Une fille d’Alfred de Musset et de George Sand/III

Bibliothèque littéraire de la "Revue internationale de pédagogie comparative" (p. 31-42).


III

UNE
DÉCOUVERTE SENSATIONNELLE


Il y a quelques années, le brillant et regretté chroniqueur que fut Aurélien Scholl allait tous les étés passer deux ou trois mois à la Rochelle. Il fit la découverte de cette tombe.

Ce mot Tessum, qui est celui de Musset retourné, des conversations, au village de Saint-Maurice, avec des femmes qui avaient connu Norma, suffirent à le persuader qu’une fille ignorée de Alfred de Musset et de George Sand reposait là.

Il trouva même une photographie de Norma, qu’il paya fort cher, et quelques livres de Musset avec des dédicaces comme celles-ci : À ma fille bien-aimée, à ma Norma, à mon enfant chérie, signées : Alfred de Musset, A. de M… Que demander davantage ?

N’était-ce pas là la preuve certaine, évidente, de l’existence d’une fille de Musset et de George Sand ?

Scholl, un admirateur fervent du grand poète et de la grande romancière, fut enthousiasmé par sa découverte.

Il conta la chose dans les journaux et cela fit grand bruit.

« Son portrait est là, écrit-il, sous mes yeux ; c’est une miniature entourée d’un ovale de cuivre, la jeune fille paraît avoir dix-huit ans… »

Et sur sa tombe abandonnée, il se promit d’apporter désormais chaque année des fleurs nouvelles. « Tu n’es pas morte tout entière, dit-il, j’adopte ton souvenir et j’en fais mon enfant. »

D’autres publicistes, poussés par la curiosité, visitèrent le petit cimetière de Saint-Maurice. Ils examinèrent scrupuleusement l’inscription et y trouvèrent en effet l’anagramme de Roman Musset-Sand (en transformant l’o de Onda en s). Ce trait d’union entre Tessum et Onda leur parut mériter cette interprétation.

On avait enfin la clef de la liaison de George Sand et d’Alfred de Musset. On tenait le dénouement des amours des deux tourtereaux de Venise[1].

Alors, l’on sut par les racontars de bonnes femmes que Norma était venue habiter Saint-Maurice quelques jours seulement avant de mourir d’une maladie de poitrine, comme l’héroïne qu’Alexandre Dumas a immortalisée dans la Dame aux Camélias.

Elle vivait avec une vieille dame assez fantasque, ne sortait jamais, ne parlait à personne.

Cette existence quasi mystérieuse était au moins bizarre et originale. Elle éveilla des soupçons.

Quand la jeune fille fut morte, la vieille dame qui l’accompagnait se complaisait à répéter à ses voisins et non sans vanité que Norma était née des amours d’Alfred de Musset et de George Sand ; et elle montrait des ouvrages du grand poète portant des dédicaces écrites de la main même de l’auteur des Nuits à sa fille aimée.

D’autres jours, par contre, elle disait que Norma était originaire du Maine-et-Loire, de Cholet, et que son père exerçait dans cette ville la profession de tisserand. Mais presque aussitôt, elle ajoutait tout bas : il y a eu substitution d’enfant. Et ces contradictions ne permettaient pas de dégager facilement la vérité sur l’énigmatique Norma Tessum.

Ce qu’il y avait de certain cependant, c’est que Norma était extraordinairement jolie. Sa photographie que nous avons vue, faite à Paris, chez Gourgenheim et Forest, rue Croix-des-Petits-Champs, no 10, la représente dans sa dix-septième année environ, d’une beauté rare et curieuse de blonde.

Ses traits fins, ses yeux taillés en amande, aux cils arqués, son nez accentué, sa bouche aux lèvres minces, sa chevelure blonde et onduleuse, rappellent le charme féminin que dégage le portrait d’Alfred Musset gravé par Bida, et en même temps font songer à l’air viril et décidé de la Bonne Dame de Nohant. On dirait une belle frondeuse ou bien encore une bergère de Watteau évoluant dans la transparente limpidité d’un paysage hollandais.

C’était véritablement une délicieuse tête d’artiste.

À Paris, où elle habita, elle fréquentait du reste, chez les artistes, peintres, sculpteurs, voire même chez les hommes politiques, Rochefort et autres, qui furent ensuite déportés pour leur participation aux événements de la Commune.

Elle posa même dans un salon de peintre, pour un tableau qui représente la Vierge dans l’église de Notre-Dame-des-Victoires, à Paris.

Enfin, elle passait pour être un peu poète à ses moments de loisir, et elle s’amusait à rimer avec les plus grandes difficultés de médiocres poésies. Les vers inscrits sur sa tombe sont très vraisemblablement d’elle ; à coup sûr, ils ne sont dignes ni d’Alfred de Musset ni de George Sand.

Norma affirmait beaucoup aimer la poésie et son poète favori était naturellement Musset.

Elle se plaisait à déclamer les belles strophes de la Malibran, ou, avec des gestes de circonstance, le poème un peu leste de Namouna. Elle chantait aussi, mais moins bien que Desdémone.

Voilà tout ce que Scholl put apprendre à Saint-Maurice, au cours de ses investigations.

L’existence de cette personne, sa photographie, ses relations, ses livres, sa mort de phtisique, sa tombe, tout portait à croire, en effet, qu’elle était bien la fille d’Alfred de Musset et de George Sand.

Saint-Maurice allait-il donc devenir comme le tombeau de Abélard et d’Héloïse au Père-Lachaise ou comme celui de Rousseau dans l’île des Peupliers à Ermenonville, un lieu de pèlerinage cher aux amants et aux poètes ?[2]



  1. André Balz (Le XIXe siècle).
  2. Nous lisons dans la Quinzaine sous la signature de Gabriel Aubray : « Je la connais, cette tombe, pour l’avoir saluée en allant en pèlerinage à celle de notre cher et trop oublié Fromentin. Elles sont là-bas toutes deux, au pays pâle et mouillé, mais charmant, de Dominique, à quelques pas de sa silencieuse maison des Trembles sur le bord de cette route crayeuse qui, par des prés marécageux et des champs d’orge, menait autrefois vers la mer et qui conduit maintenant aux quais neufs et déserts d’un grand port sans navires. Et je sais, comment sur cette tombe, a fleuri la légende qui ne veut plus mourir. Si séduisante de mélancolie est cette pensée que Musset et George Sand ont eu une fille — oui, quoique née en 1854, vingt ans après les amours de Venise, des Rochelais la veulent aussi fille de George Sand ! Eh ! qu’importe à l’imagination populaire vingt ans de plus ou de moins ? — et cette fille, égarée dans la vie, vient poétiquement mourir de la poitrine au bord de l’Océan. Et voici, dans le petit cimetière de Saint-Maurice sa tombe avec son nom qui, comme un voile transparent, trahit en le couvrant le mystère de sa naissance glorieuse et de sa vie obscure : « Ci-gît Norma Tessum-Onda ». Ah ! plantons-y un saule et jetons sur cette pierre des lys et des roses ».