. 224.
  31. Montgaillard avait été en effet chargé par le comte de Provence de négociations relatives à cette question auprès de la cour de Vienne, mais il paraît qu’il n’avait pas réussi. Il serait bien intéressant de savoir quelle était la combinaison pour laquelle il avait mandat : ce n’était évidemment pas celle de décider M. de Thugut. Pour enlever son consentement, le zèle de quelques royalistes avait dépassé les intentions de M. de Provence et de ses affidés dans le gouvernement. Quant à lui, il est bien certain que si sa nièce ne devait pas servir ses projets, il préférait la voir en prison.
  32. V. Fabre de l’Aude, Michelet, etc.
  33. Voir Michelet, note.
  34. Beauchesne rapporte que Mme de Chanterenne ayant réclamé contre l’arrêté qui la concernait, « le ministre ne répondit pas par écrit, mais il fit rassurer secrètement Mme de Chanterenne, qui se calma, et attendit sans défiance l’avenir meilleur et prochain qui était annoncé. Elle rendit justice au caractère de M. Benezech, et ne craignit pas de s’adresser à lui dans une autre occasion ».
  35. Voir à cet égard l’Histoire secrète du Directoire. Fabre, de l’Aude, était en situation d’être parfaitement renseigné.
  36. M. Imbert de Saint-Amand, La Jeunesse de la duchesse d’Angoulême.