Une demi douzaine de lettres inédites adressées par des hommes célèbres au maréchal de Gramont/6


VI


À Paris, ce 28 de mai [1677][1].

Maintenant que le Caresme est passé et les sermons finis, vous voulés bien, Monseigneur, que je satisfasse à mon inclination, aussi bien qu’à mon devoir, en prenant la liberté de vous entretenir un peu plus souvent, ce qui est pour moy la consolation la plus douce que j’aie dans la vie. La dernière lettre que vous m’avés fait l’honneur de m’escrire est si obligeante en toutes manières que je n’ay point de termes, Monseigneur, pour vous en exprimer ma reconnaissance, car je vous avoue qu’après vostre salut, pour lequel vous trouveriés mauvais que je n’eusse pas encor plus de zèle, il n’y a rien au monde qui me touche si sensiblement que les tesmoignages de vostre amitié[2]. On attend le roy lundy prochain[3]. Cela me fait espérer qu’à moins d’une necessité absolue nous pourons vous revoir icy plustost que la Toussaints. Car en vérité le terme est un peu long pour ceux qui ont autant d’attachement que j’en ai à votre personne. Ce qui me console est ce que j’apprends de tous costés et de vous mesme, que vostre santé est, Dieu mercy, en tres bon estat. Le père Maimbourg, qui a l’honneur d’estre de vos serviteurs et qui veut contribuer à vous faire passer quelques momens de vostre retraitte, m’a mis entre les mains un exemplaire de son dernier livre du Schisme des Grecs pour vous le faire tenir. Cet ouvrage est très bien receu dans le public et a bien de l’approbation[4]. Je l’ai envoyé à l’hostel de Grammont[5] affin que vous le receviés au plus tost. Cependant, Monseigneur, je ne manque point de prier Dieu tous les jours qu’il vous continue ses graces et particulierement celles du salut que vous preferés avec raison à toutes les prosperités temporelles. Pour moy, je me suis remis à travailler des sermons nouveaux dont la composition m’occupe un peu plus que ceux des missionnaires de Baionne. Ma station, si elle ne change, est pour l’année qui vient, à Saint-Sulpice, dans le faubourg Saint-Germain. Je suis, Monseigneur, avec tout le respect que je dois,

Vostre tres humble et tres obeissant serviteur.
Bourdaloue[6].
  1. Le maréchal allait mourir l’année suivante (12 juillet 1678).
  2. On voit combien étaient actives et cordiales les relations établies entre l’admirable orateur et le maréchal. Quel dommage qu’il nous reste si peu de traces de leur correspondance ! Tout le monde connaît l’exclamation du maréchal un jour qu’il était particulièrement frappé d’une éloquente tirade d’un sermon de Bourdaloue : Mordieu ! il a raison. Jamais éloge, assure-t-on, ne parût plus flatteur à Bourdaloue.
  3. Louis XIV était à Versailles au jour annoncé. La Gazette du 5 juin nous l’apprend en ces termes : « Le roi arriva à deux heures, lundi, dernier jour de mai, à Versailles. »
  4. Le P. Louis Maimbourg, né à Nancy en 1610, mort à l’abbaye de Saint-Victor de Paris en 1686, allait bientôt quitter, au moment où son confrère parlait si bien du Schisme des Grecs, la Compagnie de Jésus (1682). Savait-on qu’il était lié lui aussi avec le maréchal de Gramont ?
  5. L’hôtel de Gramont était situé rue de Lille (Histoire de Paris, par Théophile Lavallée, seconde partie, 1857, p. 380.)
  6. La belle lettre que l’on vient de lire n’est certainement pas la seule lettre de Bourdaloue qui restât à paraître. Il doit en exister bon nombre encore dans les dépôts publics et dans les collections particulières. J’en recommande la recherche à l’habile critique dont le projet est de nous donner une étude définitive sur celui qui ne fut pas moins bon écrivain que grand orateur. Je demande la permission de rappeler que j’ai eu la bonne fortune de trouver en cette belle bibliothèque du Louvre, à laquelle je ne pense jamais sans un affreux serrement de cœur, une autre lettre de Bourdaloue adressée, le lundi 22 août 1695, au maréchal de Noailles, pour le féliciter de la nomination de son frère à l’archevêché de Paris. (Voir Bulletin du bouquiniste, du 15 décembre 1868, p. 659.) C’est de cette même source que j’avais tiré deux billets inédits de Bossuet et de Fléchier, écrits au même personnage et en la même occasion, le premier inséré dans la Revue de Gascogne (tome v. 1864, p. 261) le second dans le Bulletin d’Aubry déjà cité (tome xxiv, p. 660)