Œuvres posthumes (Musset)/Un souper chez mademoiselle Rachel

Œuvres posthumesCharpentierŒuvres complètes d’Alfred de Musset. Tome X (p. 119-134).


UN SOUPER
CHEZ MADEMOISELLE RACHEL




À MADAME ***


Merci d’abord, madame et chère marraine, pour la lettre que vous me communiquez de l’aimable Paolita[1]. Cette lettre est bien remarquable et bien gentille ; mais que dirai-je de vous, qui ne manquez jamais une occasion d’envoyer un peu de joie à ceux qui vous aiment ? Vous êtes la seule créature humaine que je connaisse faite ainsi.

Un bienfait n’est jamais perdu : en réponse à votre lettre de Desdémone, je veux vous servir un souper chez mademoiselle Rachel, qui vous amusera, si nous sommes toujours du même avis, et si vous partagez encore mon admiration pour cette sublime fille. Ma petite scène sera pour vous seule, d’abord parce que la noble enfant déteste les indiscrétions, et ensuite parce qu’on a fait, depuis que je vais quelquefois chez elle, tant de sots propos et de bavardages, que j’ai pris le parti de ne pas même dire que je l’ai vue au Théâtre-Français.

On avait joué Tancrède ce soir, et j’étais allé dans l’entr’acte lui faire compliment sur son costume, qui était charmant. Au cinquième acte, elle avait lu sa lettre avec un accent plus touchant, plus profond que jamais ; elle-même m’a dit qu’en ce moment elle avait pleuré et s’était sentie émue à tel point, qu’elle avait craint d’être forcée de s’arrêter. À dix heures, au sortir du théâtre[2], le hasard m’a fait la rencontrer sous les galeries du Palais-Royal, donnant le bras à Félix Bonnaire, et suivie d’un escadron de jeunesse, parmi lesquelles mademoiselle Rabut, mademoiselle Dubois, du Conservatoire, etc. Je la salue ; elle me répond : « Je vous emmène souper. »

Nous voila donc arrivés chez elle[3]. Bonnaire s’éclipse, triste et fâché de la rencontre ; Rachel sourit de ce piteux départ. Nous entrons ; nous nous asseyons, les amis de ces demoiselles chacun à côté de sa chacune, et moi à côté de la chère Fanfan. Après quelques propos insignifiants, Rachel s’aperçoit qu’elle a oublié au théâtre ses bagues et ses bracelets ; elle envoie sa bonne les chercher. — Plus de servante pour faire le souper ! Mais Rachel se lève, va se déshabiller et passe à la cuisine. Un quart d’heure après, elle rentre en robe de chambre et en bonnet de nuit, un foulard sur l’oreille, jolie comme un ange, tenant à la main une assiette dans laquelle sont trois biftecks qu’elle a fait cuire elle-même. — Elle pose l’assiette au milieu de la table, en nous disant : « Régalez-vous ; » puis elle retourne à la cuisine, et revient tenant d’une main une soupière pleine de bouillon fumant et de l’autre une casserole où sont des épinards. — Voilà le souper ! — Point d’assiettes ni de cuillers, la bonne ayant emporté les clefs. Rachel ouvre le buffet, trouve un saladier plein de salade, prend la fourchette de bois, déterre une assiette et se met à manger seule.

« Mais, dit la maman, qui a faim, il y a des couverts d’étain à la cuisine. »

Rachel va les chercher, les apporte et les distribue aux convives. Ici commence le dialogue suivant, auquel vous allez bien reconnaître que je ne change rien.

La mère.

Ma chère, tes biftecks sont trop cuits.

Rachel.

C’est vrai ; ils sont durs comme du bois. Dans le temps où je faisais notre ménage, j’étais meilleure cuisinière que cela. C’est un talent de moins. Que voulez-vous ! j’ai perdu d’un côté, mais j’ai gagné de l’autre. — Tu ne manges pas, Sarah ?

Sarah.

Non ; je ne mange pas avec des couverts d’étain.

Rachel.

Oh ! c’est donc depuis que j’ai acheté une douzaine de couverts d’argent avec mes économies, que tu ne peux plus toucher à de l’étain ? Si je deviens plus riche, il te faudra bientôt un domestique derrière ta chaise et un autre devant.

Montrant sa fourchette.

Je ne chasserai jamais ces vieux couverts-là, de notre maison. Ils nous ont trop longtemps servi. N’est-ce pas, maman ?

La mère, la bouche pleine.

Est-elle enfant !

Rachel, s’adressant à moi.

Figurez-vous que, lorsque je jouais au théâtre Molière, je n’avais que deux paires de bas, et que tous les matins…

Ici la sœur Sarah se met à baragouiner de l’allemand pour empêcher sa sœur de continuer.

Rachel, continuant.

Pas d’allemand ici ! — Il n’y a pas de honte. — Je n’avais donc que deux paires de bas, et, pour jouer le soir, j’étais obligée d’en laver une paire tous les matins. Elle était dans ma chambre, à cheval sur une ficelle, tandis que je portais l’autre.

Moi.

Et vous faisiez le ménage ?

Rachel.

Je me levais à six heures tous les jours, et à huit heures tous les lits étaient faits. J’allais ensuite à la halle pour acheter le dîner.

Moi.

Et faisiez-vous danser l’anse du panier ?

Rachel.

Non. J’étais une très honnête cuisinière ; n’est-ce pas, maman ?

La mère, tout en mangeant.

Oh ! ça, c’est vrai.

Rachel.

Une fois seulement, j’ai été voleuse pendant un mois. Quand j’avais acheté pour quatre sous, j’en comptais cinq, et, quand j’avais payé dix sous, j’en comptais douze. Au bout du mois, je me suis trouvée à la tête de trois francs.

Moi, sévèrement.

Et qu’avez-vous fait de ces trois francs, mademoiselle ?

La mère, voyant que Rachel se tait.

Monsieur, elle s’est acheté les œuvres de Molière avec.

Moi.

Vraiment !

Rachel.

Ma foi, oui. J’avais déjà un Corneille et un Racine ; il me fallait bien un Molière, je l’ai acheté avec mes trois francs, et puis j’ai confessé mes crimes. — Pourquoi donc mademoiselle Rabut s’en va-t-elle ? Bonsoir, mademoiselle.

Les trois quarts des ennuyeux, s’ennuyant, font comme mademoiselle Rabut. La servante revient, apportant les bagues et les bracelets oubliés. On les met sur la table ; les deux bracelets sont magnifiques : ils valent bien quatre ou cinq mille francs. Ils sont accompagnés d’une couronne en or et du plus grand prix. Tout cela carambole sur la table avec la salade, les épinards et les cuillers d’étain. Pendant ce temps, frappé de l’idée du ménage, de la cuisine, des lits à faire et des fatigues de la vie nécessiteuse, je regarde les mains de Rachel, craignant quelque peu de les trouver laides ou gâtées. Elles sont mignonnes, blanches, potelées et effilées comme des fuseaux. — Ce sont de vraies mains de princesse.

Sarah, qui ne mange pas, continue de gronder en allemand. Il est bon de savoir qu’elle avait fait, le matin, je ne sais quelle escapade, un peu trop loin de l’aile maternelle, et qu’elle n’avait obtenu son pardon et sa place à table qu’à la prière répétée de sa sœur.

Rachel, répondant aux grogneries allemandes.

Tu m’ennuies. Je veux raconter ma jeunesse, moi. Je me souviens qu’un jour je voulais faire du punch dans une de ces cuillers d’étain.

J’ai mis ma cuiller sur la chandelle, et elle m’a fondu dans la main. À propos, Sophie ! donne-moi du kirsch. Nous allons faire du punch. Ouf ! c’est fini ; j’ai soupé.

La cuisinière apporte une bouteille.
La mère.

Sophie s’est trompée. C’est une bouteille d’absinthe.

Moi.

Donnez-m’en un peu.

Rachel.

Oh ! que je serai contente si vous prenez quelque chose chez nous !

La mère.

On dit que c’est très sain, l’absinthe.

Moi.

Pas du tout. C’est malsain et détestable.

Sarah.

Alors pourquoi en demandez-vous ?

Moi.

Pour pouvoir dire que j’ai pris quelque chose ici.

Rachel.

Je veux en boire.

Elle verse de l’absinthe dans un verre d’eau et boit. On lui apporte un bol d’argent, où elle met du sucre et du kirsch ; après quoi elle allume son punch et le fait flamber.

Rachel.

J’aime cette flamme bleue.

Moi.

C’est bien plus joli quand on est sans lumière.

Rachel.

Sophie, emportez les chandelles.

La mère.

Du tout, du tout ! Quelle idée ! par exemple !

Rachel.

C’est insupportable ! Pardon, chère maman ; tu es bonne, tu es charmante ;

Elle l’embrasse.


mais je désire que Sophie emporte les chandelles.

Un monsieur quelconque prend les deux chandelles et les met sous la table. Effet de crépuscule. La maman, tour à tour verte et bleue, à la lueur du punch, braque ses yeux sur moi et observe tous mes mouvements. Les chandelles reparaissent.

Un flatteur.

Mademoiselle Rabut n’était pas belle ce soir.

Moi.

Vous êtes difficile ; je la trouve assez jolie.

Un autre flatteur.

Elle n’a pas d’intelligence.

Rachel.

Pourquoi dites-vous cela ? Elle n’est pas si sotte que beaucoup d’autres, et, de plus, c’est une bonne fille. Laissez-la tranquille. Je ne veux pas qu’on parle ainsi de mes camarades.

Le punch est fait. Rachel remplit les verres et en distribue à tout le monde ; elle verse ensuite le reste du punch dans une assiette creuse, et se met à boire avec une cuiller ; puis elle prend ma canne, tire le poignard qui est dedans et se cure les dents avec la pointe. — Ici finissent le verbiage vulgaire et les propos d’enfant. Un mot va suffire pour changer tout le caractère de la scène et pour faire paraître dans ce tableau la poésie et l’instinct des arts.

Moi.

Comme vous avez lu cette lettre, ce soir ! Vous étiez bien émue.

Rachel.

Oui ; il m’a semblé sentir en moi comme si quelque chose allait se briser… Mais c’est égal je n’aime pas beaucoup cette pièce-là (Tancrède). C’est faux.

Moi.

Vous préférez les pièces de Corneille et de Racine ?

Rachel.

J’aime bien Corneille ; et cependant il est quelquefois trivial, quelquefois ampoulé. — Tout cela n’est pas encore la vérité.

Moi.

Oh ! doucement mademoiselle.

Rachel.

Voyons lorsque dans Horace, par exemple, Sabine dit :

On peut changer d’amant, mais non changer d’époux,


eh bien, je n’aime pas cela. C’est grossier.

Moi.

Vous avouerez, du moins, que cela est vrai.

Rachel.

Oui ; mais est-ce digne de Corneille ? Parlez-moi de Racine ! Celui-là, je l’adore. Tout ce qu’il a dit est si beau, si vrai, si noble !

Moi.

À propos de Racine, vous souvenez-vous d’avoir reçu, il y a quelque temps, une lettre anonyme qui vous donnait un avis sur la dernière scène de Mithridate ?

Rachel.

Parfaitement ; j’ai suivi le conseil qu’on me donnait, et depuis ce temps-là je suis toujours applaudie à cette scène. Est-ce que vous connaissez cette personne qui m’a écrit ?

Moi.

Beaucoup ; c’est la femme de tout Paris qui a le plus grand esprit et le plus petit pied. — Quel rôle étudiez-vous maintenant ?

Rachel.

Nous allons jouer, cet été, Marie Stuart ; et puis Polyeucte ; et-peut-être…

Moi.

Eh bien ?

Rachel, frappant du poing sur la table.

Eh bien, je veux jouer Phèdre. On me dit que je suis trop jeune, que je suis trop maigre, et cent autres sottises. Moi, je réponds : C’est le plus beau rôle de Racine ; je prétends le jouer.

Sarah.

Ma chère, tu as peut-être tort.

Rachel.

Laisse-moi donc ! Si on trouve que je suis trop jeune et que le rôle n’est pas convenable, parbleu ! j’en ai dit bien d’autres en jouant Roxane ; et qu’est-ce que cela me fait ? Si on trouve que je suis trop maigre, je soutiens que c’est une bêtise. Une femme qui a un amour infâme, mais qui se meurt plutôt que de s’y livrer ; une femme qui a séché dans les feux, dans les larmes, cette femme-là ne peut pas avoir une poitrine comme celle de madame Paradol. Ce serait un contre-sens. J’ai lu le rôle dix fois, depuis huit jours ; je ne sais pas comment je le jouerai, mais je vous dis que je le sens. Les journaux ont beau faire ; ils ne m’en dégoûteront pas. Ils ne savent quoi inventer pour me nuire, au lieu de m’aider et de m’encourager ; mais je jouerai, s’il le faut, pour quatre personnes.

Se tournant vers moi.

Oui ! j’ai lu certains articles pleins de franchise, de conscience, et je ne connais rien de meilleur, de plus utile ; mais il y a tant de gens qui se servent de leur plume pour mentir, pour détruire ! ceux-là sont pires que des voleurs ou des assassins. Ils tuent l’esprit à coups d’épée ! oh ! il me semble que je les empoisonnerais !

La mère.

Ma chère, tu ne fais que parler ; tu te fatigues. Ce matin, tu étais debout à six heures ; je ne sais ce que tu avais dans les jambes. Tu as bavardé toute la journée, et encore, tu viens de jouer ce soir : tu te rendras malade.

Rachel, avec vivacité.

Non ; laisse-moi. Je te dis que non ! cela me fait vivre.

En se tournant de mon côté.

Voulez-vous que j’aille chercher le livre ? Nous lirons la pièce ensemble.

Moi.

Si je le veux ! Vous ne pouvez rien me proposer de plus agréable.

Sarah.

Mais, ma chère, il est onze heures et demie.

Rachel.

Eh bien, qui t’empêche d’aller te coucher ?

Sarah va, en effet, se coucher. Rachel se lève et sort ; au bout d’un instant, elle revient tenant dans ses mains le volume de Racine ; son air et sa démarche ont je ne sais quoi de solennel et de religieux ; on dirait un officiant qui se rend à l’autel, portant les ustensiles sacrés. Elle s’assoit près de moi, et mouche la chandelle. La maman s’assoupit en souriant.

Rachel, ouvrant le livre avec un respect singulier et s’inclinant dessus.

Comme j’aime cet homme-là ! Quand je mets le nez dans ce livre, j’y resterais pendant deux jours, sans boire ni manger !

Rachel et moi, nous commençons à lire Phèdre, le livre posé sur la table entre nous deux. Tout le monde s’en va. Rachel salue d’un léger signe de tête chaque personne qui sort, et continue la lecture. D’abord, elle récite d’un ton monotone, comme une litanie. Peu à peu, elle s’anime. Nous échangeons nos remarques, nos idées sur chaque passage. Elle arrive enfin à la déclaration. Elle étend alors son bras droit sur la table ; le front posé sur la main gauche, appuyée sur son coude, elle s’abandonne entièrement. Cependant elle ne parle encore qu’à demi-voix. Tout à coup ses yeux étincellent, — le génie de Racine éclaire son visage ; elle pâlit, elle rougit. Jamais je ne vis rien de si beau, de si intéressant ; jamais, au théâtre, elle n’a produit sur moi tant d’effet.

La fatigue, un peu d’enrouement, le punch, l’heure avancée, une animation presque fiévreuse sur ces petites joues entourées d’un bonnet de nuit, je ne sais quel charme inouï répandu dans tout son être, ces yeux brillants qui me consultent, un sourire enfantin qui trouve moyen de se glisser au milieu de tout cela ; enfin, jusqu’à cette table en désordre, cette chandelle dont la flamme tremblote, cette mère assoupie près de nous, tout cela compose à la fois un tableau digne de Rembrandt, un chapitre de roman digne de Wilhelm Meister, et un souvenir de la vie d’artiste qui ne s’effacera jamais de ma mémoire.

Nous arrivons ainsi à minuit et demi. Le père rentre de l’Opéra, où il vient de voir mademoiselle Nathan débuter dans la Juive. À peine assis, il adresse à sa fille deux ou trois paroles des plus brutales pour lui ordonner de cesser sa lecture. Rachel ferme le livre en disant : « C’est révoltant ! j’achèterai un briquet, et je lirai seule dans mon lit. » Je la regardai : de grosses larmes roulaient dans ses yeux.

C’était une chose révoltante, en effet, que de voir traiter ainsi une pareille créature ! Je me suis levé, et je suis parti plein d’admiration, de respect et d’attendrissement.

Et, en rentrant chez moi, je m’empresse de vous écrire, avec la fidélité d’un sténographe, tous les détails de cette étrange soirée, pensant que vous les conserverez, et qu’un jour on les retrouvera.

Le poète ne se trompait pas dans ses prévisions : ce document précieux a été soigneusement conservé. Quoique la lettre ne porte point de date et que l’enveloppe en ait été perdue, cette date se trouve indiquée par une des circonstances du récit. Mademoiselle Nathan ayant débuté à l’Opéra, dans la Juive, le 29 mai 1839, et le Théâtre-Français ayant joué Tancrède le même soir, il est évident que la relation du souper a été écrite dans la nuit du 29 au 30 mai. Les divers organes de la critique n’étaient pas encore unanimes sur le mérite de la jeune tragédienne. Comme cela n’arrive que trop souvent, le goût public avait devancé ceux qui prétendaient le diriger. Deux mois avant la scène qu’on vient de lire, le mercredi 27 mars 1839, mademoiselle Rachel, jouant le rôle de Roxane, avait été deux fois interrompue par les sifflets. L’envie était exaspérée. Malgré la prompte justice du public, cette soirée orageuse avait laissé à l’artiste un souvenir douloureux. Alfred de Musset venait de publier récemment deux dissertations de l’ordre le plus élevé, l’une sur la recrudescence de la tragédie, l’autre sur la pièce de Bajazet. C’est à ces deux articles et aux attaques de ses détracteurs que mademoiselle Rachel fait allusion dans son accès de naïve colère contre les journaux.

À la suite du souper, des rapports réguliers et fréquents s’établirent entre le poète et la jeune tragédienne. Alfred de Musset prit l’engagement d’écrire une tragédie en cinq actes pour mademoiselle Rachel, et il en voulut chercher le sujet dans ces récits des temps mérovingiens où l’érudition d’Augustin Thierry venait de jeter une lumière toute nouvelle. Ce n’est point par hasard que son esprit se fixa sur les intrigues de Frédégonde à la cour de Chilpéric. On retrouve dans la servante ambitieuse du roi de Neustrie le personnage principal du tableau de la vie d’artiste et du chapitre de Wilhelm Meister, dont l’image s’était gravée si profondément dans l’imagination du poète. Le fragment de tragédie de la Servante du roi, écrit en juillet 1839, se rattache évidemment à l’épisode pittoresque du souper. Le rapprochement des dates, le choix du sujet, le titre de l’ouvrage, tout s’accorde pour démontrer la corrélation d’idées qui existe entre ces deux morceaux, malgré les disparates énormes de l’exécution, malgré la distance qui sépare un calque fidèle et la réalité d’avec une œuvre d’art du genre le plus sévère. Ces rencontres se présentent souvent dans la vie des grands maîtres : c’est ainsi que Léonard de Vinci puisa quelquefois dans les dessins capricieux d’une table de marbre les sujets de vastes compositions.

Le plan de la Servante du roi n’a pas été écrit ; mais Grégoire de Tours, Augustin Thierry et Sismondi en contiennent la substance. Selon toute probabilité, on voyait, dans les trois premiers actes, Frédégonde s’introduisant dans la maison d’Audovère, première femme de Chilpéric, gagnant par sa coquetterie et sa fausse modestie les bonnes grâces et le cœur du roi, réussissant à force d’intrigues à faire répudier la reine, se croyant près de saisir la couronne ; puis, trompée dans ses espérances par le second mariage de Chilpéric avec Galsuinde, cédant a l’amour du roi, devenant la maîtresse avouée de ce prince faible, et abreuvant la nouvelle reine de dégoûts et d’humiliations. Au commencement du quatrième acte, Galsuinde a résolu de quitter furtivement la cour et de retourner chez son père. Frédégonde, informée de ce projet d’évasion, délibère pour savoir si elle doit laisser fuir la reine, on si elle a plus d’intérêt à la faire mourir. Tel est le sujet de la scène suivante.

  1. Mademoiselle Pauline Garcia.
  2. La tragédie commençait à huit heures et ne durait guère qu’une heure et demie.
  3. Mademoiselle Rachel demeurait alors passage Véro-Dodat.