André à madame de Vineuil.
Halte en avant du Mans, nuit du 10 au 11 janvier.

Un mot seulement, un mot triste, mais non désespéré. Le moral des troupes est mauvais. Il y a de la lassitude déjà. Cela inquiète quand on songe à ce qui reste à faire…

Il est vrai que nous leur demandons beaucoup. Le temps a été affreux toute la journée et il a fallu, sans prendre le loisir de manger, soutenir par la pluie et à travers les amas de neige des derniers jours, une marche forcée de douze heures. Envoyée en avant-garde, ma compagnie a eu la chance de trouver en gare, à Château-du-Loir, un dernier train qui emmenait quelques traînards de l’amiral. C’est à cela que nous devons d’avoir pu passer. L’ennemi attaquait Écommoy ; il doit en être maître maintenant, et la ligne est naturellement coupée. Je ne pense pas que le général Curten puisse rejoindre, et c’est dommage[1]. Ses hommes n’auront rien trouvé pour se refaire, à Château-du-Loir. Les troupes de débandés qui traversent la ville depuis deux jours ont gaspillé les approvisionnements. L’ordre de porter avec soi quatre jours de vivres est inexécutable en l’absence de ces vivres. Ici même, à la porte du Mans, nous n’avons rien ; les heureux se sont couchés avec un verre de vin pour tout souper. Il faut espérer que l’intendance fera mieux demain, et je tâche de remonter le moral de mes hommes.

On dit que l’armée allemande attaque partout à la fois, mais nous avons des positions magnifiques.

Adieu, chère maman, cela me fait de la peine de n’en pas dire plus long ; quand pourrai-je vous écrire de nouveau ? Ce n’est pas tous les jours fête, ni halte à Château-Renault.

  1. En effet, lorsque la 2e division du 16e corps atteignit Château-du-Loir, la voie était déjà coupée et le passage impossible. Après avoir, dans la journée du 11, tenté une attaque sur Écommoy, le général Curten put retirer heureusement ses troupes et son matériel sur la Flèche, où il arriva le 13, puis sur Laval, qu’il atteignit le 16.

    La position destinée au général Curten était celle de la Tuilerie.