Une erreur de M. Lloyd George - Petite propriété française et confiscation russe

Georges d’Avenel
Une erreur de M. Lloyd George - Petite propriété française et confiscation russe
Revue des Deux Mondes7e période, tome 10 (p. 123-131).
UNE ERREUR DE M. LLOYD GEORGE

PETITE PROPRIÉTÉ FRANÇAISE
ET CONFISCATION RUSSE

M. Lloyd George, dans son discours à la Chambre des communes, le jeudi 25 mai dernier, s’est exprimé en ces termes :


Les révolutions qui s’effectuent sur une grande échelle, entraînent dans leur sillage la confiscation des biens et j’ai le regret de dire confiscation sans compensation. La Révolution française a été accompagnée de la confiscation de toutes les terres et peut-être l’esprit conservateur de la France d’aujourd’hui a-t-il ses racines dans la confiscation.

La révolution russe entraine aussi comme conséquence la répudiation des obligations contractées par la Russie ; mais il y a cette différence avec la France que si celle-ci a créé un système de petites propriétés pour le paysan sans offrir de compensation pour les terres confisquées, elle n’a pas cherché à emprunter de l’argent aux autres nations.


Comme la bonne foi de M. Lloyd George ne saurait être mise en doute et qu’il croit sincèrement ce qui précède, nous sera-t-il permis de dire que le premier ministre d’Angleterre abuse un peu du droit que possède un homme politique étranger d’ignorer l’histoire économique de la France, tant ancienne que moderne, et qu’il use aussi très largement du même droit en ce qui concerne la Russie agricole d’aujourd’hui.


Bien que la mode, dans le camp bolchéviste ou bolchévisant, soit de chercher à déshonorer la Révolution française en la comparant à l’anarchie soviétique, ce n’est que par une méconnaissance complète des faits du passé que l’on prétendrait établir, avant ou après 1789, un parallèle quelconque entre la propriété en France et la confiscation en Russie.

Ce n’est pas à la Révolution, c’est au Moyen âge, que remonte, chez nous autres Français, la création de la propriété paysanne. Elle fut intimement liée à l’abolition du servage, phénomène purement économique, nullement politique ni religieux, mais résultant du libre jeu d’intérêts en présence. La prospérité agricole du XIIIe siècle engendra la hausse des terres, — en cent ans l’hectare monta de 360 francs à 1050 en monnaie de 1913 ; — d’où le besoin de bras, puisque c’est uniquement aux époques de prospérité que l’agriculture se plaint de « manquer de bras, » plainte qui prouve, ou la hausse des salaires agricoles, parce qu’on recule à payer ces bras un prix excessif, ou la mise en valeur d’une surface plus grande que précédemment.

L’homme parut alors le bien le plus précieux, source de toute richesse par le profit que l’on tirait du sol défriché ; on se mit les laboureurs aux enchères, et le prix dont on les paya fut la liberté et la propriété foncière. Le mouvement, une fois commencé, continua par sa seule force, par le « droit d’attrait, » une manière, entre seigneurs, voisins, de se soutirer les hommes les uns aux autres. Non seulement le Roi, mais la plupart des princes usaient, tant qu’ils pouvaient, de cette escroquerie chevaleresque, vis-à-vis des fieffés, clercs ou laïques, de moindre envergure. De sorte que les seigneurs, de peur d’être abandonnés de leurs serfs qui eussent déguerpi, quand ils y trouvaient avantage, chez un maitre plus puissant, furent tous amenés peu à peu à en faire autant.

Le sol fut ainsi morcelé et transféré, du seigneur à ses serfs affranchis, par un acte qui porte improprement le nom de « bail à cens, » mais qui est effectivement une donation, moyennant une rente minime, invariable, et des profits indirects connus sous le nom de « droits féodaux. » Le bailleur, selon la formule du temps, a « livré, versé, quitté, transporté et octroyé, à toujours et à perpétuité, au preneur et à ses successeurs, » la terre qui fait l’objet du contrat. Il « s’en est démis, dévêtu et dessaisi, et a vêtu et saisi le preneur. » Il l’a « mis en bonne possession, et fait vrai seigneur, comme en sa propre chose et domaine. » Tels furent les termes solennels que l’on employa, et il semble que l’on ait recherché les expressions les plus fortes que la langue juridique ait pu fournir, pour marquer la transmission expresse du fonds, du bailleur qui vend au preneur qui acquiert.

Une seule restriction fut apportée à l’indépendance du nouveau possesseur. Il ne pouvait céder son domaine à des gentilshommes ou à des clercs, « mais pourra les aliéner à tous autres suivant leur plénière volonté à vie et à mort, » à charge par les acquéreurs de payer au seigneur les droits de mutation que perçoit aujourd’hui, pour le compte de l’Etat, l’administration de l’Enregistrement, et que percevaient, avant 1789, les héritiers des possesseurs primitifs. Et c’est parce qu’ils craignaient de voir compromettre ces droits, et tous autres sur le revenu desquels ils comptaient, qu’ils interdisaient à ceux qui recevaient la terre de la céder à « personne ecclésiastique ou gens privilégiés. »

Telle est l’origine, très ancienne en France, du morcellement et de la propriété paysanne ; elle n’a rien de commun avec la confiscation, puisqu’elle fut établie par contrats spontanés et non par violence ; et il est curieux de remarquer qu’à cette époque barbare, et qui ne se piquait point d’humanitairerie, le libre effet des conditions naturelles ait réalisé chez nous le rêve que les utopistes croient être le but final des sociétés politiques,— toute la terre aux laboureurs, — tandis qu’au contraire il accompagne seulement l’aurore des sociétés en formation.

De tous ces colons égaux devant la nature, avec leurs bras et quelques instruments rudimentaires pour tout capital, qui reçurent du XIIIe au XVe siècle des lambeaux de terrains d’une importance variant entre 10 et 150 hectares par famille, selon les provinces, les uns eurent des descendants qui, par une marche constamment ascensionnelle, entrèrent dans la bourgeoisie, puis dans la noblesse ; d’autres se ruinèrent et retombèrent dans le prolétariat ; un certain nombre mourut sans postérité ou émigra sans laisser de traces. C’est là ce que nous révèle l’étude patiente des familles que l’on parvient à suivre pendant plusieurs siècles.

En certaines provinces, les inconvénients d’un morcellement excessif et d’une sorte de pulvérisation du sol n’avaient pas tardé à se faire sentir. A quelques mètres du donjon commençait, au temps féodal, la propriété roturière dont la division et la subdivision atteignait un degré incroyable : telle prairie de quatre hectares était répartie en quarts et demi-quarts d’arpents entre une cinquantaine de possesseurs. Mais quoiqu’il y ait eu, depuis le milieu du XVIe siècle, un mouvement de concentration, que de grands domaines se fussent alors constitués, par exemple les grandes fermes de Beauce et de Brie qui toutes datent du XVIIe siècle, le sol français demeura jusqu’à la fin de la monarchie aux mains de plusieurs millions de propriétaires.

On ne saurait ouvrir un inventaire d’archives de l’ancien régime sans y rencontrer des myriades d’achats de terres faits à ou par des laboureurs ; pour créer un parc de 30 hectares, tel seigneur doit acheter, l’une après l’autre, deux cents parcelles. Louis XIII et Louis XIV n’agirent pas autrement pour constituer, miette à miette, Versailles et Trianon, ― Trianon, village de 32 habitants, dont 26 étaient propriétaires du parc actuel.


Dans la France de 1789, les évaluations les plus modérées portent à 4 millions le nombre des détenteurs du sol ; ce qui, pour 25 millions d’âmes, — soit 8 millions de familles ou feux, — représenterait près de moitié de la population. Quoique la qualité de « propriétaire » s’applique ici à des individus qui possèdent seulement, au village, une maison avec un jardin et qu’en l’absence de statistique générale il soit difficile de fixer un chiffre, il est certain que la propriété paysanne absorbait alors une part qui ne devait pas être très inférieure au tiers de la superficie cultivée.

Cette propriété ne fut donc pas créée par la Révolution française, laquelle n’a pas été d’ailleurs, — et c’est aussi une erreur de M. Lloyd George, — « accompagnée de la confiscation de toutes les terres. » Seules, les terres du clergé furent mises « sous la main de la nation, » mais non point celles de la « noblesse, » en tant que classe ou ordre privilégié. Les seuls nobles dont les biens aient été confisqués furent les» émigrés. » Or, non seulement tous les gentilshommes n’émigrèrent pas, nombre d’entre eux parvinrent à traverser sans encombre la période aiguë de la Révolution, mais ceux qui furent emprisonnés, déportés ou massacrés, et les héritiers mêmes de ceux qui montèrent sur l’échafaud, ne furent pas dépouillés de leurs biens, ou ces biens furent restitués, sitôt après la Terreur, aux familles qui prouvaient que leur chef n’avait pas émigré.

Quant à ceux, nobles ou roturiers, qui étaient « portés sur la liste d’émigration, » leurs terres confisquées ne furent pas toutes vendues, faute d’acquéreurs. L’Empire et la Restauration restituèrent en nature plus de la moitié des immeubles ; dans le district de Toulouse, par exemple, sur 370 domaines séquestrés, 111 furent aliénés et 259 rendus à leurs propriétaires.

Ceci n’est pas pour excuser ou atténuer les excès lamentables de notre Révolution, mais pour en préciser la nature, en mesurer la portée et se garder des généralisations erronées. Il est clair que toutes les demeures seigneuriales n’ont été chez nous, ni détruites pendant la tourmente révolutionnaire, ni arrachées à leur légitime possesseur ; puisque le plus grand nombre de ces demeures sont encore debout et habitées par les mêmes familles que sous l’ancien régime. Chacun en connaît de telles dans son voisinage et, pour n’en citer que de très illustres, à voir les châteaux d’Harcourt, de La Rochefoucauld, de Brissac, d’Uzès, de Broglie, de Josselin aux Rohan, de Maintenon aux Noailles, de Brienne aux Bauffremont, de Dampierre aux Luynes, etc., etc., on peut se demander s’il y a présentement, malgré la nuit du 4 août, beaucoup plus en Angleterre qu’en France de membres de la haute aristocratie logés dans les maisons de leurs aïeux.

En fait, d’après mes recherches personnelles, et d’accord avec les plus récents dépouillements d’archives sur ce sujet, l’on peut estimer au dixième environ des terres françaises la superficie confisquée et aliénée par la Révolution. Aliénée, mais non dispersée ; si l’on examine la qualité des acheteurs de biens nationaux, on voit que les deux tiers environ furent des bourgeois, des hommes de lois, des commerçants ou des propriétaires du bourg ou de la ville voisine ; un tiers seulement furent des cultivateurs ou des artisans. Et, si l’on entre dans le détail des achats réalisés, on constate qu’il a été adjugé aux bourgeois une surface incomparablement plus grande qu’aux paysans, parce que les lots étaient le plus souvent d’un prix inaccessible à la bourse des prolétaires ruraux.

Plus tard, sous le premier Empire, il y eut des reventes spéculatives, avec morcellement, qui augmentèrent le nombre des propriétaires. Mais, pour la surface cultivée sous Louis XVI, le morcellement n’a pas augmenté sensiblement par le fait de la Révolution. Ce qui, depuis 1789, a contribué à la division de la propriété, c’est l’augmentation de la surface cultivée depuis cent trente ans, l’immensité des landes, pâtures et forêts indivises qui ont été happées par la propriété individuelle et principalement par la petite propriété. En citerai-je un exemple topique aux environs immédiats de Paris ? Au Vésinet, où le cadastre initial date de 1824, on ne trouvait alors qu’un seul propriétaire, le territoire actuel de cette commune étant occupé par une forêt de l’État, non imposable ; en 1885, les propriétaires y étaient au nombre de 759. A Nanterre, au contraire, on comptait 1 775 cotes foncières en 1813 et 1 424 seulement en 1860.


En France, l’évolution économique a précédé l’évolution politique ; les habitants et l’Etat ont grandi ensemble, se sont formés et développés en même temps. Quand notre paysan était serf, l’individu qui portait le titre de « Roi des Français, » — Francorum rex, — était un seigneur un peu plus « arrivé » que les autres, mais guère plus possessionné que bien d’autres et, pour longtemps encore, en lutte avec eux. Avant que ce seigneur fût devenu « l’Etat, » les paysans étaient devenus des vassaux-propriétaires et, bien avant que ce seigneur disparût, par la Révolution de 1789, les Français, sans cesser d’être politiquement des sujets, étaient devenus économiquement des citoyens. Parmi ces innombrables petits « Etats » qu’avaient été les serfs du Moyen âge, les serfs étaient passés à travers ce réseau de jalousies et de concurrences pour atteindre du même coup la propriété et la liberté.

En Russie, au contraire, l’armature de l’Etat s’est constituée avant le développement du progrès social. On a coulé dans un moule rigide une pâte brute dont la fermentation s’est arrêtée. Lorsque le « Grand-Prince » de Moscou, au milieu du XVIe siècle, eût enfin secoué le joug tartare et se décora de ce titre d’« autocrate, » destiné à affirmer son indépendance vis à vis des successeurs de Gengiskhan ou de Timour, le type de souveraineté qu’il inaugura fut le type asiatique, ou, si l’on veut, le type byzantin : l’absolutisme, et non la vassalité à la manière féodale.

Boyards ou moujiks à l’état social mal défini, pour que tous lui fussent uniformément soumis, les paysans durent servir les nobles, afin que ceux-ci pussent servir le tsar à l’armée. Par une loi nouvelle, au début du XVIIe siècle, tous les laboureurs sans distinction de classe, ceux des nobles comme ceux du tsar, furent désormais incorporés au domaine. Toute migration, tout changement de domicile fut interdit et devint impossible. La chaîne fut solidement rivée par une administration centraliste et par des mesures sévères, prises aussi bien contre les fugitifs que contre les seigneurs qui les recueilleraient. Ainsi accablée, inculte, maintenue par ses maitres et par l’Etat dans une enfance éternelle, la classe la plus nombreuse, la plus pauvre de la nation stoppa dans la barbarie jusqu’à l’émancipation de 1861.

Celle-ci, œuvre de théoriciens, communistes à leur manière, ou de financiers frappés uniquement du recouvrement facile de l’impôt, conféra la propriété collective et obligatoire d’une certaine étendue de terre aux habitants de chaque commune, constitués en un syndicat, — le Mir. Au Mir incomba le paiement de la redevance destinée à amortir le prix du sol. Cette conception eut pour effet de retarder le progrès rural d’un demi-siècle.

La surface agraire de la Russie d’Europe, dans ses frontières de 1914, mesurait 430 millions d’hectares, dont l’Etat, les villes, les apanages et autres institutions possédaient 165 millions, chiffre que l’on faisait miroiter comme susceptible de doter les cultivateurs mal partagés. En réalité, le domaine de l’État était cantonné, pour 132 millions d’hectares, dans les cinq gouvernements du Nord et du Nord-Est, — celui d’Arkhangel en contenait seul 82 millions, — et consistait en terrains marécageux, impropres à la culture, en toundras où croissait à peine le bouleau nain et le lichen d’Islande. Dans les autres parties de l’Empire, l’Etat ne possédait que des forêts, dont l’exploitation rationnelle constituait un devoir public.

Sur les 265 millions d’hectares de biens privés qui restaient, les paysans, avant la guerre, en détenaient 179 millions, c’est-à-dire les deux tiers, proportion plus forte que chez aucune nation d’Europe, proportion double de la nôtre, où la petite propriété, — moins de 9 hectares, — ne représente qu’un tiers du territoire, et la moyenne propriété (9 à 50 hectares), un autre tiers. Les paysans français, qui vivaient bien, avaient ensemble, en pleine propriété, beaucoup moins de bonne terre que les paysans russes, qui vivaient mal, parce qu’ils étaient incapables de la bien faire valoir. En effet, parmi ces 179 millions d’hectares qui leur appartenaient, il n’y avait guère de propriétés individuelles : 14 à 15 millions d’hectares seulement. Tout le reste était propriété collective. Chaque famille avait droit, selon les localités, à 1, 2, voire 4 hectares par « âme » masculine ; mais il fallait, pour ne léser aucun intérêt, que chacun, dans la distribution périodique, eût son lot des meilleurs terrains et des plus mauvais, des plus proches et des plus éloignés du village, le tout réparti dans les trois sortes de champs que comporte l’assolement triennal. De là pour chacun, vingt, trente ou cinquante parcelles à cultiver, quelquefois de deux ou trois mètres de large seulement et plusieurs distantes de 15 à 20 kilomètres du village.

C’était exactement ce qui se pratiquait au sixième siècle de l’ère chrétienne, et dont on trouve la trace chez nous, à l’Est dans les modèles d’établissements des Burgondes, comme à l’Ouest dans l’histoire des Bretons : la propriété collective du clan dont les membres faisaient passer et repasser le niveau sur leurs têtes et se livraient à des lotissements compliqués de la masse agraire, qu’ils reformaient à la mort du père, du fils, du petit-fils, pour uniformiser des parts que la nature, le nombre des enfants, dérangeaient sans cesse. Le moyen de faire de la bonne culture, quand on dépend en tout de la volonté de ses voisins, que l’on doit labourer, ensemencer, moissonner en même temps qu’eux, que l’on ne peut ni transformer son champ, ni l’enclore et que l’on n’a aucun intérêt à le fumer ! C’était la conception de l’égalitarisme dans toute sa niaiserie. En France, nous ne l’appliquons qu’à la vie publique, de petite importance par rapport à la vie privée. Encore est-ce seulement en façade. L’égalité dans la gêne, c’était le résultat du communisme foncier auquel était, jusqu’à la guerre, asservi le paysan russe.

Le libérer de ces entraves, allotir peu à peu en pleine et définitive propriété ces 155 millions d’hectares, dont les paysans jouissaient en commun avait été, il y a une douzaine d’années, la pensée maîtresse d’un grand homme d’Etat, le ministre Stolypine, qu’un assassinat politique ravit à son pays. Eût-il réussi et combien d’années eût exigé, avec une armée d’arpenteurs, ce travail gigantesque de remaniement, groupement et répartition d’exploitations judicieuses ?

Survint la confiscation bolchéviste ; les paysans crurent que les 72 millions d’hectares des nobles et des bourgeois leur étaient dévolus, puisqu’on leur disait de les prendre ; tandis qu’au contraire ils perdaient leur ancienne propriété communale, nationalisée comme l’autre. Ils ont droit à toute la terre..., mais seulement pour la cultiver au profit de la « Nation, » seule maîtresse du fonds, autorisée comme telle à disposer des produits et à les réquisitionner dans la mesure où elle le juge convenable. On connaît le système et avec quel succès rapide il est parvenu à faire régner la famine et à dépeupler le pays. Dans cette universelle confiscation verrons-nous sombrer le mir, remplacé avec le retour de l’ordre par la propriété individuelle dont le paysan russe aura soudain pris le goût ? Il n’avait pour elle, jusqu’à ces dernières années, que la méfiance et même l’antipathie des hommes primitifs, qui si longtemps ont lutté contre elle et l’ont repoussée.

L’utilité générale l’a pourtant créée et imposée à tous les peuples civilisés ; il n’y avait pas de civilisation possible sans elle. C’est sur cette utilité qu’elle repose et non point sur quelque tradition sacro-sainte, sur je ne sais quel fondement antique et mystérieux. L’histoire nous apprend que la propriété foncière individuelle, sous sa forme contemporaine, loin d’être, comme les Soviets sont portés à le croire, un vestige du passé qu’on a omis de faire disparaître, est, au contraire, une conquête du présent que l’on vient de consolider.


GEORGES D’AVENEL.