Une horrible aventure/Partie II/Chapitre IX

Journal L’Événement (p. 80-82).

IX


Verlac s’arrêta un instant pour rouler une cigarette et reprit en ces termes :

— La moitié de ma tâche était terminée : j’avais démasqué le citoyen Labrosse, j’avais fait preuve de sa culpabilité.

Il me restait encore à trouver la punition méritée par ce farceur d’outre-mer ; il me restait à venger les étudiants de Paris.

Je gagnai les boulevards : c’est là que les idées me viennent toujours… Et, d’ailleurs, depuis quelques temps, il m’en trottait une par la tête, que je n’étais pas fâché de mûrir un peu.

Les boulevards me furent fidèles, comme d’habitude. Je n’avais pas fini mon deuxième londrès que mon plan était fait et ma petite vengeance organisée.

— Voyons cela ; voyons cette terrible revanche que tu prépares aux étudiants parisiens, illustre et implacable Verlac. Est-elle digne au moins de nous ? Est-elle digne d’un ingénieux enfant des rives fleuries de la Garonne ?

— Vous allez voir, messieurs, répondit gravement l’étudiant gascon. Mais, d’abord, dites-moi si vous savez qui demeure dans la mansarde qui fait face à celle du cousin Labrosse.

— Eh ! répondit une voix, qui peut percher là-haut, si ce n’est un décavé comme Arnaud ?

— Celui qui montre des figures de cire ? demanda-t-on.

— Précisément, affirma Verlac. Il est en outre — plusieurs d’entre vous ne l’ignorent pas — un peu prestidigitateur et beaucoup ventriloque.

— En effet.

— Eh bien ! mes amis, c’est là l’homme qui va mettre mon plan à exécution et qui vous aidera à rouler maître Labrosse de façon à ce qu’il s’en souvienne.

— Comment cela ?… mais explique-toi donc : tu nous tiens sur le gril.

— J’y suis. Figurez-vous, messieurs, que ce brigand d’Arnaud — que nous avons toujours pris pour un Parisien de Paris — se trouve être un vieux Turc, jaloux comme un tigre et gardant sous verroux une pauvre jeune fille grecque…

— Le scélérat !

— Belle comme le jour…

— Vieux coquin !

— Et princesse, pardessus le marché.

— Morbleu ! rien que ça ?… Il est malheureux, par exemple, qu’il n’y ait point de princesse en Grèce : — Edmond About l’a écrit.

— About a écrit cela — tu en es sûr ?

— Parbleu !

— C’est fâcheux, en effet : ça dérange quelque peu ma petite combinaison.

— Prends ta princesse dans les Îles Ioniennes.

— Il y en a-t-il, là ?

— Il en trouvera bien une de bonne volonté.

— Va pour les Îles Ioniennes.

Donc, cette pauvre petite princesse est infiniment malheureuse et soupire après une délivrance, qu’elle attend en vain depuis longtemps. Elle montre de temps à autres, derrière les carreaux de sa fenêtre, sa figure pâle.

Labrosse a vent de la chose, flaire une aventure et nous interroge sur l’intéressante jeune fille qui loge en face. Naturellement — sans avoir l’air d’y toucher — nous lui montons la tête à l’endroit de la malheureuse princesse. Si bien qu’au bout de quelques jours, le citoyen Labrosse — ce terrible chasseur de Sauvages, — devient amoureux fou de la belle Grecque et projette un enlèvement…

C’est alors que nous rirons à notre tour et que le cousin d’Amérique recevra la monnaie de sa pièce.

Arnaud a justement un sujet en cire superbe, qui va faire la plus délicieuse petite grimace du monde.

En ce moment, un bruit de sonnette retentit au rez-de-chaussée, et bientôt des pas se firent entendre dans l’escalier.

— Chut ! mes amis, voici notre homme qui rentre, dit Verlac. Pas un mot ! et que le digne cousin ne soupçonne rien de notre conspiration.

Une minute après, maître Labrosse — quelque peu gris — faisait en effet son entrée dans la pièce où causaient les étudiants.

Il était trois heures du matin.