Une Campagne type de propagande allemande - « La Honte noire »

Une Campagne type de propagande allemande - « La Honte noire »
Revue des Deux Mondes7e période, tome 65 (p. 417-433).

UNE CAMPAGNE TYPE DE PROPAGANDE ALLEMANDE




« LA HONTE NOIRE »




Je ne suis pas de ces voyageurs que rien n’émeut parce que tout les déçoit. En atteignant les rives du Rhin, je tressaillis de toute mon âme devant le tragique symbole de ce grand fleuve. Et c’est avec un sentiment inexprimable qu’un jour, à Ems, je déchiffrai la pierre qui commémore l’humiliation infligée à M. de Benedetti en la fatale matinée du 13 juillet 1870.

Lors de ce dernier pèlerinage, j’accompagnais Charles Le Goffic. Nous n’avions pas mieux choisi notre heure que notre saison. C’était en décembre et nous venions de passer l’après-midi dans la vallée de la Lahn, attardés à la magie de cet âpre paysage, dont les brumes qui se levaient de l’eau estompaient la double ligne de hauteurs barbelées de futaies, couronnées de ruines et ravinées, déchiquetées par les pluies jusqu’au vif de leurs grès roses. Aussi le soir nous surprit-il au Kurhaus de la petite ville, encore figés dans une posture de recueillement, près de cette dalle quasi funéraire que l’orgueil germanique pensait avoir scellée là, à tout jamais, sur la gloire militaire de la France. Mais, pour une telle méditation, sans doute fallait-il la complicité du brusque crépuscule d’hiver, faisant le vide et le silence autour de nos ombres pensives.

Bref, nous ne reprîmes le chemin de la gare qu’à la nuit close. Et nous allions par des rues enténébrées, sans rencontrer âme qui vive, quand un jet de lumière, en travers du trottoir, nous montra la silhouette d’un tirailleur arrêté devant une de ces vitrines où scintille tout le clinquant des bijouteries de pacotille. Survinrent deux jeunes Allemandes, deux fillettes d’une quinzaine d’années, qui s’arrêtèrent aussi, peut-être pour admirer quelque joyau, peut-être dans une pensée moins innocente, avec leur tranquille audace de vierges du Rhin. L’homme s’y méprit-il ? Ou bien l’image toujours présente à son esprit de quelque fille du soleil exorcisa-t-elle le charme de ces précoces Lorelei ? Sagement, il s’éloigna…

Quiconque a séjourne en pays occupé, dans ces jolies villes rhénanes garnisonnées par nos troupes africaines, ne serait pas en peine de rapporter telle ou telle anecdote du même genre. Et les témoignages surabondent qui prouvent que, si les mœurs n’y sont pas irréprochables, notre prétendu « sadisme » n’y est pour rien. C’est à lui pourtant que la propagande allemande impute tout le mal. Ne fallait-il pas une excuse, une raison plus ou moins plausible à sa furieuse campagne contre nos auxiliaires indigènes ?

Campagne absurde ! C’est bientôt dit. L’Allemand n’a sans doute pas le sens de la mesure. Il a le don de l’observation. Ses méthodes politiques et diplomatiques procèdent d’un machiavélisme un peu lourd. Elles n’en sont pas moins efficaces. Au lieu de les dénigrer, nous ferions mieux de les déjouer avant qu’elles n’aient produit trop de ravages. Talleyrand a dicté leur politique aux gouvernants du Reich. Or, pour diviser les Alliés, était-ce si mal raisonner que de spéculer sur le préjugé des races, tel qu’il persiste un peu partout et notamment en Amérique ? Le prodigieux succès de la Case de l’Oncle Tom et l’heureux épilogue de la guerre de Sécession n’ont pas suffi à réhabiliter les fils de Cham dans la patrie de Lincoln. La propagande allemande comprit d’emblée tout le parti qu’elle pouvait tirer de cette négrophobie transatlantique. Un bon cheval de bataille s’offrait à elle. Elle l’enfourcha résolument, avec un plan en poche.

Ce plan était simple et génial : jeter l’opprobre sur nos méthodes d’occupation, afin de nous aliéner les sympathies américaines et d’obtenir le retrait du petit corps confié au général Allen. Cela fait, les auteurs du scénario eussent eu beau jeu. Tant qu’il y aura un Yank ici, — j’écris ces lignes sur place, à Coblence même, — le Reich, paralysé diplomatiquement, se gardera de provocations trop manifestes. Il nous opposera mauvaise volonté, force d’inertie, résistance passive. Il reculera devant un casus belli. Mais les Yanks partis, gare aux vilaines querelles et aux fausses dépêches !

À cette idée maîtresse, — rompre notre entente avec l’Amérique, — s’en ajoutait une autre, non moins heureuse au sens d’un ennemi retors qui ne serait pas fâché d’affaiblir son vainqueur avant de le provoquer derechef : nous obliger de pourvoir avec nos seuls régiments métropolitains aux charges de l’occupation ; partant, nous enfermer dans ce dilemme : ou bien étendre la durée de notre service militaire, mesure ruineuse et anti-démocratique, susceptible des pires répercussions intérieures ; ou bien réduire nos garnisons de France pour tenir celles du Rhin, en livrant l’arrière au bolchévisme.

Troisième aspiration enfin et corollaire du précédent postulat : n’ayant plus affaire en Rhénanie qu’à des soldats français moins immunisés que l’indigène contre certaines pratiques subversives, les infecter de ce même virus bolchevique dont les plus zélés agents de propagation ne se recrutent pas toujours dans la Russie des Soviets[1].

Ainsi procèdent les bons stratèges. Leur plan est à double ou triple effet. Si l’objectif essentiel n’est pas atteint, ils se rabattent sur de moindres avantages. Et sans doute est-ce aux résultats qu’on peut juger une campagne. Que celle de « la Honte noire » n’ait pas obtenu le succès qu’en escomptaient ses promoteurs, s’ensuit-il qu’on soit en droit de nier le mal qu’elle a fait et qu’elle peut faire encore ?


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Quand la propagande allemande s’embarque dans ces sortes de campagnes, tous les moyens dont elle dispose entrent automatiquement en jeu. Et ils sont formidables. Aux services spéciaux de la Wilhelmstrasse ne se rattachent pas seulement des bureaux d’information comme ceux de la Reichswehr, mais aussi des offices sui generis comme ceux du Heimatdienst. Et puisque on en parle beaucoup, de ce mystérieux Heimatdienst, parlons-en un peu. Tel vous dira que c’est un habile avatar du ci-devant Kriegspresseamt ou « Office de presse de la guerre. » Tel autre y verra une redoutable société secrète, dont les ténébreuses ramifications vont se perdre dans les pays séparés de l’Allemagne depuis la paix. La vérité tient dans l’ensemble, car cette vaste entreprise d’impérialisme intégral, marquée de l’estampille officielle[2], recrute partout des prosélytes, afin d’étendre son action à l’extérieur comme à l’intérieur du Reich. Outre son état-major, — écrivains adonnés à une littérature spéciale de pamphlets et de tracts nationalistes ; peintres et dessinateurs, spécialisés dans un genre d’illustrations ou d’affiches qui vulgarisent les mêmes idées ; conférenciers et orateurs, ad hoc, — elle possède d’innombrables filiales et une armée d’agents qui ne craignent pas d’opérer à notre barbe, comme cet impudent député Olmert que nous pinçâmes dans la Sarre en flagrant délit d’intrigues anti-françaises.

Ce n’est pas tout. Pour les besoins de la cause, la Wilhelmstrasse peut encore compter sur de puissantes organisations privées, comme celle de Hugo Stinnes, dont le trust embrasse quantité d’imprimeries et de gazettes. Ainsi couverte d’un immense réseau de propagande, avouée ou occulte, l’Allemagne n’entend et ne voit que ce que ses meneurs veulent bien lui dire et lui montrer. Les pays occupés n’échappent pas à cette espèce d’envoûtement pangermaniste[3]. Au surplus, en ce qui concerne le mouvement anti-nègre, une ligue spéciale, la « Ligue contre l’Infamie noire[4] » allait singulièrement faciliter les choses.

Cette ligue, de qui relève le soin de coordonner les efforts des agents qui opèrent en Allemagne et à l’étranger, s’adjoint le concours d’autres ligues, comme la Ligue de la Société démocratique, la Ligue de Détresse (président munichois Distler), la Ligue populaire, la Ligue « Sauvez l’honneur ! »[5], la Ligue des femmes de Wetsphalie et des Pays Rhénans, — j’en passe, et non des moindres, — lesquelles couvriront les murs d’affiches, multiplieront les réunions de protestation, organiseront des cortèges et des manifestations publiques, feront vendre jusqu’en Rhénanie, avec la complicité secrète du fonctionnaire prussien, d’immondes lithographies mettant en scène le « bourreau » sénégalais et ses « infortunées victimes, » monteront au théâtre et au cinéma des pièces et des films où nègres et Français prennent également figure de tortionnaires ; bref, renforceront de mille manières, y compris la chanson de brasserie si populaire dans le Reich, l’action déjà formidable de la presse chauvine, toujours disposée à paraphraser ce thème du Roter Tag : « Le marquis de Sade est le vrai héros national des Français. Il est la plus parfaite incarnation de l’âme française. »

Comme bien on pense, revues grandes et petites et journaux satiriques, genre Simplicissimus, Kladderadatsch, Rote Hand ou Muskelier Ulk, se mettront de la partie. Et tandis que les premières, par A + B, démontreront que le nègre, s’il n’est pas une régression sur l’anthropoïde, en a du moins toutes les tares et tous les vices ; tandis que les seconds représenteront le lion germanique entravé par un Sénégalais et cruellement édenté par un soldat français qui ne lui laisse qu’un croc, — probablement symbolique, — les éditeurs de musique lanceront des compositions à succès comme le Deutsch Hymne de Gustave Moritz.

Voilà, pour l’édification des compatriotes. Mais, comme on sait, il importe surtout de provoquer un irrésistible courant de sympathie à l’étranger. A cet effet, et pour y annoncer avec éclat la nouvelle de nos « crimes, » on utilisera les tapageurs services des agences télégraphiques ou radiotélégraphiques. Ou bien, insidieusement, on glissera dans les périodiques les plus inoffensifs, et jusque dans les revues philatélistes, de dangereux pamphlets comme Wir weisse Sklaven (Nous esclaves blancs), Die Bestie im Weltkrieg (recueil de prétendues atrocités françaises) et « Français de couleur sur le Rhin. Un cri de détresse des femmes allemandes » (Engelmann, édit. Berlin), libelle qui peut passer pour le modèle du genre. On aura en outre un peu partout des partisans d’autant plus écoutés qu’ils ne seront pas allemands, mais neutres, voire anglais comme Morel, ou américains comme Miss Ray Beveridge.


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Au surplus, la campagne ne s’ouvrit pas à la légère. Dès novembre 1919, la presse allemande soulevait bien la question de l’emploi des troupes noires en Rhénanie. Simple coup de sonde, qui, jusqu’en mars 1920, ne fut suivi que d’escarmouches insignifiantes ou d’attaques partielles, comme celle à laquelle se livra le ministre Koch, à l’Assemblée Nationale, dans sa diatribe de fin janvier contre les ordonnances de la Haute-Commission interalliée.

Ce n’est qu’en avril, après un an et demi d’occupation, que se déclenche la grande offensive. Alors, les hostilités éclatent sur toute la ligne, avec une simultanéité qui montre qu’il y a mot d’ordre. La presse rhénane ne reçoit-elle pas de Berlin des articles tout rédigés, comme en fait foi une morasse transmise le 21 mai, par l’agence Der Berliner Dienst du consortium Wolf-Stinnes, à un journal de Kreuznach, et interceptée par l’autorité militaire ?

A partir de ce moment, et en dépit de quelques échecs dus aux contre-mesures de la Haute-Commission dont la longanimité est mise à rude épreuve, la campagne se fait de plus en plus violente. Et si les journaux rhénans se voient obligés, les uns après sanction, les autres avec une louable spontanéité, de se rétracter plus ou moins formellement, les meneurs s’ingénient à réparer l’effet de ces défections en les imputant à un chantage des Alliés.

Outre-Rhin, la presse n’a pas à se gêner et donne à fond, suivant ce conseil du général von Libert : « Il faut que chaque crime de ces noirs soit rapporté et enregistré. La presse allemande a le devoir de rendre publics et surtout de faire connaître à l’étranger tous les méfaits des troupes indigènes, tous les désagréments qui résultent de leur présence dans le pays… (Et, montrant le coin de l’oreille, le général précise : ) Depuis qu’Anglais et Français n’ont plus conscience de leurs devoirs de race, c’est chez les Américains que nous trouverons le plus de compréhension pour notre cause. C’est donc dans leur direction que cet appel doit être lancé. » Le 20 novembre, adjuration non moins hypocrite du Fränkischer Kurier, l’une des plus acharnées des feuilles négrophobes, avec les Münchner Neueste Nachrichten et la Frankfürter Zeitung : « Nous prions les Américains d’écouler nos plaintes en pensant à leurs mères, à leurs femmes et à leurs enfants, et de raffermir par leur sens moral si droit la morale du monde, afin que la France mette un terme à ses menées abjectes contre la race allemande. »

Les meetings cependant succèdent aux meetings et les conférences des ligues féminines ne sont pas les moins véhémentes. Le 26 novembre, à Heildelberg, Mlle Marthe Dornhoff, présidente de la Ligue rhéno-westphalienne, flétrit la « barbarie française » et fait adopter à l’unanimité de son auditoire celle résolution ampoulée : « Nous protestons comme femmes contre la honte et les souffrances auxquelles sont exposées femmes et enfants dans les territoires occupés par les nègres français. Comme Allemandes, nous protestons contre la profanation de notre honneur national qui souffre d’une surveillance exercée par les noirs. Comme Européennes, nous protestons contre la honte qui résulte pour des Européens de cette mesure que ne justifie aucune nécessité. » le 17 janvier 1921, à Bamberg, c’est l’« Union démocratique des Femmes » qui s’assemble aux mêmes fins, sous la présidence de Mme M. Struiber. Et nous ne parlons pas des innombrables manifestations d’autres agitateurs notoires, comme Heinrich Distler, chef du mouvement négrophobe de l’Allemagne du Sud.

Notons toutefois que, d’après l’Écho du Rhin, c’est d’un roman de ce propagandiste munichois qu’aurait été tiré de toutes pièces l’immonde film : Die Schuvarze Schmach (littéralement la « Honte noire ») qui, sous l’équivoque signature de John Freden, ramassait toutes les inepties débitées contre nos troupes indigènes, et que le gouvernement Wirth, à la pressante requête de notre ambassadeur, finit par interdire après en avoir laissé promener les horreurs dans toutes les grandes villes allemandes. Si, comme l’assurent contradictoirement certaines revues d’outre-Rhin, ce film s’appuyait sur les faits contenus dans une brochure de la Ligue des Femmes rhénanes, on peut se demander, avec le Jagebuch du 7 mai 1921, sur quelles exécrables fictions cette ligue tablait elle-même en l’espèce[6]. Est-il donc vrai que l’Allemand ne puisse vivre sans légendes ? Qu’il s’en nourrisse, qu’il s’en imprègne au point de finir par être sincère dans le mensonge ? Et qu’ainsi s’explique la persistance de ces monstrueuses calomnies qui, à ses yeux, prendraient figure de vérités ?

Quoi qu’il en soit, les promoteurs du mouvement n’avaient pas tant attendu pour lui donner plus d’ampleur. Déjà maints syndicats s’étaient ébranlés. On avait mobilisé jusqu’aux médecins, dont la Deutsche Zeitung du 20 novembre 1920 publiait un manifeste outrancier, qui prétendait montrer la noble race allemande frappée, menacée jusque dans la descendance de sa descendance, et proclamait la nécessité d’agir sur les peuples étrangers, « afin d’obliger leurs gouvernements respectifs de s’en prendre aux Français. »

Tant qu’il fut ministre des Affaires étrangères du Reich, le docteur Köster n’eut cure de pratiquer d’autre politique. Le 20 mai 1920, sur une interpellation de la citoyenne Rohl, député social-démocrate de Cologne, ne s’était-il pas félicité de l’occasion qui s’offrait à lui d’exposer publiquement sa façon de penser ?

« Le transport de 50 000 hommes de troupes de couleur au cœur de l’Europe est un crime envers le monde entier, assurait-il aux applaudissements du centre et de la droite. C’est la continuation des hostilités en pleine paix. »

Désormais, le Parlement ne se désintéressera plus de la question. Le 11 octobre 1920, les députés nationaux Mumm, Paula Muller, Marg. Behun provoquent un incident au sujet du pamphlet Français de couleur sur le Rhin, et demandent au gouvernement ce qu’il a fait « pour éveiller la conscience mondiale sur celle ignominie. » Le 28, Mumm revient à la charge. Un représentant du gouvernement doit lui confirmer que celui-ci s’efforce, « par tous les moyens » (Gazette de Cologne du 30), d’obtenir le retrait des troupes de couleur. Herr von Starck, commissaire d’Empire dans les pays rhénans, n’a-t-il pas soumis à la Haute Commission interalliée une ample documentation au sujet des excès imputables à ces troupes et le gouvernement, qui a pris soin d’adresser des protestations solennelles à toutes les ambassades de l’univers, n’espère-t-il pas obtenir satisfaction du gouvernement français ?


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Cette « ample documentation » du Reichkommissar von Starck, voyons un peu en quoi elle consistait. Et d’abord les 50 000 noirs « lâchés sauvagement sur les femmes et les enfants d’Allemagne » n’ont jamais existé que dans les romans nègres de Morel et de Miss Beveridge ou dans l’imagination non moins extravagante du ministre d’empire Köster. En juin 1920, il n’y avait en Rhénanie et dans la Sarre que 25 000 hommes de troupes indigènes. Encore fallait-il en défalquer 7 000 blancs appartenant aux cadres métropolitains et 14 000 Malgaches, Annamites ou Africains du Nord, de sorte que l’élément purement noir se réduisait à une simple brigade de 4 000 hommes, la brigade sénégalaise du général Bordeaux, qui, ce mois-là, allait quitter ses cantonnements de Worms et de Mayence à destination de la Syrie. Même, elle s’en fut dans des conditions assez mortifiantes pour l’amour-propre germanique. Car, pour la première fois peut-être dans l’histoire des peuples, on vit les femmes et les filles du vaincu lamenter bruyamment le départ du vainqueur et le couvrir de fleurs en versant des larmes qui devaient inspirer à Maximilien Harden une bien cruelle satire sur les mœurs de ses compatriotes (Zukunft, n° 38, 1920).

Prenons date. Depuis juin 1920 donc, aucune troupe noire n’est demeurée sur place. Ce sont des régiments algériens, tunisiens ou marocains qui, désormais, montent la garde au Rhin. Mais, de crainte que l’opinion ne se retourne contre elle, la propagande allemande juge bon de les métamorphoser en Sénégalais ou de chicaner à la manière de l’agence Wolf, dont le communiqué du 20 mai expliquait que, par troupes noires, il fallait entendre toutes espèces de troupes de couleur. Et, il n’y a là, rien de surprenant pour qui connaît la mentalité de nos adversaires. Les procédés de von Starck lui-même ne comportent guère plus d’honnêteté. Notre Reichkommissar ne se donne même pas la peine d’ouvrir une enquête préalable sur les faits qu’il dénonce à la Haute Commission interalliée. Il accueille et rapporte d’invraisemblables romans, comme la plainte de cette imaginative jeune fille de Mellbach qui cherchait tout bonnement à donner le change sur les conséquences de sa liaison avec un Allemand. Et il en transmettra d’autres que ses propres agents auront forgés de toutes pièces. C’est d’ailleurs ce que constate M. Tirard dans sa ferme réponse du 30 août relative à un mémorandum de 116 plaintes qui lui a été soumis le 8 juillet : « Les faits, dit-il, sont présentés sans ordre et, semble-t-il, sans aucune discrimination, sans qu’aucun renseignement soit donné sur la moralité des plaignants. Un grand nombre d’accusations sont imprécises et aucune preuve, de quelque nature qu’elle soit, ne vient les étayer. » Or du propre aveu de leurs auteurs, les plus venimeux libelles sur la Honte noire se bornent à reproduire ou à enjoliver ces fantaisies des mémoires officiels[7], dont fait justice la statistique suivante établie par l’autorité militaire française et afférente à la période d’avril 1919 afin juin 1920, date du départ des derniers Sénégalais :

TROUPES NOIRES. — Effectif moyen : 5 000 hommes. — Une plainte suivie d’acquittement. — TROUPES DE COULEUR (AFRIQUE DU NORD ET MALGACHES). — Effectif moyen : 15 000 hommes, 15 affaires suivies de condamnation, 5 affaires suivies d’acquittement. Soit, au total et en quinze mois, 15 condamnations pour un effectif permanent de 20 000 hommes ![8].

D’autre part, si on veut savoir avec quel soin ces sortes d’affaires sont instruites de notre côté, il suffit de se référer au rapport du général Brissaut-Desmaillet, commandant les troupes du territoire de la Sarre et la 127e division d’infanterie, sur les accusations portées dans le journal anglais Daily Herald par le polémiste Morel et reprises par Miss Ray Beveridge dans sa retentissante tournée de conférences en Allemagne non occupée. Ce rapport, daté de Sarrebruck, 21 mai 1920, résume une enquête prescrite par le ministre de la Guerre en date du 30 avril, visant les 10e et 11e tirailleurs algériens. Il établit formellement l’inanité des fables imaginées par la presse allemande pour perdre nos tirailleurs dans l’esprit des Sarrois. Ce qui permet au général de conclure :

« Mensonge, mauvaise foi, haine, voilà les dessous de cette campagne scélérate. »


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L’entreprise, d’ailleurs, n’ira point sans pertes et il en résultera de sérieux dommages pour les populations locales. En accréditant la monstrueuse légende d’une Rhénanie livrée à la soldatesque, ne risque-t-on pas d’en éloigner le touriste et le baigneur, dont l’or coulait comme un Pactole dans ses villes d’eaux ? Wiesbaden, notamment, en souffrira au point de ne plus enregistrer pendant l’année 1920 que 60 pour 100 des visiteurs qu’elle recevait avant la guerre[9]. Il n’en faut pas plus pour que les commerçants se désolent et que les journaux du cru poussent un cri de détresse : « Cette excitation continuelle contre les troupes noires finira par nous conduire à une situation sans issue, » gémit l’Oeffentlicher Anzeiger de Kreuznach (20 juillet 1920). Un mois plus tôt, le premier bourgmestre de Worms s’était rendu à Berlin pour y dépeindre les funestes effets de la campagne. et, comme les municipalités des villes lésées supplient les journalistes d’outre-Rhin de venir vérifier sur place l’état réel des choses, elles reçoivent la visite d’un certain nombre d’entre eux qui se laissent gagner à la cause de l’honnêteté. L’envoyé spécial de la Berliner Montagpost, entre autres, dénonce carrément la manœuvre :

« Il y a en particulier une Américaine du nom de Miss Beveridge qui semble considérer comme de son devoir essentiel de répandre en Allemagne non occupée des contes sanguinaires sur les atrocités imputées aux troupes d’occupation. C’est ainsi qu’une nouvelle fit récemment le tour des journaux intéressés à reproduire ces sortes de contes et aux termes de laquelle des centaines de cadavres de femmes seraient évacués chaque semaine de certaines rues de Mayence et de Wiesbaden. Il est clair que pas un mot de tout ceci n’est vrai. Mais, pour retrouver l’origine de la rumeur, je me suis mis en rapport avec les chefs de service de l’administration municipale et de l’établissement thermal de Wiesbaden et les ai priés de me faire connaître leur opinion. Ces messieurs, qui recueillent soigneusement toutes les informations de ce genre, m’ont déclaré que celle-ci et bien d’autres qui lui ressemblent, étaient fausses de tous points. »

En revanche, le même publiciste s’est convaincu que « passablement de femmes et de jeunes filles allemandes, oublieuses de leur honneur, assiègent le soir, en bandes bruyantes, les casernes des Français et des Marocains. » Le Christliche Pilger de Spire n’avait pas dit autre chose, dans son fameux article du 9 mai 1920 où, réfutant Morel, il expliquait que, si l’on entendait des plaintes en Rhénanie, elles visaient beaucoup moins les troupes d’occupation que « celle catégorie de jeunes Allemandes sans vergogne qui, loin de craindre d’être séduites s’efforcent de séduire autrui. » Même constatation du Mannheime Tageblatt : « La gendarmerie locale, la police et les patrouiller doivent entreprendre des rafles aux abords des camps pour réprimer les provocations scandaleuses des femmes de mauvaise vie, » note-t-il le 15 juin. Mieux : à un meeting de la « Société Pacifique » tenu en décembre à Cologne, le pasteur Bleier, de Berlin, dénonce la propagande anti-nègre du Heimaldienst et en expose toute l’infamie, montrant qu’il y a invention dans la plupart des cas, exagération grossière dans les autres. Et Mme Lida Gustava Heymann, rédactrice en chef de la revue mensuelle la Femme dans l’État, après avoir visité différentes stations thermales, assure n’y avoir jamais entendu prononcer de jugement plus sévère contre les noirs que contre les Belges, les Anglais, ou les Américains.


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Venant a l’appui des vives protestations que la Haute-Commission interalliée adressera coup sur coup les 3, 10 et 26 juillet, puis le 30 août 1920, au Reichskommissar, de tels témoignages, que nous pourrions multiplier à l’infini[10], auraient dû suffire pour dessiller les yeux des neutres et des allies.

Malheureusement, on constate une regrettable carence de notre contre-propagande, en face de l’extraordinaire acharnement des agonis allemands ou germanophiles. Cela explique les succès que ceux-ci ont remportés ici ou là, à nos dépens[11]. Nous les avons laissés monter impudemment une formidable machine, une pièce à grand spectacle, un colossal « mélo » qui, tôt ou tard, devait trouver son public, comme il a trouvé son affiche, ses metteurs en scène, ses comparses et ses premiers rôles. La Honte Noire ! Beau titre, ma foi, rocambolesque à souhait et évocateur de ces scènes à la Fantômas, où l’ombre d’un gorille se profile diaboliquement sur d’effroyables décors d’oubliettes. À nous autres Français, ce « numéro » paraissait franchement burlesque. Mais, par ailleurs, il faisait recette. Tel quel, il indisposait les neutres et inquiétait les Alliés. Même leur pitié s’éveillait pour les prétendues victimes de notre « sadisme, » quand un Morel ou une Miss Beveridge, zélées recrues du Barnum pangermain, se chargeaient de sa réclame. Devant le succès croissant de cette exécrable campagne, l’opinion française finit par s’émouvoir. C’est que de sérieux avertissements lui venaient de toutes parts, particulièrement d’Amérique, où les meetings succédaient aux attaques de presse, comme aux pires jours de l’agitation locale contre l’entrée en guerre des Etats-Unis. « Prenons-y garde, déclarait le général Nivelle, à son retour de mission. Comme tout ce que font les Allemands, cette propagande est méthodique. Elle tient compte de la psychologie des Américains qu’elle connaît parfaitement. »

Déjà, les écailles nous étaient tombées des yeux. Le danger n’était-il pas devenu indéniable vers l’époque où M. Harding se préparait à remplacer M. Wilson ; où l’on parlait, à mi-voix d’abord, puis ouvertement, du retrait immédiat des troupes américaines de Rhénanie ; où l’on voulait nous faire croire que le nouveau président de la grande démocratie allait désavouer solennellement notre politique ; où la renommée germanique, par ses mille trompettes, recommençait à fanfaronner, à nous défier, à nous menacer ?

Heureusement, il nous restait là-bas, de l’autre côté de l’Océan, d’excellents amis, les meilleurs qui soient, ces braves compagnons d’armes dont nous pouvons dire à notre honneur que nous leur gardons une reconnaissance infinie. Et, ici même, sur ces rives fatidiques du Rhin où s’enchaîne l’histoire des peuples, nous avions pour nous aider à monter la garde l’un d’entre eux, loyal soldat autant qu’habile diplomate, animé des meilleures intentions à l’égard de l’ennemi vaincu, mais non au point de lui sacrifier les droits sacrés du camarade vainqueur, à la modération duquel il lui a plu tant de fois de rendre hommage. Ce chef, ce fidèle ami de la France, le général Allen, n’hésita pas à ouvrir l’enquête qui s’imposait. Il le fit en toute impartialité. Et son rapport transmis à Washington, publié, commenté, asséna de rudes coups aux misérables auteurs du scénario berlinois. M. Dresel, commissaire américain à Berlin, que son gouvernement avait chargé d’une mission analogue, ne se montra pas moins catégorique dansées conclusions, comme il résulte du rapport transmis au sénateur Lodge par M. Mormann H. Davis, secrétaire d’Etat par intérim[12].

D’autre part, le général Pershing, — qui nous a vus à l’œuvre, qui nous connaît et nous estime, — Pershing, l’entraîneur de ces quinze cent mille Yanks débarqués chez nous avec quelque chose de la foi des Croisés ; Pershing, dont le premier geste sur la terre de France fut de saluer l’ombre glorieuse de La Fayette ; Pershing, le noble guerrier de la seconde Marne, ralliait à lui les héros de sa Légion et leur demandait de faire échec à nos diffamateurs…

Tout est bien qui finit bien. Mais tout est-il bien fini ? Ce serait mal connaître nos adversaires, leur ténacité, leur perpétuel besoin de chicane que de les supposer battus sans esprit de revanche. L’évidence est là. Pour nous en tenir aux faits les plus récents, c’est la Chambre bavaroise qui, le 23 juin dernier, déclare qu’elle considère « comme un devoir moral des plus impérieux d’ajouter un éclatant témoignage de son indignation aux nombreuses protestations inspirées par la douleur et la colère contre la Honte Noire. » C’est, en juillet suivant, une nouvelle interpellation au Reichstag d’un groupe de députés populistes. C’est la Deutsche Tageszeitung du 10 de ce même mois, qui parle d’une terreur sans fin. Ce sont tous les journaux de Francfort, la Frankfürter Zeitung, les Frankfürter Nachrichten, le Frankfürter General Anzeiger, qui font chorus. Munich ne demeure pas en reste et les Münchner Neueste Nachrichten, après avoir frénétiquement protesté (10 juin) contre l’interdiction du film « la Honte Noire, » enregistrent sans sourciller cette folle nouvelle :


On nous annonce de Trêves :

Des jeunes filles ayant perdu connaissance furent conduites chez un médecin qui constata que leurs artères étaient presque complètement vides de sang. Les noirs coupent ou mordent les artères de leurs victimes et en sucent ensuite le sang. Ce sont de vraies bêtes féroces.


Cependant les associations féminines redoublent d’activité et, au Eidelstedter Hof, pour la fête du printemps, entre une gavotte et un chœur wagnérien, on conspue furieusement le préfet de police Hense de Hambourg qui a interdit une réunion de protestation contre la « Schwarze Schmach » (Frankfürter Volkstimme du 6 mai). La Ligue allemande de défense contre la Honte noire (Munich) fait paraître une revue mensuelle en trois langues, allemande, anglaise et espagnole, où se retrouvent toutes les fausses accusations déjà portées contre nos troupes. La Pfalzzentrale de Heidelberg, sous la signature du professeur Ritter von Eberlein, publie à grand tirage une brochure intitulée : Les Noirs sur le Rhin. Et la Ligue allemande Fichte, dont le siège est à Hambourg, édite plusieurs appels en différentes langues qu’elle offre gratuitement « à tous ceux qui veulent éclairer l’étranger » (Täglische Rundschau du 6 juillet). La campagne s’étend même aux colonies françaises. D’après la Cologne Post, « il y a une école spéciale à Hambourg où le sénégalais et le malgache sont enseignés à d’anciens nègres allemands. On leur ressasse tous les griefs imaginaires de l’Allemagne ; puis on les envoie aux colonies propager ces infâmes mensonges. » Et, confirmant la chose, le Karlsruher Tageblatt confesse : « Les détails de ce plan destiné a apprendre aux noirs à penser et à raisonner (sic) doivent naturellement demeurer secrets. Mais bientôt ses résultats se feront profondément sentir. »

La menace est claire. Et, pour ce qui est de l’Amérique, où l’agent allemand, nouvel Antée, semble reprendre des forces chaque fois qu’on le terrasse, ce n’est pas faute d’intrigues si M. Harding, sollicité, adjuré, pressé d’intervenir, s’y refuse obstinément. Ce n’est pas faute d’efforts si, de New-York à San Francisco et de Chicago à la Nouvelle-Orléans, le cri d’un Dr Held, — un médecin de là-bas, mais à la dévotion des comités berlinois pour le compte desquels il le proférait naguère à Berlin même (Der Tag, du 18 juin), — ne devient pas le cri de ralliement de cent millions d’hommes et si le libre citoyen transatlantique n’en arrive pas à considérer la Honte noire « comme sa propre honte, comme un danger national. »

Insistons-y donc, nous aussi, après le général Nivelle : la loi du moindre effort ne doit plus être notre loi. Arme dangereuse, la propagande tudesque peut faire « boomerang » et se retourner contre ceux qui la manient. Elle ne demeure pas sur ses échecs. Soit ! L’essentiel est d’opposer la vérité à ses mensonges, partout, en toutes circonstances, avec toute l’énergie, toute la méthode, tout l’esprit de suite nécessaires.

Qu’on n’objecte pas que nos troupes indigènes sont au-dessus de tels outrages et que leur éloge n’est plus à faire. Jamais nous ne dirons assez en quelle estime les tiennent des chefs comme Degoutte, Gouraud et Mangin. Et, puisqu’il n’en est pas de plus braves au monde, ni de plus attachées à leur drapeau, sachez ceci, germanophiles. Pour les conduire au feu, où leur élan fit si souvent plier la fleur des divisions impériales, la France n’avait nullement besoin de leur promettre les « blondes filles » de Rhénanie : leur loyalisme y suffisait.


Norbert Sevestre.
  1. La manœuvre eut un commencement d’exécution, comme le prouvent les mesures auxquelles dut recourir, à diverses reprises, la Haute Commission inter alliée des territoires rhénans. Par ailleurs, prétendre, comme la Frankfürter Zeitung du 7 juillet 1921, que le maintien des troupes américaines en Rhénanie arrange mieux le Reich que ne le ferait leur départ, n’est qu’une grosse malice cousue de fil blanc.
  2. Le 31 janvier dernier, la Badische Presse annonçait que l’Office central du Heimatdienst à Berlin allait, « après avis conforme du Gouvernement et de la Sous-Commission compétente du Reichstag, » être réorganisé de manière à augmenter l’efficacité de sa propagande.
  3. L’organisation de la propagande allemande y ressort non point à la Wilhelmstrasse, mais à une section spéciale du ministère de l’Intérieur dirigée par le docteur Fleischer. Tout récemment, pour plus d’efficacité, cette section créait à Mannheim l’O. N. U. (Oberlieimischer Nachrichten-Büro), agence de presse financée par Berlin, Munich et les grands industriels du Reich pour combattre l’influence des Alliés et spécialement celle des Français en Rhénanie. Car Mannheim, Francfort et Munich, les trois grands centres du Westdeutchen Heimatdienst ou « Heimatdienst de l’Ouest, » ont toujours été chargeé de cette mission sur la rive gauche du Rhin. Comme le Heimatdienst se rattache lui-même à l’Orgesch, qui de la Bavière a étendu ses intrigues sur toute l’Allemagne, on voit à la fois l’enchevêtrement de ces divers organismes et leur cohésion quand il leur faut agir dans un sens déterminé.
  4. Deutscher Notbund gegen die Schwarze Schmach, siège principal, Munich, 11 Klarstrasse, et nombreuses filiales, dont celle de Berlin, 7 Kônigin Augustastrasse, recueille les pétitions et reçoit les étrangers.
  5. Retlet die Ehre ! siège à Brome. Affiliée à l’Orgesch, de même que la Deutscher Notbund, reçoit de larges subventions de la grande industrie et de la haute finance et agit surtout dans le Nord-Ouest de l’Allemagne.
  6. Même dans la presse allemande de vives protestations se sont élevées contre l’exhibition de ce film. « C’est un film truqué depuis le commencement jusqu’à la fin, écrivait le 17 mai dernier la Cologne Post, journal du corps d’occupation britannique. Il est si outrageusement mensonger qu’une feuille wurtembergeoise l’a qualifié de bas, infâme et faux. » D’autre part, le Darmstädter Tageblaty, du 1er mai, publiait une déclaration du Comité de secours aux Rhénans (Berlin-Ouest-7, Sigismundstrasse) et de l’association « Rheinland » (Berlin-Ouest 30 et 16 Motzstrasse) blâmant énergiquement Distler et sa propagande. Il n’est pas jusqu’à la Frankfurter Zeitung qui ne dut le désavouer pour excès de zèle.
  7. Sur les 61 accusations contenues dans la célèbre brochure, Farbige Franzozen am Rhein, éditée en 1920 et répandue dans le monde entier par la ligue « Sauvez l’honneur, » 51 proviennent de ces mémoires. Elles y sont reproduites sans aucun soin, si bien qu’on y relève des pièces qui font double emploi, comme le n° 11, tentative de viol déjà enregistrée sous le n* 9, et comme la déclaration de la page 44 qui est, sous un autre numéro, une redite à peine camouflée du n° 4 de la page 32.
  8. Des statistiques plus récentes confirment l’insignifiance du pourcentage des affaires suivies de condamnations. En avril dernier, la Haute Commission interalliée constate que, sur 138 accusations portées contre les troupes de couleur. 5 affaires concernent des militaires français des troupes métropolitaines ; 3 affaires concernent des sentinelles ayant agi conformément à leurs consignes ; 49 affaires ont été reconnues comme sans fondement ; 51 ont été considérées comme insuffisamment établies pour pouvoir être poursuivies ; 30 ont été retenues comme pouvant donner lieu à des poursuites. Elles ont abouti à 13 condamnations, dont 4 a des peines de réclusion supérieures à trois ans ; 2 acquittements, 7 sanctions disciplinaires ; 8 non-lieu.
    Si ces chiffres montrent avec quelle sévérité l’autorité militaire a sévi lorsque les plaintes étaient justifiées, ils montrent aussi l’incroyable « légèreté » avec laquelle a été réunie la « documentation » de ces mémoires.
    Un tout récent exemple de cette sévérité nous a encore été fourni le 19 juillet dernier, où le tirailleur marocain Mohamed ben Ahmed du 63e R. T. M. reconnu coupable du meurtre de l’ingénieur allemand Burgmann, fut exécuté au camp d’aviation de Gonsenheim devant des détachements de toute la garnison. « Messieurs, dit le général Schmidt aux journalistes allemands qui étaient là, vous venez de voir passer la justice française ! » Justice autrement rigoureuse que celle de Leipzig et qui, peut-être, aurait gagné à s’étendre au cabaretier Maïer, de Hœchst, lequel, en violation flagrante du règlement militaire, avait servi une bouteille de cognac à Mohamed, qui était en état d’ivresse au moment du crime.
  9. Cette année, la saison y eût été pire encore sans la féconde initiative de M. Tirard qui sut y ramener l’affluence des bons jours en y organisant, avec un plein succès, l’exposition d’art français dont M. Henry Bidou a rendu compte dans la Revue.
  10. Voir notamment Der Kampf du 25 avril 1921 et le Berliner Tageblatt du 20 mai dernier.
  11. Dans le numéro du 19 octobre 1920, du Fränkischer Kurier, le directeur de ce journal, Heinrich Distler, déjà rite, énumérait complaisamment les résultats qu’il avait obtenus de sa propre initiative. On serait fier à moins. Qu’on en juge :
    « L’appel que j’ai lancé avec l’aide de la presse allemande, et tout particulièrement de la presse bavaroise, en faveur de la création d’une ligue contre la Honte noire ne m’a pas apporté qu’une centaine d’adhésions de la part de mes confrères, mais encore d’innombrables offres de concours émanant de toutes les classes des différents pays du continent. Hollande, Danemark, Suède, Suisse, voire même d’Angleterre et de France. Mais comment ces gens ont-ils connu cette honte noire que l’on pourrait aussi bien appeler « peste noire » ou « misère noire ? » Comment ont-ils connu cette horreur que le Français Jean Finot appelle « une tache horrible sur l’écusson de France, » Henri Barbusse « la chimère monstrueuse de la folie du vainqueur » (sic), le général anglais Thomson « la politique de suicide d’une clique de réactionnaires et de militaristes » et que l’homme d’État italien Fabricio Maffi qualifie tout bonnement de vulgaire impudence ? La plupart de mes correspondants ne connaissent même pas les honorables écrivains que je viens de citer et n’ont jamais rien lu d’eux. Les lettres que je reçois commencent presque toutes par ces mots : « J’ai souvent vu dans les journaux de Munich, dans le Fränkischer Kurier ou dans les journaux de Berlin, de Leipzig, de Francfort… » Et le bon apôtre de conclure, avec Morel : « La France se cassera la tête contre la Honte Noire. »
  12. Si l’on veut être fixé sur le compte des Morel et des Beveridge, ce sont les conclusions de M. Dresel qu’il faut consulter. Il écrit textuellement : « Miss Ray Beveridge fut naguère employée par l’ambassade allemande à Washington et c’est elle qui organisa en 1915 les réunions de la « conférence pour l’embargo. » En parlant de l’ex-empereur d’Allemagne, elle l’appelle « mon Kaiser. » Quant à Morel, il était avant la guerre anti-français et anti-belge. Au moment de la crise marocaine, il soutint l’Allemagne et, pendant la guerre, il fut inculpé aux termes du Defence of the Realm Act pour avoir envoyé en Suisse des lettres non censurées. Ses articles sur la « Terreur noire » furent publiés dans le Daily Herald, de Londres, journal d’un radicalisme extrême, qui passe pour être à la solde du gouvernement russe des Soviets. »