J. Hetzel (p. 160-161).

André à madame de Vineuil.
Oucques, 9 décembre.

Chère maman,

Ce devrait être une complète joie de me retrouver ainsi, grand garçon et capable de vous écrire, mais j’ai beau m’en vouloir d’être si ingrat, je ne puis être joyeux. Ma guérison n’est plus qu’une affaire de temps (vous savez que je vous dis exactement la vérité), mais je ne puis prendre mon parti de notre désastre, non, je ne puis pas m’en consoler !

Vous dire les détresses d’une telle guerre ne se peut pas plus que les oublier. On est partagé entre la douleur et la rage. Chaque jour l’armée se bat, hier toute notre ligne a été attaquée à la fois, et notre centre a failli être percé à Villorceau. Sur tous les points nous avons tenu, et il paraît qu’on s’est admirablement conduit. Cela est une consolation, mais qu’il est dur, en un tel péril, de n’être bon à rien ! C’est un affreux loisir que celui que vous fait une blessure en de telles circonstances. Sous les armes, en marche, devant l’ennemi, l’action tue la pensée, on ne prévoit pas, on agit de son mieux, et voilà ! Penser et ne rien faire est odieux quand tout est si noir. Chère maman, pardonnez-moi, je devrais songer seulement que votre fils ressuscite et vous en complimenter ; d’ailleurs j’ai tant à vous dire de tous ces dévouements qui m’entourent ! Barbier qui m’a dix fois en six jours sauvé la vie, le personnel de l’ambulance, Mlle M…, sœur S…, Durand qui me comblent à qui mieux mieux, et enfin cette bonté de Dieu qui fait trouver tous ces secours sur ma route, voilà de quoi je devrais vous parler !

Durand arrive et me gronde de tant écrire, et je ne vous ai presque rien dit ! Adieu, puisqu’il le faut, chère maman, sœurs et frère, au revoir !